Si Freud évoquait déjà en son temps « l’application de la psychanalyse à la pédagogie, à l’éducation de la génération suivante » (Freud, 1933/1995, p. 231), c’est au début des années 2000 avec les travaux de Cifali (2002a, 2002b, 2008) et de Blanchard-Laville et al. (2005), succédant à la note de Filloux (1987), que ce sont resserrés les liens entre la psychanalyse et les sciences humaines et en particulier les sciences de l’éducation.
La démarche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et de la formation dont je me revendique emprunte à la psychanalyse le recours pour le chercheur à une attitude qui privilégie une forme de regard sur l’autre et d’écoute de son dire caractéristique du clinicien soucieux de comprendre plus que d’expliquer. Pour autant, le chercheur – ou le doctorant – n’est pas nécessairement psychanalyste.
Partant du principe qu’« il est nécessaire de ne pas s’abuser, ni d’abuser les autres, sur ce qu’on fait » (Green cité par Macias, 1994, p. 149), dès le début du processus d’écriture de ma thèse, il m’est apparu nécessaire, au sens étymologique de « inévitable, inéluctable, pressant » mais aussi « indispensable », de me saisir de ce questionnement : comment déterminer les limites du cadre de recherche dans lequel j’évolue afin de ne pas les outrepasser ? Ou comment me situer dans ce champ de recherche et « [m]’autoriser de [moi]-même » (Lacan, 1967/2001) alors que je ne suis pas psychanalyste et tout juste chercheuse ? Finalement, comment être éthique depuis ma position de doctorante non-psychanalyste dans une recherche en sciences de l’éducation et de la formation « éclairée » par la psychanalyse ?
C’est à cette dernière question que cette contribution se propose d’apporter une première esquisse de réponse. Pour cela, un détour par les travaux d’Eirick Prairat permettra tout d’abord de revenir synthétiquement sur le concept d’éthique, base d’une proposition que je présenterai ensuite pour faire avec ce que je n’étais pas – psychanalyste – et assumer de produire pour autant un savoir dans le champ épistémologique qui était le mien, par choix.
L’idée sous-tendue par cet article est que le « bricolage » (au sens de Levi-Strauss, 1962) d’un sujet confronté à une énigme, comme manque à savoir qui pousse à agir, rend compte de la manière singulière dont il traverse cette situation, certes, mais également de la façon dont d’autres sujets confrontés à une situation similaire pourraient la traverser. Ainsi, le singulier renseigne le collectif et procède au cheminement de la pensée collective. Avec humilité, j’avance ici que mon « bricolage » face à mon énigme de chercheuse néophyte pourrait participer, modestement, à cette avancée.
En préambule, la question de l’éthique
Il me paraît impossible, presque incongru, de parler d’éthique du chercheur en sciences de l’éducation et de la formation sans m’appuyer sur les écrits d’Eirick Prairat à propos de l’éthique professionnelle enseignante, concept qu’il a soigneusement défini au fil de ses publications. Sûrement parce qu’avant d’être chercheuse j’ai longtemps été enseignante. Peut-être parce que les lectures des articles d’Eirick Prairat et l’écoute de ses conférences me confortent autant qu’elles me bousculent, chaque fois.
Cette contribution se veut donc proposer, humblement, un nouage singulier entre la conception de l’éthique professionnelle définie par Eirick Prairat et le dessin d’un cadre souple mais néanmoins contenant pour asseoir la légitimité d’un chercheur, non-psychanalyste, dans une recherche qui opte pour une démarche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et de la formation.
À la lumière de la définition que donne Prairat (2007) de l’éthique professionnelle, comme « ensemble des règles, principes et valeurs que l’on est tenu de respecter dans un champ d’activités professionnelles donné » (op. cit., p. 9), la question posée en introduction pourrait être reformulée de la manière suivante : Quelles règles, principes, valeurs le chercheur en sciences de l’éducation et de la formation est-il tenu de respecter quand il se réclame d’une orientation psychanalytique et qu’il n’est pas lui-même psychanalyste ?
Si, comme le souligne Prairat (2007) citant Moreau « l’éthique n’est pas un adjuvant, “un en-plus”, c’est la trame même du travail éducatif » (ibid., p. 14), alors l’on pourrait considérer avec lui que l’éthique dans la recherche, au cœur des travaux de tout chercheur, constitue un incontournable à penser quand il s’agit pour un chercheur d’inscrire ses travaux dans un champ épistémologique pour lequel sa légitimité n’est pas donnée d’emblée.
Il lui faudrait alors acquérir ce que Prairat nomme « compétence éthique », au sens à la fois de la connaissance des règles, des principes et des valeurs qui régissent son domaine de recherche et de « talent à initier des réponses personnelles et inédites » (ibid., p. 15). Ainsi, cette compétence éthique relèverait d’un art, « comme maîtrise des règles en usage dans un champ pratique (l’art de l’artisan) et comme capacité créatrice de savoir-être et de savoir-faire personnels et originaux in situ (l’art de l’artiste) » (id).
Et c’est bien de ma réponse personnelle et inédite, singulière, de chercheuse artisan-artiste, dont il s’agit dans la suite de cette contribution. Une « invention » au sens développé par Brossais (2014) à entendre comme une façon de faire inhabituelle, non préméditée pour résoudre une énigme qui se présente à soi et qui fait précisément écho à ce que Prairat (2007) mentionne en citant Gohier : « L’éthique, plus réflexive, doit s’appuyer sur des principes qui tiennent lieu de balises ; mais comme ces principes ne sauraient a priori prévoir l’ensemble des situations envisageables, l’éthique a vocation à donner une sorte de plasticité à la norme pour lui permettre d’épouser l’infinie diversité du réel (ibid., p. 15). Un « savoir-y-faire », syntagme emprunté à Lacan (1976-1977) avec ce que j’étais – ou ce que je n’étais pas, plus exactement – au moment de me lancer dans l’écriture de ma thèse en sciences de l’éducation et de la formation orientée par la psychanalyse.
Avoir fait soi-même « l’expérience du divan »
Un premier éclairage dans cette recherche d’une éthique du chercheur en sciences de l’éducation et de la formation se réclamant d’une orientation psychanalyste sans être lui-même psychanalyste m’a été apporté par la lecture de La psychanalyse « sauvage » de Freud (1910/1970). Le terme « sauvage » y est défini comme « une action qui se déroule sans règle, sans contrôle » (ibid., p. 14). Sous ce vocable, Freud condamne alors ceux qui se réclament de la psychanalyse sans en connaître la spécificité. Ainsi, la prise en compte du transfert, des résistances et de la psychosexualité est pointée comme prise en compte de réalités psychiques incontournables que celui qui veut se prévaloir de la psychanalyse devrait avoir cernés. Or, ajoute Freud, « il ne suffit pas au médecin de connaître quelques-uns des résultats de la psychanalyse ; il faut aussi s’être familiarisé avec sa technique si l’on veut que son activité médicale soit guidée par les points de vue psychanalytiques » (ibid., p. 38). Ajoutant qu’« on l’apprend, comme d’autres techniques médicales, auprès de ceux qui la maîtrisent déjà » (ibid., p. 39), Freud précise ainsi que la pratique psychanalytique ne relève pas uniquement du savoir (avoir connaissance des concepts clés) mais exige une formation personnelle, c’est-à-dire le développement d’un savoir-être et l’acquisition de savoir-faire.
Ainsi, être soi-même en analyse pour en connaître, au sens d’éprouver, les mécanismes principaux – transfert et résistances – semble être une condition primordiale, pour travailler dans et avec ce champ épistémologique. Cette réflexion est reprise par Mosconi (1986, p. 78) qui affirme que le chercheur doit « avoir fait une analyse, comme condition indispensable d’une appropriation authentique d’un savoir et d’un pouvoir d’interprétation psychanalytiques » puis par Revault d’Allonnes et al. (1989) lorsqu’elle évoque le rapport de la démarche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation à la psychanalyse et suggère que le chercheur doit connaître « l’expérience personnelle du divan ».
Cependant, avoir une expérience de l’analyse en tant que sujet ne signifie pas pour autant faire un travail de psychanalyste en tant que chercheur. Il s’agirait davantage de procéder à un « travail de psychanalysé, c’est-à-dire de quelqu’un qui a fait une psychanalyse, voire qui a reçu une formation psychanalytique complète, mais qui n’exerce pas la psychanalyse » (Green cité par Macias, 1994, p. 148).
Aussi, je retiens cette première idée d’une expérience d’analysant pouvant offrir au chercheur qui se réclame d’une orientation psychanalytique l’opportunité d’acquérir un certain éprouvé sur soi indispensable pour commencer à se construire une posture de chercheur clinicien éthique dans ce domaine.
Se construire et adopter une posture de présence à l’autre authentique
Un deuxième éclairage serait à trouver du côté de la construction et du respect, par le chercheur, d’une posture en « écoute souple » (Montagne, 2014, p. 128) lorsqu’il s’entretient avec un sujet dans le cadre de sa recherche.
Héritée de l’attention flottante freudienne, « procédé qui consiste en ce que l’analyste suspend les motivations qui dirigent habituellement l’attention et se laisse aller le plus librement possible à son activité inconsciente » (Botella, 2014, p. 96), l’« écoute souple » est un état de vigilance, une attention soutenue et authentique à l’autre. Autrement dit, il s’agit pour le chercheur de se dégager de ses idées préconçues et de ses préoccupations de recherche (voire de ses préoccupations tout court) pour viser une disponibilité d’esprit la plus entière possible ; une attitude que Freud (1913/2018) résumait en ces mots : « Pendant l’écoute je m’abandonne… ».
Une forme d’abandon de soi qui signe un engagement envers l’autre. Cette posture en « écoute souple » résonne alors comme une nécessité pour le chercheur en quête de ce que dit – et ne dit pas ! – le sujet, partant du principe que « derrière les éléments les plus insignifiants en apparence, se dissimulent souvent les pensées inconscientes les plus importantes » (Laplanche & Pontalis, 1967, p. 39). Elle se caractérise par une attitude de présence vraie à l’égard de l’autre ; une présence que l’on pourrait qualifier de pleine, d’habitée. En cela, cette posture croise l’idée d’une éthique de la présence :
On peut thématiser cette idée de présence en explicitant les trois lignes de sens qui la structurent. La présence, c’est d’abord un art d’être présent, à soi, aux autres, être en résonance avec la classe, le groupe avec lequel on travaille. La présence, c’est aussi un art d’être au présent, être là, ici et maintenant, dans l’immédiate actualité de ce qui se déploie. C’est être disponible, pourrions-nous dire. La présence, c’est enfin un art du présent au sens du cadeau, de ce que l’on donne, du don de ses connaissances, de son savoir-faire, de son expérience… La présence est une manière d’être
(Prairat, 2021a, p. 16).
L’« écoute souple » aurait aussi à voir avec le kairòs, c’est-à-dire le moment opportun dans un temps subjectif, l’instant d’inflexion, le point de basculement décisif. C’est la seconde de l’opportunité : avant est trop tôt après est trop tard. Le kairòs, écrivait Dufourmantelle (2019, p. 98), « c’est l’instant du moment juste ; c’est l’ici et maintenant absolument déployés ». Saisir le kairòs est un art ; un art d’être au monde et au temps, un art d’être en présence avec soi et avec l’autre. Se placer face à l’autre en tant que chercheur et adopter une posture d’« écoute souple » demande à la fois bienveillance, au sens d’attention portée à la fragilité de l’autre, de prise en compte de sa vulnérabilité, et tact, comme « sens de l’adresse et sens de l’à-propos […] une sensibilité à autrui où s’esquissent les premiers mots, peut-être les premiers silences, d’une éthique de la parole » (Prairat, 2021a, p. 17).
Je retiens alors cette deuxième idée pour le chercheur, qui inscrit sa recherche dans une orientation psychanalytique, de l’adoption et du maintien constant d’une posture de présence à l’autre authentique incarnée dans l’« écoute souple » ; écoute pleinement tournée vers l’autre et respectueuse de la relation qui se noue.
J’ajoute que cette question de l’écoute invite à penser dans son sillage celle de la parole du chercheur. Chemama montre comment le psychanalyste engage sa parole dans le dialogue analytique aujourd’hui. Quel dialogue, comme « ce qui objecte de la façon la plus forte à toute parole qui s’organise en accentuant les antagonismes » (Chemama, 2021, p. 7-8), peut-il alors s’engager entre un chercheur et un sujet dans le cadre d’une recherche clinique en sciences de l’éducation et de la formation ? Cette question sera à approfondir me semble-t-il pour donner plus d’épaisseur encore à ma proposition.
Assumer ses implications de chercheur, « y être pas sans le dire »
Prairat (2021b, p. 16) a nommé « éthique partagée » le fait de « respecter celui qui me fait face, tendre à ne pas nuire intentionnellement, ne pas profiter de la faiblesse d’autrui ». Ce concept m’offre une transition adéquate pour développer la troisième et dernière idée dans ma réflexion encore balbutiante d’une éthique du chercheur, non-psychanalyste, dans une recherche clinique d’orientation psychanalytique.
Une part de ce respect de l’autre, de ce qui empêche le chercheur de nuire au sujet et de profiter de sa faiblesse résulterait de la mise au jour des désirs conscients et inconscients qui animent le chercheur et dont la (re)connaissance lui permettrait de s’interdire d’utiliser l’autre à son seul profit, de le prendre comme objet de jouissance.
Tandis que dans la cure analytique on parlera du contre-transfert de l’analyste comme ce qui est constitué par l’ensemble des réactions inconscientes du chercheur à l’égard des manifestations de transfert1 du sujet, je choisis d’utiliser avec Ben Slama (1989), dans le sillage de Lourau (1976), le terme « implication » comme une alternative à la notion freudienne de contre-transfert, dans le cadre de la recherche en sciences de l’éducation et de la formation, « l’implication du chercheur, sa subjectivité demeurent toujours en tiers dans sa recherche » (Moreau de Bellaing, 2009, p. 203).
Dans l’équivoque du signifiant2 « en tiers » on peut entendre « entière » ; ainsi, l’implication du chercheur se pose comme médiatrice entre lui et son objet, lui et les sujets de son étude, et s’impose dans toute son étendue. Inévitable, « particularité reconnue inéliminable et incontournable » (Ardoino, 1983, p. 19), elle marque de sa présence toute la recherche.
L’implication du chercheur apparaît donc en filigrane à tous les niveaux de la recherche clinique. Elle peut se lire dans le choix de l’objet, des lectures, des concepts, des sujets, des modalités de rencontre, des « autrement dit », de la catégorisation des cas, des hypothèses interprétatives, etc.
Il s’agit d’une implication plurielle, amenant à considérer les implications plutôt que l’implication du chercheur, dont les différents niveaux s’entrelacent parce que « la question de l’implication, c’est celle de la relation du chercheur à son objet, du praticien à son terrain, de l’homme à sa vie » (Lourau, 1997, p. 34-35). « En ce sens, nos implications sont vraiment ce par quoi nous tenons le plus à l’existence » (Ardoino, 1983, p. 20).
Cet entrelacement des implications renvoie au sens étymologique du terme, implicare lié à plectere, plexus en latin, qui signifie à la fois « plier dans, entortiller, emmêler et embarrasser ». Un démêlement possible pour éclairer mon propos dans cette contribution serait d’appréhender les déterminants et les effets des implications du chercheur à partir de l’analyse du verbe « impliquer » qui se décline à la voie active – « impliquer » et « s’impliquer » – et à la voie passive – « être impliqué ».
La forme d’implication multiple sous-tendue par le verbe « impliquer » fait écho à ce que Carnus (2007) a identifié comme « effet-chercheur », c’est-à-dire à la prise en compte des effets de la subjectivité du chercheur sur l’implication des sujets dans la recherche, leur conduite et leur discours pendant les entretiens ainsi que sur le bénéfice éventuel qu’ils tirent de la rencontre. Elle caractérise les mouvements transférentiels du sujet vers le chercheur aux différentes étapes de la recherche.
La forme pronominale « s’impliquer » peut s’entendre comme la volonté du chercheur de s’engager dans le désir de savoir tel que défini par Beillerot et al. (1996). Elle rend compte de ce qui interpelle le chercheur, de ce qui fait énigme pour lui. La clinique analytique, en proposant un mode de connaissance basé sur la recherche de sens à partir d’une réalité qui embarrasse, offre à la curiosité du chercheur une possibilité de se satisfaire.
En écrivant que « l’énigme ne découle pas d’un désir de savoir préalable, c’est l’énigme qui fait désirer un savoir pour la résoudre », Mosconi (2000, p. 89) avance que le désir de savoir visé par la recherche fait office de substitution au désir du sujet. Ainsi, l’implication est aussi à concevoir comme ce qui mobilise le chercheur dans sa recherche en tant que sujet désirant. Autrement dit, ce qui fait qu’il se trouve « être impliqué ». Ce versant passif du verbe impliquer rend compte que l’on demeure en permanence le sujet de son propre désir, ce que Barus-Michel (1986, p. 803) exprime en ces termes : « Que cherche-t-on si ce n’est ce qui pose question à soi-même ? ».
Dans la démarche clinique d’inspiration psychanalytique, il ne s’agit pas d’exclure l’implication du chercheur mais, bien au contraire, de l’intégrer à l’étude, de s’efforcer d’en cerner les contours et les déterminants afin de questionner son effet dans la recherche. Ainsi, la prise en compte de l’implication du chercheur dans son travail qui consiste à « y être, pas sans le dire » (Nougué, 2016, p. 35) participe, selon Revault d’Allonnes et al. (1989, p. 144), à « dire comment on est parvenu à obtenir ce qu’on a obtenu ».
Il s’agit alors pour le chercheur de rendre compte de ses implications. L’expression « rendre compte » renvoie à l’idée de s’ex-pliquer, au sens de ex plicare, « déplier hors de soi », pour rendre explicites les implications plurielles qui, entrelacées, agissent à plusieurs niveaux de la recherche.
Pour caractériser cet entrelacement d’implications et mettre en exergue le caractère complexe de cette imbrication, Le Grand utilise le néologisme « implexité ». Créé à partir de l’adjectif « implexe » – du latin im plectere « entremêler, enlacer » – « l’implexité est relative à l’entrelacement de différents niveaux de réalités, des implications qui sont pour la plupart implicites (pliées à l’intérieur) » (Le Grand, 2006, p. 2). Autrement dit, l’implexité est la complexité des implications à l’œuvre dans une recherche.
Cette complexité rend obscure et compliquée l’explication, au sens de dépliage (ex plectere), de mise à plat, des implications. Or, « l’analyse des implications du chercheur dans la situation de recherche doit essayer de s’installer dans l’acte de recherche lui-même pour éviter les actes manqués » (Arino, 2007, p. 132). Ainsi, dans un travail de recherche, de surcroît dans un cadre clinique, il semble nécessaire d’expliciter ses implications pour rendre accessible ce qui aurait pu être momentanément de l’ordre d’un repli sur soi.
Dans l’un de ses romans de voyages, Giono (1979, p. 57) écrit : « Je me suis efforcé de décrire le monde, non pas comme il est, mais comme il est quand je m’y ajoute, ce qui évidemment ne le simplifie pas ». Cette citation fait directement écho à ce que peut vivre le chercheur dans une recherche clinique : faire état de ses implications dans le récit de son travail n’est pas chose aisée. Or, ainsi que le précise Cifali (1999, p. 6) « dans une démarche clinique, que nous soyons chercheur ou intervenant, nous sommes impliqués ; notre engagement et la conscience de notre subjectivité sont à la base même de notre recherche ».
Cela nécessite tout d’abord pour le chercheur « de s’autoriser de se faire, soi-même au moins co-auteur de ce qui sera produit socialement » (Ardoino, 1983, p. 19). Autrement dit, en s’inspirant de la direction proposée par Lacan (1967/2001), le chercheur doit « s’autoriser de lui-même » (« et de quelques autres », ajoutera-t-il quelques années plus tard) pour rendre compte d’une part de ses implications dans son travail et ce, dans le but de nourrir la question de recherche, de la déplier pour la rendre lisible, intelligible mais également de viser cette éthique partagée proposée par Prairat (2021b).
Finalement, la troisième idée pour être un chercheur éthique et responsable en sciences de l’éducation et de la formation dans une recherche orientée par la psychanalyse quand il n’est pas lui-même psychanalyste, serait d’assumer pleinement ses implications, de mettre à jour leur implexité, et de s’employer à en rendre compte explicitement à chaque étape du travail de recherche. Cette idée rejoint celle avancée par Roussillon, cité par Ciccone (1998, p. 109), qui indique qu’en tentant de rendre conscientes ses propres implications et en les reliant à la théorie, le chercheur s’efforce d’opérer une « désimplication objectivante » au service d’une production de savoir… et au service d’une éthique dans la recherche, oserais-je ajouter.
En conclusion
Ma rencontre avec le concept d’« analysant civilisé » (Laurent, 1992) m’a permis d’aller plus loin dans ma réflexion sur la recherche d’une éthique du chercheur en sciences de l’éducation et de la formation quand il se réclame d’une orientation psychanalytique et qu’il n’est pas lui-même psychanalyste.
Laurent (1992) définit « l’analysant civilisé » comme celui qui, en institution, n’est pas dans une position d’analyste mais dans la position occupée par un sujet désirant, qui se fait partenaire d’un autre sujet à partir de sa propre position subjective. Poblome (2019, écran 1) indique alors que :
« l’analysant civilisé » serait celui qui non seulement situe le savoir du côté du sujet, mais aussi celui qui, du fait d’en passer lui-même par l’expérience analytique, aurait pu apporter quelque éclairage sur son propre fantasme, ce qui lui permet d’intervenir non pas à partir de son fantasme, mais à partir de la singularité du sujet auquel il a à répondre.
Il s’est alors agi pour moi de dégager des critères pour que cet être de désir qu’est le chercheur qui, dans sa recherche n’intervient pas à partir de sa qualification puisqu’il n’est pas psychanalyste, adopte a minima une position éthique. Ainsi, à l’instar du concept proposé par Laurent, j’avance l’idée d’un « chercheur civilisé » ayant, pour lui-même, fait l’expérience de la psychanalyse, adoptant une posture de présence à l’autre authentique et assumant pleinement ses implications de chercheur.
D’autres éléments devront être réfléchis pour venir enrichir ce concept à l’avenir. En écho à ce qu’indique Poblome (2019), il semble d’ores et déjà pertinent de s’intéresser à l’idée que la position d’un « chercheur civilisé » pourrait s’établir également à partir de la prise en considération convaincue que le savoir est du côté du sujet. Dès lors, le savoir produit par et dans la recherche n’est autre qu’une coconstruction issue de l’« inter-signifiance » – terme forgé par Lacan (1970-1971/2007) qui l’a substitué au terme d’intersubjectivité – par le chercheur et les sujets qui ont accepté de l’accompagner, au sens étymologique, dans sa recherche.