Axes essentiels du développement de l’agglomération de Bâle, les aspects transfrontaliers de sa politique constituent un cas d’école et d’étude. Acteur de premier plan du dialogue transfrontalier, la Communauté d’Agglomération de Saint-Louis a endossé, peu à peu, le leadership en termes de dialogue trinational. Logiquement, le fonds d’archives de cette intercommunalité s’est enrichi de versements qui permettent l’étude du développement d’une agglomération à cheval sur trois pays, cas unique de collaboration et de compromis1.
À partir de ces sources, utiles à l’étude du développement urbain de l’agglomération bâloise, il est possible d’analyser les structures soutenant son développement et ses déclinaisons en termes d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Les programmes d’agglomération de Bâle (PA-AP), colonne vertébrale du développement urbain
Portés par l’Office fédéral du développement territorial ARE (Confédération helvétique), les projets d’agglomération invitent trente-deux territoires à déposer leurs programmes en faveur de l’amélioration des infrastructures de transport en leur sein2. Le gouvernement fédéral, en retenant un certain nombre de projets selon leur cohérence et leur importance stratégique, les finance jusqu’à hauteur de 50 % pour une enveloppe de 1,6 milliard de francs suisses dans le cadre des projets d’agglomération de quatrième génération. Bâle constitue l’une des portes d’entrée de la Suisse dans les flux routiers nord-sud (Europe du Nord – Bassin méditerranéen via le Bade-Wurtemberg ; Europe du nord-ouest – Bassin méditerranéen via l’Alsace). Elle est aussi l’unique accès de la Confédération à la mer. En effet, la Convention de Mannheim (17 octobre 1868) établit les conditions de circulation sur le fleuve tout en garantissant la libre-circulation pour la Suisse jusqu’au débouché du Rhin3.
Les transports sont donc une problématique capitale pour Bâle, à la fois pôle économique de premier ordre dans le Rhin supérieur et, plus largement en Europe, mais aussi nœud de communications et véritable verrou tant les diverses voies qui y convergent forment un hub. En plus d’être destinatrice d’échanges ponctuels et d’être également un lieu de transit, Bâle attire quotidiennement un contingent sans cesse croissant de travailleurs, transnationaux ou non. Au cours des quatre premières générations de projets d’agglomération, les autorités bâloises, en étroite collaboration avec les cantons voisins mais aussi avec le Landkreis Lörrach, le Regionalverband Hochrhein-Bodensee (pour la partie allemande), Saint-Louis Agglomération (pour la partie française), ont conçu des projets d’amélioration des conditions de transport conciliant les problématiques de développement durable. Pour ce faire, le territoire de l’agglomération a été subdivisé selon la logique des corridors, en secteurs s’articulant autour des lignes de chemin de fer la structurant4. L’objectif principal de ces programmes est de fluidifier les conditions de trafic à travers les agglomérations et non pas de l’améliorer en leur cœur. Concernant cet aspect, les autorités cantonales ont mis en œuvre un fonds de concours dédié, le Pendlerfonds5. De plus, les programmes d’agglomérations, constamment évalués, permettent une étude sociologique de l’agglomération tout en étudiant les logiques de pendularité des transports et des zones de celle-ci qui pourraient profiter d’une amélioration de ces conditions. À ce titre, les programmes d’agglomération se penchent sur les questions du développement urbain et sur la préservation des zones naturelles à l’échelle des trois pays. Ainsi, la partie française de l’agglomération constitue un poumon vert essentiel à travers la réserve naturelle de la Petite Camargue alsacienne.
Le mode de portage politique et technique est tout à fait original. Constituée en une association, « Agglo Basel », la structure porteuse, regroupe à la fois les exécutifs de ses neuf institutions membres, une base de salariés assurant la conception et l’exécution des projets en association avec les services opérationnels de ses membres. Les programmes d’agglomération sont ainsi discutés lors de réunions des groupes de pilotage politiques et techniques mais également lors de réunions publiques sur l’ensemble du territoire dans un esprit de démocratie de proximité.
Par ailleurs, depuis la quatrième génération, l’association coordonne la mise en œuvre du projet Trireno, RER destiné à être déployé sur l’ensemble de l’agglomération et ainsi devenir l’épine dorsale des transports publics. Le dialogue intercantonal et international ne se limite pas aux programmes d’agglomération mais se coordonne par le biais de l’Eurométropole trinationale de Bâle (ETB). Structure associative également, elle siège à Village-Neuf à hauteur du pont du Palmrain. Œuvrant pour la coopération transfrontalière mais également porteuse de projets transfrontaliers (3Land, Vis-à-vis, Trois Pays à Vélo, IBA Basel), elle regroupe quatre-vingt-une communes des trois pays6. Dans le cadre d’une stratégie d’action à l’horizon 2032, elle coordonne notamment le financement d’action par des fonds Interreg en tant qu’association partenaire de l’Union européenne7. À ce titre, l’ETB a un rôle central d’animation et de dialogue pour le développement transfrontalier de l’agglomération bâloise8.
Assurant un rôle de coordination entre ces associations (et d’autres), l’association Regio Basiliensis déploie son action dans tous les domaines de développement de l’agglomération9. Au niveau local, sa collaboration l’amène à œuvrer de concert avec l’ETB, la plateforme Infobest-Palmrain mais également avec la Conférence métropolitaine de Bâle, cette dernière jouant un rôle de conception des enjeux du bassin de vie de Bâle, bien au-delà de l’agglomération, de Freiburg/Breisgau à l’Argovie en passant par le Jura suisse. L’ensemble des structures évoquées ici concourent aux divers aspects du développement de l’agglomération bâloise, par-delà les frontières helvétiques. Sur le sol français, les actions de ces différents acteurs ont pu se traduire par un certain nombre d’initiatives.
Les actions en faveur de l’évolution des modes de transports
Dans la partie française de l’agglomération de Bâle, les actions les plus concrètes en matière de transport sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, l’amélioration de la desserte ferroviaire de l’Euroairport est un projet dont les premières études ont été publiées il y a plus de quarante ans10. De manière plus globale, la question de l’Euroairport est centrale aussi bien pour l’aménagement du territoire de SLA que pour celui, plus général en termes d’accessibilité, de l’ensemble de l’agglomération bâloise. À ce titre, les archives de SLA font état de la coopération interétatique pour connecter l’aéroport aux réseaux ferroviaires nationaux aussi bien que la coopération entre collectivités pour connecter la plateforme aéroportuaire aux réseaux de transports en commun locaux, au premier chef à celui des tramways de Bâle. Dans son ensemble, l’Euroairport, véritable porte d’entrée de Bâle, est l’enjeu d’opérations d’urbanisme d’ampleur11.
Le tramway, justement, est l’une des manifestations les plus spectaculaires de l’action transfrontalière sur le territoire français. De Bourgfelden à la gare de Saint-Louis, l’extension de la ligne 3 constitue une première étape pour la connexion de l’Euroairport au réseau de transports en commun de Bâle. Lauréats des projets d’agglomération, largement favorisés par la tenue de l’IBA Basel, les travaux de la ligne 3 auront permis de réaliser une extension en un temps relativement court (trois ans entre l’enquête d’utilité publique et la mise en service). Cette opération permet également de constater les tensions entre pratiques administratives nationales. Ainsi, alors secrétaire d’État en charge des transports, Frédéric Cuvillier intervient lui-même pour coordonner le versement des financements français et suisses afin de ne pas ralentir le projet12.
Enfin, en termes de transports toujours, le projet de liaison Zubringer Bachgraben-Allschwyl (Zuba) doit permettre de connecter la rocade nord de Bâle et l’autoroute A3 au réseau autoroutier français. Dans ce cas, à nouveau, la coopération transfrontalière permet de coordonner un projet d’ampleur permettant de fluidifier le trafic routier dans le secteur français qui constitue un goulot d’étranglement dans le réseau de l’agglomération de Bâle. De plus, le tracé proposé permettra le contournement des communes françaises d’Hégenheim et Hésingue, ce qui aura pour conséquence de désengorger des zones de fort trafic. La concertation, en termes d’aménagement du territoire, est équilibrée entre parties françaises et suisses13.
La coordination transfrontalière en termes de transport vise à fluidifier le trafic quel qu’en soit la nature (routier et ferroviaire) mais aussi à développer les conditions de mise en œuvre de solutions de transport durable et des mobilités douces. Ces aspects convergent avec la philosophie mise en œuvre dans la mise en place de projets d’urbanisme transfrontaliers.
Les projets d’urbanisme
Le développement économique de Bâle est en forte croissance depuis plusieurs décennies. Le campus Novartis et la transformation de l’emprise des établissements Roche en sont la manifestation la plus visible14. Ce développement économique a provoqué une forte croissance démographique. Les besoins en logements de standing ne cessent d’augmenter, Bâle attirant de plus en plus un personnel qualifié et à fort pouvoir d’achat. Le parcellaire disponible à Bâle étant limité, les regards se sont donc portés sur ses voisines françaises et allemandes. En 2003, le célèbre cabinet bâlois Herzog & De Meuron livrait sa vision pour le développement urbanistique de l’agglomération15. Cette vision exerça une certaine influence dans la structuration des projets mis en œuvre par la suite.
En 2010, les acteurs politiques de la région, à travers l’ETB, ont mis en œuvre, pour une période de dix ans, l’IBA Basel 2020 (Internationale Bau Austellung) dans la pure tradition allemande16. Le slogan de cette exposition entrait en cohésion parfaite avec la nature transfrontalière de l’agglomération de Bâle : Au-delà des frontières, ensemble – Gemeinsam über Grenzen wachsen. Structure trinationale, ses principaux objectifs étaient les suivants :
- Orienter de manière transfrontalière et à long terme la croissance et l’intégration de la région urbaine ;
- Réaliser des projets transfrontaliers d’excellence, significatifs et apporter une plus-value concrète pour les collectivités territoriales et les porteurs de projet, en soutenant ceux-ci lors de leur développement, des procédures d’autorisation et par le déclenchement d’investissements consécutifs ;
- Améliorer l’efficacité et la visibilité des engagements transfrontaliers en utilisant les relations publiques et en fixant des priorités claires.
- Améliorer le rayonnement international et l’ancrage régional de la région urbaine trinationale.
À l’échelle de l’espace français, les projets de l’IBA Basel 2020 se sont concrétisés par la réalisation de l’extension de la ligne 3 du Tramway de Bâle, de la cité des métiers d’arts et rares à Saint-Louis (Cité Danzas), par la revalorisation des gares et de leurs abords (projets « Gares actives »), la construction de la médiathèque de Sierentz ou encore le projet 3Land.
Le projet 3Land a pour but d’aménager les bords du Rhin en aval de Bâle, à cheval entre les territoires bâlois, français et allemand en un quartier de quatre cent trente hectares mettant en œuvre zones d’habitations de qualité et de services tout en préservant les zones naturelles et en favorisant les mobilités douces sur le fleuve ou le long de son cours17. Sous-projet du projet 3Land, le projet Vis-à-Vis porte en particulier sur l’aménagement d’un quartier fluvial à Huningue, aux pieds de la Passerelle des Trois Pays18. Ce quartier, « Les Jetées » dont la réalisation est en grande partie confiée au cabinet Constructa (Pietri architecture) relie à la fois le centre-ville d’Huningue revalorisé au fleuve et, dans le sens nord-sud, Huningue au centre-ville de Bâle par des voies de mobilité douce. Le quartier sort actuellement de terre19.
Au-delà de la conception de nouvelles zones de vie, l’action de la coopération transfrontalière parvient à mettre l’accent sur la préservation des zones naturelles (la Petite Camargue alsacienne, l’un des poumons verts de l’agglomération dont les mesures de protection s’étendent désormais sur l’Île du Rhin entre Rosenau et Kembs) mais aussi sur la renaturation de zones précédemment anthropisées. Ainsi, le Parc des Carrières, entre Bâle, Allschwyl, Saint-Louis et Hégenheim permet, à travers onze hectares de parc, de renaturer un ensemble plus vaste de trois cents hectares. Lauréat de l’IBA Basel, le parc des Carrières dont l’aménagement se poursuivra jusqu’en 2028, a pour vocation d’être un élément structurant du nord de l’agglomération20.
Ainsi, les fonds d’archives de SLA recèlent les sources historiques essentielles à l’étude de la coopération transfrontalière sous les aspects de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Originalité de ce territoire – et donc de ces sources – le caractère trinational des actions mises en œuvre semble provoquer une forme d’émulation qui permet de surmonter le caractère a priori peu conciliable de trois cultures politiques. Les structures à même de porter ces projets (la formule associative est la plus souvent retenue) semblent en capacité de surmonter les écueils culturels. Cette zone du Rhin supérieur demeure l’une des plus dynamiques et l’une des plus soucieuses de concilier développement urbain et préservation de l’environnement. Les sources produites et reçues par SLA constituent un matériau de choix pour l’étude des dynamiques transfrontalières du Rhin supérieur.