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Autonomie : Les théories autonomes et spéculatives de l’art ont dominé la modernité. Une des caractéristiques majeures en est, pour les artistes, de se réclamer indépendants dans leur production. Le Sens de la modernité s’est manifesté par un nombre important de mouvements qui ont fait l’objet d’une recherche incessante de formes à renouveler, qui trouveraient leur autonomie notamment en ce qu’elles n’ont plus à s’embarrasser du passé.

Pour le critique d’art américain Clement Greenberg, le modernisme en art se résume à une démarche d’autonomisation et d’autoréflexivité de chaque art, à une volonté d’abandonner les « conventions non essentielles à la viabilité de chaque moyen d’expression » (Peinture à l’américaine, 1955, p. 226). Selon lui, une des lois du modernisme artistique réside dans le processus d’autopurification de tout médium, chacun devant être en quête de son autonomie pour exister en tant qu’art.

L’autonomie de l’art a ses limites, puisque, répondant à nombres de contraintes matérielles et historiques de production, l’œuvre d’art ne peut se soustraire à une seule forme et n’en produire qu’un seul commentaire. La théorie pragmatique engagée par John Dewey dans L’art comme expérience (1934) répond de ce malentendu : les théories de l’art qui isolent l’art en le plaçant dans un monde à part coupé de tout autre mode d’expériences (politiques, culturelles et sociales) ne sont pas inhérentes à son contenu. En effet selon lui, ce n’est pas l’essence même de l’œuvre d’art que d’être séparée des autres domaines d’activités humaines.

On tend alors vers ce que prônait Benjamin Buchloh en 1989 à l’occasion de l’exposition Les Magiciens de la Terre (Paris, Centre Georges-Pompidou / Grande Halle de la Villette), lorsqu’il exprimait que l’identité artistique doit assumer que l’œuvre d’art est politique par la thématisation historique et la prise en compte du caractère public et collectif de l’art.

 

Communauté : Une communauté se voit comme une arène où s’expriment les facteurs qui déterminent le comportement, la parole et l’action des individus. Elle est un processus formateur où les individus orientent, contrôlent, infléchissent et modifient chacun leur ligne d’action à la lumière de ce qu’ils trouvent dans les actions d’autrui.

Le terme de « communauté » est remis au goût du jour par Jean-Luc Nancy en 1983 dans l’ouvrage La communauté désœuvrée. Surpris de trouver dans le sens de ce mot une forte appartenance au « communisme » et au « communautarisme » tels qu’ils étaient entendus début du xxe siècle selon l’héritage de Karl Marx, Nancy propose une lecture réactualisée de ce terme. Il affirme que le témoignage le plus important et à la fois le plus pénible du monde moderne est celui de la dislocation, de la dissémination ou de la conflagration de la communauté. Selon lui, il faut accepter l’idée de fonder la communauté non pas sur un projet mais sur une ontologie, où le préfixe « co » désigne une coprésence des individus les uns entre les autres.

Gorgio Agemben observe plus tard, en 1990 dans son ouvrage La communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, que la singularité abandonne le faux dilemme qui contraint la connaissance à choisir entre le caractère ineffable de l’individu et l’intelligibilité de l’universel. Car l’intelligible n’est ni un universel ni un individu compris dans une série, mais la singularité en tant que singularité quelconque. « La singularité quelconque, qui veut s’approprier de l’appartenance même, de son propre être dans le langage, rejette dès lors toute identité et toute condition d’appartenance ».

Dans un tel être conçu comme une simple forme, chaque détermination est à la fois identique à soi-même et différente d’une autre. Le sens commun se configure comme la norme d’identité : subjectivement, du point de vue du Moi, elle se réfère à l’individu et à une intuition sensible particulière ; objectivement, du point de vue d’une unité propre à une forme quelconque d’objet, elle se réfère à la diversité donnée et au monde commun.

Le concept de « monde » tel que le souligne Howard S. Becker dans Les mondes de l’art (1988), servirait ainsi à analyser ces flux et tous ces faits d’organisation de ce qui constitue l’individu singulier à l’intérieur même d’une communauté dans laquelle gravitent des codes, des règles voire des rituels servant des intérêts communs et/ou témoignant d’une manière de faire et vivre ensemble.

 

Exotisme : Cette définition s’intéresse à l’emploi de l’adjectif « exotique » et du terme « exotisme » en France, à partir des grandes expéditions maritimes menées, au xvie siècle, vers le Nouveau Monde (les Amériques).

Le terme vient du grec exôticos, adjectif qui désigne tout ce qui est étranger ou extérieur au sujet. Il s’agit donc d’une définition relative à celui qui porte le regard et non intrinsèque à l’objet désigné « exotique ». Au cours de l’histoire toutefois, l’adjectif « exotique » est devenu une qualité non relative à celui qui regarde, mais propre à certains objets, lieux ou personnes.

Selon l’historienne Anaïs Fléchet, l’adjectif « exotique » aurait été utilisé pour la première fois en Europe en 1552 par Rabelais, en référence à des marchandises « exotiques et pérégrines » vendues sur la côte des îles entre l’Europe et l’Amérique, des objets ou produits naturels venus d’un Ailleurs lointain et chaud, de nature sauvage, d’apparence exubérante et originale (A. Fléchet, « L’“exotisme” comme objet d’histoire », Hypothèses, vol. 11, no 1, 2008, p. 15-26). Le substantif « exotisme » surgit en France au xixe siècle, et désigne soit ce qui est « exotique », soit le goût pour ce qui est « exotique ». Par la suite, le terme va se voir conférer, au-delà de la dimension esthétique, la dimension symbolique du rapport avec l’Autre. On parle aujourd’hui de l’« exotique » comme qualité ainsi que comme expérience.

Le mot « exotisme » est utilisé dans différents domaines (ethnographie, anthropologie, histoire, arts, etc.), et il n’existe pas de consensus autour de sa définition. Malgré l’effort initié par Victor Segalen (1878-1919) pour redéfinir ce terme, dans son Essai sur l’« exotisme » (1904-1919), il reste le plus souvent attaché à une définition plus simpliste et caricaturale, celle des touristes, « idiots du voyage » (Jean-Didier Urbain, L’idiot du voyage. Histoire de touristes, Paris, Payot, 2002), qui reproduisent une vision stéréotypée de l’altérité. Dans ce cas, l’« exotisme » apparaît véritablement comme antonyme d’un rapport authentique avec l’Autre.

 

Hiérarchie : La hiérarchie se fonde sur un rapport d’ordre et de positionnement entre les différents acteurs constitutifs d’un même monde et/ou d’un même milieu. Elle est un système oligarchique dont la structure formelle est assimilable à l’expression « high and low » (Brooks Van Wyck, America’s Coming-of-age, 1915) qui différencie ce qui est en haut, en position dominante, de ce qui est en bas, en position subalterne. Le positionnement donné à chacun de ces acteurs explique et justifie leur légitimité. Il témoigne d’une diversité des formes mais aussi d’une séparation des classes qui oublie les liens de transversalité pouvant être observés dans la constitution de ses partis.

 

L’Autre : L’Autre est à appréhender sur l’idée et l’ordre d’une différence opérée avec soi-même. Il fait toujours l’objet d’une rencontre et d’une découverte qui mène vers la connaissance de quelque chose qui nous était jusque-là inconnu mais dans lequel nous pouvons puiser une certaine richesse.

L’altérité, analysée par Hal Foster dans son article « Portrait de l’artiste en ethnographe » (Le Retour du réel, situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, La Lettre volée, 1996), renvoie à ce qui est à la fois exclu du pouvoir et étranger à l’artiste qui cherche à s’y identifier. Ce fossé peut être culturel ; l’Autre peut alors être entendu comme toute personne ne se tenant pas sur le même versant culturel que soi. Il peut renvoyer à une certaine forme de clivage et de non-partage d’une même culture fédératrice.

D’un point de vue social, l’Autre est à appréhender comme un Moi, qui ré(a)git selon des règles qui lui sont propres (que ce soit des règles culturelles, sociales, politiques etc). Dans chaque rencontre, chaque dialogue, c’est une subjectivité assumée qui s’exprime, différente d’une autre, mais toujours semblable en ce qu’elle répond à des codes qui lui sont spécifiques.

 

Norme : La norme est un concept abstrait qui désigne une règle, un principe auquel on doit prétendument se conformer pour juger ou agir. On peut remarquer, à la manière dont Michel Foucault expose sa théorie sur le dispositif (Surveiller et punir, 1975), comment la production du discours s’organise selon des procédures de contrôle et de sélection, c’est-à-dire selon des normes bien spécifiques. Si, au fil des courants artistiques, les normes se sont quelque peu déplacées, notamment depuis la fracture engendrée par la modernité, la manière d’imposer ces normes et de générer les modes d’autorité restent quant à elles inchangées.

La question de la norme en art devient très floue dès lorsqu’il s’agit, dans la société contemporaine, de multiplier les occurrences et de produire des discours singuliers qui viennent alimenter la diversité de la scène artistique. L’ère contemporaine en se plaçant comme un laboratoire d’expérimentations, éveille ce point de tension. Il n’y a plus un regard à privilégier, mais plusieurs dont on sait qu’ils constituent l’acceptation d’une vérité qui semblerait plus objective. Cependant, puisqu’il y a une telle multiplication des discours, l’écriture de l’Histoire semble difficile : les regards subjectifs de chacun viennent-ils se calquer au discours officiel, ou n’apportent-t-ils pas au contraire, une friction au regard de ce qui jugé comme acceptable et légitime au vu de la norme ?

Les études postcoloniales depuis Edward Saïd, leur précepteur (L’Orientalisme, 1978), ont fait état de cette ambiguïté. On ne cesse finalement de pratiquer des allers-retours entre le présent, l’ici et l’ailleurs, afin de révéler comment est vraiment organisé notre présent, notre monde, et plus spécifiquement, son histoire. Il semblerait qu’il soit constitué de discontinuités, d’inégalités, de minorités et d’identités multiples, fragmentées et hybrides. Dans une perspective de rupture radicale avec une lecture linéaire, chronologique et séquentielle de l’histoire, l’historicisme comme schéma évolutionniste sous tendu par l’idée de progrès est donc remis en cause. Il paraît ainsi difficile de réunir chaque occurrence en un consensus général qui soit voulu par ce qu’entend la norme, sans cesse déplacée et remise au goût du jour de ce qui est produit en art aujourd’hui. Qui fait les normes si ce n’est l’artiste lui-même, en tant que vecteur et auteur de sa propre histoire au sein de la grande ?

 

Officiel : On appelle discours, récit, histoire officiel(le), tous textes et faits reconnus par les instances de pouvoir et les autorités publiques faisant foi de ce qui est admis comme étant une vérité non réfutable. À caractère présupposé objectif, le discours officiel est un outil de référence sur lequel quiconque peut s’appuyer pour argumenter et débattre de quelque chose. L’officialité est une notion de consensus universel, défendu par des organismes dont l’autorité est prégnante dans un contexte temporel précis.

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« Glossaire », RadaЯ [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=382

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