Être un penseur fonctionnaire : fragments d’analyse d’un problème professionnel

DOI : 10.57086/lpa.121

p. 16-52

Outline

Text

« On tend à réduire à une mise en question politique, inspirée par des préjugés ou des pulsions politiques […] ce qui est et veut être une mise en question épistémologique »
(Bourdieu, 1994, p. 101).

Présentation

De prime abord, que ce soit d’un point de vue épistémologique ou politique, l’expression « des pratiques et des savoirs engagés en éducation » pourrait désigner, soit un oxymore, soit un pléonasme. Un oxymore pour certains, car le chercheur serait voué à l’objectivité et à la neutralité, loin des passions partisanes propres à la politique ; un pléonasme pour d’autres, tant les diverses approches constructivistes ont pu affirmer qu’il n’existait peut-être aucune science idéologiquement « neutre », et donc qu’aucun scientifique ne pouvaient prétendre que ses contenus et ses méthodes ne dépendaient pas de paradigmes historiquement et matériellement situés. Pour tenter de dénouer cette aporie, nous allons d’abord procéder à un bref point de situation, avant de dessiner les profils d’une recherche et d’un enseignement assumant pleinement l’intégration du sens politique dans leur déontologie, dans leur éthique1 et dans leurs pratiques professionnelles.

Chemin faisant, le texte essaiera d’analyser en termes théoriques une expérience professionnelle, celle d’un enseignant-chercheur en philosophie de l’éducation, en charge depuis plus de 20 ans de missions de formation des enseignants et des conseillers principaux d’éducation (CPE) au sein des IUFM2 (devenus ESPE3, puis INSPE4 en 2019, en attendant une nouvelle appellation). Plus particulièrement, il posera le problème de l’articulation entre une conception engagée de l’enseignement et de la recherche, un cadre d’emploi précis (être un « penseur fonctionnaire » à l’université, selon l’expression de Bourdieu) et une population particulière (des étudiants et des fonctionnaires-stagiaires en attente de réussite à leur concours ou de titularisation, avec tout ce que cela suppose de contrainte sur leurs faits et gestes).

Ceci est donc un texte engagé et situé. Qu’il soit lu comme tel.

Bref point de situation

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l’existentialisme sartrien avait fourni aux professions intellectuelles un argumentaire propre à activer leur participation politique, tandis que la rhétorique marxiste — avec de tout autres présupposés — alimentait les motifs de mobilisation des intellectuels en lien avec la classe ouvrière et les masses populaires dans la lutte des classes.

Le raisonnement de Sartre, aisé à suivre, connut une forte diffusion : puisque « l’homme est condamné à être libre », puisque « une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait » (Sartre, 1965, p. 37), alors l’engagement n’est pas une option que chacun pourrait accepter ou refuser, ou encore modifier de son plein gré selon les moments de son existence et en fonction de ses propres évaluations morales et politiques. L’engagement dans le monde est un élément ontologique paradoxal (« dialectique »), définissant la condition humaine (l’Être) par son indétermination (le Néant), bien plus fondamentalement que ne pourrait le faire tout discours essentialiste et/ou déterministe.

On pouvait donc distinguer deux niveaux d’engagement pour chaque individu : primo, l’engagement comme engluement fondamental dans le monde, comme délaissement, comme impossibilité d’échapper à la responsabilité d’avoir à se choisir et à se projeter (être engagé dans l’existence comme une clé est engagée dans une serrure, sans possibilité de s’en retirer) ; secundo, l’engagement comme choix individuel absolument libre (mais en situation), comme projet de réaliser tel ou tel type d’humanité (être engagé, c’est essayer de s’inventer soi-même, c’est opter pour un itinéraire plutôt que pour un autre). Autrement dit, l’engagement était un élément biface : il concrétisait la liberté tout en condamnant chacun à celle-ci. « Le choix est possible dans un sens, mais ce qui n’est pas possible, c’est de ne pas choisir. » (Sartre, 1965, p. 73).

L’on sait que Sartre usa et abusa de cet élément de discours pour culpabiliser et dénoncer les « salauds », les « lâches » et autres adeptes de la « mauvaise foi », tentés de dissimuler sous des déterminismes « la totale liberté de l’engagement » (Sartre, 1965, p. 81). Refuser l’engagement et s’affirmer neutre, « objectif », sans opinion, c’était encore un engagement, selon la logique de l’existentialisme.

Quoi que nous pensions sur le fond de cette philosophie de l’engagement, elle peut aujourd’hui sembler bien lointaine et déplacée dans le milieu de l’enseignement comme dans celui de la recherche5. Non pas qu’il n’y ait plus d’enseignants et de chercheurs engagés politiquement et syndicalement, mais en raison de l’omniprésence actuelle de plusieurs discours démobilisateurs que Sartre aurait inévitablement rangés dans la catégorie de la mauvaise foi : l’idée néolibérale affirmant l’inanité du débat politique sur le système social, faute d’alternative réaliste aux contraintes économiques « naturelles » (« there is no alternative », disait Margaret Thatcher) ; le sentiment désabusé de l’impuissance citoyenne et le rejet du spectacle politique, transformés en désaffection civique et en méfiance à l’égard de la militance politique et syndicale ; l’idéologie entrepreunariale, transformant les conditions de l’exercice professionnel des enseignants et des chercheurs et influençant leur positionnement (Laval, 2013) ; la persistance de procédures de verrouillage autoritaire des institutions — le néolibéralisme étant un autoritarisme d’autant plus fort qu’il affirme être sans alternative ; la montée en puissance de bavardages politiquement inconsistants polluant les tentatives de politisation des analyses (les complotismes, le nouveau racisme, l’essentialisation de la violence et le discours sécuritaire, la dénonciation indifférenciée des « populismes », l’utilitarisme comptable comme seule raison du monde, etc.). Bref, là où, selon Sartre, chacun était condamné à l’engagement, chacun semble aujourd’hui condamné au désengagement.

Dans cette situation, les enseignants et les chercheurs sont d’autant plus fortement poussés à ne pas politiser le sens de leur activité que certains éléments matériels de configuration professionnelle les y attirent. Pour les nouvelles générations d’enseignants, dans un contexte de nouveau management public, l’allongement et la précarisation de leur parcours de formation, en les écrasant fréquemment de travail et en les stressant en permanence par des procédures de contrôle, de validation et d’inspections en vue de la titularisation, suscitent aisément des postures réactives de repli sur les seuls éléments de survie professionnelle immédiate, au détriment de la prise de distance, voire de l’analyse politique de leur situation. Une réelle résistance à la politique peut alors être perceptible chez les enseignants stagiaires, entre autres dans le désintérêt fréquent pour des contenus de formation problématisant des éléments tels que les inégalités, l’idéologie néolibérale en éducation ou l’analyse critique de la forme scolaire. Les formateurs voulant proposer ces contenus, de toute façon, n’ont plus réellement d’espace pour le faire, en raison de la baisse très importante des temps de formation initiale, de la quasi disparition de la formation continue, et de l’assimilation de la formation à un parcours de validation de compétences en situation. Il s’ensuit qu’un enseignant-chercheur expert, par exemple, dans le domaine de la vie et de l’œuvre des époux Freinet (entre pédagogie nouvelle, naturalisme prolétarien et engagement révolutionnaire), n’a plus réellement sa place dans les masters MEEF, faute d’y avoir de la place pour enseigner ses contenus6.

De même, stagiaires et étudiants ne sont pas mis en situation de se demander si l’école est ou n’est pas un « appareil idéologique d’État » (Althusser, 1970) ou une forme adaptée de « prison » (Foucault, 1975), ils veulent simplement y survivre. L’institution ne leur dispense que la connaissance de quelques concepts réduits à des éléments de slogans (les valeurs de la République, l’inclusion, etc.), tandis que la réflexion sur le rôle de l’école dans la transformation éventuelle de la société (changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école7) a été de facto exclue de la culture professionnelle des enseignants. Poussé à devenir lui aussi « entrepreneur de lui-même », selon le mot de Foucault8, le « nouvel » enseignant est facilement aspiré vers un modèle individualisé de professionnalité, non plus dans la vocation d’une seule et même vie professionnelle inscrite dans un projet collectif d’amélioration sociale, mais dans une trajectoire personnelle « pour un temps ».

Parallèlement, pour être tolérées de la part des étudiants et des stagiaires, la plupart des organisations syndicales veillent à se cantonner à un rôle de prestataires de services (diffusion d’informations pratiques sur la carrière, soutien individuel à la confection des dossiers de vœux et de mutations, demandes catégorielles), au détriment de la dynamisation d’un débat politique sur l’école et l’éducation.

Dans ces conditions, parler d’engagement pourrait paraître bien hypothétique, comme le résume, de façon sans doute trop générale, ce constat amer de Le Goff : « Des générations nouvelles sont formées dans un même moule, vidé de référence à l’expérience humaine et à toute sagesse pratique, pour agir au plus vite et sans état d’âme. » (Le Goff, 2002, p. 28) Ce constat a bien sûr sa pertinence, ne serait-ce que parce qu’il correspond à l’apathie politique des étudiants et des formateurs des ESPE/INSPE depuis quelques années : massivement absents des dernières mobilisations étudiantes (contre la loi relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants, dite loi ORE, en 2018) ou sociales (contre le projet de réforme du système de retraites en 2019-2020), ils n’ont pas non plus manifesté une grande résistance face à la dégradation continue des conditions de formation. Ainsi, dans les instituts de formation, le dernier grand conflit social remonte à 2009-2010, à l’occasion de la mastérisation de la formation). Toutefois, gardons-nous de simplifier un paysage dans lequel apparaissent de temps en temps des mobilisations collectives localisées, dans lequel des cultures pédagogiques et politiques, transmises familialement, persévèrent dans leur être, et dans lequel de nouvelles thématiques liées à la seconde contradiction du capitalisme (la crise anthropocénique) suscitent un intérêt certain chez les jeunes générations. De plus, quelques événements récents, tels que le mouvement des Stylos rouges en 20199, attestent de la persistance d’un positionnement politique assumé dans une frange plus ou moins importante du milieu enseignant, comme en écho amplifié du mouvement des Désobéisseurs de 200910.

Du côté des chercheurs, le constat fait également apparaître une situation historique marquée par la transformation néolibérale de l’université : généralisation de la mise en concurrence des équipes de recherche et extension du financement privilégié et limité dans le cadre des appels à projet, apparition d’un cadre de travail aligné sur l’entreprise privée (notamment pour les recrutements non-statutaires), précarisation des parcours professionnels, développement des établissements privés, introduction accrue des logiques commerciales, y compris dans les partenariats économiques et dans les droits d’inscription pour les étudiants, etc. Cette évolution déjà ancienne, dans laquelle une partie des chercheurs peut se retrouver (en fonction de leur intérêt individuel), se heurte à une contestation non négligeable de la part d’une autre partie de la profession, avec de temps en temps quelques temps forts, notamment en 2009 suite aux propos de Nicolas Sarkozy (alors président de la République) sur la « médiocrité » des chercheurs français, et plus encore dans le refus de la modification du statut d’enseignant-chercheur. De même en 2019-2020, le projet gouvernemental de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) a suscité une forte protestation au sein de bien des équipes de recherche, avec comme geste emblématique la publication par près de 200 revues scientifiques de textes contestant les éléments du projet de loi.

Toutefois, on aurait de la peine à distinguer dans ces mouvements entre ce qui relève d’un positionnement politique (reconnaissable par exemple à une rhétorique anti-libérale) et ce qui dérive d’une simple évaluation par chacun du risque portant sur sa propre carrière et sur les conditions matérielles de son travail. D’ailleurs, les enseignants-chercheurs, même mécontents ou inquiets, continuent massivement à faire leur travail (certains disent parfois ingénument « ne pas pouvoir malheureusement faire grève les jours où ils ont cours »), à tenir les jurys, à rendre leurs évaluations, à adapter leurs maquettes de formation aux nouvelles contraintes, et à candidater sur des projets selon la forme concurrentielle et technocratique qu’ils critiquent par ailleurs. Tout se passe donc comme s’ils se glissaient, de façon plus ou moins consentie, dans la nouvelle université capitaliste, et en adoptaient les règles, malgré leur bouderie sans conséquences. Notons aussi que les chercheurs furent très discrets en 2018 dans le mouvement de refus de la loi ORE modifiant les parcours d’entrée dans les études supérieures. En observateur du mouvement d’occupation du campus Lettres et Sciences Humaines de l’université de Lorraine (Nancy) par des étudiants en mars-avril 2018, Xavier Riondet constata ainsi que les enseignants-chercheurs, dans leur grande majorité, n’étaient pas prêts à procéder à un « triple déplacement » qui manifesterait leur familiarité avec un « sens historique » sans lequel tout engagement politique est inconcevable : « envisager la parole des étudiants, l’insérer dans une histoire et une actualité, prendre en compte la critique derrière les discours » (Riondet, 2020, p. 197-198).

Trois biais, parmi d’autres possibles, dans une réflexion sur l’engagement politique des enseignants et des chercheurs

Ce point de situation, qui va plutôt dans le sens d’un renforcement et d’une complexification des entraves à tout positionnement critique assumé par les enseignants et les chercheurs, doit pourtant être relativisé car il comporte certains biais.

Tout d’abord, il souffre d’une certaine exiguïté heuristique : il mériterait d’être affiné par des enquêtes approfondies, entre autres de type sociologique, enquêtes qui font plutôt défaut en ce qui concerne l’engagement politique des chercheurs. Bonneuil a montré que « les sciences humaines et sociales n’ont accordé qu’une attention restreinte à l’engagement des scientifiques. C’est un chantier peu exploré par l’histoire des intellectuels ». (Bonneuil, 2006). Certes, nous bénéficions de quelques études quantitatives portant sur les échéances électorales, mais elles ne dressent évidemment pas des constats très approfondis. On peut penser par exemple que, lors du second tour des élections présidentielles de 2012, seuls 8 % des chercheurs auraient choisi le bulletin Sarkozy11, et que, pour le premier tour des mêmes élections en 2017, les intentions de vote auraient été très éclatées en différents candidats (Emmanuel Macron arrivant en tête avec 15 % des intentions, à égalité avec Benoît Hamon12). Mais ces votes ponctuels ne montrent rien de palpable en ce qui concerne la présence de la politique dans l’activité professionnelle des universitaires. De même, les élections des membres du Conseil National des Universités (CNU) ne nous informent guère à ce sujet : le scrutin est assez peu suivi (46 % de votants en 2019), la grande majorité des listes n’affichent que des préoccupations corporatives et des généralités, et la logique prédominante est celle des réseaux d’influence dans un jeu concurrentiel qui représente assez bien l’état d’esprit dominant de la profession. Cela n’empêche évidemment pas que de sérieux conflits politiques traversent ostensiblement certaines sections du CNU, telle la section 05 (sciences économiques), où les économistes hétérodoxes subissent la domination des économistes orthodoxes et libéraux. Mais combien de chercheurs admettent que leur travail a un sens politique et selon quelle acception du concept de politique ? Impossible de le dire actuellement.

Deuxième biais possible : le concept d’engagement pourrait renvoyer implicitement, mais à tort, au lexique exclusif de la gauche, au sens large du terme, comme si seuls les individus se définissant comme étant « de gauche » (ce qui est déjà assez flou) pouvaient vraiment s’engager politiquement. Certes, il est évident que celui qui s’affirme « apolitique » — et qui est pourtant tout aussi engagé que le militant affirmé, mais selon d’autres postures — opte presque systématiquement pour une position de non-contestation de principe qui, in fine, est toujours au service du pouvoir et de l’ordre social. En ce sens, s’engager, c’est bel et bien résister, s’opposer, contester, et ce au nom d’un autre ordre social. Mais, cela peut aussi se produire en opposition à des politiques dites « de gauche », qui en général doivent affronter une vive résistance de la part de certaines couches sociales. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la virulence et l’ampleur de l’engagement politique de centaines de milliers de personnes contre le projet Savary de création d’un grand service public laïque d’éducation en 1984, ou encore dans le cadre du mouvement de La manif pour tous contre la Taubira depuis 2013, par exemple. S’engager est aussi un geste « de droite » et, dans cette optique, divers réseaux d’influence ne cessent de promouvoir dans le milieu de la recherche des idées et des valeurs hostiles aux conceptions jugées « de gauche ». On peut évoquer ici les réseaux catholiques, attentifs depuis quelques années à faire valoir les concepts étranges de catho-laïcité, voire de laïcité identitaire, en lesquels Baubérot voit tout simplement une falsification idéologique de la laïcité (Baubérot, 2014).

Quant aux thèses néolibérales sur la « modernisation » de l’université, il est aisé de repérer dans le paysage l’engagement actif quotidien de différents groupes en leur faveur. Citons par exemple le travail d’influence de la Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises (CURIF13), un groupe ayant soutenu la candidature d’Emmanuel Macron en 2017 entre les deux tours. L’actuelle ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (ESRI), Frédérique Vidal, en fut la trésorière. Plusieurs mesures de dérégulation libérale de l’ESRI ont été conçues au sein du CURIF, dont le programme très politique est sans ambages : différencier les statuts et les financements des établissements, supprimer le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), et accorder les pleins pouvoirs aux présidents d’université dans les recrutements. Voilà ce qui constitue manifestement une conception engagée de la recherche. À un niveau plus modeste, bon nombre de chercheurs sans doute pensent que la recherche a tout à gagner à une sélectivité accrue, à la disparition des financements pérennes distribués sans mise en concurrence et à l’ouverture tous azimuts en direction des partenaires industriels et commerciaux. C’est bien là un positionnement très politique, pour lequel ils s’engagent fréquemment en soutenant les équipes de direction des universités, en prenant des responsabilités dans les instances et les comités d’évaluation, en recrutant des chercheurs de cette même obédience, etc. Toute cette activité très politique s’accompagne d’ailleurs d’une condamnation de principe de la politique à l’université — comprenons : d’une condamnation de la contestation politique de l’université néolibérale. Les managers et les experts néolibéraux, cela est bien connu, ne font pas de politique… Dans tous les cas, chacun, en se positionnant dans un champ donné, s’engage dans unz certaine trajectoire.

Dernier exemple d’un engagement politique « de droite » : la volonté de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) de promouvoir des conceptions néolibérales dans les politiques scolaires et éducatives, tant au niveau des différents États qu’au niveau international. Dans ce cadre, par l’intermédiaire de son Centre pour la Recherche et l’Innovation dans l’enseignement (CERI), l’OCDE publie des rapports qui tentent d’influencer les gouvernements. Il s’agit de « fixer un programme innovant et projectif pour le paysage éducatif en pleine mutation14 ». Par exemple, le CERI a publié dès 2002 le rapport Comprendre le cerveau, vers une nouvelle science de l’apprentissage. Ce rapport avançait le projet de dépassement des fondements de l’éducation apportés par les sciences humaines et sociales, pour les remplacer par des fondements scientifiques, substitution désormais permise par les progrès technologiques relatifs à l’imagerie cérébrale :

L’éducation se trouve encore à un stade primitif de son développement. […] Aujourd’hui, l’éducation est une discipline préscientifique, qui dépend de la psychologie (de la philosophie, de la sociologie, etc.) pour ses fondements théoriques. […] La science de l’enseignement et de l’apprentissage en est peut-être à ses premiers balbutiements, mais elle aussi se développe à grande vitesse. Nombre de ses facteurs suggèrent que le statu quo est instable ; parmi eux figure l’échec relatif du grand projet éducatif des xixe et xxe siècles.
(OCDE, 2002, p. 9-10)

Dans cette optique refondatrice, s’efforçant d’éloigner la pédagogie de la philosophie et de la politique pour l’arrimer à la technoscience utilitariste, l’OCDE veut utiliser les neurosciences cognitives comme socle épistémique de l’éducation et des politiques éducatives. Ce programme a franchi les portes du Ministère français de l’Éducation Nationale et a pénétré au sein du conseil scientifique de la DGESCO15, animé à partir de 2010 par Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France et directeur d’un laboratoire de neuro-imagerie cognitive. À l’heure où nous écrivons16, il préside le Conseil scientifique de l’Éducation Nationale, créé en 2018 par le ministre Jean-Michel Blanquer. Dans un ouvrage emblématique, Stanislas Dehaene défend l’idée que « des sciences cognitives à la salle de classe, il ne reste qu’un petit pas à franchir » (Dehaene, 2011, p.117). Pour le franchir, il affirme pouvoir recourir au concept « d’éducation fondée sur la preuve » (Davies, 1999), transposé de la médecine. On voit que, dans l’esprit de certains décideurs, le débat est tranché : les enseignants pourront bientôt recevoir clés en main le « tutoriel » infaillible des apprentissages, cesser de se poser des questions pédagogiques inutiles, et cesser d’invoquer les inégalités sociales pour justifier les piètres résultats scolaires que « mesurent » les évaluations internationales pilotées par la même OCDE17 — la boucle est bouclée.

Il serait donc bien naïf de penser que l’engagement serait un geste marqueur des idées « de gauche ». Il y a longtemps que Walter Benjamin a pointé, dans les termes de son époque, cet engagement permanent des dominants dans la lutte sociale, politique et idéologique : « Outre le rôle qu’elle tient sous le masque de la philanthropie, la bourgeoisie a, de tout temps, joué à visage découvert celui de la lutte des classes » (Benjamin, 2017, p. 193). Les mondes de l’enseignement et de la recherche sont donc, de part en part, traversés par des stratégies politiques, nonobstant l’apathie, le déni ou la neutralité apparentes de beaucoup d’individus dès que l’on veut analyser avec eux leur secteur professionnel sous un angle politique.

Enfin, relevons un troisième biais possible : la méconnaissance de l’évolution et de la diversification des formes d’engagement politique. Certes, la trilogie AG/grève/manif, avec leurs satellites expressifs (tracts, affichages, tags, conférences, débats, diaporamas numériques, happenings, éditions, pétitions, motions, blogs, etc.) et leurs formes classiques d’action, dont les occupations de bâtiments et l’organisation d’une université alternative, existent toujours, comme l’ont montré en 2018 la « Commune de Tolbiac » et « l’université populaire du sapin Nancy2 », entre autres lieux de contestation étudiante18. Il est vrai qu’en 2018, le cinquantenaire de Mai 68 influença sans doute le choix privilégié de ces formes d’action dans lesquelles les militants d’extrême-gauche évoluent avec délectation. Mais, à côté de ces grands classiques de l’agitation dans les campus, des protocoles d’action inédits sont apparus ces dernières années, et il n’est pas sûr que nous en ayons déjà pris la pleine mesure. On en veut pour preuve l’action concertée ayant perturbé le meeting de Donald Trump à Tulsa en juin 2020 : des milliers d’internautes de tous pays, notamment des fans du genre musical coréen K-pop, achetèrent en ligne des billets pour le meeting, sans avoir la moindre intention de s’y rendre, mais dans l’objectif de saboter la réunion et de laisser le président-candidat face à une salle très peu occupée. Voilà l’exemple surprenant d’un acte politique usant de moyens bien peu classiques et, surtout, commis par une population (les fans de K-pop) qui ne correspond pas vraiment aux critères habituels de l’engagement. Qui nous dit que, dans la masse des étudiants français, qu’un jugement rapide pourrait nous conduire à juger « dépolitisée », de telles actions collectives à sens politique ne se produisent pas ? Leur caractère essentiellement éphémère suffit-il à les dévaluer19 ?

Autres formes d’action : la transformation des espaces publics en forums permanents de débats et de contestation. De très nombreuses variantes ont essaimé un peu partout sur la planète depuis deux à trois décennies, par exemple le Printemps arabe en 2010-2012, Occupy Wall Street aux États-Unis en 2011, le mouvement des Indignados en Espagne en 2011, l’occupation populaire de la place Taksim en Turquie en 2013, ou encore Nuit Debout en France en 2016. Plus récemment, le mouvement des Gilets Jaunes (2018-2020) a témoigné en faveur d’une envie de politique dans une frange non négligeable de la population, et a su inventer çà et là des modes d’expression alternatifs, en l’absence d’un appui syndical et politique qui était refusé par principe par la majorité des manifestants. Citons également les mobilisations ponctuelles des lycéens et étudiants de différents pays autour de la jeune figure écologiste de Greta Thunberg20 (née en 2003). Et l’on pourrait parler aussi de la vivacité de structures locales alternatives à la consommation et à la production capitalistes, plus ou moins unifiées autour du concept de Commun, et rayonnant au sein des jeunes générations par le biais de leur recherche de solutions pratiques pour le transport, le logement, le travail, etc.

Ainsi, il y a de la politique et de l’engagement, un peu partout et sous des formes éclatées, sans l’unification idéologique et pratique que fournissaient auparavant les mouvements politiques et syndicaux classiques (marxisme, anticolonialisme, anticapitalisme, etc.). Comme le dit Laurent Jeanpierre en analysant l’occupation des ronds-points par les Gilets Jaunes, « une relocalisation du politique » est à l’œuvre (Jeanpierre, 2019, p. 106) et nous aurions bien tort de prendre l’apathie militante relative des étudiants, des nouveaux enseignants et des chercheurs pour une preuve de la dépolitisation de leurs milieux de travail en particulier, de la société en général.

Il n’en demeure pas moins que, à rebours des injonctions sartriennes à assumer en pleine responsabilité un inévitable engagement politique, deux lignes de discours au moins dissuadent actuellement, autant que faire se peut, les enseignants et les chercheurs de marquer leur opposition aux politiques menées. La première ligne est juridico-déontologique et est prêchée à longueur de temps par la hiérarchie professionnelle : l’enseignant et le chercheur publics, en tant que fonctionnaires et qu’agents du service public, seraient tenus à une obligation de réserve, conformément au caractère laïque de l’État républicain et à la neutralité des services publics. La seconde ligne est philosophico-épistémologique : dans le cadre d’activités censées valoriser l’indépendance d’esprit et le sens critique des élèves (l’enseignement) et/ou la scientificité des travaux et des résultats (la recherche), les acteurs devraient s’abstenir de mêler leurs convictions à leurs tâches professionnelles. Ces deux lignes de défense ont souvent été intégrées, de façon diffuse, par les enseignants stagiaires, qui demandent parfois avec quelque fraîcheur « s’ils ont le droit de faire grève », ou qui trouvent parfois que certains cours sont « engagés », comme si la présentation non critique des textes ministériels ne l’était pas, à sa façon.

Nous allons maintenant contester la validité de ces deux axes argumentatifs, en procédant à leur retournement : selon nous, l’engagement politique, en un sens que nous allons préciser, n’est pas un élément de perturbation de l’activité pédagogique ou scientifique, il en est au contraire un indispensable complément afin que les finalités de cette activité soient poursuivies avec éthique et responsabilité.

Être un « expert » ?

Assumer le fait d’être un chercheur engagé, c’est refuser que l’argument épistémologique sur la neutralité et l’objectivité de la science soit employé pour expulser hors de la recherche tout sens historico-politique. C’est au contraire vouloir penser ensemble la science et la politique, et insérer le sens politique dans l’activité scientifique — hypothèse proprement scandaleuse, de prime abord. Dans cette optique, qu’appelle-t-on un chercheur engagé ? Répondre à cette question, c’est expliciter notre hypothèse ; c’est ce que nous allons essayer de faire en commençant par écarter deux options définissant ce que n’est pas un chercheur engagé.

Premièrement, la mesure de l’engagement du chercheur n’est pas simplement (ou n’est même pas du tout) dans la quantité et la qualité de ses prises de position publiques. L’engagement dont nous parlons ici n’est pas le pendant de l’attitude qui consiste à arborer dans l’espace public une parole dont l’autorité serait liée à une position dans le champ scientifique. Cette posture — dont nous ne contestons pas la possible légitimité — n’est pas celle dont nous parlons ici. Elle définit plutôt le rôle de « l’intellectuel », défini comme « un homme ou une femme qui applique à l’ordre politique une notoriété acquise ailleurs » (Julliard et Winock, 1996, p. 12), ou celui de « l’expert », convoqué parfois pour éclairer le débat politique, mais plus souvent encore pour tuer celui-ci en le résumant à une approche technoscientifique des problèmes.

Dans son Plaidoyer pour les intellectuels, Sartre avait d’ailleurs pris soin de distinguer l’intellectuel engagé des « faux intellectuels » et des « clercs », définis comme étant des « personnes qui, ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l’intelligence, abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et se mêler de ce qui ne les regarde pas » (Sartre, 1972, p. 12). On peut reconnaître ici les « chiens de garde » dont parlèrent Nizan (1965 [1932]), et qui sont désormais au service des « nouveaux chiens de garde » médiatiques dont parlèrent Bourdieu (1996) puis Halimi (1997). Dans tous les cas, nous ne parlons pas ici du cas des chercheurs qui s’expriment politiquement à l’extérieur de leur travail scientifique — ce cas est intéressant, mais n’est pas dans notre propos. Nous réfléchissons plutôt à un engagement assumé à l’intérieur de l’activité de recherche elle-même, à savoir : non pas s’engager en tant que chercheur, mais être chercheur en ayant intégré un sens politique au sein de ses démarches scientifiques et de ses activités de laboratoire. Le cas, certes, semble plus épineux.

C’est pourquoi nous devons écarter aussi une seconde configuration, celle qui verrait le positionnement politique, idéologique, confessionnel, du chercheur biaiser son travail et produire une « fausse science », c’est-à-dire une science soumise à des présupposés idéologiques et ne travaillant que pour confirmer ces présupposés. Les exemples sont indénombrables : de l’anthropologie racialiste, fidèle compagne de route des colonialismes, jusqu’aux romans historiques des différentes nations, en passant par la génétique raciste, on ne compte plus les formes de lyssenkisme21 dans l’histoire des sciences. Il ne s’agit évidemment pas de s’inspirer de ces impostures épistémologiques — comme s’il fallait à tout prix faire, par exemple, une science économique « de gauche » — mais on doit en retenir que le premier engagement du scientifique, justement, concerne la probité scrupuleuse de son travail et la soumission inconditionnelle à la « vérité » ou, pour le dire en termes moins coûteux d’un point de vue métaphysique, le respect absolu de la factualité. En effet, pour des raisons que nous allons exposer par la suite, l’engagement en faveur de la vérité (par opposition aux mensonges volontaires, involontaires ou par omission) est pleinement politique et constitue le cœur de l’éthique du chercheur engagé. Cela pourrait légitimer son intervention en tant qu’expert dans le débat public, position que nous allons maintenant examiner.

Commençons par dire les choses en termes politiques, à partir des arguments qu’expose Hannah Arendt dans le chapitre « Vérité et politique », ajouté à la deuxième édition de son ouvrage La crise de la culture, où elle montre que « les faits ne sont pas en sécurité dans les mains du pouvoir » (Arendt, 1989, p. 329). De plus, « il n’a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes » (ibid., p. 289). L’usage démagogique de « faits alternatifs » au sein des divers régimes de propagande politique vient en effet mettre en pièces un des piliers majeurs de la vie politique commune : la construction de significations communément admises, autour desquelles peut se dynamiser pacifiquement une pluralité d’opinions. Arendt ajoute que les « vérités de fait » sont plus fragiles que les « vérités de raison » à cause de leur contingence. Les faits pourraient être autrement, ils sont donc plus sujets à déformation : ils sont manipulables. Dans un travail sur la post-vérité contemporaine, Michel Fabre (2019) a pu s’inspirer de cette méfiance arendtienne pour analyser les ressorts actuels de l’utilisation de « faits alternatifs », de fake news (les « infaux »), et de théories du complot, pour asseoir des influences dans l’opinion.

En effet, selon Arendt, « la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si les faits ne font pas l’objet du débat » (Arendt, 1989, p. 303). Si cette critique désigne avant tout les régimes totalitaires, nul ne doute aujourd’hui qu’elle ne touche aussi les démocraties libérales, qui s’enorgueillissent du respect de la liberté d’opinion mais sont, elles aussi, contaminées par « un brouillage généralisé du rapport aux faits » (Fabre, 2019, p. 13), illustré, entre autres exemples, par le nombre effarant de fake news diffusées par Donald Trump depuis son élection à la présidence en 201722. Fabre distingue ainsi trois composantes de la post-vérité : le mensonge politique stratégique (un grand classique), le conspirationnisme sincère (une auto-intoxication contagieuse) et le « baratin, caractérisé par une indifférence totale envers le vrai et le faux » (Fabre, 2019, p. 14). Selon lui, le baratin serait un phénomène nouveau, sans doute amplifié par les pouvoirs conférés par les technologies numériques. Le baratineur serait finalement un plus grand ennemi de la vérité que le menteur classique, car « il ne lui accorde aucune importance » (Fabre, 2019, p. 16), mais produit lui-même des informations labiles (de la « com ») sans se poser la question du rapport à la factualité23.

Le chercheur, dans cette optique, aurait pour responsabilité de préserver les faits dans leur dimension d’effectivité : un événement s’est produit ou ne s’est pas produit, il s’est produit ainsi et pas autrement, etc. C’est ici la dimension ontologique de la factualité qui est en jeu : le fait ne peut être ni amendé, ni supprimé. Renvoyer toute proposition à une matérialité et à une existence effective peut ainsi constituer un réel engagement politique pour le chercheur, autrement dit une contribution tentant d’éviter que le débat public — caractéristique de la démocratie — ne dégénère en commentaires oiseux dans lesquels s’expriment aisément des idéologies et des éléments de post-vérité.

C’est la raison pour laquelle sans doute peu de chercheurs sont invités dans les débats médiatiques sur des sujets dont ils sont pourtant experts. La discussion sur la problématique de l’insécurité, par exemple, fait bien plus souvent appel à des commentateurs universels ayant un avis sur tout (au hasard : des habitués des plateaux tels que Natacha Polony, Pascal Praud, Yves Thréard24, etc.) et à des « experts » à la valeur scientifique douteuse (Alain Bauer25), qu’à des chercheurs reconnus par la communauté scientifique et ses instances (Laurent Mucchielli26 en est un exemple éclatant). Ces « commentateurs », en l’occurrence, ont oublié qu’on ne pouvait commenter sérieusement que sur la base d’une enquête scientifique (ou, a minima, d’une investigation journalistique critique) exposant ses méthodes, ses limites, ses résultats mais aussi ses ignorances, en toute transparence. Sans cela, la liberté d’opinion — rappelons ici le mot important d’Hannah Arendt — n’est qu’une « farce ». Par exemple, aborder la question des « zones de non-droit » ou de « la forte hausse des tournantes27 », sans jamais se poser la question de l’effectivité de ce que cette expression semble désigner, c’est baratiner, et non débattre.

Cicéron lui-même, en posant les bases de la science historique, indiquait que l’enquête devait toujours commencer par se demander si ce dont on parle avait eu effectivement lieu et, si oui, quels en étaient précisément les éléments constitutifs. « Qui ne voit que les principales lois de l’histoire sont de ne jamais rien dire de faux, d’avoir le courage de ne rien taire de vrai, d’éviter, jusqu’au soupçon de la faveur ou de la haine ? » (Cicéron, 1869, 15, p.12) « Ne jamais rien dire de faux » et ne jamais rien laisser dire de faux dans le débat public, serait-ce un élément possible d’engagement politique du chercheur ?

Dans une autre optique, Julien Benda, dans son ouvrage dénonciatif La trahison des clercs, avait axé la possible légitimité de l’intervention politique de l’intellectuel, non sur la primauté de la factualité, mais sur des principes plus proprement philosophiques, à ses yeux : l’universalité et la rationalité désintéressées. Il s’en prenait ainsi à la trahison que commettraient certains intellectuels quand ceux-ci interviennent dans le débat public au nom de choix partisans et de « passions politiques », et non en vertu de « valeurs universelles » telles que la justice, la vérité, la beauté, que le philosophe doit défendre avec désintéressement : « Les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, et que j’appelle les clercs, ont trahi cette fonc­tion au profit d’intérêts pratiques. » (Benda, 2003, p. 528) Benda voulait alors limiter la parole publique de l’intellectuel à son engagement en faveur des « valeurs cléricales » (l’expression fait évidemment tiquer), et refusait que cette parole se compromette dans la promotion des « valeurs pratiques » de tel ou tel courant politique et idéologique. Il en concluait qu’un choix politique, et un seul, pouvait correspondre aux « valeurs cléricales : « Le seul système politique que puisse adop­ter le clerc en restant fidèle à lui-même est la démocratie parce que, avec ses valeurs souveraines de liberté indivi­duelle, de justice et de vérité, elle n’est pas pratique. » (Benda, 2003, p. 59)

Dans les deux cas — engagement au respect de la factualité ou engagement au seul nom de la cléricalité des valeurs — la posture de l’expert ou du « sage » pose quand même un certain nombre de problèmes car il n’est pas du tout sûr que le débat politique entre citoyens ait à gagner à s’en remettre au pouvoir du savoir et à l’influence dominante des « sachants ». En général, comme l’a montré la séquence sur la pandémie en 2020, la parole scientifique n’éclaire guère le débat médiatique, sans doute parce que ce mélange des genres fonctionne toujours au détriment des scientifiques, qui sont déplacés dans un domaine fonctionnant selon d’autres règles que celles de leur culture professionnelle. De plus, l’exposé scientifique des faits, pas plus que le rappel de principes philosophiques universels, ne sauraient fonder à eux seuls les décisions relatives à l’intérêt général. Ludivine Bantigny, en étudiant les usages, les mésusages et les contre-usages de l’expertise, a d’ailleurs rappelé la critique de John Dewey, selon laquelle les experts succombent facilement à la tentation de favoriser ce qui facilitera leur positionnement social et professionnel. Qui expertisera les experts ? Par ailleurs, et c’est là sans doute l’essentiel, l’intervention, même honnête, de l’expert, biaise presque mécaniquement le débat :

Avec l’autorité du spécialiste que sa spécialisation même lui confère, l’expertise provoque une évidence de compétence tendant à faire croire que tout parti pris serait neutralisé par le savoir. Ce biais est d’autant plus difficile à éviter que, face justement à la spécialisation, ni le mandataire de l’expert ni l’opinion ne sont toujours à même de juger ses assertions.
(Bantigny, 2011, p. 3)

Le chercheur ne « sait » pas, puisqu’il cherche, justement. Il peut certes contribuer au débat sur la base de la scientificité de sa démarche, mais en n’oubliant surtout pas de tracer les limites du savoir telles qu’elles existent à l’heure où il parle et dans la situation d’où il parle. Ainsi, tout juste peut-on espérer du chercheur que sa contribution à la politique éclaire le champ de la discussion légitime, en contribuant à écarter de celle-ci ce qui ne vérifie pas les critères de la factualité (Hannah Arendt ne disait guère autre chose), tout en rappelant les incertitudes qui accompagnent tout état de la recherche. Toute tentative pour en attendre davantage relève, à notre sens, d’une idéalisation naïve ou cynique de la science, ou d’une représentation illégitime du passage de la « vérité » scientifique à la décision politique démocratique. Pour Mucchielli, l’utilisation d’experts plus ou moins sérieux dans la consultation politique n’a finalement pas pour objectif d’apporter de la rationalité aux décisions politiques, mais au contraire de faire croire en l’impartialité rationnelle des décisions imposées aux citoyens, laquelle est tout à fait fictive dans bien des cas. Cela peut surtout jeter « un épais brouillard sur les critères de ce que peut être une expertise légitime » (Mucchielli, 2002, p. 27). En fait, même dans le cas où l’expertise est incontestable, l’équilibre n’est pas simple à trouver entre l’énoncé d’un jugement « expert » et le respect du monde de l’opinion (doxa) en démocratie : « La politique se joue dans la tension permanente entre le philosophe et le sophiste, entre la visée de vérité et la pluralité des opinions. » (Bensaïd, 2002, p. 159)

Il nous semble donc que la science n’a pas à franchir sans un luxe de précautions les limites du champ d’action à l’intérieur de laquelle ses travaux et sa parole sont légitimes ; chaque fois qu’elle le fait, elle encourt le grand risque d’être, dans le meilleur des cas instrumentalisée par des intérêts privés, au pire coupable elle-même de donner du grain à moudre à l’idée d’un technopouvoir qui constitue l’envers de la démocratie. In fine, le pouvoir de « l’élite qui sait » (derrière laquelle s’agite nécessairement une minorité dominante) se substituerait alors à la souveraineté populaire, qui n’a par ailleurs pas besoin de cette extorsion supplémentaire.

La figure de l’expert n’est donc pas celle que nous souhaitons mettre en valeur, d’autant plus qu’il s’agirait là d’un engagement extérieur à l’activité scientifique, alors que nous pensons plutôt à un engagement interne à celle-ci.

Être un chercheur engagé ?

Pour définir maintenant l’engagement du chercheur à l’intérieur de son périmètre professionnel, précisons d’abord les limites de notre analyse.

Premièrement, elle concerne les disciplines et sous-disciplines dans lesquelles nous intervenons, à savoir la philosophie de l’éducation, l’histoire de l’éducation et, plus largement, les sciences de l’éducation. Nous ne proposons pas ici une analyse transdisciplinaire générale, d’abord par manque de familiarité avec certains secteurs scientifiques (ce qui interdit de juger sérieusement de leur activité), ensuite car les questions s’y posent sans doute différemment, étant donné que les enjeux n’y sont pas identiques. Par exemple, les conceptions de l’histoire de l’école républicaine française, tout comme celles du lien entre éducation et émancipation, posent des problèmes scientifiques dont la structure est probablement bien éloignée de ceux qu’amènent les travaux sur la cyber-intelligence. Discuter ce point n’est pas notre sujet actuel.

Deuxièmement, notre analyse a ses propres prérequis, qui pourraient donc être autres : elle puise dans la boîte à outils foucaldienne pour faire de la notion d’« intellectuel spécifique » un usage fortement coloré de préoccupation éthique et déontologique. En effet, selon nous, le sens politique qui peut trouver sa place dans la recherche est l’indispensable compagnon du souci déontologique et éthique, lequel se manifeste comme une intolérance vis-à-vis de postures laissant croire que la science serait neutre et que son discours n’aurait aucun lien avec les phénomènes de pouvoir qui, en bout de chaîne, abîment la vie de personnes telles que les prisonniers, les « fous », les patients, les « cancres », les « cas sociaux », etc. Autrement dit, deux sources alimentent l’engagement politique interne du scientifique : une source déontologique (se défaire autant que possible des effets de pouvoir dans l’élaboration du savoir de son domaine) et une source éthique (ne pas accepter que le lien pouvoir/savoir participe à une domination sociale sur les personnes). Nous allons explorer les conséquences de ses prérequis, d’abord en revenant à Michel Foucault.

On peut décrire la dynamique philosophique de l’œuvre de Foucault à partir de la centralité de la question du pouvoir, qui unit les trois principales périodes de son œuvre : la première (années 60), centrée sur la production de la vérité et du savoir (alêtheia) ; la deuxième (années 70), plus directement concernée par les manifestations multiformes du pouvoir (politeia) ; et la troisième (du début des années 80), préoccupée par l’enjeu de la constitution du sujet, sur fond de dispositifs de pouvoir et de contre-pouvoir (êthos). Dans tous les cas, Foucault lie la question du savoir et la question du pouvoir et exhibe la silhouette d’une « politique de vérité » dans laquelle la volonté de savoir est décrite comme une machine à exclure et à dominer. Pour cela, il construit d’abord une démarche archéologique pour étudier les soubassements de la construction des objets de savoir. Il complète ce travail en proposant une approche généalogique centrée sur les dispositifs de pouvoir à l’œuvre dans la production des savoirs. Enfin, il réfléchit à la constitution d’une « nouvelle politique de la vérité » (Foucault, 2001b, p. 114) incluant la pratique du « dire-vrai » (la parrêsia).

Cette déconstruction, en historicisant et en relativisant le savoir, affirme clairement que tout ce que fait le scientifique est traversé par des éléments de politique de vérité, et donc que le savoir, intimement connecté au pouvoir, a toujours quelque chose de pleinement politique. Non seulement la prétention scientifique à la « vérité » produit des savoirs conformes aux requisits des dispositifs de pouvoir, mais de surcroît elle procède à la forclusion des autres types de savoirs : « Quels types de savoir voulez-vous disqualifier du moment que vous dites que vous êtes une science ? », là est la provocante question qu’il pose dès le début de sa carrière (Foucault, 1997, p. 11). Dès lors, la tâche déontologique et éthique du scientifique est double : traquer les mécanismes du pouvoir au sein même de son domaine (c’est le souci épistémique) et œuvrer à la construction de « contre-savoirs » par lesquels les sujets peuvent se rendre les moins gouvernables possibles (c’est le souci éthique).

Je m’attache à saisir des mécanismes d’exercice effectif de pouvoir ; et je le fais parce que ceux qui sont insérés dans ces relations de pouvoir, qui y sont impliqués peuvent, dans leurs actions, dans leur résistance et leur rébellion, leur échapper, les transformer, bref, ne plus y être soumis. Et si je ne dis pas ce qu’il faut faire, ce n’est pas parce que je crois qu’il n’y a rien à faire. Bien au contraire, je pense qu’il y a mille choses à faire, à inventer, à forger par ceux qui, reconnaissant les relations de pouvoir dans lesquelles ils sont impliqués, ont décidé de leur résister ou de leur échapper. De ce point de vue, toute ma recherche repose sur un postulat d’optimisme absolu. Je n’effectue pas mes analyses pour dire : voilà comment sont les choses, vous êtes piégés. Je ne dis ces choses que dans la mesure où je considère que cela permet de les transformer.
(Foucault, 2001c, p.911-912).

C’est ici qu’intervient le concept d’« intellectuel spécifique », par lequel Foucault veut se démarquer de l’hégémonie irritante de la figure sartrienne de l’intellectuel universel, figure oubliant qu’elle-même est prise dans des jeux de pouvoir et est traversée par l’effet des dispositifs de pouvoir. L’intellectuel spécifique, dont l’universitaire devrait constituer, en principe, un bon exemple, veut défaire les liens pouvoir-savoir à partir d’une double intolérance : il ne tolère pas l’immixtion des mécanismes de pouvoir dans son travail, et il ne tolère pas les situations concrètes d’oppression que son travail est susceptible d’expliquer. Son engagement contre la violence du pouvoir s’effectue donc là où il se trouve, à partir de sa propre activité professionnelle (p. 1183). Cela signifie que cet engagement est clairement situé dans le domaine de son travail scientifique, et non dans le ciel abstrait des grands principes ou au nom d’une quelconque « conscience universelle ». Le chercheur se politise « là où il dispose de savoirs spécifiques, ou bien là où il exerce ses compétences professionnelles » (Dartigues, 2014, § 25), puis élargit éventuellement son engagement à d’autres secteurs relevant d’un même régime de vérité.

Son intervention doit essayer de gripper la machine qui fait fonctionner certains discours de ce régime, non pas en s’opposant frontalement à ces discours, mais en produisant des « contre-savoirs » proches des points d’oppression, des résistances, des luttes et des individus aux prises avec le pouvoir. C’est par exemple ce que Foucault tenta de faire en s’engeant sur la question de la carcéralité dans les années 1970, en tant que co-fondateur du Groupe d’information sur les prisons (GIP). L’engagement politique de l’intellectuel spécifique, insistons sur ce point, ne s’effectue pas nécessairement à partir d’un positionnement politique — celui-ci peut préexister ou se concrétiser ensuite, en représentant surtout un risque évident de biais — mais est une conséquence évidente du souci pour l’intellectuel de « bien faire son travail » (déontologie) et de ne pas détourner les yeux des effets du pouvoir-savoir sur les individus (éthique). Par conséquent, « la fonction politique de l’intellectuel est aussi chez Foucault une éthique » (Dartigues, 2014, § 31) : ne pas tolérer, ne pas faire « comme si » et avoir le courage de dire vrai.

Trop souvent en effet, l’universitaire, avant tout soucieux de sa carrière et de sa position, ou tout simplement enfermé dans les limites d’une configuration épistémique liée aux phénomènes de pouvoir, ne réagit aux manifestations concrètes de la domination sociale que par un silence têtu et par un regard détourné, alors même que ces manifestations sont évidentes au cœur même de son laboratoire ou en lien direct avec ses objets de recherche, comme par exemple le sexisme, le mépris social pour les personnels de service, la soumission de la recherche à des logiques entrepreunariales, les inégalités sociales au sein des étudiants ou encore les mécanismes d’exclusion des chercheurs « hérétiques ». A contrario, Bourdieu a présenté son engagement politique comme une conséquence logique de son travail scientifique : « Je me suis trouvé conduit par la logique de mon travail à outrepasser les limites que je m’étais assignées au nom d’une idée de l’objectivité qui m’est apparue peu à peu comme une forme de censure » (Bourdieu, 2001a, p. 75).

En ce sens, il a pleinement assumé l’idée qu’« une élaboration scientifique est toujours située, socialement et culturellement, et doit pour partie ses convictions à cette situation » (Bantigny, 2011, p. 3). D’où l’exigence de réflexivité, qui caractérise aussi le chercheur engagé. Puisque la « neutralité » est un mythe, alors le questionnement fondamental du chercheur, le choix de son objet de recherche, son comportement scientifique, sont en lien avec sa trajectoire personnelle, laquelle est immergée dans un certain monde social. La moindre des choses est alors d’objectiver sa propre vie en réfléchissant à son parcours de chercheur. Cette réflexivité et cette auto-objectivation signent une « forme spécifique de la vigilance épistémologique » au moyen de laquelle une science sociale « se prend pour objet, se sert de ses propres armes pour se comprendre et se contrôler » (Bourdieu, 2001b, pp. 172-176).

Comme les sciences humaines et sociales sont partie prenante des phénomènes qu’elles étudient, chacune d’entre elles a l’obligation épistémologique d’analyser son propre fonctionnement, pour mettre en évidence les paradigmes autour duquel l’inclusion et l’exclusion de ses objets d’étude s’organisent, l’histoire de la discipline et de ses tensions internes, les effets de pouvoir liés à la constitution d’un champ, la compromission avec des dominations sociales, mais aussi les élisions plus ou moins volontaires, les savoirs oubliés ou dominés, les alternatives inaperçues et les conséquences effectives du savoir sur le corps social. En ce sens, un chercheur engagé est tout simplement un chercheur qui veut bien faire son travail, et qui pour ce faire en assume les conséquences déontologiques et éthiques, entre autres la responsabilité de ne pas en rester aux consensus de la « science normale » (Kuhn, 1983) et de pas faire comme si le monde politique s’arrêtait à la porte de son laboratoire.

Pour en venir au cas spécifique des sciences de l’éducation, plus précisément à la philosophie et à l’histoire de l’éducation appliquées à la question scolaire (notre domaine de travail), ce champ29 est évidemment dominé par des dispositifs de pouvoir ayant établi, parfois de longue date, le périmètre de la discussion « normale ». Celle-ci s’organise autour du duo antagonique de l’école républicaine et de l’Éducation Nouvelle, avec comme bruit de fond incessant l’éloge ou la critique de la première, et les tentatives ou velléités de promouvoir les réalisations et les propositions de la seconde. Le dialogue entre ces deux lignes de force, par ailleurs assez déséquilibré, est immergé dans des effets de pouvoir d’autant plus pesants qu’il concerne deux dispositifs importants du « gouvernement des vivants » (Foucault, 2012) : l’action éducative et l’école : « Tout système d’éducation est une manière politique de maintenir ou de modifier l’appropriation des discours, avec les savoirs et les pouvoirs qu’ils emportent avec eux », disait déjà Foucault en 1971 (Foucault, 1971, p. 46).

Nous pouvons donner ici une modeste illustration d’un engagement dans la recherche innervé par deux exigences : l’exigence déontologique (contester la réduction de la discussion à l’opposition de deux rhétoriques sur fond de la domination du paradigme historique centré sur le modèle de l’école républicaine) et l’exigence éthique (ne pas tolérer les effets négatifs de l’école sur les vaincus de la compétition scolaire, leur longue humiliation, la violence symbolique subie, etc.). Pour établir des contre-savoirs, nous avons donc essayé d’exhumer une alternative scolaire collective sous la forme du projet d’école porté par le mouvement ouvrier des années 1830 jusqu’à la Première Guerre Mondiale. Ce projet, qui connut une brève expérience de mise en application au niveau de la population parisienne (lors de la Commune de Paris), avançait des caractéristiques bien spécifiques, notamment la première laïcisation scolaire, ainsi que les concepts d’éducation intégrale et d’école atelier (Dupeyron, 2020a). Repris par le syndicalisme révolutionnaire, il nourrit l’idée d’une « école rouge », autrement dit d’une autre école que l’école républicaine institutionnalisée une dizaine d’années après la Commune, une école pensée et dirigée par le monde du travail.

Ce projet durable et ses acteurs n’occupent pourtant qu’une place minuscule dans le champ de l’histoire des idées pédagogiques et dans celui de la philosophie de l’éducation, qui trop souvent font de l’Éducation Nouvelle française une alternative critique tardive à la forme scolaire de la République d’ordre, oubliant en cela que c’est plutôt cette forme scolaire qui a été positionnée en réaction à un projet scolaire ouvrier et socialiste qui lui préexistait. Cela peut et doit se discuter, bien sûr, mais pour discuter, encore faut-il avoir les pièces factuelles de la discussion. Or, les acteurs et les réalisations du projet scolaire ouvrier n’apparaissent guère dans les savoirs de référence du champ. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la copieuse anthologie proposée par l’ouvrage Une histoire de l’école coordonnée par des spécialistes de la question (Jacquet-Francillon, D’Enfert & Loeffel, 2010). Quasiment aucun des contributeurs au projet scolaire du mouvement ouvrier n’y est cité (aucun acteur de la politique scolaire de la Commune, en tout cas). De plus, la chronologie détaillée fournie par l’ouvrage ne comporte aucune date entre 1867 et 1874, comme si rien de significatif en matière scolaire ne s’était passé pendant cette période. Or, ce fut justement en 1871 que la Commune laïcisa les écoles communales, ouvrit des écoles professionnelles dans l’esprit de l’éducation intégrale, vota l’égalité des salaires hommes-femmes dans l’enseignement primaire public, adopta un programme faisant la part belle à la méthode expérimentale plutôt qu’aux méthodes catéchistiques et magistrales, etc. Enfin le concept-clé de la pensée pédagogique du mouvement ouvrier, l’enseignement intégral (ou éducation intégrale) n’apparaît pas dans le copieux index thématique de l’ouvrage.

Nul ne peut donc raisonnablement douter du fait que les savoirs de référence du champ de l’histoire française de l’éducation soient soumis à un agencement paradigmatique qui en valorise certains et en écarte d’autres. L’histoire est toujours écrite principalement par et pour les vainqueurs, c’est une grande banalité de le dire ; il appartient donc à la responsabilité déontologique du chercheur de tenter de « sauver de l’immense condescendance de la postérité le pauvre tricoteur sur métier, le tondeur de drap luddiste30, le tisserand qui travaille encore sur un métier à main… », selon le mot d’Edward Thompson (Thompson, 2012, p. 19). Plus généralement, un chercheur engagé a tout simplement pour souci de neutraliser les filtres paradigmatiques et politiques qui empêchent la production et la reconnaissance de savoirs alternatifs, dominés, complémentaires, divergents, savoirs qui bien souvent relèvent de populations historiquement maltraitées. Changer ainsi les perspectives historiographiques est alors un geste pleinement engagé et politique.

La philosophie de l’éducation proprement dite a aussi beaucoup à faire avec l’analyse critique des concepts passe-partout employés dans bien des discours institutionnels, concepts faussement évidents et très idéologisés. Pensons aux concepts de care, de vulnérabilité, d’inclusion, de bienveillance, de bien-être, dont les usages idéologisés ont envahi le champ ces dernières années, comme pour accompagner en douceur les avancées néolibérales en éducation. Ne pas prendre ces usages lénifiants comme allant de soi, en faire la généalogie, montrer leurs effets, leurs limites, leurs conséquences en termes d’exclusion, les confronter aux faits, n’est-ce point la tâche critique du philosophe de l’éducation ? N’est-ce point son engagement déontologique ? Parallèlement, ne pas tolérer que la rhétorique de l’institution au sujet de sa propre « bienveillance » fasse oublier ses responsabilités dans la casse scolaire des publics populaires, n’est-ce point l’expression de son souci éthique ?

D’autres points de tension conceptuelle existent autour du concept d’autorité : présenté par certains comme un « transcendantal » de l’éducation, il est critiqué par d’autres, qui rappellent son historicité et son lien avec les dispositifs de pouvoir. Plus que jamais, il semble donc nécessaire d’entretenir la vivacité d’une philosophie critique de l’éducation. C’est ce à quoi s’emploie Irène Pereira31, dont le projet scientifique vise à réarmer conceptuellement une théorie critique de toutes les formes de domination, avec plus particulièrement un travail sur une pédagogie critique et émancipatrice qui se tienne à large distance, aussi bien des pédagogies dites « traditionnelles » que de celles de l’Éducation Nouvelle dont certains éléments ont été recyclés par les projets éducatifs du néolibéralisme (la créativité, la coopération, le projet personnel, etc.). Pour cela, Irène Pereira sociologise l’approche philosophique et retravaille le concept déjà classique de forme scolaire en montrant en quoi celle-ci est porteuse de la « colonialité » du pouvoir et du savoir (Pereira, 2018a et 2018b). Son travail, que certains jugeront très « militant », a pourtant un grand souci de l’objectivité de ses données, puisqu’elle veut en passer par « des connaissances scientifiques objectives » (Pereira, 2018a, p. 8) pour étayer une théorie pédagogique critique. Certes, toute théorie critique, que ce soit chez Marx ou dans l’école de Francfort, postule qu’il n’existe ni vérité épistémologique anhistorique, ni objectivité scientifique distincte des formes changeantes des pratiques sociales et politiques. Mais Irène Pereira, retournant cet argument, affirme que « plus on est conscient que l’on n’est pas neutre, plus on peut être attentif à tendre vers l’objectivité », alors qu’inversement « plus on se prétend neutre, et moins on tend à se rendre compte qu’on n’est pas objectif32 ».

Un chercheur engagé, selon ce raisonnement, serait plus apte qu’un autre à objectiver sa démarche et ses savoirs, justement à cause de sa posture critique fondamentale et de son radicalisme épistémologique. Pereira en conclut, en lien évident avec la valorisation des dimensions déontologique et éthique de l’activité des travailleurs intellectuels, que « l’intellectuel transformateur est celui qui refuse de voir son activité réduite à celle d’un technicien, et qui pense que son objectif est de développer l’esprit critique des élèves » et de leur donner une « conscience sociale critique » (Pereira, 2018a, p. 108), ce qui définit aussi bien le travail du chercheur que celui de l’enseignant ou du formateur d’enseignants.

Un chercheur engagé, finalement, est un chercheur qui va au bout des conséquences des principes de son travail scientifique et qui finit, comme l’indiquait Foucault, par devenir une sorte de parrésiaste, non seulement par l’audace du parler-vrai dans son domaine, mais encore par sa volonté de mettre en adéquation, autant que faire se peut, ses savoirs disciplinaires avec ses gestes pratiques.

Être un enseignant et un formateur engagé

En analysant les conditions de possibilité de l’engagement du chercheur à l’intérieur de son activité scientifique, nous avons principalement affronté le discours philosophico-épistémologique qui récuse cet engagement au nom de la « neutralité » prétendue de la science. Nous souhaitons, pour terminer, procéder également au retournement des usages illégitimes de l’argument juridico-déontologique, qui voudrait aseptiser la parole de l’enseignant et de ses formateurs au nom de l’obligation de réserve tenant à son statut de fonctionnaire. Selon nous, c’est justement en fonction de ce statut, et des missions auxquelles il oblige, que l’enseignant public33 peut et doit assumer une posture engagée dans son activité professionnelle.

Bourdieu avait fait remarquer que « la pensée du penseur fonctionnaire est traversée de part en part par la représentation officielle de l’officiel » (Bourdieu, 1994, p. 105). Les enseignants publics et les formateurs au sein des masters MEEF n’échappent donc pas au fait que leur expression soit cadrée par les besoins de l’État en termes d’éducation et de gestion de ses personnels, et qu’elle se positionne uniquement en regard des caractéristiques de l’État. Ainsi, comme celui-ci est défini comme étant républicain, démocratique et laïque, il a besoin que ses agents respectent dans le cadre de leur travail une stricte neutralité politique, confessionnelle et philosophique, ce qui leur interdit par principe toute manifestation « engagée » dans le cadre de leurs fonctions. Un fonctionnaire étant, par définition, au service de l’intérêt général et de lui seul, il ne saurait exprimer des préférences partisanes ou idéologiques. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les enseignants, qui se doivent d’éviter tout empiètement sur le libre jugement de leurs élèves, hormis dans les limites de ce qui est prévu par les programmes et qui relève des objectifs éducatifs définis par la Nation. Ce serait là le fondement de la fameuse obligation de réserve des agents publics. En accord avec cette approche centrée sur les déterminations de l’État, les agents de l’Éducation Nationale ne pourraient manifester qu’un seul engagement légitime sur leur lieu de travail : servir l’État, mener à bien ses politiques quelles qu’elles soient et faire respecter de la part des publics scolaires ses normes et ses principes. C’est ainsi que la Loi pour une école de la confiance, en 2019, a lié l’exemplarité de l’enseignant à une pratique de l’engagement réduite au seul respect du cadre institutionnel :

Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels34.

Évidemment, ce cadre très strict pourrait heurter le statut universitaire des formateurs à temps plein au sein des INSPE. Parmi ceux-ci, les enseignants-chercheurs, davantage que les personnels d’autres statuts, peuvent, s’ils le souhaitent, se prémunir de la liberté académique pour défendre leur liberté de parole au sein même de leurs enseignements. La base juridique de la liberté académique figure dans trois articles du Code de l’éducation :

Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.
(article L141-6)

À l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle.
(article L123-9)

Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité.
(article L952-2)

On conçoit que ces garanties juridiques puissent entrer en tension avec « la représentation officielle de l’officiel » et produire d’éventuels dissensus relatifs aux méthodes pédagogiques, à la pertinence des programmes et des décisions ministérielles, aux outils didactiques, mais aussi aux conceptions mêmes du métier d’enseignant et à l’exercice éthique de celui-ci. Pour un enseignant-chercheur, s’ajuster plus ou moins efficacement aux demandes des corps d’inspection relève parfois de l’impossible équation. Quant au fonctionnaire stagiaire, il peut se retrouver pris entre deux feux (son employeur d’un côté, son formateur universitaire de l’autre) et penser que la volonté de l’employeur doit in fine le contraindre à en rester à une conception très restrictive de son engagement professionnel, quoi qu’il puisse penser du bien-fondé des politiques qu’il sert et des méthodes qui lui sont préconisées.

Pour sortir de cette impasse, nous allons montrer comment le professeur fonctionnaire peut être à la fois gagé et engagé à l’intérieur même de ses tâches pédagogiques et éducatives, tout comme le chercheur peut être à la fois objectif et engagé dans son travail scientifique. Cela nécessite trois points d’analyse.

Premièrement, l’interprétation censorielle fréquente de la notion d’obligation de réserve ne correspond pas tout à fait au statut général des fonctionnaires tel qu’il est établi par le Code général de la fonction publique. On peut en effet distinguer deux conceptions du fonctionnaire. La première, de source absolutiste, définit le fonctionnaire comme homme du silence, sur modèle du militaire : « Le fonctionnaire est homme de silence. Il sert, il travaille et il se tait. » (Debré, 1947, p. 217) La seconde, de source démocratique, pose plutôt la notion de fonctionnaire-citoyen : « Il faut que le fonctionnaire soit un citoyen à part entière pour assumer pleinement sa responsabilité de service public. » (Le Pors, 2012)

Pour le premier modèle, l’ensemble des droits et des obligations de l’enseignant, le motif immuable de ses actes, le respect scrupuleux de la loyauté et du devoir d’obéissance envers sa hiérarchie, seraient posés par le cadre même de son statut. Autrement dit, sa déontologie serait réductible à une ontologie administrative par laquelle l’être statutaire recouvrirait le citoyen et ses éventuels états d’âme éthiques ou politiques. C’est pourquoi le projet de doter les enseignants d’un code de déontologie a pu sembler inutile à l’institution : leur statut et leur place dans la hiérarchie de l’État étaient jugés suffisants pour cadrer la moralité de leur action, sans qu’une quelconque délibération éthique ou déontologique n’ait à intervenir.

Par contre, pour le deuxième modèle — qui est celui qui est permis par la loi — le fonctionnaire demeure un citoyen à part entière, jouissant de sa liberté d’opinion et de tous ses droits. Cela a été jugé nécessaire par le législateur, afin justement que le fonctionnaire puisse exercer ses missions au service de l’intérêt général. C’est ce qu’exprimèrent les débats parlementaires lors du vote en 1983 du nouveau Code général de la fonction publique :

Le fonctionnaire, l’administration, n’ont pas leur finalité en eux-mêmes ; ils ne valent que par le service — le bon service et le service efficace — de la population. […] Il n’est pas question de mettre en cause cette évidence que le fonctionnaire est et doit être un citoyen à part entière. […] Tout en exprimant le souci de respect de la neutralité, ce texte pose le principe de la citoyenneté du fonctionnaire, qui permettra à ce dernier d’exercer pleinement les droits que la loi lui accorde35.

Dans cet esprit, l’engagement éthique et déontologique de l’enseignant fonctionnaire ne se résume pas à la simple obéissance loyale à la hiérarchie et à l’auto-contrôle moral, il suppose aussi et surtout une activité responsable finalisée par la bonne marche du service public et animée par les valeurs et les principes de celui-ci ; il s’accommode donc du questionnement sur la légitimité de ce qui est proposé aux publics accueillis, et d’une tension propre à la discussion éthique et à l’expression plurielle d’opinions et de critiques.

L’indépendance du fonctionnaire n’est pas contradictoire avec le sens profond de sa mission, qui est de servir le public conformément aux décisions de la puissance publique émanant du suffrage universel. […] La neutralité du service public doit être fondée sur la reconnaissance d’un pluralisme maîtrisé des idées et des engagements des fonctionnaires, et non sur leur mutilation36.

Nonobstant cette libéralité statutaire, la culture de l’institution a plutôt tendance à valoriser à l’excès une pensée unique (souvent exprimée de façon juridiste et formaliste) et à pratiquer la forclusion du questionnement éthique, au profit d’une conception bureaucratique et autoritaire de l’action du fonctionnaire (Hibou, 2012). Or l’enseignant public, tout en étant tenu par ses obligations, jouit, par la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (dite « Loi Le Pors ») d’un certain nombre de droits à l’intérieur même de son travail, notamment le droit syndical. Il conserve d’ailleurs toutes ses libertés publiques, dont la liberté d’opinion, et, au niveau de son enseignement, il bénéficie même de la liberté pédagogique, qui s’exerce « dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection37 ». La loi précise même que « le conseil pédagogique prévu ne peut porter atteinte à cette liberté. » Autrement dit, le législateur, en dépit du poids historique d’une conception autoritaire du rapport entre l’État, ses agents et ses publics, s’est plutôt aligné sur l’idée du fonctionnaire-citoyen, ce qui est un premier affaiblissement de l’argument juridico-déontologique opposé à l’engagement des enseignants.

Un deuxième argument découle du premier. Il part du constat de l’absence de la notion d’obligation de réserve dans le statut général de la fonction publique, ainsi que dans la quasi-totalité des statuts particuliers, à l’exception notable de certains corps, comme les membres du Conseil d’État ou les membres de forces militaires. Même dans le cas où la loi pose le devoir d’obéissance à la hiérarchie — un enseignant est tenu d’obéir à son inspecteur — elle prévoit que le fonctionnaire garde une marge d’appréciation critique en fonction des instructions qu’il reçoit :

Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public38.

C’est méconnaître la loi que de contester au fonctionnaire l’exercice nécessaire de ce libre-arbitre qui, avec la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, « participe de sa responsabilité propre », selon Anicet Le Pors. En effet, aucune responsabilité, au sens plein du terme, n’est envisageable sans la reconnaissance de l’autonomie du jugement. C’est aussi pour cela que l’obligation de réserve n’est pas un butoir juridique précis, mais fonctionne plutôt comme une construction jurisprudentielle évolutive en fonction de laquelle, grosso modo, plus un agent s’élève dans la hiérarchie et moins il jouit de sa liberté de parole. « L’affaire Refalo » en 2009 (voir supra, note 11), de même que la vive émotion suscitée la même année par l’instauration dans les concours de recrutement des enseignants d’une épreuve évaluant la compétence dite « agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable39 », confirment l’existence d’une tension interne à l’institution au sujet de la libre expression des enseignants40. D’un côté, les tenants du silence imposé ; de l’autre côté, les tenants d’une parole assumée. Certes, l’équilibre entre la liberté de parole et le respect de la neutralité du service public est souvent bien fragile, mais la loi prévoit incontestablement le respect d’une forme d’engagement de l’enseignant dans le débat professionnel, nonobstant la pression constante des hiérarchies académiques pour passer outre la loi et pour imposer une obéissance mécanique des enseignants. C’est le sens du constat d’Alain Refalo :

Instaurer un cadre normatif et uniformisé censé s’imposer à tous les élèves et les enseignants, telle est la nouvelle doxa institutionnelle. Le jeune en formation est désormais jugé en référence à ce cadre ; sa valeur dépendra de sa capacité à entrer dans un moule préfabriqué présenté comme objectif, rationnel et finalement indiscutable.
(Refalo, 2011, p. 21)

Au-delà de ces deux arguments juridiques affirmant la primauté du citoyen sur l’homme du silence et récusant l’universalité de l’obligation de réserve du fonctionnaire, nous voulons surtout déployer un troisième argument proprement éthique et déontologique. Selon cet argument, l’engagement politique de l’enseignant fonctionnaire est un corrélat logique du sens de ses missions d’intérêt général et des principes et valeurs du service public. En effet, tout comme un personnel de santé doit s’engager à faire du mieux possible pour préserver la vie, la santé et le bien-être des patients — ce qui peut le conduire, par conscience professionnelle, à protester contre l’insuffisance des moyens accordés à son service ou contre des décisions politiques jugées contraires aux finalités de la santé publique — un personnel d’enseignement et d’éducation doit s’engager du mieux possible en faveur de ses missions de formation du citoyen, d’éducation de la personne et de lointaine préparation du futur agent économique dans la société. En d’autres termes, il est engagé, de facto, par ses fonctions, car celles-ci sont légitimées par les principes et les valeurs du service public. Il serait donc tout à fait de confondre systématiquement l’engagement professionnel de l’enseignant et une quelconque entorse idéologique à sa déontologie.

Ce fut là l’argument principal brandi par les désobéisseurs en 2009 : l’obéissance à la hiérarchie, cette idée commune qui étouffer toute idée d’engagement chez le fonctionnaire, n’est pas un absolu, elle n’est qu’un des moyens déployés au service des fins républicaines et démocratiques qui sont officiellement celles de l’État. Quand ces fins semblent ne plus être poursuivies par certaines décisions politiques, le fonctionnaire consciencieux est momentanément délié de son obéissance, puisqu’il considère que celle-ci porterait finalement atteinte à l’intérêt général — et il assume publiquement cela par une discussion rationnelle. Sa désobéissance n’est donc pas civile (comme le serait une protestation au nom de la liberté individuelle) mais civique et statutaire : elle est l’expression de son engagement authentique envers les éléments du pacte républicain.

Plus généralement, on peut parler, selon nous, d’un engagement fonctionnel du fonctionnaire. Cet engagement n’est ni un caprice individuel, ni une préférence partisane, mais possède au contraire une vocation fondamentalement collective, puisqu’il ne fait que concrétiser l’attachement aux missions que tous les fonctionnaires d’un même service public doivent remplir, au-delà de leurs goûts et positionnements individuels. La relation du fonctionnaire à la puissance publique n’est donc pas simplement définie par la normalité juridique : cette relation est avant tout politique et morale. Bien souvent, d’ailleurs, ce sont les agents eux-mêmes, par leurs actions de protestation, qui tentent de remettre leur hiérarchie, leur direction et leur ministère dans les rails de la République laïque, démocratique et sociale dont trop de décisions politiques les éloignent. Comme le pensent Albert Ogien et Sandra Laugier, « loin d’être un déni du politique et une remise en cause des principes républicains, les actes de désobéissance en appellent généralement à une extension des droits que la démocratie devrait assurer aux citoyens » (Ogien et Laugier, 2010, p. 62).

Fin du retournement : l’engagement, ainsi défini, est donc une qualité essentielle de l’enseignant public. C’est pourtant cette qualité dont l’institution semble se méfier aujourd’hui dès les premières heures de la formation professionnelle, alors qu’à l’époque des Écoles Normales elle en canalisait l’énergie, en acceptant que les organisations syndicales des enseignants, en tant que « seconde administration », soient des partenaires privilégiés dans l’orientation déontologique et éthique de ce nécessaire engagement des enseignants de l’école de la République.

Conclusion provisoire

Pour aborder la question de l’engagement des chercheurs et des enseignants, nous n’avons pas voulu valoriser les cas où l’engagement public de l’intellectuel relève de son expertise, ni ceux où il s’octroie un rôle compassionnel (être du côté des dominés) et/ou sacerdotal (guider les luttes sociales) extérieur à son travail. Ces cas posent un certain nombre de difficultés de positionnement, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’expertise du chercheur ne vaut que dans son champ et ne peut être reconnue que par ses pairs ; sortir du champ et prêcher face à l’opinion publique déstabilise et dénature inévitablement ses propos. Une kyrielle de « consultants » et de « spécialistes » perdent ainsi leur temps, et parfois leur crédibilité, sur les plateaux télé. Cela ne signifie pas qu’il faille refuser par principe tout engagement public et s’enfermer dans son laboratoire pendant que le monde brûle. Mais cela veut dire surtout qu’il faut avant tout porter l’engagement sur les terrains où il a toute sa légitimité et son efficacité, à savoir au cœur même de l’activité universitaire, pédagogique et syndicale, d’où il est éventuellement possible de rayonner vers des secteurs de la société et vers les luttes sociales qui y éclosent, comme le fit Foucault à une époque.

Il nous a donc semblé pertinent de circonscrire nos conclusions à un engagement interne à l’activité professionnelle. Ainsi, pour Bourdieu — plaidant ici pour sa propre défense contre les accusations de politisation exagérée de ses positionnements — « on tend à réduire à une mise en question politique, inspirée par des préjugés ou des pulsions politiques […] ce qui est et veut être une mise en question épistémologique. » (Bourdieu, 1994, p. 101) Ajoutons que, si pour le chercheur la question est bien épistémologique, elle est aussi déontologique et éthique. Faisant un pas supplémentaire, certains suivront peut-être ce même Bourdieu quand celui-ci, après les grèves de 1995, reconnut que « ceux qui ont la chance de pouvoir consacrer leur vie à l’étude du monde social ne peuvent rester neutres et indifférents, à l’écart des luttes dont l’avenir de ce monde est l’enjeu » (Bourdieu, 2001b, p. 9). Cette possibilité d’un engagement direct dans les luttes sociales ne doit toutefois pas nous conduire à oublier la modestie et la discrétion de ceux qui, sans oser sortir de ce périmètre, ne tolèrent pas sur leur lieu de travail ce qui heurte leur sens éthique et leur conscience professionnelle : par exemple, le mépris social envers les agents précaires, envers les parents d’élèves démunis face à l’institution ou envers les étudiants en difficulté, ou encore le sexisme, l’arrogance des dominants, l’injustice des décisions, la marchandisation néolibérale de leur activité, etc. Cette résistance concrète au quotidien des gens ordinaires les engage tout autant, et parfois davantage, que les gestes peu productifs de certains lanceurs compulsionnels de pétitions en ligne, ou que l’agitation sporadique de matamores de laboratoire, soudain outrés par une parole ministérielle, mais immergés sur la durée dans un élitisme académique qui, in fine, n’est qu’une forme à peine édulcorée du mépris de classe.

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Notes

1 Nous essayons d’articuler dans cet article le concept de déontologie, défini comme l’ensemble des règles et des normes qu’impose à des professionnels l’exercice de leur métier, et le concept d’éthique, défini comme l’interrogation du sujet sur la légitimité de ses propres actes rapportés à sa quête d’une vie digne d’être vécue. Return to text

2 Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres furent créés en 1990, suite à la loi d’orientation de 1989, dite « Loi Jospin ». À partir de 2010, les IUFM délivrèrent des masters spécifiques aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (les masters MEEF). Return to text

3 La loi de Refondation de 2013, dite « Loi Peillon », créa les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation pour remplacer les IUFM. Return to text

4 LES ESPEs furent renommées Instituts Supérieurs du Professorat et de l’Éducation par la loi « pour l’école de la confiance » de juillet 2019. Return to text

5 Notons d’ailleurs que l’audience universitaire des travaux de Sartre est dans une phase très basse, alors que, parmi les auteurs d’une même séquence historique, des noms tels que ceux de Foucault, Merleau-Ponty, Bourdieu et Althusser continuent à apparaître assez fréquemment. Certes, des thèses sur le Sartre politique et sur l’engagement existentialiste continuent d’être soutenues, mais la référence dominante pour aborder le problème de l’engagement de l’intellectuel est désormais plutôt Bourdieu, aux côtés d’autres noms tels que Hannah Arendt, Thoreau ou Benjamin, entre autres. Parfois aussi, les auteurs remontent à Politzer, sautant au passage le moment sartrien. Return to text

6 Pour une analyse de la situation actuelle de la formation des enseignants, voir Dupeyron, J.-F. et Miqueu, C. (2020b). L’autoritarisme néolibéral à l’assaut de l’éducation républicaine. L’exemple actuel de la formation des enseignants et des éducateurs. Essais. Bordeaux : PUB (en cours de publication). Return to text

7 On reconnaît ici la devise emblématique des Cahiers pédagogiques, publiés par le Cercle de Recherches et d’Action Pédagogiques. Return to text

8 Foucault a développé avec précocité l’analyse du modèle de « l’entrepreneur de lui-même, étant à lui-même son propre capital » dans lequel il voit le paradigme néolibéral le plus fondamental (Foucault, 2004, p. 232). Return to text

9 Dans la foulée du mouvement social des Gilets jaunes, lancé fin novembre 2018, des dizaines de milliers d’enseignants, selon la page Facebook du mouvement, déclarèrent participer au mouvement des Stylos rouges, regroupant des « profs en colère » à propos de leurs conditions de travail et de rémunération, mais aussi à propos des évolutions autoritaristes et managériales de l’école publique. Return to text

10 Des milliers d’enseignants vinrent alors en soutien de leur collègue professeur des écoles Alain Refalo qui, « en conscience », au nom du service public d’éducation et au titre de sa « résistance pédagogique » (ce sont ses termes), avait refusé d’obéir à une directive de sa hiérarchie. Return to text

11 L’Étudiant, Baromètre ÉducPros, 2016. Return to text

12 L’Étudiant, Baromètre ÉducPros, avril 2017. Return to text

13 Voir http://www.curif.org/fr/ Return to text

14 Page d’accueil du site web du CERI : [http://www.oecd.org/fr/education/ceri/]. Consulté le 14 août 2020. Return to text

15 Direction Générale de l’Enseignement Scolaire. Return to text

16 Août 2020. Return to text

17 Il s’agit ici du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA). Return to text

18 Pendant quelques semaines, les étudiants opposés à la Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants occupèrent le site universitaire de Paris-Tolbiac et y installèrent la « Commune libre de Tolbiac », en tentant d’y organiser une expérience universitaire alternative. Une expérience assez proche eut lieu sur le site du campus Lettres et Sciences Humaines de l’université de Lorraine (Nancy). D’autres campus connurent des tentatives similaires. Return to text

19 On peut penser, entre autres, à la marée mondiale de publications de protestation sur les réseaux sociaux après l’assassinat de Georges Floyd par des policiers en mai 2020 à Minneapolis. Return to text

20 La grève scolaire pour le climat est un mouvement international de collégiens, de lycéens et d’étudiants quittant leur établissement scolaire, le vendredi ou le jeudi, pour participer à des manifestations en faveur de l’action contre le réchauffement climatique. C’est Greta Thunberg qui appela à la première grève scolaire pour le climat en août 2018 devant le Parlement suédois (Wikipédia). Return to text

21 En référence à Trofim Lyssenko, qui fut nommé en 1938 à la tête de l’Académie Lénine des sciences agronomiques en URSS, en dépit des postulats erronés de sa « science » de l’agriculture et de la génétique, on qualifie de lyssenkisme toute démarche scientifique soumise à une idéologie qui en corrompt les méthodes, les postulats et les résultats, notamment en niant les faits divergents ou en inventant des résultats conformes à l’orthodoxie. Return to text

22 Selon le décompte du Washington Post arrêté au 9 juillet 2020, le président de la « première démocratie du monde » aurait proféré exactement 20 055 mensonges depuis le début de son mandat, soit une moyenne de 13 par jour (1 267 jours). Série en cours. Le relevé des mensonges du président est même devenu une rubrique journalistique à part entière aux États-Unis. Return to text

23 Les citoyens français pourront, ou non, relier ces analyses aux éléments de communication gouvernementale autour de la pandémie de 2020. Return to text

24 Natacha Polony, journaliste au Figaro puis à Marianne et Yves Thréard, journaliste au Figaro, sont des invités quasi permanents des émissions de « débat sur les sujets de société », quel que soit le sujet. Quant à Pascal Praud, journaliste sportif, il anime quotidiennement sur une chaîne de télévision un talk-show où il laisse s’exprimer sans réagir des infaux tels que « 50 % des jeunes musulmans des banlieues se réclament de l’État Islamique » (21 avril 2017, émission L’heure des pros, Cnews). Return to text

25 Alain Bauer, qui enseigne la criminologie, n’a produit aucun travail scientifique reconnu sur les questions de l’insécurité et du terrorisme. Il ne possède d’ailleurs qu’un diplôme d’études supérieures spécialisées de politiques publiques et gestion des organisations (DESS) et n’a jamais effectué de recherche doctorale. Il est pourtant devenu une référence incontournable en la matière, dirige un nombre extravagant d’instances et de comités, dont le Conseil scientifique du pôle sécurité défense du Conservatoire National des Arts et Métiers, et s’exprime régulièrement dans les médias, sur des sujets parfois bien éloignés de ses « spécialités ». Return to text

26 Laurent Mucchielli est un sociologue pourvu de l’habilitation à diriger les recherches. Ses nombreux travaux scientifiques s’en prennent à la fabrication idéologique et médiatique des thèmes de l’insécurité et de la délinquance, qu’ils confrontent à la factualité vérifiée par des enquêtes sociologiques. Depuis 1999, il polémique avec les « lobbies sécuritaires », auxquels appartient, selon lui, Alain Bauer. Voir le site https://www.laurent-mucchielli.org/, « site de ressources documentaires et d'analyse critique animé par un réseau de chercheurs en sciences sociales », comme exemple de recherche engagée. Return to text

27 Voir la contre-enquête de Laurent Mucchielli à ce sujet, comme un excellent exemple de la possible contribution de la recherche au débat politique : Mucchielli, L. (2005). Le scandale des « tournantes ». Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique. Paris : La Découverte. Return to text

28 Il s’agit d’un extrait de la préface ajoutée par Benda lors de la réédition de son ouvrage en 1946. Sartre, évidemment, était dans le collimateur de cette critique, au même titre que les intellectuels liés à différents mouvements politiques de toutes obédiences, notamment ceux proches du Parti Communiste ou membres de celui-ci. Return to text

29 Nous utilisons ici le concept de champ dans son sens bourdieusien de microcosme social relativement autonome à l’intérieur de la société, possédant ses propres règles et poursuivant ses propres fins. Return to text

30 Les luddistes étaient les artisans tricoteurs et tondeurs ayant mené en 1811-1812 une longue lutte contre les manufacturiers voulant imposer la mécanisation du travail. Return to text

31 Irène Pereira est une chercheuse dont les travaux critiques, situés au confluent de la philosophie et de la sociologie, s’inscrivent clairement et fermement dans une approche critique de sensibilité libertaire. Ses publications sur la « grammaire pragmatiste » du syndicalisme d’action directe et de la contestation attestent de ce positionnement. Membre de l’Institut de recherche, d’étude et de formation sur le syndicalisme et les mouvements sociaux, elle enseigne la philosophie à l’INSPE de Créteil (Wikipédia). Return to text

32 Échange écrit avec Irène Pereira, 24 mars 2020. Return to text

33 Une petite note pour rappeler que nous n’oublions pas les conseillers principaux d’éducation (CPE) dans notre analyse de l’engagement du milieu enseignant. Return to text

34 Code de l’Éducation, article L. 111-3-1, créé par la Loi pour une École de la confiance, promulguée au Journal Officiel le 28 juillet 2019. Return to text

35 Journal Officiel, débats parlementaires, Sénat, séance du 1er juin 1983, p. 1257-1262. Return to text

36 Ibid. p. 1259. Return to text

37 Code de l’Éducation, article L912-1-1. Return to text

38 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 28. Return to text

39 Journal Officiel, 28 décembre 2009. Return to text

40 Voir Dupeyron et Miqueu, 2013. Return to text

References

Bibliographical reference

Jean-François Dupeyron, « Être un penseur fonctionnaire : fragments d’analyse d’un problème professionnel », La Pensée d’Ailleurs, 2 | 2020, 16-52.

Electronic reference

Jean-François Dupeyron, « Être un penseur fonctionnaire : fragments d’analyse d’un problème professionnel », La Pensée d’Ailleurs [Online], 2 | 2020, Online since 01 décembre 2020, connection on 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=121

Author

Jean-François Dupeyron

Maître de conférences HDR en philosophie de l’éducation, université de Bordeaux, EA 4573, membre de l’équipe Sciences Philosophie Humanités.

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