Les difficultés rencontrées par l’État français dans l’application de mesures d’accompagnement pour la reconversion de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) après sa fermeture témoignent de notre méconnaissance flagrante des interactions entre les centrales nucléaires et l’espace, empêchant ainsi leur reconversion sereine. Interrogeant les spatialités du nucléaire presque exclusivement sous l’angle du risque, les précédents travaux en géographie ont occulté la diversité des territorialités créées par cette industrie aux caractéristiques socioéconomiques et politiques singulières. Selon le Power Reactor Information System de l’Agence internationale à l’énergie atomique, on dénombrait au total 47 centrales nucléaires commerciales définitivement fermées dans 14 pays au début du mois de mars 2020, tandis que d’autres arrêts sont déjà prévus en France, en Allemagne, en Suède, en Suisse, à Taiwan, en Corée du Sud, aux États-Unis et en Belgique. Le renforcement de notre compréhension de la géographie du nucléaire constitue de ce fait un enjeu crucial pour le déroulement des futures transitions énergétiques.
Parallèlement, si les géographes spécialistes de l’énergie ont identifié les path-dependencies comme un élément fondamental inhibant les transitions énergétiques, les transition studies pèchent par leur manque de concepts théoriques permettant d’évaluer la consistance spatiale de ces dynamiques qui facilitent la perpétuation des systèmes énergétiques dominants. En outre, tandis que les recherches antérieures sur les spatial path-dependencies ont déjà exploré le cas du gaz, du charbon ou du pétrole, elles ont largement ignoré l’énergie nucléaire.
Pour dépasser ces manques thématiques et conceptuels qui participent à freiner les transitions énergétiques, NucTerritory propose de mobiliser l’approche des territorialités relationnelles de Raffestin afin d’évaluer l’ancrage spatial (spatial-embeddedness) des centrales nucléaires. En nous appuyant sur Debarbieux et Raffestin, nous définissons les « territoires nucléaires » comme le résultat de processus de territorialités relationnelles, considérant que « l’espace devient territoire lorsqu’il émerge des interactions sociales »1. Pour identifier les territorialités nucléaires, entendues comme des ensembles de relations reliant des groupes sociaux à l’environnement matériel, médiatisées par des représentations, NucTerritory appliquera une méthode en trois étapes, proposée par Aldhuy en s’inspirant de la conception multidimensionnelle des territorialités de Di Méo.
NucTerritory propose de caractériser la fabrique de ces territorialités en mettant en œuvre les outils nécessaires à une comparative croisée. Grâce à la comparaison de quatre centrales nucléaires situées dans des contextes spatiaux distincts et à des stades différents de leur vie opérationnelle, le projet identifiera les variables responsables des différences entre les territorialités. Les études de cas seront réalisées dans deux centrales nucléaires au Royaume-Uni (Wylfa et Heysham) et deux autres sur la côte est des États-Unis (Vermont Yankee et Seabrook). La comparaison sera assurée à l’aide d’un cadre traduisant les méthodes d’Aldhuy en huit indicateurs produits par la récolte de différents types de sources (entretiens semi-structurés, archives de journaux, bases de données de textes juridiques, bases de données économiques et démographiques) analysés à l’aide de méthodes mixtes comprenant l’analyse du discours et du contenu.