Évaluer les apprentissages dans les environnements numériques

  • Evaluating learning in digital environments

DOI : 10.57086/cpe.600

Abstracts

Cet article propose une lecture personnelle de la question de l’évaluation en didactique des langues. Il est instructif de comparer l’évolution de l’évaluation en sciences de l’éducation et en didactique des langues. La visée actionnelle présentée par le Cadre européen commun de référence, l’approche par compétences, devraient modifier significativement la culture dominante de l’évaluation. La question de l’évaluation des apprentissages, aussi bien dans le cadre des plates-formes numériques d’apprentissage, que dans les environnements numériques informels, apporte à notre réflexion d’autres pistes qu’il nous semble important d’explorer.

This article presents a personal view on the question of evaluation in language didactics. It is interesting to compare the way evaluation has evolved in educational science and in language didactics. The action theory approach presented by the Common european framework of reference (CECR), the competence based approach should deeply modify the standard evaluation culture. The question of how to evaluate learning in learning platforms (LMS), but also in informal virtual environments, opens new perspectives which we should explore carefully.

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La question de l’évaluation des apprentissages et des compétences touche tout dispositif de formation. Les environnements numériques d’apprentissage, dans le cadre des plates-formes d’apprentissage ou d’autres dispositifs moins formels, n’échappent pas à la problématique de l’évaluation. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une mosaïque de pratiques variées, difficiles à cerner. Ces pratiques se développent de manière foisonnante dans les espaces numériques formels et informels, avec pour conséquence de compliquer la tâche du chercheur en l’absence des repères classiques de l’évaluation standardisée. Il est donc essentiel d’avancer sans a priori dans ce nouveau paysage en perpétuel changement. Nous commencerons par une synthèse sur la question de l’évaluation telle qu’elle se pose en didactique des langues et en sciences de l’éducation. Nous présenterons ensuite le paysage de l’évaluation dans les plates-formes d’apprentissage et tenterons de relever quelques questions que les nouveaux environnements numériques d’apprentissage posent à l’évaluation.

1. Tour d’horizon : les trois grands courants pédagogiques, des contenus aux compétences

En sciences de l’éducation, on décrit généralement, et de manière schématique, trois périodes clés qui ont marqué la conception pédagogique et donc l’évaluation : l’enseignement transmissif, la pédagogie par objectifs (PPO) avec la pédagogie différenciée et, actuellement, l’approche par compétences (APC).

1.1. De l’enseignement à l’apprentissage : centration sur l’apprenant

Dès les années 1980, L. Legrand (1986) propose ce que Perrenoud (2005) nomme une « valorisation positive » de la formation sous la forme d’une différenciation de la pédagogie. Il s’agit de repenser l’école démocratique des années 80 et 90, ce qui signifie pour la pédagogie de passer d’une indifférenciation, que l’on peut schématiser en disant qu’elle est fondée sur les contenus d’enseignement et une pédagogie frontale, à une différenciation de l’apprentissage qui prendrait en compte la diversité des profils d’apprenant et permettrait donc de varier les parcours d’apprentissage. Le système d’éducation évolue ainsi à cette époque en plaçant l’élève au centre du dispositif. La notion de centration sur l’apprenant prend alors corps. Cette révolution épistémologique peut également se résumer en disant que la pédagogie doit passer d’une théorie de l’enseignement à une théorie de l’apprentissage. Cette époque a été fertile en réflexions théoriques. On se souvient du livre de Meirieu (1989) qui proposait des pistes pour une pédagogie fondée sur l’apprentissage : apprendre… oui, mais comment, se demandait-il.

La notion de centration sur l’apprenant et son apprentissage, en didactique des disciplines, est ainsi clairement la résultante d’une nécessité sociale, élan démocratique pour l’accueil et la formation de l’ensemble d’une classe d’âge. Ce nouveau courant a permis de repenser les formes d’évaluation autour de la question du processus d’apprentissage, de son suivi et de sa validation, sans toutefois s’installer institutionnellement.

1.2. Définir des objectifs d’apprentissage

En France, la PPO (pédagogie par objectifs) a fortement marqué la formation professionnelle et technologique, aussi bien initiale que continue. C’est dans ce cadre que l’on a poussé à l’extrême la PPO avec les notions de référentiel de formation et de référentiel d’évaluation, ainsi que celles d’évaluation par contrôle continu et d’évaluation critériée. Les programmes étaient définis, non plus en termes de contenus, mais en termes d’« être capable de ». La définition des critères de réussite constituait un moment indispensable pour rendre possible le jugement sur la maîtrise ou non de l’objectif. Des tentatives ont été faites pour introduire en partie ces notions dans le cadre de la formation générale, en collège en particulier, avec plus ou moins de succès.

1.3. Évaluation formative, évaluation des apprentissages

Ce nouveau cadrage définit le processus d’évaluation en trois phases pour aboutir à une meilleure régulation des apprentissages :

  • la phase diagnostique qui doit permettre de vérifier ce que les apprenants connaissent préalablement, entraînant ainsi une réflexion sur les notions de pré-requis et d’acquis ;
  • la phase d’évaluation formative qui doit permettre une régulation des apprentissages ; elle informe à la fois l’apprenant sur sa progression et l’enseignant sur les remédiations à mettre en place ;
  • la phase sommative qui doit permettre de dire ce qui a été maîtrisé.

La « pédagogie de la maîtrise » s’appuie sur les taxonomies d’objectifs cognitifs et autres (Bloom, 1969 ; de Landsheere, 1975). Cette démarche d’évaluation du processus d’apprentissage propose ainsi une vision positive de l’apprenant, en validant ce qu’il a appris, ce qu’il sait faire. L’évaluation se fait information et non plus sanction.

1.4. Taxonomies cognitives et degrés de maîtrise

Les taxonomies tentent de définir une échelle de niveaux de difficultés aussi bien sur les plans cognitif, affectif ou moteur. Elles permettent de distinguer ce qui relève des niveaux cognitivement simples (celui de la connaissance : définir, identifier, nommer, énumérer, par exemple ; celui de la compréhension comme décrire, résumer, expliquer ; celui de l’application : utiliser, résoudre, construire, démontrer,…) et ce qui relève des niveaux complexes (l’analyse, la synthèse, le jugement critique). Ces taxonomies cognitives décrivent de manière opérationnelle des « comportements observables » que l’on pense caractéristiques des différents niveaux de maîtrise. Pour l’évaluation de l’apprentissage, on prendra soin de distinguer les exercices qui permettent d’entraîner et évaluer le simple repérage (l’apprenant est capable de reproduire des opérations simples), les activités de maîtrise (la performance est réalisée intégralement dans les conditions de l’apprentissage, c’est-à-dire avec de l’aide et sous une conduite), les activités de transfert (l’activité se fait dans un cadre inconnu, non préparée mais toujours plus ou moins accompagnée), enfin des tâches authentiques qui suppose la mobilisation de ressources pour proposer une réponse originale et non prévisible.

1.5. L’approche par compétences

Nous sommes entrés, depuis le début des années 2000, dans une nouvelle période qui impose un nouveau contrat de société pour l’école. Le constat est le suivant : les enfants ne montrent plus la même motivation d’apprendre, l’école ne joue plus le rôle d’ascenseur social, le nombre d’enfants marginalisés est en augmentation. L’éducation, qui a répondu jusqu’ici à l’objectif de démocratisation, est ainsi invitée à réduire l’écart entre l’idéal éducatif et la réalité du monde du travail. En d’autres termes, l’école doit relever le défi de rapprocher situations d’apprentissage scolaires, jugées trop artificielles et peu productives, et situations « authentiques » de la vie quotidienne dans un monde en mouvement.

Cette approche, qui a les faveurs de l’Unesco, a été appliquée dans plusieurs pays (Afrique, Maghreb) sous l’appellation « pédagogie de l’intégration » (Roegiers, 2000). On parle alors de compétences de base ou socle de base qui sont censées permettre aux élèves de mieux s’insérer dans l’environnement socio-économique. Cette approche considère l’enfant comme un acteur social et lui apprend à gérer la complexité des activités sociales quotidiennes. L’enseignant doit ainsi dans un premier temps prévoir des apprentissages et mettre en place des savoir-faire qui seront nécessaires à l’élève pour résoudre une situation-problème. On peut définir trois ensembles différents :

  • celui des acquis scolaires : savoirs, savoir-faire, savoir-être propres aux disciplines habituelles ;
  • celui des situations de la vie quotidienne ;
  • celui des compétences dites transversales nécessaires pour résoudre, seul ou en équipe, les situations complexes.

1.6. Définir et évaluer des compétences

Roegiers (2000 : 66) propose la définition suivante :

« La compétence est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisé un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations-problèmes. »

Scallon (2004) reprend cette définition en insistant sur plusieurs points : c’est une capacité à mobiliser un ensemble de ressources pour gérer des situations réalistes et complexes (situation-problème, tâche,…). Il ne s’agit pas d’appliquer ni même d’utiliser de façon routinière des savoirs et savoir-faire qui viennent d’être appris, mais de convoquer de manière inédite et originale des ressources intériorisées. Deux concepts sont particulièrement importants : le « savoir-intégrer » et le « savoir-transférer ». Cette approche tente ainsi d’aborder la question de l’intégration et du transfert des apprentissages. On comprend que la notion de stratégie et celle d’auto-évaluation, par le biais d’un portfolio, apparaissent également dans ce contexte. Enfin, il est intéressant de noter que la question d’une taxonomie d’objectifs est reposée dans le cadre du « tableau de spécifications » nécessaire à l’évaluation. On parle aussi « d’échelle descriptive » qui se définit en trois éléments : les critères d’évaluation, les niveaux qualitatifs, les stratégies de notation (scoring strategies).

Pour terminer, je reprends, sous forme de tableau, avec quelques adaptations personnelles, les propositions de Scallon (2004 : 24) présentant le changement de paradigme pour l’évaluation.

Tableau 1 : évaluation traditionnelle et évaluation par compétences (inspiré de Scallon, 2004)

  Évaluation traditionnelle Évaluation par compétences
QCM / performance L'élève répond à des questions à réponses brèves ou à choix multiples L'apprenant-acteur construit une réponse élaborée en situation de performance.
scolaire / authentique Les questions ont un caractère scolaire et souvent artificiel, on dit qu'elles sont « décrochées ». Les problèmes sont réalistes, signifiants, liés à la vie courante.
figé / interactif Le souci d'objectivité impose un format figé, uniforme. Lors de la résolution du problème, l'apprenant-acteur est invité à interagir de différentes façons en tant que partenaire.
unidimensionnel / multidimensionnel La notion d'unidimensionnalité est au cœur du testing traditionnel, on évalue un item à la fois. Le scénario « réaliste » permet d'évaluer la multidimensionnalité de la compétence.
mesure / jugement La mesure (quantification, tests) « objective » est privilégiée. Le jugement qualitatif est privilégié.
hétéro-évaluation / auto-évaluation L'élève n'évalue pas ses productions, son progrès. L'apprenant-acteur participe à l'évaluation grâce aux critères définis collaborativement ou explicités.
Le portfolio apparaît comme outil réflexif.
produit / processus L'observation porte globalement sur le produit. On s'intéresse à ce que l’apprenant-acteur sait faire, mais aussi à la façon dont il s'y prend, seul ou collaborativement.
externe / intégré L'évaluation sommative est nettement séparée de l'apprentissage. On se situe dans une évaluation intégrée à l'apprentissage, la distinction formatif / sommatif perd de sa pertinence.
solitaire / solidaire L'individu est évalué, positionné, certifié dans un esprit de classement L'évaluation est à la fois individuelle et collective, elle tient compte des compétences générales et sociales

L’approche par compétences reste ainsi fortement marquée par une vision de l’élève acteur social isolé. Roegiers (2000) et Scallon (2004) favorisent le développement d’une approche fondée sur un socle de compétences de base que l’on peut évaluer aussi clairement que possible. La différence avec les approches précédentes peut se définir autour des notions de « famille de situations-problèmes », « interdisciplinarité », « intégration », « mobilisation de ressources ». Ils reconnaissent que cette approche ne dispose pas encore d’éléments scientifiques suffisants pour évaluer clairement « la capacité à mobiliser des ressources pertinentes ». Les notions de « famille de situations-problèmes », voire de « tâches complexes » demandent à être précisées.

Ces auteurs ont exprimé largement leur méfiance face à une approche qui met le collectif au premier plan et non pas l’individu. Ils réduisent l’ambition de l’approche par compétences au socle de compétences de base afin d’assurer un suivi précis des progrès de l’apprenant individu, mais également afin de permettre aux systèmes éducatifs d’adopter cette approche sans trop de difficultés. Ils sont ainsi contraints de minimiser la pédagogie de projet et l’apprentissage collaboratif en prétextant le côté idéaliste et élitiste. Scallon (2004) reconnaît pourtant que cette approche accorde une place fondamentale au travail en équipe et à la coopération entre les individus, comme l’ont voulu les grands pédagogues de l’école nouvelle (Dewey, Freinet, Decroly).

2. La didactique des langues / FLE et la question de l’évaluation

Les débats en didactique des langues (DDL) se sont focalisés dans les années 1980 autour de la notion de « compétence de communication ». Ils apparaissent très largement marqués par des considérations plus linguistiques qu’éducatives, comme le soulignait justement Galisson (1982 : 14). Nous avons repris cette lecture (voir Springer, 1996 : 168, voir aussi Huver et Springer, 2011) qui permet de mieux comprendre et situer l’évaluation en didactique des langues (DDL). On peut définir schématiquement trois périodes canoniques en DDL : la période structuraliste avec la MAO / MAV, la période communicative et la période actionnelle. Ces périodes s’inscrivent dans le tour d’horizon que nous venons de proposer. La période communicative reprend les questions soulevées par la définition des objectifs d’apprentissage, la période actuelle est proche des préoccupations de l’approche par compétences et de la définition des tâches complexes.

2.1. Approche communicative et centration sur les besoins de l’apprenant

La didactique d’une discipline se préoccupe avant tout des objets qui la constituent. La DDL a interrogé, à sa façon, la centration du dispositif d’enseignement sur l’apprenant. Les années 1980 ont largement développé la question de la définition des besoins langagiers. Les experts du Conseil de l’Europe se sont penchés sur la conception d’une approche plus démocratique et moins élitiste. Il s’agissait de promouvoir l’apprentissage des langues pour les adultes afin de rendre possible la circulation des personnes dans l’Europe en construction. L’entrée par les besoins langagiers opère une rupture épistémologique forte en DDL dans la mesure où elle impose une focalisation non plus sur l’objet langue seul, mais sur le sujet de l’apprentissage dans une visée fonctionnelle (Springer, 1996 : 98). Cette optique, qui a été durement combattue par les didacticiens linguistes, est assez proche de la PPO dont nous avons parlé précédemment. Tagliante (1993 : 125) montre l’intérêt de l’approche pour le français sur objectifs spécifiques et évoque explicitement la PPO (voir également Tagliante, 2005 : 26). Le niveau-seuil peut ainsi être considéré comme un référentiel décrivant les objectifs d’apprentissage pour un premier niveau d’opérationnalité en langues. Il décrit en comportements observables (savoir-faire fonctionnels, savoirs notionnels et savoirs linguistiques) ce qui constitue la maîtrise de ce niveau (premier élément d’un système d’unités capitalisables). La démarche consiste à prendre des informations sur l’apprenant (biographie, besoins personnels) et sur le contexte de communication qui est le sien (situations de communication, besoins professionnels). La définition des contenus linguistiques est ainsi subordonnée et non plus principale. Besse (1985 : 48) disait que l’on aboutit « à une conception de la matière à enseigner / apprendre beaucoup plus vaste que ce qu’on appelle ordinairement une langue (c’est-à-dire un lexique et une syntaxe), une conception qui englobe les conditions propres à l’usage de cette langue, ce qu’on appelle sa pragmatique. » Le renversement de la primauté de la compétence linguistique vers la compétence de communication s’explique par la focalisation sur les règles contextuelles et situationnelles qui déterminent des fonctions communicatives authentiques.

On le voit bien, la centration sur les besoins langagiers a eu pour conséquence de bouleverser assez fondamentalement l’objet de la DDL. La question de l’apprentissage et de l’évaluation des apprentissages est malheureusement passée au second plan. Certains didacticiens l’ont d’ailleurs regretté en disant qu’on a remplacé simplement les inventaires lexicaux et syntaxiques par des inventaires notionnels et fonctionnels, c’est-à-dire qu’on s’est contenté de « sémantiser » l’objet langue. Alors que les besoins langagiers permettent d’envisager des profils d’apprentissage différents, la DDL n’a que très timidement soulevé la question de la différenciation pédagogique et de l’évaluation formative des apprentissages.

2.2. Comment évaluer la compétence de communication ?

On aurait pu penser que la DDL disposerait d’une bonne longueur d’avance sur les autres disciplines dans la mesure où elle s’intéressait dès les années 80 à la question de la « compétence » de « communication ». On pourrait de ce fait croire que l’évaluation en DDL se situe naturellement dans le paradigme « compétences » de Scallon (voir 1.6.). Or, ce n’est pas le cas.

La littérature des années 1980 et 1990 est largement préoccupée par la définition de la notion de compétence de communication (Springer, 2002 : 61-73). Cette phase épistémologique est, à mon sens, descriptive. On tente de définir, à la suite de Hymes et de Canale et Swain, les composantes indispensables pour que l’on puisse parler de communication. On se souvient des composantes discursive, sociolinguistique, socioculturelle, stratégique, interactionnelle, pragmatique. Il s’agissait alors de cerner plus la complexité communicative, par conséquent l’aspect linguistico-communicatif, que de définir ce que l’on entendait par compétence. Le terme de « compétence » renvoyait simplement au couple chomskien compétence / performance et non pas à la notion de compétence qui nous préoccupe aujourd’hui. En d’autres termes, cette période a simplement permis d’intégrer le contexte communicatif.

Bolton (1991) se fait l’écho de ces débats et propose une réflexion sur la question de l’évaluation de la compétence de communication. La notion d’authenticité est alors importante, car elle permet d’opposer les tests classiques standardisés à l’évaluation communicative. Une évaluation communicative est authentique dans la mesure où elle n’est pas conçue à des fins didactiques. Les documents produits doivent correspondre à ce qu’un locuteur aurait besoin de produire dans un contexte communicatif réel. Ces principes remettent fondamentalement en question la panoplie des tests de langues qui s’est développée peu à peu, depuis la période structuraliste. Rappelons les tests principaux : à trous, de transformation, de closure, de mise en correspondance, vrai /faux, à choix multiple. Cette typologie demeure dominante et l’arrivée d’internet a renforcé son usage.

Voici un exemple, on y retrouve le contexte communicatif et le texte à reconstituer avec des items prédéfinis.

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L’application la plus utilisée actuellement pour concevoir des exercices en ligne est bien sûr Hot Potatoes. Voici la typologie d’exercices standardisés proposés :

  • des questionnaires à choix multiples (module JBC),
  • des questionnaires à réponses courtes (module JQuizz),
  • des appariements ou des classements (module JMatch),
  • des mots croisés (module JCross),
  • des phrases mêlées à remettre en ordre (module JMix),
  • des tests de closure (module JCloze).

On peut ainsi schématiser l’évaluation en langues, telle qu’on la connaît aujourd’hui, de la manière suivante :

Schéma 1 : l’évaluation traditionnelle de la compétence en langue (C. Springer, 2007).

Schéma 1 : l’évaluation traditionnelle de la compétence en langue (C. Springer, 2007).

On reste bien dans le paradigme traditionnel tel que nous l’avons défini avec Scallon. La plupart des tests actuels (Dialang, Toefl, TCF, …) se présentent sous cette forme.

2.3. L’approche actionnelle, une approche par compétences ?

Le Cadre provoque une nouvelle réflexion et approche de l’évaluation. Le premier point fondamental à relever est le changement d’optique pour la définition de la compétence. On est très proche de l’approche par compétences. Le Cadre présente une modélisation raisonnée et plus uniquement descriptive de la compétence. Très schématiquement, on s’intéresse à l’acteur social, comme dans l’approche par compétences et on définit deux types d’éléments :

  • les compétences cognitives générales : savoir repérer et interpréter, savoir comment procéder, savoir y faire, savoir se comporter, savoir raisonner, savoir apprendre ;
  • la compétence à communiquer langagièrement : avec la composante sociolinguistique, la composante pragmatique et la composante linguistique.

On s’intéresse également à la compétence plurilingue, qui est déséquilibrée, en évolution constante. La relation compétence linguistique / compétence de communication est ainsi dépassée au profit d’un recentrage sur « la relation entre les stratégies de l’acteur… et la ou les tâche(s) à réaliser ». Les stratégies mises en œuvre par l’acteur deviennent centrales. Elles sont définies de la manière suivante :

La réalisation d’une tâche est une procédure complexe qui suppose donc l’articulation stratégique d’une gamme de facteurs relevant des compétences de l’apprenant et de la nature de la tâche. Pour répondre aux exigences de l’exécution d’une tâche, l’utilisateur / apprenant de langues met en œuvre celles de ces stratégies qui sont les plus efficaces pour la mener à bien. … Ce sont les stratégies (générales et communicatives) qui créent un lien vital entre les différentes compétences de l’apprenant (innées ou acquises) et l’exécution réussie de sa tâche. (Cadre, 2001 : 122)

… est considéré comme stratégie tout agencement organisé, finalisé et réglé d’opérations choisies par un individu pour accomplir une tâche qu’il se donne ou qui se donne à lui. (Cadre, 2001 : 15)

Les stratégies sont le moyen utilisé par l’usager d’une langue pour mobiliser et équilibrer ses ressources et pour mettre en œuvre des aptitudes et des opérations afin de répondre aux exigences de la communication en situation et d’exécuter la tâche avec succès et de la façon la plus complète et la plus économique possible — en fonction de son but précis. (Cadre, 2001 : 48)

Les propositions du Cadre sont tout à fait dans le droit fil de l’approche par compétences. On se situe également dans une visée de résolution de problème complexe. Il s’agit de proposer des activités moins scolaires, plus proches d’activités sociales authentiques. L’idée d’authenticité n’est plus la même que dans les années 1980/1990, l’objectif aujourd’hui est d’apprendre à gérer la complexité des activités sociales.

2.4. Évaluation et approche actionnelle

La période actuelle est fertile en perspectives nouvelles pour l’évaluation. La mise au point du Manuel montre bien l’importance accordée enfin à l’évaluation. Mais c’est l’évaluation certificative qui est actuellement au cœur des débats et des recherches avec une meilleure prise en compte des tests standardisés. La grande majorité des examens sont ainsi « reliés » au Cadre, que ce soit les certifications commerciales, dans la mouvance d’ALTE, ou les examens scolaires (Springer, 2007). Très logiquement, on s’intéresse enfin à l’évaluation formative et formatrice grâce au Portfolio européen des langues (PEL). L’auto-évaluation doit devenir une pratique logique pour l’apprenant acteur social. Le Portfolio lui permet de gérer son parcours plurilingue et de se fixer des objectifs d’apprentissage. L’évaluation par critères positifs modifie fondamentalement la culture de l’évaluation en vigueur aujourd’hui.

L’expérience acquise en tant que concepteur et auteur du DCL (Diplôme de compétence en langues), dès le début des années 1990, m’a permis de réinvestir ce travail dans le pilotage du certificat CLES (Springer, 2004) qui se situe clairement dans l’optique présente. L’approche actionnelle s’ouvre aux pédagogies du projet et par scénario / tâches. L’acteur est évalué sur sa capacité à résoudre un problème avec les ressources dont il dispose.

On peut résumer les caractéristiques de ce type d’approche par les points suivants :

  • scénario social authentique,
  • mission individuelle,
  • situation problématisée,
  • évaluation globale pragmatique.

Trois types de critères sont utilisés pour ce type d’évaluation :

  • critères relevant du traitement personnel (compétences générales, transversales, stratégies, personnalité) ;
  • critères relevant du traitement pragmatique (compétence fonctionnelle) ;
  • critères relevant du traitement linguistique (compétence linguistique).

Schéma 2 : complexité de l’évaluation en langue (Springer, 2007)

Schéma 2 : complexité de l’évaluation en langue (Springer, 2007)

3. Évaluer les apprentissages dans les environnements numériques

Les environnements numériques d’apprentissage, qu’ils soient formels comme les plates-formes d’apprentissage, ou informels comme les blogues (cf. la contribution de Koenig-Wiśniewska dans ce numéro des Cahiers du GEPE), s’inscrivent dans le cadre évoqué. Les ENA formels s’approprient logiquement les données actuelles de l’évaluation. Les ENA informels ont, quant à eux, une plus grande possibilité d’innovation qu’il est intéressant d’observer, en particulier les environnements sociaux. Notre recherche ne nous a pas encore permis de dresser un tableau complet de cet espace en évolution, dont nous évoquerons quelques éléments importants.

3.1. Évaluation et plate-forme d’apprentissage

Les plates-formes d’apprentissage sont des dispositifs de formation qui offrent tout un ensemble d’outils. La plate-forme Moodle est un bon exemple de ce type d’environnement d’apprentissage formel. Les utilisateurs, enseignants et étudiants, vont pouvoir tirer profit des modules offerts. Pour l’évaluation, Moodle reprend les exercices classiques qui correspondent aux canons de Hot Potatoes, mais ajoutent également quelques éléments innovants allant dans le sens de l’auto-évaluation et de l’évaluation communautaire. Voici les modules principaux :

Module Test

Les enseignants peuvent définir une base de données de questions pouvant être réutilisées dans d’autres tests. Les tests sont automatiquement évalués. Les questions et réponses des tests peuvent être mélangées (aléatoirement) pour diminuer la fraude.

Questions à choix multiples.
Questions à réponses courtes (mots ou phrases).
Questions Vrai-Faux.
Questions d’appariement.
Questions aléatoires.
Questions en format Cloze.
Textes et graphiques de description intégrés. 

Moodle, http://docs.moodle.org/fr/Fonctionnalités

On reconnaît les exercices standardisés. Les plates-formes offrent également des possibilités de suivi des apprentissages et des actions réalisées par les étudiants. On parle dans ce cas de tracking.

Gestion des cours

Enregistrement, suivi des activités des utilisateurs, rapports d’activités avec graphiques et détails pour chaque module (dernier accès, nombre de consultations, etc.), historique détaillé de chaque action des étudiants, y compris les messages des forums, etc. 

Moodle, http://docs.moodle.org/fr/Fonctionnalités

Le module suivant est plus innovant et ouvre des possibilités d’évaluation par les pairs et d’auto-évaluation. Le groupe a la possibilité de définir les critères d’évaluation pour le travail demandé. Il est également possible d’engager une réflexion sur l’évaluation.

Module Atelier

Permet l’évaluation de documents par les pairs. L’enseignant peut gérer et noter l’évaluation. Offre un grand nombre de barèmes possibles. L’enseignant peut mettre à disposition des étudiants des documents leur permettant de s’entraîner à l’évaluation.

Moodle, http://docs.moodle.org/fr/Fonctionnalités

Le dernier module est également innovant. Il s’inspire des pratiques que l’on peut observer sur internet par le biais de sondage permettant de juger de la satisfaction des utilisateurs.

Module Sondage

Peut être utilisé pour un vote sur un sujet ou pour obtenir un feedback de la part de tous les étudiants. L’enseignant voit un tableau explicite de qui a choisi quoi. 

Moodle, http://docs.moodle.org/fr/Fonctionnalités

L’évaluation est par conséquent très présente dans ce type d’environnements d’apprentissage formel, avec une forte tendance néanmoins à demeurer dans le paradigme traditionnel de l’évaluation.

3.2. Évaluation et environnements numériques d’apprentissage collaboratif

Les expériences qui se développent actuellement avec l’intégration des TIC, en particulier les projets pluridisciplinaires, posent de nouvelles questions à l’évaluation. Comment évaluer un travail collaboratif ? Quels critères d’évaluation retenir pour rendre compte de l’engagement des participants ? Comment valoriser la complexité tout en évaluant ce qui relève spécifiquement des contenus d’une discipline ? Le scénario de la quête virtuelle, ou webquest, commence à être mis en œuvre dans ce genre de projet TIC. Ses caractéristiques sont les suivantes :

  • approche actionnelle
  • mission collective
  • situation problématisée avec tâches individuelles et collective pré-définies (situation-problème)
  • une évaluation globale des compétences (compétences transversales, compétences techniques, compétences de la discipline).

Voici un exemple de ce type d’évaluation mettant en avant des compétences transversales et le travail collaboratif. Consulté le 10 novembre 2007, http://station05.qc.ca/css/ecoles/stmarg/6e/evaluationgrille.htm :

Tableau 2 : grille d’évaluation des compétences transversales pour des quêtes virtuelles collaboratives

Tableau 2 : grille d’évaluation des compétences transversales pour des quêtes virtuelles collaboratives

Dans le domaine des langues, on peut envisager de valoriser diverses compétences en relation avec les descripteurs du Cadre (exemple personnel réalisé lors d’un séminaire sur le LQuest, Graz) :

Cette évaluation vous permettra aussi de compléter votre portfolio en langues.

Tableau 3 : grille d’évaluation d’un LQuest (Springer, Koenig-Wisniewska, 2006)

Tableau 3 : grille d’évaluation d’un LQuest (Springer, Koenig-Wisniewska, 2006)

Ces approches d’intégration des TIC sous forme de projets développent d’autres pistes d’évaluation et permettent d’évaluer aussi bien les compétences générales que les compétences liées à une discipline. On voit se dessiner d’autres modalités plus conformes au paradigme « compétences » qui se situe bien dans le cadre de l’approche actionnelle.

Les blogues ouvrent d’autres pistes et réflexions sur l’évaluation. Contrairement à ce qu’on vient de voir, ce qui domine dans ces nouvelles pratiques en évolution, c’est l’évaluation sociale et communautaire (Springer, C., Koenig-Wisniewska, A., 2007). L’expertise n’est pas attribuée par une instance éducative mais par l’ensemble de la communauté. Le blogue est un espace de publication, mais aussi une image de soi et d’une expertise, un réseau de communautés, nous sommes tous experts en quelque chose dit un nouveau site social (Squidoo, consulté le 10 novembre 2007, http://www.squidoo.com). Toute publication sur un blogue s’expose et suscite l’évaluation sociale. Les blogueurs cherchent bien évidemment à obtenir des avis sur l’intérêt de ce qu’ils écrivent. Christophe Deschamps, auteur de blogues, définit cet aspect de la façon suivante : « La réputation est une facette de votre identité en ligne, mais c’est une facette difficile à maîtriser car, par définition, elle ne dépend pas totalement de vous. Tout au plus pouvez-vous, par votre sérieux, votre application, votre assiduité essayer de l’orienter de manière positive, mais ce n’est pas une science exacte. » ( http://www.outilsfroids.net, consulté le 10 novembre 2007). Parmi ces pratiques d’évaluation sociale, on peut citer la principale qui consiste à classer les blogues les plus populaires grâce aux statistiques (nombre de visites, nombre de commentaires, nombre de contacts favoris). Christophe Deschamps cite les services qui influencent actuellement l’évaluation sociale :

  • le positionnement Google : calculé sur la popularité d’une page web, il a bouleversé le paysage des moteurs de recherche ;
  • les citations dans del.icio.us ou d’autres services de « bookmarking social » : là encore il s’agit d’un classement basé sur la popularité ;
  • l’utilisation de Technorati ou d’autres services du même type permettant de comptabiliser le nombre de fois ou votre blog est cité par d’autres.

D’autre part, les blogues des jeunes utilisent diverses fonctions, dont le sondage et le principe du vote, pour avoir un retour et créer de la motivation. Au sein même des blogues, un classement se fait sur les articles les plus populaires.

L’évaluation numérique sociale apporte une contribution intéressante et interroge l’évaluation traditionnelle totalement contrôlée par l’instance institutionnelle. L’évaluation par les pairs, par une communauté, tend à se développer sur internet, les jeunes apprennent à évaluer et à être évalués de différentes façons.

Conclusion

Il me semble que l’on assiste aujourd’hui à une remise en question fondamentale du paysage de l’évaluation. Nous avons pu dessiner une mosaïque complexe qui s’oriente autour du Cadre, de la pédagogie de projets / tâches, de l’auto‑évaluation / Portfolio mais aussi de l’évaluation sociale. On peut tirer quelques conséquences pour de futures recherches en évaluation, en particulier dans une optique plurielle des langues :

  • sortir la notion de « compétence » de son cadre linguistico-communicatif,
  • développer une approche par tâches collaboratives (aspect social),
  • intégrer la compétence à communiquer langagièrement dans un cadre plurilingue plus large (aspect pluriel),
  • favoriser une approche réflexive sur les stratégies et sur l’auto-évaluation et l’évaluation par les pairs (aspect apprentissage plurilingue).

L’évaluation numérique explore de nombreuses pistes jusqu’ici ignorées. Les plates-formes d’apprentissage améliorent la panoplie d’outils pour créer des activités d’évaluation, elles développent également de nouveaux outils pour connaître la réactivité et suivre le parcours d’apprentissage, elles s’ouvrent enfin à des formes d’évaluation plus sociales que l’on trouve à travers la blogosphère.

Bibliography

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Sitographie

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Illustrations

References

Electronic reference

Claude Springer, « Évaluer les apprentissages dans les environnements numériques », Cahiers du plurilinguisme européen [Online], 5 | 2013, Online since 01 janvier 2013, connection on 09 novembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/cpe/index.php?id=600

Author

Claude Springer

Claude Springer est directeur de publication de la revue Alsic — http://alsic.org —. Il s’intéresse aux questions relatives à l’évaluation / certification en langues, aux TIC et en particulier aux environnements numériques d’apprentissage, entre autres.

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