Les chatons, c’est mignon

La prise de pouvoir des chats sur Internet : étude d’un phénomène culturel

DOI : 10.57086/radar.413

Abstract

Entre photographies, gifs ou vidéos, les chats sont partout sur Internet, au point que l’exposition How Cats Took Over The Internet au Museum of the Moving Image de New-York les met également à l’honneur. Cette prise de pouvoir tire son origine d’une histoire singulière et agit comme un motif récurrent au cours du temps. Une survivance qui se doit d’être analysée à la lumière de l’ère Post-Digital où l’instantanéité semble primer. Une véritable communauté s’est créée autour de la figure du chat en tant qu’objet culturel, avec son propre langage, ses racines et son folklore.

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Mots-clés

folklore, langage, lolcat, mème, survivance

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Des dizaines de photos, vidéos et gifs de chats se succèdent. Certaines de ces images ont été prises dans l’instant pour montrer les bêtises de l’animal ; d’autres ont été retouchées par l’ajout d’une légende amusante. La face de Grumpy Cat, le célèbre chat grognon, se retrouve accrochée aux murs. De même, des félins « anonymes » sont-ils soumis aux regards amusés des visiteurs car leurs maîtres ont suivi la mode du « cat breading » et leur ont attaché des tranches de pain de mie autour de la tête. Produites pour être diffusées sur Internet, ces images ont ceci de particulier qu’elles ont été réunies au Museum of the Moving Image de New-York, du 7 août 2015 au 21 février 2016, dans une exposition organisée par Jason Eppink.

Vue de l’exposition « How Cats Took Over The Internet », Museum of the Moving Image de New-York, du 7 août 2015 au 21 février 2016.

© Jinwoo Chong pour untappedcities.com

Comme en témoigne le titre de cette exposition, How Cats Took Over The Internet, les images et vidéos de chats ont pris une grande importance sur Internet ; les « vues » se comptent en millions sur des plateformes vidéo telles que Youtube, au point que la figure du chat est soumise à la caractéristique virale accordée aux images sur Internet. Les images, celles de chats comprises, sont en effet des milliards à s’étendre sur la toile et à s’infiltrer dans les échanges, que ce soit par les réseaux sociaux ou par les mails. Elles sont également instantanées, comme le prouve le succès de l’application Snapchat.

Le caractère viral et instantané des images diffusées sur Internet a conduit certains spécialistes, à commencer par Emmanuel Hoog, ancien directeur de l’INA et actuellement président de l’AFP, à s’interroger sur le devenir de la mémoire à l’heure numérique. Ce trop-plein d’images forme en effet un chaos dans lequel il semble difficile de ne pas tomber. Et selon Hoog, cet apparent désordre sature notre mémoire qui perd ses repères1.

Le cas des images de chats semble toutefois échapper à ce constat, et ce d’autant plus que l’exposition qui leur est consacrée – ne serait-ce que par l’historicisation induite par le phénomène même de l’institutionnalisation – à leur conférer une place dans le temps et l’espace. L’image du chat est ainsi soumise à différentes temporalités : elle est à la fois virale sur Internet par sa transmission rapide mais ne se perd pas dans les méandres du web. L’image du chat peut être définie à la lumière d’une survivance culturelle. Elle semble être devenue une icône culturelle qui résiste dans un médium où l’instantanéité prime. Elle porte en elle les fruits d’une mémoire collective qui peut faire d’elle un marqueur d’un folklore numérique en plein essor.

À travers le temps, la survivance de l’image du chat : entre anthropomorphisation et création d’un langage

Au début du xxe siècle, entre 1921 et 1929, l’historien de l’art allemand Aby Warburg avait pris l’habitude de placer sur de grandes toiles noires un ensemble de reproductions d’œuvres d’art, de coupures de journaux et de publicités. Toute image ayant un lien avec une autre dans son esprit se rencontrait sur le mur afin de créer une mémoire visuelle dans laquelle était étudiée la migration des images, des concepts. Intitulé Atlas Mnémosyne, ce projet s’apparentait à « une histoire de l’art sans texte » ou encore « histoire de fantômes pour les grandes personnes2 » comme il aimait le dire. Ainsi, Aby Warburg a-t-il révélé des figures qui ont traversé les années, les siècles, les millénaires, mettant en lumière la reprise de certains gestes et leur récurrence dans l’histoire de l’art.

Dans la continuité de cette méthode, l’image du chat apparaît elle aussi comme « survivante ». Elle porte en elle une histoire qui s’est étendue à travers le temps. En effet, le chat a longtemps été représenté comme un symbole dans différentes cultures. Dans l’Egypte ancienne, il était considéré comme un symbole de protection et érigé en divinité : la déesse du foyer et de la maternité, Bast, était représentée avec une tête de chatte. De même, en Asie, et notamment dans la culture japonaise du xixe siècle, il est devenu un porte-bonheur à travers le maneki neko, la célèbre statuette qui agite la patte et symbolise la bonne fortune. Dans les années 1970, les Japonais ont trouvé une autre figure derrière laquelle se rassembler, à travers la célèbre chatte blanche habillée de rose qui, elle aussi, semble agiter la patte comme le suggère son nom : Hello Kitty. Créée par la société Sanrio, Hello Kitty se caractérise par son côté kawaii, une notion culturelle nippone qui signifie qu’une chose est si mignonne qu’on ne peut y résister. Un véritable phénomène a vu le jour et nombreux sont les produits dérivés marqués par cette tête de chat. Une série télévisée, un parc d’attraction ainsi que de nombreuses boutiques lui sont dédiés, dans lesquels se réunissent principalement des femmes entre vingt et trente ans, dotées d’oreilles de chats et d’un maquillage félin.

À l’instar d’Hello Kitty qui marche comme un bipède ou de la déesse Bast pourvue d’un corps humain, le chat est régulièrement anthropomorphisé lors de ses représentations. Attitudes humaines, mises en scène et vêtements : ces techniques sont utilisées autant par les artistes que par des internautes afin de présenter les chats.

Un exemple des Brighton Cards de Harry Pointer

Un exemple des Brighton Cards de Harry Pointer

Dans un cas, un couple se tient, en habits de mariés, devant ce qui semble être un prêtre. La mariée se trouve près de son mari, elle porte une robe blanche et un voile. Une énorme cloche se trouve au-dessus d’eux. La photo date du xixe siècle et fait partie de la collection des « Brighton Cats » de Harry Pointer. Deux siècles plus tard, c’est une interprétation au piano qui suscitera l’engouement des internautes. Le lien entre cette photographie et cette vidéo est simple : dans les deux cas les protagonistes sont des chats, imitant des comportements humains. De même, le photographe américain Harry Whittier Frees a-t-il immortalisé un chat avec un chapeau en papier sur la tête qu’il a décliné en cartes postales et livres d’images. Ses chats lui valurent un succès international de 1905 jusqu’à sa mort en 1953. L’anthropomorphisme peut également s’établir sur les sentiments attribués aux chats : la bande dessinée Felix le Chat en 1919 ou encore les dessins animés Tom et Jerry en 1940 et Titi et Grosminet en 1942 mettent en scène des chats qui peuvent ressentir de la colère, de la joie ou de la jalousie. Dans les œuvres d’artistes comme Harry Pointer ou Harry Whittier Frees et sur les nombreuses vidéos et images mises en ligne ces dernières années, les animaux sont donc très souvent humanisés. Mises en scènes et vêtements participent d’un certain anthropomorphisme permettant ainsi la réunion d’une communauté autour d’une même figure dans laquelle l’être humain peut se reconnaître. C’est notre propre représentation que l’on retrouve à travers l’image du chat, et c’est ce qui en fait son succès. D’un point de vue anthropologique, le chat s’apparente à un objet culturel en ce sens où il devient un support d’identification.3

Les chats sont apparus sur la toile dès le début des années 1990, au moment de la démocratisation d’Internet.4 Et très rapidement, une communauté s’est créée autour du chat, dotée de son propre langage. En effet, sur de nombreux forums de discussions, les utilisateurs mettaient en scène leur vie en se présentant comme des chats et ils s’exprimaient dans un dialecte infantile baptisé le « Meowchat5 », un jeu de mot entre le son que produit le miaulement du chat et le principe même du « Chat », c’est-à-dire la discussion instantanée sur Internet – qui instaure un autre jeu de mot en français avec l’animal. Par ce dialecte, les internautes essayaient d’imiter un « langage chat », avec des phrases telles que « Der will be more storeez later on » (« Y’aura d’autres zistoires plus tard »). Cette manière de parler n’est pas sans rappeler le langage propre au phénomène du « Lolcat ». Lorsque les félins envahissent véritablement la toile en 2006, le « Caturday6 » voit le jour. Il s’agit d’un rendez-vous hebdomadaire donné par les utilisateurs du forum 4chan : le samedi devient le « jour du chat » au cours duquel des photos des animaux sont postées et partagées. C’est dans ce contexte que le « lolcat7 » est inventé.

Le Lolcat « I can has cheezburger ? »

Le Lolcat « I can has cheezburger ? »

L’image considérée comme l’un des premiers « lolcat » est celle d’un British Shorthair bleu, la gueule ouverte formant une sorte de sourire et la phrase – grammaticalement erronée – « I can has cheezburger ? » (« Ze peux zavoir un cheeseburger ? »). En donnant à l’animal des caractéristiques humaines, à savoir l’envie de manger un cheeseburger, et par la formulation de la légende apposée, il apparaît que le sens premier de cette image est de faire sourire quiconque la verra. Une fois encore, un langage autour de l’image du chat s’est créé, au sens où un système de signes vocaux et graphiques s’est mis en place. En effet, ce dialecte appelé « kitty pidgin » – pouvant être traduit par « jargon chaton » – a ses propres sonorités, marqué par des {z} et des {ʁ}. Les phrases contiennent de volontaires fautes de syntaxe, d’orthographe et de conjugaison qui renvoient à la représentation du langage du chat dans l’imaginaire collectif. Ainsi, l’image du chat devient le support d’un message dans lequel l’animal est non seulement anthropomorphisé mais plus précisément infantilisé– il nous rappelle un enfant par sa manière de parler. Définir un langage n’est-il pas un signe de rassemblement d’une communauté avec ses propres codes ? En effet, le « kitty pidgin » contribue à la création d’une identité et d’une cohésion de groupe qui se retrouve pour partager une même passion et échanger entre eux.8

La frise chronologique du phénomène « chat » d’Internet – Vue de l’exposition « How Cats Took Over The Internet ».

© Jinwoo Chong pour untappedcities.com

L’image du chat a survécu au cours des siècles, explorant de nombreux médiums pour finalement se retrouver « star d’Internet ». A travers ce nouveau support, l’histoire du chat peut continuer à être tracée. C’est dans cette perspective qu’au cœur de l’exposition How Cats Took Over The Internet s’étend, projetée sur un mur blanc, une frise chronologique et terminologique venant documenter les modes d’apparition et de diffusion en ligne de l’image du chat [fig. 4]. Une histoire qui se déroule sur plusieurs années est ainsi mise en évidence, afin de mieux connaître les racines du « phénomène chat ». Dans l’exposition de Jason Eppink, il était également possible de découvrir un kinétoscope réalisé par Thomas Edison en 1894 dans lequel des chats se battent, avec des gants de boxe, sur un ring.

Thomas Edison – 1894 Boxing cats

Permalink: https://www.youtube.com/watch?v=6qre61opE_g

En juxtaposant ainsi ces images « anciennes » à d’autres plus récentes, vues sur Internet, le commissaire crée un lien entre les démarches de certains artistes comme Harry Pointer ou Harry Whittier Frees et celles des internautes d’aujourd’hui, les secondes semblant s’inscrire dans le prolongement direct des premières. Le procédé semble en effet être resté le même : Edison déguisait ses chats tout comme les usagers du Web le font de nos jours. Ainsi, l’image du chat a traversé les années, faisant parfois des sauts dans le temps. A partir des travaux d’Aby Warburg, Georges Didi-Huberman a étudié le phénomène de « survivance » des images en fonction de leurs modes d’apparitions. Afin de mieux définir cette notion de survivance, il s’appuie sur les travaux d’Aby Warburg9 :

Au centre de la “science de la culture” inventée par Warburg, il y a, en effet, cette “survivance” (Nachleben) qui fait des images ces fantômes capables de traverser les frontières de l’espace comme du temps. Les images sont des migrantes, c’est comme cela qu’elles savent durer dans nos mémoires. Nos mémoires inconscientes, et pas seulement nos souvenirs, bien sûr. Nos désirs, et pas seulement nos mémoires, d’ailleurs10.

Le chat a traversé le temps et l’espace, il a « survécu » avant de devenir l’image d’une culture, celle du Web. Elle est à présent récurrente sur l’Internet et y circule de manière très rapide, au point d’être partagée par les internautes des milliers de fois, voire bien plus. Selon Pascal Froissart, ces images sont «rumorales », leur transmission est aussi rapide que celle d’une rumeur et s’incruste partout : dans nos mails, sur les réseaux sociaux, sur les forums de discussion11… Mais, contrairement à une rumeur qui peut disparaître aussi vite qu’elle est apparue, l’image du chat semble se fixer de manière solide et durable dans le temps et sur le médium Internet.

L’icône à la rencontre de l’instantanéité

Comment l’image du chat peut-elle alors survivre à l’ère de l’instantanéité propre à Internet ? Sa survie s’explique notamment par le fait que le chat est une icône culture. Selon Denis Meyer, « les icônes culturelles sont des figures emblématiques qui jouent un rôle essentiel dans la construction et le maintien de l’imaginaire social et de l’identité collective. Les icônes culturelles sont omniprésentes, ce sont des référents partagés, dont les significations sont normalement connues de tous12.

Les images de chats sont bien plus partagées que les selfies dans certains pays comme la Grande-Bretagne13. De même, selon la chaîne américaine d’informations télévisées CNN, 6,5 milliards d’images de chats circuleraient actuellement sur Internet14. Leur omniprésence peut surprendre à une époque où des applications telles que Snapchat ou Périscope15 nous donnent l’illusion qu’une image ne s’inscrit pas dans le temps. En effet, à l’ère des smartphones possédant une caméra, l’image est « dématérialisée, connectée, partagée16 ». En prenant constamment des photographies de ce qui nous entoure, nous devenons ainsi des « touristes du quotidien17 ».

La possibilité de partager immédiatement sa photo ou sa vidéo sur les réseaux sociaux accentue ce caractère instantané de l’image où la rapide diffusion prend le pas sur la qualité. Les objets présentés lors de How Cats Took Over The Internet le prouvent : il s’agit bien de photographies et vidéos prises sur le vif et qui ont été rapidement lancées sur les réseaux sociaux. De plus, l’exposition de Jason Eppink met en espace le chemin parcouru par l’imagerie (souvent drôle) du chat, de Thomas Edison à nos jours. Une transmission culturelle qui s’est étendue au fil du temps et dont la cible n’est pas genrée. En effet, la particularité de ces idoles est qu’elles peuvent être appréciées par tous, qu’importe l’âge, le sexe, le pays ou la religion du spectateur. L’image du chat se transmet de génération en génération, permet la réunion d’un groupe autour d’un même sujet de conversations, notamment à travers les forums tels que 4chan ou le site internet icanhascheezburger.com – créé après l’apparition du premier lolcat et qui réunit divers types d’images amusantes d’animaux, et principalement de chats. Des internautes s’y retrouvent pour échanger des images dont des lolcat.

Pourquoi le chat est-il si populaire sur Internet ? Selon les termes de Titiou Lecoq, un « processus d’empathie18 » a lieu. Ce processus se distingue en plusieurs points favorables à la popularisation de l’image du chat et donc à sa survivance. En effet, aux débuts des années 1990, l’image que l’utilisateur d’Internet renvoyait était celle d’une personne asociale, seule face à son ordinateur. Aussi, le chat est-il devenu, par son côté solitaire, une figure d’identification des premières personnes connectées. De même, la célébrité de chats handicapés tels que Lil Bub – une chatte atteinte d’ostéopétrose et dont la langue pend car sa mâchoire ne s’est pas développée en raison de son nanisme – s’explique-t-elle, toujours selon Titou Lecoq, par l’esprit même de la webculture qui a toujours été de « rejeter les normes auxquelles les internautes asociaux n’arrivent pas à se plier19 » .Dans l’imaginaire collectif, les premiers utilisateurs d’Internet étaient stigmatisés par la société et considérés comme trop différents. De ce fait, le chat est à l’image de l’internaute puisqu’il est considéré comme un animal solitaire, ce qui amène le « geek » à se projeter dans l’animal.

Ce processus s’explique également, selon Radha O’Meara, professeure spécialisée en nouveaux médias à l’Université de Melbourne, par le fait nous souffrons d’une peur constante d’être surveillés, notamment sur Internet20 Or, le chat filmé ou photographié ne semble pas être importuné par cela, ce qui donne à l’homme contemporain l’illusion d’un monde sans espionnage.

Ainsi, la figure du chat a su se distinguer à l’ère de l’instantanéité des images. Elle apparaît comme une icône culturelle au sens où Denis Meyer l’entend : elle est très présente sur Internet, elle a permis de créer une communauté qui s’y identifie et dispose d’un langage avec ses propres codes.

Le chat, animal révélateur d’un folklore Internet

La notion de survivance est également centrale à la définition du folklore. En effet, George Laurence Gomme, président de la Folklore Society de Londres, a défini en 1890 l’objet du folklore comme étant « la comparaison et l’identification des survivances de croyances, coutumes et traditions archaïques à l’époque moderne21 ». De ce fait, l’image du chat, à travers sa transmission au cours du temps, semble faire partie d’un certain folklore numérique. De plus, le folklore est associé à un groupe social qui ne partage pas la culture dominante.22 Cette idée est présente dans l’association faite entre l’image du chat et celle du « geek » aux débuts de la démocratisation de l’Internet.

Le chat est devenu une référence visuelle propre à un folklore digital, dont le mème est le principal vecteur. C’est dans une approche darwinienne que ce terme est apparu pour la première fois dans Le Gène égoïste, un ouvrage publié en 1976 par le biologiste britannique Richard Dawkins.23 Ce dernier y étudie l’évolution et soutient que le gène est la meilleure description du phénomène de sélection naturelle. Par analogie avec le gène, Dawkins invente le « mème » : un élément de comportement transmis par imitation ; une idée ou une valeur culturelle qui traverse le temps. En ce sens, le mème a toujours existé : par exemple, la chanson Joyeux Anniversaire est présente dans la plupart des fêtes d’anniversaire et se transmet de générations en générations, et dans toutes les langues. Cependant, le mème trouve sur Internet toutes les caractéristiques dont il a besoin pour se transmettre de manière encore plus rapide et virale, et ce à travers l’image. Le lolcat est un type de mème, qui devient, par sa récurrence, un véritable marqueur identitaire propre à une communauté et prouvant l’appartenance à cette dernière. Une communauté de plus en plus grandissante et ne connaissant pas de limites puisque, les outils de création visuelle s’étant démocratisés, tout un chacun peut s’approprier cette valeur culturelle et la développer. Les images de base sont détournées – une même image pouvant être le support de légendes différentes – afin d’en changer le sens premier et ce à l’infini, au point qu’elles peuvent devenir un langage à part.

L’image du chat peut devenir le support d’un discours, parfois même politique. En effet, les propagandistes de l’État Islamique mettent des chats en scène à côté d’armes dans une intention humoristique et afin de rallier plus de monde à leur cause. Dans l’optique inverse, en novembre 2015, le chat devient une arme antiterroriste lors du blocus de Bruxelles. Il s’agissait, pour les habitants de Bruxelles, d’éviter la diffusion d’informations concernant les raids policiers ayant eu lieu. Ils ont ainsi largement posté des photos et vidéos de chats et bloqué toute information pouvant être potentiellement utile aux terroristes.

Ainsi, la figure du chat semble s’être naturellement imposée dans l’esprit des internautes, donnant lieu à des réponses ironiques, comme lorsqu’une image d’un chaton les pattes en l’air face à un pistolet est posté avec la légende « Ils l’ont attrapé ! ». Cette nuit-là, les chats ont davantage envahi Internet et le réseau social Twitter. En ayant naturellement choisi l’image du chat pour faire passer un message, ce blocus sur Twitter consolide la figure du chat comme étant la représentation de la culture Web, ses caractéristiques et son histoire ; elle est l’image d’un imaginaire Internet commun.

Sur Internet, l’image du chat porte en elle une dualité entre sa « survivance culturelle » et le caractère « éphémère » de l’image numérique. Ces deux modes d’existence se rencontrent au sein d’une même entité pour permettre de penser une mémoire collective. Cependant, bien que pouvant paraître saturée, la mémoire numérique connaît des formes récurrentes derrière lesquelles une communauté potentiellement internationale peut se retrouver, notamment à travers l’image du chat et le lolcat. L’animal apparaît comme une forme de célébration d’une mémoire collective et de ses mythologies. En effet, Internet n’est pas pensé en termes d’individus mais d’un ensemble de personnes qui partagent la même culture, qu’importent leurs origines. L’image du chat est un héritage social et culturel qui ne se soumet pas aux idées reçues d’instantanéité du statut actuel de l’image sur Internet. Un folklore s’est créé à travers cette transmission de générations en générations. Entre survivance, identification et communautarisme, la figure de chat s’est imposée comme un objet culturel de l’ère numérique.

Notes

1 Emmanuel Hoog, Mémoire année zéro. Paris, Éditions du Seuil, 2009. Return to text

2 Aby Warburg, Mnemosyne. Grundbegriffe II. Londres,Warburg Institute Archive, 1929, p.3. Return to text

3 Emmanuel Diet, « L’objet culturel et ses fonctions médiatrices. », Connexions n° 93, p. 39-59. [En ligne] <www.cairn.info/revue-connexions-2010-1-page-39.htm> Return to text

4 Selon Jason Eppink, le commissaire de cette exposition. Return to text

5 Léo PAJON, « Stars du Web » dans Geo Extra. Gennevilliers : Editions Prisma. Février-Mars-Avril 2016. Return to text

6 Le terme est issu de la contraction entre « cat », chat, et « Saturday », samedi. Return to text

7 Le terme est issu de la contraction entre le mot « lol », laughing out loud, soit « mort de rire » en français, et de « cat », « chat » en français. Return to text

8 Lauren GAWNE et Jill VAUGHAN, « I can haz language play:The construction of language and identity in LOLspeak » Return to text

9 Par exemple, Aby Wargurg met en corrélation le rituel du serpent chez les Indiens pueblos en Amérique et le « serpent de cuivre » d’Edison – l’électricité – pour montrer la survivance d’un rituel inscrit dans une communauté mais également sa disparition. Return to text

10 Jean-Max COLARD, Claire MOULENE et Jean-Marie DURAND, « Georges Didi-Huberman : “Regarder n’est pas une compétence, c’est une expérience” ». Les Inrockuptibles, 12 février 2014. Return to text

11 Pascal FROISSART, op cit. Return to text

12 Denis MEYER, « Icônes culturelles : lecture textuelle et contextuelle » in Meunier, J., Atherton, B., Grauby, F., Royer, M., Le Français et la diversité francophone en Asie, Actes du 2e Congrès CAP-FIPF 2010, University of Sydney, Australia, pp. 43-53. Return to text

13 Rhiannon WILLIAMS, « Cat photos more popular than the selfie », The Telegraph, 19 février 2014. Return to text

14 Jeff Yang, « Internet cats will never die », CNN, 2 avril 2015 Return to text

15 Périscope est une application où il est possible de mettre en ligne des vidéos en direct, pendant vingt-quatre heures. Return to text

16 André GUNTHERT, « L’image conversationnelle », Études photographiques, Printemps 2014. Return to text

17 Ibid. Return to text

18 Titiou LECOQ et Diane LISARELLI, Encyclopédie de la webculture. Paris : Robert Laffont, 2011. Return to text

19 Ibid. Return to text

20 Radha O’MEARA, « Do Cats Know They Rule Youtube ? Surveillance and the Pleasures of Cat Videos », Media Culture Journal, vol.17 n°2, 2014. Return to text

21 George Laurence GOMME, The Handbook of Folklore, Londres : D. Nutt, 1890. Return to text

22 Nicole BELMONT, « FOLKLORE », Encyclopædia Universalis. Return to text

23 Richard Dawkins, Le Gène égoïste. Oxford : Oxford University Press, 1976. Return to text

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Illustrations

References

Electronic reference

Lisa Gisselbrecht, « Les chatons, c’est mignon », RadaЯ [Online], 1 | 2016, Online since 01 janvier 2016, connection on 11 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=413

Author

Lisa Gisselbrecht

Marquée par un vif intérêt pour la littérature et le théâtre, Lisa Gisselbrecht s’est tournée vers la critique d’art et se destine au commissariat d’exposition. Ses travaux actuels portent sur la recherche curatoriale dans le reenactment d’exposition.

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