Gestion transnationale des risques d’inondations dans le bassin versant du Rhin Programme ANR-DFG Transrisk2

p. 335-340

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TRANSRISK² est un projet franco-allemand de recherche fondamentale et appliquée coordonné par Brice Martin (université de Haute-Alsace, CRÉSAT) pour la partie française, et par Rüdiger Glaser (Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Institut für Physische Geographie) pour la partie allemande. Il associe aussi l’UMR GESTE (Carine Heitz, Irstea Strasbourg). Le projet a commencé en février 2014 et a duré 44 mois. Il a bénéficié d’une aide ANR de 239 855 € pour un coût global de 1 267 178 €.

Enjeux scientifiques

En discutant avec les acteurs des territoires et le public, il est apparu que le Fossé Rhénan et l’Alsace en particulier souffraient d’un profond déficit en matière de culture du risque d’inondation (mémoire défaillante, connaissance mal partagée, etc.), entraînant une sous-évaluation des phénomènes extrêmes et des vulnérabilités. Le projet TRANSRISK² s’était donc fixé pour objectif de répondre à ces questionnements et aux attentes des acteurs des scènes locales du risque (DDT, DREAL, etc.), en réalisant, pour le Rhin Supérieur, la Sarre et la Moselle, une base de données transnationale sur les inondations depuis 1480. Les administrations compétentes ont été d’autant plus vivement intéressées que cela s’inscrivait dans les objectifs de la directive européenne « Inondations ». Mais pour reconstituer les inondations majeures, les hiérarchiser et les utiliser afin d’améliorer la prévention, il fallait comprendre leur évolution dans le temps et dans l’espace (une « géohistoire »). Le projet TRANSRISK² a donc également étudié le rôle des changements dans l’occupation des sols, des aménagements et des politiques de gestion à toutes les échelles, notamment à travers une comparaison franco-allemande.

Une méthode historico-progressive (géohistoire des risques)

L’essentiel du travail a porté sur des dépouillements d’archives variées, afin de reconstituer la chronologie hiérarchisée des inondations pour les principaux cours d’eau du Fossé Rhénan. Il s’agissait d’obtenir des informations exhaustives depuis 1480, en essayant de combler les pertes et les destructions liées à l’histoire mouvementée de cette région. La même démarche a permis de reconstituer l’évolution de l’occupation du sol pour en évaluer le rôle dans l’évolution des inondations. La reconstitution des inondations s’est faite à travers une démarche historico-progressive, associant témoignages, images, etc. pour retrouver les hauteurs anciennes et les transposer dans la période actuelle. Les logiques floues ont également été utilisées pour convertir des informations qualitatives en données quantitatives. Le rôle des facteurs anthropiques a été mis en évidence à travers une démarche de géohistoire des risques développée et conceptualisée durant le projet, en confrontant les géo-chronologies (chronologies comparées des faits et de leurs facteurs explicatifs). Pour comparer l’action des politiques publiques en termes de prévention des inondations (France-Allemagne) a été rajoutée à l’étude géohistorique une enquête sur la perception et la mémoire des inondations. Enfin, pour pérenniser, sécuriser et partager la connaissance, les informations recueillies ont été mises en ligne sur la plate-forme collaborative TAMBORA1 (valorisation académique) et sur le site ORRION2 (valorisation publique).

Résultats majeurs du projet

Les principaux résultats portent sur la reconstruction d’une culture du risque par la mise à disposition et le partage d’une information historique méconnue, oubliée, niée (les inondations extrêmes) via la plate-forme TAMBORA et le site internet participatif ORRION. Ces actions ont permis de développer des collaborations autour de la gestion des risques d’inondation avec les collectivités territoriales (Conseil Départemental du Haut-Rhin, Direction Départementale des Territoires du Haut-Rhin, Direction Départementale des Territoires du Bas-Rhin, Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement d’Alsace, Eurométropole de Strasbourg, Syndicat des eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle) et avec le bureau d’étude MAYANE. Dix années de recherches appliquées se concrétiseront en 2019 et 2020 à travers la co-organisation avec les acteurs des territoires, des commémorations régionales et transnationales du centenaire des grandes inondations de décembre 1919 et janvier 1920.

Production scientifique depuis le début du projet

Les équipes ont publié 24 articles et réalisé 47 communications (colloques nationaux et internationaux, séminaires de vulgarisation). Ces productions se poursuivent bien au-delà de la fin du programme, notamment en ce qui concerne la conceptualisation et la méthodologie en géohistoire des risques. En termes de recherche appliquée, le projet a permis de travailler en collaboration avec les collectivités territoriales en charge de la gestion préventive des risques d’inondation, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Ces actions continuent après la fin du projet, notamment à travers la gestion de l’Observatoire Régional des Risques d’Inondation en Alsace (ORRION), base de données participative en ligne permettant de partager les informations sur les inondations historiques.

Fig. 1 : Repères de crues posés par le SDEA Alsace-Moselle sur le pont du Giessen à Sélestat (67)

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Enquêtes sur la perception du risque d’inondation, la sensibilisation au risque, la culture du risque et la mémoire des inondations dans le Fossé Rhénan (Alsace – Pays de Bade)

Ces travaux constituent un exemple des recherches novatrices réalisées dans le cadre du projet TRANSRISK². Pour étudier la culture du risque et, notamment, le rôle des aménagements dans le sentiment de sécurité, on a procédé à une enquête sur la perception et la mémoire du risque d’inondation. Nous sommes partis du postulat que, en raison de l’histoire et d’une politique d’aménagement et de gestion différenciée, la situation n’était pas identique de part et d’autre du Rhin. L’enquête a donc été effectuée dans des villages et villes de tailles comparables en Alsace et en Pays de Bade, afin de comprendre l’influence de la frontière. Des interviews ont été réalisées le long de la Kinzig dans la Forêt Noire et le long de la Thur dans les Vosges, ainsi que dans les villes de Mulhouse, Schirmeck, Molsheim (France), Achern et Rastatt (Allemagne). Nous avons utilisé un questionnaire standardisé comprenant 38 questions, dont 10 étaient ouvertes et 28 fermées. Au total, 916 questionnaires ont été réalisés et témoignent d’une grande homogénéité à l’échelle locale. Cela a permis de tester les hypothèses concernant les liens entre la connaissance du risque et l’expérience, la mémoire et la culture des inondations.

Voici quelques-uns des résultats les plus significatifs. À la question « est-ce que le risque d’inondation a augmenté au niveau national au cours des dix dernières années ? », plus de 75 % des enquêtés en Alsace et dans le Pays de Bade ont répondu que c’était vrai, mais avec des pourcentages beaucoup plus élevés en zones rurales alsaciennes, où la proximité avec les éléments naturels et la vision régulière des inondations peuvent rendre la population plus sensible. Cette différence est moins nette côté allemand en raison d’une correction plus systématique des cours d’eau dans les zones rurales. Autre différence notable, pour les Alsaciens, cette augmentation des risques d’inondation concerne surtout le reste de la France et non leur propre région. Ce résultat est à mettre en relation avec une faible connaissance des événements historiques et des repères de crues, et une mémoire à court terme : la dernière grande inondation régionale (1990) est déjà globalement oubliée, surtout en zone urbaine. Paradoxalement, les Allemands sont plus conscients du risque (meilleure connaissance des repères de crues), mais se considèrent efficacement protégés. On constate donc une vulnérabilité additionnelle liée à un déficit de culture du risque des deux côtés du Rhin. Mais, si en Alsace cette situation semble être liée à une méconnaissance du risque et à une absence de mémoire, elle repose en Allemagne sur un excès de confiance dans les protections mises en place. Allemands et Français s’opposent par contre sur les principaux facteurs responsables de l’augmentation des risques : les premiers évoquent d’abord le réchauffement climatique, les seconds mettent davantage en cause les changements dans l’occupation des sols (voir Fig. 2). Ce sentiment est à rapprocher de la vision plutôt positive et de la confiance que les Allemands accordent aux travaux de correction et de protection, dont l’efficacité ne semble pouvoir être remise en cause que par des facteurs extraterritoriaux (le réchauffement).

Fig. 2 : Principaux facteurs considérés comme responsables d’une augmentation des inondations, en Alsace (à gauche) et dans le Pays de Bade (à droite)

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En ce qui concerne la connaissance et la mémoire des inondations, on remarque en France et en Allemagne l’importance de l’ancrage territorial sur le temps long. Les plus anciens, les personnes vivant depuis longtemps dans leur habitation, les ruraux, ont une meilleure culture du risque. Les mobilités qui concernent particulièrement les jeunes actifs et les urbains pèsent fortement sur la perte ou l’absence de culture du risque. Néanmoins l’expérience reste le facteur prépondérant puisque la culture du risque est la plus forte chez les enquêtés ayant vécu directement (ou indirectement via leurs proches) une inondation, ou connaissant les marqueurs territoriaux des inondations passées. On remarque ici une différence notable entre Alsaciens et Badois. Seuls 27 % des premiers ont connaissance de repères de crues sur leur territoire, contre 65 % des seconds. Si ce sont logiquement les ruraux plutôt âgés qui en ont connaissance, cette situation résulte d’abord de l’existence d’un nombre beaucoup plus important de repères de crues côté badois. Mais même dans les communes alsaciennes où ils demeurent visibles, ils sont très mal connus et cette méconnaissance repose donc également sur une culture du risque insuffisante. On peut sans doute pointer ici les ratés de l’information préventive côté français. Alors que les Badois ont une démarche volontariste dans la recherche d’information, les Alsaciens privilégient une information fournie par les pouvoirs publics, illustrant une forme de déresponsabilisation. De plus, à l’information régalienne envisagée principalement à l’échelle nationale en Alsace s’oppose l’information plus territorialisée en Pays de Bade, illustrée, notamment, par l’organisation tous les deux ans des « Hochwassertag », grandes manifestations d’information du public. À noter qu’un des acteurs majeurs de la prévention des inondations dans le Bas-Rhin, le Syndicat des eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle, s’est lancé dans une démarche comparable, en y associant les chercheurs de l’équipe TRANSRISK² (Salon inondation de Schwindratzheim en 2016, de Brumath en 2018 ; Commémoration binationale des inondations de la Sarre de 1993 à Sarreguemines en 2018). Cela constitue par ailleurs l’occasion pour le CRÉSAT et l’ENGEES (École Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg) de poursuivre les enquêtes, après la fin du projet, en tant qu’élément d’évaluation de l’efficacité des politiques de renforcement de la culture du risque. Ainsi, depuis 2016, une partie de ces enquêtes a été réalisée dans le cadre de stages par des étudiants de troisième année de licence Histoire de l’université de Haute-Alsace (15 stagiaires entre 2016 et 2019).

1 Plate-forme TAMBORA (The climate and environmental history collaborative research environment) : https://www.tambora.org/

2 ORRION (Observatoire régional des risques d’inondation) : http://www.orrion.fr

Notes

1 Plate-forme TAMBORA (The climate and environmental history collaborative research environment) : https://www.tambora.org/

2 ORRION (Observatoire régional des risques d’inondation) : http://www.orrion.fr

Illustrations

Fig. 1 : Repères de crues posés par le SDEA Alsace-Moselle sur le pont du Giessen à Sélestat (67)

Fig. 1 : Repères de crues posés par le SDEA Alsace-Moselle sur le pont du Giessen à Sélestat (67)

Fig. 2 : Principaux facteurs considérés comme responsables d’une augmentation des inondations, en Alsace (à gauche) et dans le Pays de Bade (à droite)

Fig. 2 : Principaux facteurs considérés comme responsables d’une augmentation des inondations, en Alsace (à gauche) et dans le Pays de Bade (à droite)

Citer cet article

Référence papier

« Gestion transnationale des risques d’inondations dans le bassin versant du Rhin Programme ANR-DFG Transrisk2 », Revue du Rhin supérieur, 1 | 2019, 335-340.

Référence électronique

« Gestion transnationale des risques d’inondations dans le bassin versant du Rhin Programme ANR-DFG Transrisk2 », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 1 | 2019, mis en ligne le 01 novembre 2019, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=119

Droits d'auteur

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