Matérialité d’un espace d’enfermement : le KL Natzweiler, un camp de concentration à 800 mètres d’altitude

DOI : 10.57086/rrs.573

p. 69-98

Résumés

Installé à 800 m d’altitude au cœur du massif des Vosges, le camp de concentration de Natzweiler domine ainsi la vallée de la Bruche. Lieu d’enfermement pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi après-guerre jusqu’à 1949, ce sont presque dix ans d’histoire carcérale qui peuvent être étudiés. Les conditions de vie rigoureuses, liées à sa construction en pleine montagne, opposées au surréalisme de la beauté du paysage reviennent de manière récurrente dans les traces laissées par les déportés (témoignages et artisanat). Espace d’isolement, le site de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof était aussi un espace perméable, un espace d’échange. Station de luge et auberge avant-guerre, puis espace industriel et économique (carrière de granite et ateliers aéronautiques Junkers) à l’époque du camp de concentration, aujourd’hui le site est devenu un espace mémoriel que parcourent près de 250 000 visiteurs tous les ans.

Situated at an altitude of 800 m in the heart of the Vosges mountains, the Natzweiler concentration camp dominates the Bruche valley. A place of confinement during the Second World War, but also after the war until 1949, almost ten years of prison history can be studied. The harsh living conditions associated with its construction in the middle of the mountains, contrasted with the surreal beauty of the landscape, are recurrent in the traces left by the deportees (testimonies and crafts). A place of isolation, the site of the former Natzweiler-Struthof camp was also a permeable space, a place of exchange. A ski resort and hostel before the war, then an industrial and economic area (granite quarry and Junkers aeronautical workshops) at the time of the concentration camp, today the site has become a memorial area visited by almost 250,000 people each year.

Plan

Texte

Installé à 800 m d’altitude, le camp de concentration de Natzweiler1 domine ainsi la vallée de la Bruche, ses industries textiles et carrières (figure 1). Son installation en moyenne montagne dans un lieu de pâturage à vocation agricole et touristique avant-guerre va entraîner de grandes modifications du paysage afin de maintenir l’isolement nécessaire à l’enfermement de déportés.

Avec ses 24 hectares divisés en trois espaces bien distincts (camp bas, camp haut et carrière2), le camp se rapproche typologiquement des camps de Mauthausen (Autriche) et Flossenbürg (Allemagne), dont les surfaces sont également inférieures à 50 ha, bien loin des autres camps de concentration tels que Dachau, Buchenwald ou Sachsenhausen (figure 2). Le choix de l’installation du KL3 Natzweiler en moyenne montagne au cœur du massif des Vosges semble donc avoir un véritable impact sur sa construction, son architecture et son fonctionnement.

Figure 1 : Vue au drone de la carrière dominant la vallée, notamment le village de Neuviller-la-Roche

Figure 1 : Vue au drone de la carrière dominant la vallée, notamment le village de Neuviller-la-Roche

Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2024, Julien Quantin.

Figure 2 : Plan d’ensemble du camp de concentration de Natzweiler

Figure 2 : Plan d’ensemble du camp de concentration de Natzweiler

No 1 : camp haut, no 2 : camp bas, no 3 : carrière.

Juliette Brangé, fond : Lidar HD IGN.

Si le camp de concentration de Natzweiler a fait l’objet de nombreuses études historiques depuis les années 1950 et la mémorialisation du site, celles-ci se sont surtout consacrées à l’établissement d’un historique général du camp, au recueil de la mémoire des déportés français4, aux expérimentations médicales et à l’utilisation de la chambre à gaz5 ; sans oublier le travail majeur de création d’une première base de données regroupant l’ensemble des déportés du camp principal et ses annexes réalisé par l’historien Robert Steegmann6.

À l’heure où les derniers témoins se taisent, il nous faut trouver d’autres types de sources. Depuis 2018, ce sont les premières opérations archéologiques au sein du camp qui permettent un renouveau des problématiques de recherche. Évolution architecturale du camp, modes de construction des bâtiments, échanges entre le camp et l’extérieur, fabrication d’objets artisanaux par les déportés, production économique, et chaîne opératoire du travail forcé sont autant de sujet mis en valeur par les recherches archéologiques actuelles. Pourtant la question suivante déjà posée en 1982 au début de la discipline de l’archéologie médiévale est toujours posée aujourd’hui aux archéologues spécialistes du contemporain : « Pourquoi interroger les archives de la terre quand il y en a tant d’autres qui sont plus facilement accessibles, plus directement aussi et plus sûrement déchiffrables ? »7.

Cet article propose donc d’interroger l’isolement et la perméabilité du camp de Natzweiler, les liens entre intérieur et extérieur de ce site installé en moyenne montagne en surplomb des villages de la Vallée de la Bruche. Un croisement entre archives, histoire orale et archéologie permettra ainsi d’approcher la matérialité de l’enfermement.

Paysage de rêve, paysage sauvage

Nous longeons un paysage de rêve pourtant : la vallée de la Bruche, la forêt des Vosges, épaisse, vert foncé. […] Virages après virages, nous atteignons une nouvelle barrière plus importante. Sur la gauche, quelques petits bâtiments cachés par des arbres et comme une sorte de café auberge de montagne. Tout cela dans l’odeur caractéristique des sapins de juin. Virage à droite ; la route mal empierrée se fait plus étroite. Sur notre gauche, le paysage soudain se dégage. Mon Dieu, que c’est beau, cette énorme vallée avec au fond, le moutonnement successif des Vosges. Mais c’est devant qu’il faut regarder. Devant… c’est tout d’un coup devenu sauvage, vide. Au bout de la route, des baraques8.

Les mots de Robert Sheppard, déporté NN9, illustrent avec justesse ce contraste entre le camp et le paysage environnant celui-ci. L’arrivée au camp de concentration constitue un premier choc pour les déportés : comment peut-on les enfermer dans un lieu si beau, ce « paysage de rêve » décrit par nombre d’entre eux ?

Pourtant, avant-guerre, le lieu-dit du Struthof n’était pas encore associé à l’idée d’enfermement mais bien à celle des vacances. Randonnée, luge, ski, neige, repas convivial sont autant de mots qui reviennent dans les articles de presse entre 1900 et 1940 pour qualifier le Struthof (figure 3). Les coupures de journaux, issues pas uniquement de la presse locale (Le Journal du Club Vosgien ou La République de l’Est) mais également de la presse extrarégionale ou nationale (Le Petit Haut-Marnais ou La Revue du MCF), montrent un attrait pour cette petite station vosgienne, ou bien la volonté de ses propriétaires d’en créer un.

La famille Idoux, propriétaire de la ferme et de l’auberge, tente en effet de développer ses activités touristiques en offrant un lieu de repos et de restauration, mais également un service de location de skis/luges. De nombreux clichés et cartes postales d’époque montrent alors la popularité de cette station. La piste de luge, comprenant de nombreux virages et aménagée en cuvette comme une piste de bobsleigh, est encore visible en partie actuellement, notamment sur le relevé Lidar de la zone. Le prix d’entrée de la piste en 1928 est d’un franc pour les membres du Club Vosgien et de deux francs pour les extérieurs10, soulignant ainsi l’importance du Club Vosgien dans le développement de l’activité de la famille Idoux.

Figure 3 : Sélection d’articles de presse évoquant l’auberge ou la station du Struthof entre 1902 et 1937

Figure 3 : Sélection d’articles de presse évoquant l’auberge ou la station du Struthof entre 1902 et 1937

DAO : Juliette Brangé, documents : Gallica BNF.

Au mois de mai 1941, une bascule s’opère pour le site qui devient alors le lieu d’enfermement des 300 premiers déportés de Natzweiler, arrivés en convois depuis Sachsenhausen :

Comme beaucoup d’autres, je venais avant-guerre dans cette région si hospitalière tant en été qu’en hiver ; le Struthof était la station de sports d’hiver préférée des Strasbourgeois. À cette heureuse époque, je n’aurais jamais cru qu’un jour je reviendrai à cet endroit si familier, en bagnard !11

Robert Sheppard (déporté NN de nationalité anglaise, matricule 1764312), dont la citation introduit cette partie, ne passe que peu de temps dans ce camp. Agent secret britannique du SOE13, il est arrêté à la suite d’un parachutage en France en juin 1942, il sera alors détenu dans divers sites dont la prison de Montluc à Lyon avant de s’évader et être à nouveau arrêté en 1943 pendant une tentative de passage des Pyrénées. Il arrive finalement à Natzweiler en juin 1944 et y sera détenu jusqu’à l’évacuation du camp en septembre 194414.

Son séjour à Natzweiler est court mais semble le marquer profondément, notamment le contraste entre le paysage des Vosges et la dure réalité du camp et de la déportation. Cette tension est perceptible dans de nombreux autres témoignages qui évoquent de manière récurrente la montagne ou la forêt, notamment celui de Pierre Tisseau (déporté politique, français, matricule 14984) :

Le lendemain, le site nous apparut splendide. Nous étions en face du Donon. Dans la vallée, s’étalait Schirmeck où d’autres détenus souffraient aussi. Un calme absolu, un silence religieux s’imposaient à nous : ici, la nature dominait l’homme. Mais celui-ci se vengeait par un souci méticuleux de la symétrie, de l’ordre, par la domestication apparente d’une partie de montagne15.

La montagne n’est pas seulement évoquée dans sa dimension esthétique en opposition au camp, mais également par la neige, le froid, le brouillard en hiver ou la chaleur en été, qui soulignent la dureté des conditions de vie des détenus. Certains évoquent les kommandos de déneigement du camp16, d’autres la souffrance de travailler à la carrière17 ou à la construction de la Kartoffelkeller sous la chaleur des mois d’été de l’année 1943.

Le témoignage n’est pas la seule trace de l’environnement du camp. Les déportés réalisent également des dessins, comme ceux d’Henri Gayot18 (déporté NN, français, matricule 11784) ou bien de Rudolf Naess19 (déporté NN, norvégien, matricule 5264), et même des objets artisanaux, ornés de motifs représentant les montagnes autour du camp. Cinq boîtes, fabriquées à la carrière à partir d’aluminium issu de pièces de moteurs d’avions, ont été gravées par des déportés (voir tableau ci-dessous). On y retrouve à chaque fois une représentation de la vue vers le Nord depuis le camp haut : le Donon, très reconnaissable avec notamment l’antenne sur l’un des sommets (figures 4 et 5). La montagne est donc omniprésente au sein des « traces » laissées par les déportés : textes, dessins, et gravures.

Objet Auteur Thèmes Lieu de conservation
Boîte (aluminium) Peters Frederik et Dauphin Nicolas Montagne – Le Donon – Forêt – Sanatorium de Schirmeck Famille Gross, Grendelbruch
Boîte à cigarettes (aluminium) Peters Frederik ou Hingst Samuel Montagne – Le Donon – Forêt Famille Loux
Boîte à cigarettes (aluminium) Peters Frederik ou Hingst Samuel Montagne – Le Donon – Forêt CERD (CERD.2013.0.176)
Boîte à cigarettes (aluminium) Peters Frederik ou Hingst Samuel Montagne – Le Donon – Forêt CERD (CERD.2013.0.177)
Boîte à cigarettes (aluminium) Peters Frederik Montagne – Le Donon – Forêt CERD (CERD.2013.0.193)

Figure 4 : Décor d’une boîte à cigarette en aluminium, don du déporté Japp von Mesdag (néerlandais, déporté NN, matricule 4415)

Figure 4 : Décor d’une boîte à cigarette en aluminium, don du déporté Japp von Mesdag (néerlandais, déporté NN, matricule 4415)

Photo Juliette Brangé, coll. CERD, OnaCVG – CERD.2013.0.177.

Figure 5 : Décor d’une boîte en aluminium, fabriquée par les déportés Peters Frederik (néerlandais, déporté NN, matricule 5603) et Nicolas Dauphin (luxembourgeois, déporté politique, matricule 7088), offerte au travailleur civil Joseph Stadler

Figure 5 : Décor d’une boîte en aluminium, fabriquée par les déportés Peters Frederik (néerlandais, déporté NN, matricule 5603) et Nicolas Dauphin (luxembourgeois, déporté politique, matricule 7088), offerte au travailleur civil Joseph Stadler

Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

« Domestiquer la montagne », matérialité de l’enfermement

La prison peut se définir selon le sociologue Erving Goffman comme une « institution totale », c’est-à-dire : « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées »20. Un camp de concentration comme la plupart des autres espaces carcéraux se caractérise en partie par son architecture marquant la matérialité de l’enfermement, notamment via la clôture (barbelés), les portes (le portail du camp réglementant entrées et sorties), les aménagements pour la garde (chemin de ronde, miradors, projecteurs) et les ensembles de vie collective pour les détenus (baraques avec leurs dortoirs, sanitaires et espace repas)21. Chaque camp et même chaque espace d’internement reprend ainsi ces grands principes architecturaux22.

Afin d’installer un lieu d’enfermement dans la montagne vosgienne, il convient, pour reprendre les mots du déporté Pierre Tisseau, de la « domestiquer ». Les baraques ne peuvent simplement être installées dans cette pente à 20 %. Il faut d’abord créer des accès routiers, des réseaux hydrauliques et électriques et des terrasses planes.

Les premiers déportés vont être affectés au kommando Strassenbau, qui terrasse et empierre la route. Celle-ci représente une longueur totale de près de 7 km : 5 km entre la maison forestière et le camp haut, 800 m entre le camp haut et l’entrée de la carrière et 600 m pour l’accès des civils à la carrière. En effet, le terrain choisi pour l’implantation du camp est totalement dépourvu de routes permettant de faire monter des camions depuis Rothau. Seuls existent déjà quelques chemins reliant la ferme auberge Idoux et la villa Ehret. L’ensemble de ces routes carrossables sont construites de cette manière : le sol est aplani, puis recouvert d’un hérisson de gros blocs de granite provenant de la carrière du camp, puis de petits éclats et enfin de sable23. En octobre 1941, un rapport interne du camp indique que « la route de montagne ainsi que la route de la vallée sont presque achevées ». Ce n’est que le 24 décembre 1941 que ces routes d’accès sont enfin ouvertes à la circulation24.

Au cours des années 1942-1943, les déportés vont ensuite être affectés à divers Kommandos25 selon les registres de la SS Bauleitung26 :

  • Böschungsbau : aménagement de talus,
  • Dachdecker : couvreur,
  • Elektriker : électricien,
  • Maurer : maçon,
  • Planierungskolonne : terrassement,
  • Rohrleger : plombier,
  • Transportkolonne : les déportés apportent les matériaux nécessaires sur leur dos par la route reliant le camp bas au camp haut sur une distance d’environ 700 m,
  • Zimmerer : charpentier, etc.

Nombreux sont les détenus affectés aux travaux de terrassement. Le nombre de déportés affectés à ce kommando est très variable selon les périodes. Ils sont par exemple 70 le 28 janvier 1943 à terrasser l’emplacement de la baraque 7 dans le camp haut, 100 le 2 février 1943 au niveau d’une route d’accès ou bien 89 le 21 février 1943 à l’emplacement des places d’appel27. L’ensemble de l’architecture doit en effet s’adapter à la montagne et notamment à sa forte pente. Des terrasses sont installées à partir de remblais afin de pouvoir construire les baraques. Ces niveaux de remblais sont visibles au sein de sondages archéologiques dans le camp et à la carrière28. Des pieux en bois sont également installés afin de maintenir les terrasses. Par exemple, on note dans les registres de la SS Bauleitung, l’installation de pieux en février 1943 pour les terrasses des baraques 7 et 14 du camp haut29.

À la différence d’autres camps, l’ensemble de l’architecture est en bois. On ne trouve pas d’architecture monumentale en pierres comme à Flossenbürg ou Mauthausen, à Natzweiler même le portail est minimaliste, en bois et barbelés à deux battants. S’agit-il d’une volonté architecturale ou d’une réponse aux conditions liées à la construction en altitude, rien n’est sûr. Les miradors du camp haut sont tous de modèles différents, petits et trapus en haut de pente (deux étages), et en forme de plus haute tour en bas de pente (trois étages) (figures 6a et 6b). Contrairement à ceux de Flossenbürg, construits entièrement en granite gris provenant de la carrière du camp, ceux de Natzweiler sont de simples structures en bois sur quatre poteaux. D’abord complètement ouverts laissant visible le système de décharges en croix de Saint-André, la partie inférieure des miradors est fermée avec des bardages à la fin de l’année 1942. Les miradors font ensuite régulièrement l’objet de travaux (installation de poêles et cheminées en janvier-février 1943, installation d’escaliers intérieurs et de projecteurs extérieurs en avril 1943, et finalement peinture en juin 194330) mais ne feront pas l’objet de changements structurels importants ou de monumentalisation. Les balcons de tir, orientés vers l’intérieur du camp, ne seront quant à eux fermés qu’après-guerre pendant la période du centre pénitentiaire.

Autre exemple, la forge, bâtiment monumental de 40 m sur 12 m au sein de la carrière, ne comporte qu’un rez-de-chaussée sur la moitié de sa longueur. Installée sur un espace en légère pente, elle a été conçue de manière à s’adapter à la forme du terrain : elle comprend deux niveaux du côté nord-ouest et seulement un seul du côté sud-est (figure 6c).

Figure 6a : Mirador 2 installé en haut de pente, 1976

Figure 6a : Mirador 2 installé en haut de pente, 1976

CERD, ONaCVG.

Figure 6b : Mirador 5 installé en bas de pente, 1976

Figure 6b : Mirador 5 installé en bas de pente, 1976

CERD, ONaCVG.

Figure 6c : Fouille en cours au premier étage de la forge côté nord-ouest

Figure 6c : Fouille en cours au premier étage de la forge côté nord-ouest

Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2023, Julien Quantin.

Du granite rose pour construire l’Allemagne nationale-socialiste

The founding of the granite work Rotau was as far as I know originated by the General Building Inspectorate at the end of 1940. On an inspection journey in Alsace SPEER had observed the wonderful red granite which is found there, and he now wanted it in large quantities to be used for the huge buildings projects because the general impression of such huge buildings would be too colourless if only grey granite and similar shades were used31.

Les mots de Karl Blumberg32, SS Standartenführer et directeur de la carrière de Natzweiler pour la DESt (Deutsche Erd- und Steinwerke)33, permettent d’appréhender le processus de création de cette carrière. À l’origine, celle-ci ne devait pas être installée aussi haut dans la montagne mais bien plus proche de la commune de Natzwiller. Cependant, la prospection réalisée par K. Blumberg avec une équipe de plusieurs centaines de civils locaux réquisitionnés via l’Arbeitsamt montre que « seul le cône supérieur de la montagne contenait le granit recherché »34, ce qui nécessite des travaux importants pour la construction des routes mentionnées plus tôt dans cet article.

Avec l’ouverture de la carrière, la montagne devient un espace économique et industriel, et pas seulement un espace d’enfermement. La DESt, pour laquelle travaille K. Blumberg, était une entreprise spécialisée dans l’exploitation de carrières, l’extraction de pierres, la production de briques et de clinkers et la construction de routes. Créée à Berlin le 29 avril 1938 par deux proches de Oswald Pohl et Heinrich Himmler, elle va s’implanter dans différents camps de concentration : Mauthausen, Sachsenhausen, Flossenbürg, Natzweiler, Neuengamme, etc.35. Elle contribue à la production de matériaux de construction pour le programme monumental de rénovation et d’embellissement des villes allemandes confié à Albert Speer.

Un véritable complexe industriel va donc être créé en amont du site qui deviendra par la suite le camp de concentration de Natzweiler. Des travaux considérables sont entrepris : forages et prospections pour 100 000 RM afin de choisir l’emplacement, constructions des routes pour 800 000 RM36, construction de bâtiments (deux baraques, deux poudrières, un compresseur, et un concasseur) et installation d’une grue par la firme Demag37. Ces premiers travaux sont majoritairement réalisés par des travailleurs civils, vivant dans des villages à proximité du camp.

Les déportés arrivent quant à eux dans la carrière à partir de mars 1942. D’abord au nombre de 300 environ, leur effectif va s’accroître progressivement pour atteindre 500 en mai 1943, 900 en juillet 1943 et jusqu’à 1 100 en mars 194438. Les civils sont quant à eux 180 environ d’octobre 1941 à mai 1942, puis leur nombre chute et se stabilise autour de 80. Le déclin du nombre de civils dans la carrière coïncide avec l’arrivée des déportés.

Les chiffres d’extraction du granite à Natzweiler entre juin 1942 et décembre 1942 révèlent une production beaucoup plus importante de graviers concassés (Wegebau und Wasserbaustoffe) que de blocs (Werksteine), ce qui laisse ainsi planer le doute sur la qualité de la production39. Pourtant le volume total compris entre 285 m3 pour le mois de juin 1942 et 953 m3 pour le mois de septembre 1942, est assez proche du volume produit par la carrière du camp de Flossenbürg (entre 350 m3 et 1 095 m3 entre juin et décembre 1942).

Finalement la DESt de Natzweiler semble bien avoir réussi à vendre sa production, notamment grâce à des échanges économiques avec des clients extérieurs. Des brouillons de bilans comptables de la DESt nous permettent d’établir une carte de répartition de ses clients pour la vente de granite et la réalisation de prestations autres telles que le démontage de moteurs d’avions pour Junkers (figure 7). On observe ainsi que le plus gros créancier est le Zweckverband de Nuremberg. Le granite vendu est donc en partie destiné aux constructions monumentales de Nuremberg (Reichsparteitagsgelände).

Figure 7 : Carte de répartition des clients de la DESt Rothau, et montant de leur créance en RM

Figure 7 : Carte de répartition des clients de la DESt Rothau, et montant de leur créance en RM

DAO : Juliette Brangé, d’après BAB NS3 1225.

Un espace aéronautique en pleine montagne, une idée incongrue ?

À la fin de l’année 1942, la DESt subit une mutation économique et doit réorienter sa production afin de contribuer à l’effort de guerre. À cette période, le conflit s’intensifie et l’industrie de guerre est confiée au ministre de l’Armement, Albert Speer. La carrière de Natzweiler est alors reconvertie dans les activités aéronautiques ; des ateliers de démontage de moteurs d’avion pour l’usine Junkers de Strasbourg y sont installés. Les moteurs d’avions abattus sont acheminés par voie ferroviaire jusqu’à la gare de Rothau, puis sont amenés en camions jusqu’au site de la carrière. Les pièces réutilisables sont alors expédiées à l’Elmag-Lager à Strasbourg, probablement un magasin de stockage (Elmag Elsässische Maschinenbau GmbH)40.

L’analyse des photographies contemporaines de l’utilisation de la carrière pour le démontage de moteurs de la société Junkers permet d’identifier le type de moteurs qui était acheminé sur le site. Le modèle de moteur correspond donc au moteur Jumo 211. Ce type était notamment utilisé pour les Junkers Ju 88 (bombardier), les Junkers Ju 52 (transport) et les Junkers Ju 87 (ou « Stuka », bombardier).

Un dépotoir, lieu de rejet des déchets de cette activité de démontages de moteurs d’avions, a été découvert en contrebas de la carrière lors de la fouille archéologique de 202341. Concentrant des centaines de pièces de moteurs (plus de 500 pièces42), il permet de renseigner l’activité exercée par les déportés. Grâce aux manuels techniques du moteur Jumo 21143, de nombreuses pièces en lien avec le bloc moteur, les commandes ou la gestion des fluides moteurs ont ainsi pu être identifiées. Enfin, on peut également citer la découverte de pièces au niveau des halles (atelier de démontage des moteurs) dont notamment une plaque d’identification de moteur, comportant le logo Junkers et des crochets de levage permettant la manutention des moteurs (figure 8).

Figure 8 : Crochets de levage des moteurs d’avions Jumo 211

Figure 8 : Crochets de levage des moteurs d’avions Jumo 211

Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2023, DAO : Julia Zimmermann.

Mais qui sont les déportés qui furent affectés au travail forcé dans cet espace industriel ? Les archives du camp de Natzweiler ne recèlent aucune liste de noms ou matricules des déportés affectés au kommando Steinbruch puis Junkers. En recoupant différentes archives (notamment les PV du procès de Metz contre les gardiens de Natzweiler44), il est possible de dresser une première liste de 750 noms environ. Cette liste non exhaustive à ce jour, permet néanmoins de constater l’absence totale de déportés français travaillant dans la carrière. Ce sont majoritairement des déportés de nationalité allemande, luxembourgeoise, soviétique, néerlandaise ou norvégienne qui font partie du kommando. Faire l’histoire matérielle de la carrière permet donc également de restituer des parcours de déportés dont on parlait peu jusqu’à aujourd’hui. C’est le cas notamment des déportés soviétiques, deuxième nationalité la plus importante du camp de Natzweiler, mais qui sont peu étudiés dans les publications scientifiques et peu représentés dans les expositions. Ces déportés ont été largement invisibilisés dans notre mémoire collective, au profit des parcours des déportés français Nacht und Nebel. Le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler étant aujourd’hui sur le territoire français, a en effet été le catalyseur de la mémoire des déportés français, qui ont participé à la création de l’espace mémoriel dans les années 1950-1960 (notamment du premier musée et de la flamme-mémorial) mais également aux premières cérémonies.

Un objet, découvert lors de la fouille 2024 de la carrière, permet d’évoquer le parcours d’un de ces déportés soviétiques. Découverte aussi exceptionnelle qu’émouvante, il s’agit d’une plaque d’aluminium gravée d’un matricule, retrouvée avec une boucle de ceinture ainsi que d’autres chutes de métal dans un sondage au niveau d’une halle de démontage de moteurs d’avions (figure 9). Si cet objet témoigne d’un artisanat de guerre documenté par ailleurs, il est bien plus rare de pouvoir relier un artefact à un individu. Les recherches en archives ont permis de rattacher le numéro 1516 à un déporté politique nommé Iwan Gorgola, né en 1924 dans une région située en Ukraine de nos jours et arrivé le 28 octobre 1942 à Natzweiler. Évacué dans les derniers convois à quitter le camp, il est transféré à Dachau le 21 septembre 1944. On perd ensuite sa trace et on ne peut reconstituer pour l’instant la suite de son parcours.

Figure 9 : Boucle de ceinture et plaque d’identité artisanale, fabriquées dans des pièces de moteurs d’avions en aluminium

Figure 9 : Boucle de ceinture et plaque d’identité artisanale, fabriquées dans des pièces de moteurs d’avions en aluminium

Fouille programmée 2024 (Juliette Brangé)

« Parce qu’on savait, on voyait bien les choses qui montaient »45

Le lien entre le camp de concentration et les civils de la vallée a toujours été difficile à étudier. Invariablement les témoins disent qu’ils ne savaient rien, qu’ils n’avaient pas le droit de monter au camp. Pourtant ce sont près de 200 civils qui sont montés à la carrière pour y travailler : « y’avait des civils, des gens du village qui travaillaient là-haut »46. Sujet tabou ? Peur de l’accusation de collaboration ? Ces civils ont en tout cas très peu témoigné après-guerre. Certains ont été entendus comme témoins dans le cadre du procès de Metz contre les gardiens de Natzweiler47, mais rares sont ceux à avoir raconté leur passage à la carrière du camp à leur famille. Aucun n’a écrit ses mémoires, contrairement aux déportés.

Il est donc très difficile de restituer le parcours de ces travailleurs civils. Ils sont pourtant d’une importance majeure car ils font partie des rares personnes qui peuvent librement entrer et sortir du camp. Ils font partie de ce qui rompt l’isolement du camp. De la même manière que pour les déportés, nous ne disposons d’aucune liste de noms de ces travailleurs civils. Le croisement de divers témoignages de déportés, mais aussi des descendants de ces civils ont permis de reconstituer aujourd’hui une liste de 74 noms. Écouter les témoignages des descendants de ces civils, est l’un des seuls moyens de reconstituer leur histoire. Un appel à témoignage lancé en partenariat avec le CERD a permis de rencontrer une dizaine de familles48.

Ces noms permettent de reconstituer une carte de répartition des travailleurs civils en fonction de leur commune de résidence (figure 10). Ils habitent presque exclusivement au sein de la vallée de la Bruche, seuls deux d’entre eux proviennent de Krautergersheim (à proximité d’Obernai). Ces deux derniers (Christ Joseph et Stoeffler Joseph49) étaient d’ailleurs logés à Rothau la semaine, et ne rentraient chez eux que le week-end. Une majorité (23) sont des habitants de Natzwiller, soit la commune où s’installe le camp. Les communes de Rothau et La Broque sont aussi très représentées. Les civils proviennent donc des communes des environs proches du camp.

Tailleurs de pierre, maçon, ouvriers dans des filatures, la plupart d’entre eux se retrouvent à la carrière de Natzweiler après avoir déclaré leur statut de chômeur à l’Arbeitsamt de Schirmeck. Il ne s’agit pas au sens propre de travail forcé, mais il ne semble pas non plus qu’ils aient eu le choix. Étant au chômage, un nouveau poste en lien avec leurs compétences techniques et leur carrière professionnelle leur est donné par l’Arbeitsamt de Schirmeck. Maçons, carriers, forgerons, se trouvent donc dirigés vers la carrière de la DESt. Les civils ne se portent pas volontaires pour y travailler, ni ne répondent à une offre d’emploi.

Figure 10 : Carte de répartition des travailleurs civils de la carrière par leur commune de résidence pendant la Seconde Guerre mondiale

Figure 10 : Carte de répartition des travailleurs civils de la carrière par leur commune de résidence pendant la Seconde Guerre mondiale

DAO : Juliette Brangé

Joseph Stadler, né le 24 novembre 1890 à Grendelbruch, est le contre-maître civil de la carrière de Natzweiler (figure 11). Marié à Thérèse Metzger, il a trois enfants : Raymond, Marie-Thérèse et Angèle. Avant-guerre il exerce divers métiers. Il est employé comme maçon pour la construction de l’église en béton d’Ancerviller (Meurthe-et-Moselle). Il est également successivement carrier à Russ-Schwarzbach, Klingenthal et Hersbach, jusqu’à la faillite de la carrière Wenger-Petit en 1940. Après avoir été déclaré son statut de chômeur à l’Arbeitsamt de Schirmeck, il est envoyé comme contre-maître à la DESt. Il travaille donc à la carrière de Natzweiler de septembre 1940 à novembre 194450.

Figure 11 : Portrait de Joseph Stadler pendant la Première Guerre mondiale

Figure 11 : Portrait de Joseph Stadler pendant la Première Guerre mondiale

Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

Figure 12 : Carnet de Joseph Stadler avec adresses de déportés ayant travaillé avec lui à la carrière

Figure 12 : Carnet de Joseph Stadler avec adresses de déportés ayant travaillé avec lui à la carrière

Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

Le cas de Joseph Stadler, illustre les contacts qu’ont pu nouer déportés et travailleurs civils. Dans les affaires de J. Stadler, on trouve un petit carnet constellé de diverses écritures : des noms et adresses d’une dizaine de déportés et de deux gardiens SS (figure 12). Parmi ces noms figurent ceux de Frederik Peters (matricule 5603) et Nicolas Dauphin (matricule 7088), qui ont réalisé la boîte en aluminium gravé, évoqué plus tôt dans cet article. On retrouve également le nom de Bernsen Peter-Paul, déporté allemand, témoin de Jéhovah (matricule 555). Forgeron, originaire d’Hinsfeld en Allemagne, il survit à la déportation et se rend régulièrement à Grendelbruch après-guerre pour passer du temps chez Joseph Stadler qui est devenu son ami. Des photos de famille les montrent tous les deux à Grendelbruch jusqu’au décès de Joseph en 198451.

Objets artisanaux (en granite rose de la carrière ou bien en aluminium ou bois lamellé-collé issus des ateliers aéronautiques), carnets, lettres, photographies, de nombreux objets conservés par les descendants des travailleurs civils montrent leurs liens et échanges avec les déportés. Contraints de travailler à la carrière, ils font partie des rares personnes ayant été autorisées à pénétrer dans l’espace interdit, le lieu d’isolement.

Camp d’internement administratif (novembre 1944-novembre 1945) et centre pénitentiaire (novembre 1945-1949) : le maintien d’un espace d’enfermement

Alors que déportés et travailleurs civils viennent seulement de quitter le camp depuis quelques semaines, le site rouvre très rapidement ses portes, le 27 novembre 1944, pour y enfermer des civils allemands, des Alsaciens accusés (mais non jugés) de collaboration ou des miliciens faits prisonniers par les Alliés. Ces personnes sont enfermées par décision administrative, car jugées comme dangereuses pour la sécurité nationale et publique. Le camp du Struthof52, comme tous les autres camps d’internement administratif du territoire français, est placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur53.

Les internés sont affectés à diverses corvées pendant leur détention. On peut distinguer plusieurs types de corvées54 :

  • corvées de fonctionnement et d’entretien du camp d’internement. Exemple : réfection de l’infirmerie ou corvée bouchant les trous d’ordures ;
  • corvées à vocation économique. Exemple : tailleurs de pierre à la carrière pour la DESt(sous séquestre) ou corvée à la pépinière de Barembach ;
  • corvées pour les gardiens.

Les corvées à vocation économique permettent au camp d’internement d’occuper les détenus (et détenues)55 tout en faisant payer à des entreprises extérieures le travail de la main d’œuvre56. Les gardiens peuvent également embaucher cette main d’œuvre afin de leur faire réaliser des corvées à leur domicile. On observe ainsi un système économique semblable à celui de la période concentrationnaire, alors que le travail des déportés à la carrière était facturé à la DESt. Le camp d’internement du Struthof reste donc espace d’enfermement mais aussi espace économique donc espace d’échanges vers l’extérieur.

Le camp d’internement administratif est reconverti en centre pénitentiaire en novembre 1945. Alors qu’hommes et femmes étaient présents dans le camp d’internement (mais dans des quartiers délimités et séparés) jusqu’alors, la prise en main du camp par le ministère de la Justice va conduire à la séparation des femmes, conduites au camp de La Broque-Schirmeck, et des hommes, internés au centre pénitentiaire du Struthof57.

Le centre pénitentiaire du Struthof remplit une mission spécifique : rééduquer les jeunes adultes condamnés à de longues peines suite à leur collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale (par exemple : engagement volontaire dans la Milice française). On peut citer le cas d’Alphonse Faudet. Maraîcher dans le Calvados à Bretteville, il est accusé de trahison et condamné à dix ans de travaux forcés, dix ans d’interdiction de séjour et à la dégradation nationale à vie, le 9 octobre 1946 par la Cour de Justice de Caen. La fin de sa peine est donc prévue pour le 11 décembre 195658.

Ces jeunes devaient recevoir une nouvelle éducation permettant plus tard peut-être leur réinsertion. Les prisonniers reçoivent alors des enseignements généraux ou sont formés à l’apprentissage de métiers manuels. L’emploi du temps des détenus s’organise de la manière suivante : « Il est réparti entre culture physique, instruction militaire, conférences (5 jours sur 10) et travail (5 jours sur 10). Il faut y ajouter les représentations artistiques montées et jouées par les détenus, les loisirs de la salle de lecture, le scoutisme »59.

Le projet de mise en place d’une école professionnelle émerge quant à lui dans le courant du mois de mars 194660. L’administration est alors en attente de la levée du séquestre sur la carrière61. En septembre 1947, 130 internés sont inscrits aux enseignements généraux et 326 internés travaillent dans les ateliers d’apprentissage de la carrière62 :

  • service d’entretien : 23 internés,
  • menuiserie : 72 internés,
  • mécanique générale : 70 internés,
  • ordonnerie : 70 internés,
  • bâtiment : 46 internés,
  • forge-serrurerie : 30 internés,
  • métaux en feuille : 15 internés.

Des traces archéologiques de cette formation professionnelle subsistent encore dans la carrière. Quatre couteaux ou ébauches de couteaux ont été découverts au sein du bâtiment forge lors de la fouille à l’été 2024. Ces lames irrégulières semblent être le fruit d’un travail artisanal et ne pas avoir été terminées. Ceci semble concorder avec l’atelier d’apprentissage de la forge du centre pénitentiaire. Des fragments et chutes de cuir synthétique, découverts dans les halles, pourraient également être en lien avec l’atelier de cordonnerie pour les détenus63.

Contrairement aux déportés du camp de concentration et aux détenus (et détenues) du camp d’internement administratif, les jeunes adultes internés ne travaillent ni à l’extérieur ni pour des entreprises privées. Les bâtiments industriels et de la carrière sont utilisés comme lieu d’apprentissage et de formation dans l’espoir de réinsérer plus tard ces détenus dans la société civile par le travail. Cet espace est ouvert sur l’extérieur et sur l’après…

Du « trou de mémoire » au tourisme de mémoire

Après la fermeture du centre pénitentiaire en janvier 1949, une lente transformation du site vers un espace mémoriel va s’opérer. L’enjeu, au début des années 1950, n’est alors pas de conserver l’ensemble des vestiges comme sur un site patrimonial mais plutôt de créer un espace de souvenir et de recueillement en mémoire des déportés.

« Il sera procédé le 13 mai 1950 à 10 heures, au camp du Struthof, à la vente publique aux enchères verbales de 6 grandes baraques (en 6 lots) »64. Des archives conservées au sein de la mairie de Natzwiller permettent de retrouver certains des acheteurs de ces baraques ou éléments de baraques. On trouve ainsi des noms familiers, des noms de la vallée. Parmi eux, des anciens travailleurs civils de la carrière du camp. Steiner Bernard achète ainsi une porte et une fenêtre. Jardiné Joseph et Steiner Léopold achètent quant à eux un stock de vieilles planches. Les vestiges du camp deviennent des objets utilitaires et sont répartis chez des particuliers ou dans des entreprises. Le toit de la forge (40 m sur 12 m) est vendu à une filature de La Claquette65. Aujourd’hui, la filature a fermé ses portes et la charpente en bois, objet archéologique et mémoriel, s’effondre peu à peu… (figure 13).

Figure 13 : Vestiges de la charpente de la forge au sein d’une filature de La Claquette

Figure 13 : Vestiges de la charpente de la forge au sein d’une filature de La Claquette

Juliette Brangé.

Le camp devient depuis le début des années 1950 l’objet d’une politique mémorielle et de protection des bâtiments mais certains lieux sont, dans le même temps, complètement oubliés. La chambre à gaz est classée dès mars 1947 à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. S’ensuit une longue série d’inscription et classement66 avant le classement de l’ensemble du périmètre du camp en 2011. Le 23 juillet 1960, le Général de Gaulle inaugure le mémorial, sculpté avec l’image d’un déporté émacié par Lucien Feugniaux.

On observe une double dynamique, processus de mémorialisation et processus d’oubli. Alors que des espaces sont créés afin d’accueillir le public au niveau du camp haut67, la carrière est recouverte peu à peu par la végétation et disparaît des mémoires. Ce n’est que la mise en place d’un programme de recherche archéologique depuis 2020 qui permettra de mettre à jour les vestiges de la carrière, encore aujourd’hui propriété de la commune de Natzwiller68.

Les visiteurs du camp bas s’y rendent pour voir la chambre à gaz, mais ne se doutent pas que juste en face, de l’autre côté de la route dans une petite friche, gisent les vestiges des baraques garages, ateliers, stockages et bureau de la SS. Enfouie sous la terre et la mousse, les vestiges sont à ce jour protégés par la nature mais la parcelle appartient toujours à un propriétaire particulier et non pas à l’ONaCVG (Office national des combattants et victimes de guerre)69.

Finalement ce sont aujourd’hui près de 250 000 visiteurs70 (surtout des scolaires français et allemands) qui parcourent le site de l’ancien camp tous les ans. Un nombre important, qui a également un impact sur le site et ses vestiges. Lors des fouilles au sein de la carrière, un protocole de tri du mobilier découvert a été mis en place. La démarche est rendue nécessaire en partie à cause des nombreux déchets et objets laissés par les visiteurs et campeurs depuis les années 1950. La construction de la mémoire et le « tourisme de mémoire » ont donc un véritable impact sur le site et son environnement montagnard.

Négatifs de polaroïd, appareil photo argentique, canette de bière, capsule, pot de yaourt, médiator de guitare, ballon pour enfant, biberon, conserves alimentaires sont autant d’objets qui ont été trouvés lors des fouilles archéologiques de la carrière. Afin d’en estimer l’importance (pollution archéologique et environnemental), ils ont été pris en photo avant d’être jetés (figure 14). Ils permettent de faire l’archéologie de notre société actuelle, de la production industrielle en série avec notamment ses déchets plastiques. On peut rapprocher cette démarche de celle des archéologues américains concernant la Garbage Archaeology71, l’archéologie de nos poubelles contemporaines.

Toutefois les touristes ne sont pas les seuls à laisser des déchets dans la carrière. On retrouve également les traces des manœuvres et cérémonies de militaires français dans les années 1960 à 1980. Leurs rations militaires usagées jetées dans des petites fosses poubelles, ou leurs feux de camps sont autant de traces de leur passage et sont visibles archéologiquement. Elles ont été fouillées méthodologiquement comme des structures plus anciennes et permettent à nouveau d’évoquer l’impact de la mémorialisation du site72.

Figure 14 : Panel d’objets perdus ou jetés par des touristes depuis les années 1950 sur le site de la carrière de Natzweiler et découverts en fouille

Figure 14 : Panel d’objets perdus ou jetés par des touristes depuis les années 1950 sur le site de la carrière de Natzweiler et découverts en fouille

DAO : Juliette Brangé.

Conclusion : renouer avec les habitants de la vallée

Le site de Natzweiler-Struthof accueille successivement trois espaces d’enfermement : camp de concentration, puis camp d’internement administratif et enfin centre pénitentiaire. Pourtant ce site n’est pas seulement un espace d’isolement mais aussi un espace perméable, ayant eu une vocation économique. L’isolement du camp de concentration n’est jamais total malgré sa situation en altitude, au milieu des pâturages. Il faut construire le camp, l’approvisionner en vivres et matériaux et faire circuler camions et civils pour la production industrielle de la carrière.

Le camp de Natzweiler a longtemps été considéré par les Alsaciens comme ne faisant pas partie de leur histoire, ceux-ci préférant évoquer la mémoire des détenus alsaciens du camp de sûreté de Vorbrück-Schirmeck. Pourtant nombreux sont les civils ayant dû travailler à la construction des infrastructures du camp (notamment les routes) et aux activités économiques de la carrière. Après-guerre, peu d’entre eux ont évoqué ce passage de leur vie ou seulement à demi-mots, alors même que certains des civils entretiennent toujours des relations avec les déportés qui continuent de leur rendre visite les étés au sein de la vallée de la Bruche (figure 15). Peur d’être accusé de collaboration par leur famille et entourage ? Volonté d’oublier ce passage de leur vie ? Il est désormais trop tard pour pouvoir les questionner, la plupart d’entre eux étant nés au début des années 1900 et donc aujourd’hui décédés.

Figure 15 : Joseph Stadler, travailleur civil, et Peter Bernsen, déporté allemand (témoin de Jéhovah) en octobre 1982 à Grendelbruch dans la maison familiale de J. Stadler

Figure 15 : Joseph Stadler, travailleur civil, et Peter Bernsen, déporté allemand (témoin de Jéhovah) en octobre 1982 à Grendelbruch dans la maison familiale de J. Stadler

Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

Le processus de mémorialisation ou « Remembrance » de certains sites et notamment des camps a longuement été étudié par certains historiens, notamment Pierre Nora73 et Henry Rousso :

La mémoire se comprend […] comme un ensemble de discours, d’attentes, de revendications, de pratiques, de politiques, de réalisations ayant pour objectif de représenter le passé en général, et certains épisodes historiques en particulier. On parlera à ce sujet de « mémorialisation », un anglicisme qui signifie une « mise en mémoire » comme on dit une « mise en récit »74.

 

La mémorialisation d’un site est donc la traduction d’un choix d’épisodes ou d’acteurs historiques à mettre en valeur. Ici la mise en récit du camp de Natzweiler s’est construite majoritairement autour de la mémoire de la résistance et des déportés français, occultant les déportés non français mais également la mémoire locale. Pourtant on constate encore aujourd’hui que le camp a exercé une réelle influence sur la vie des habitants de la vallée. De nombreuses familles des communes de Natzwiller, Rothau, Schirmeck, ou bien Grendelbruch sont les descendantes des civils ayant dû travailler à la carrière, ou bien des gardiens des deux espaces carcéraux d’après-guerre. Il est temps de travailler et de faire surgir cette mémoire, d’écouter, et d’enregistrer afin de mieux appréhender ce lien entre espace d’enfermement et l’extérieur.

Le camp, espace mémoriel depuis le début des années 1950, est également un important employeur de gardiens puis de guides. Autrefois bassin industriel avec ses filatures et carrières, la vallée de la Bruche n’est aujourd’hui plus aussi florissante économiquement. Les installations mémorielles telles que le CERD et le Mémorial d’Alsace-Moselle, sont devenus des employeurs importants, signe d’une reconversion de cette ancienne vallée industrielle vers le tourisme. Certains guides du CERD s’inscrivent ainsi dans une lignée de personnel du site, parfois depuis quatre générations75, du travailleur civil au guide actuel. Aujourd’hui encore les évènements au sein de l’ancien camp de concentration (cérémonies, visites guidées, voyages de scolaires, chantier de fouilles archéologiques et autres) rythment la vie de la vallée et de ses habitants.

Notes

1 L’autrice utilisera dans cet article la dénomination de « Natzweiler » ou « KL Natzweiler » concernant le camp de concentration ; de « Struthof » concernant le lieu-dit avant-guerre ou bien les camps postérieurs à la Seconde Guerre mondiale : camp d’internement administratif et centre pénitentiaire ; et de « Natzweiler-Struthof » pour l’ensemble du site, toutes périodes confondues. En effet, utiliser le nom de « Struthof » pour le camp de concentration est un abus de langage, celui-ci étant toujours désigné par Natzweiler par la SS au sein des archives du camp. Retour au texte

2 Camp bas = « premier camp » installé en 1941 à l’arrivée des premiers convois de déportés au niveau des bâtiments préexistants avant-guerre (auberges et fermes). C’est également l’emplacement de la chambre à gaz. / Camp haut = espace principal du camp, construit à partir de 1942 par les déportés. Espace de détention des déportés (baraques dortoirs), mais aussi emplacement du crématoire, des cellules d’isolement, de l’administration SS et des dortoirs des gardiens. Emplacement actuel du CERD (Centre européen du résistant déporté). / Carrière = espace de production économique et de travail forcé (extraction de granite et ateliers aéronautiques Junkers). Retour au texte

3 Konzentrationslager = camp de concentration. Retour au texte

4 Jean Simon, Josette Brunissen, Christian Cuny, Roger Godié, Pierre Hutt, Paul Loison, Jean-Paul Marchris, Pierre Moll, Bernard Schnell, Le camp de concentration du Struthof, Konzentrationslager Natzweiler : témoignages, Schirmeck, L’Essor, 1998, vol. III. Retour au texte

5 Christian Bonah, Sandrine Gaume, Hans-Joachim Lang, Loïc Lutz, Gabriele Moser, Florian Schmaltz, La médecine nazie contre l’humanité : expérimentations médicales au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, Paris, Tallandier, 2024 ; Raphaël Toledano, Les expériences médicales du professeur Eugen Haagen de la Reichsuniversität Strassburg : faits, contexte et procès d’un médecin national-socialiste, thèse de doctorat de médecine, Strasbourg, 2010. Retour au texte

6 Robert Steegmann, Struthof : Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin, 1941-1945, Strasbourg, Nuée bleue, 2005. Retour au texte

7 Jean-Marie Pesez, « Archéologues et historiens », Mélanges d’archéologie et d’histoire médiévales en l’honneur du doyen Michel de Boüard, Genève, Droz, 1982, p. 296. Retour au texte

8 Bob Sheppard, Missions secrètes et déportation 1939-1945 : les roses de Picardie, Paris, Heimdal, 1998, p. 392-394. Retour au texte

9 Nacht und Nebel. Retour au texte

10 Gallica BNF, Le Journal du Club Vosgien, 1er janvier 1928. Retour au texte

11 Aimé Spitz, Struthof, bagne nazi en Alsace – Mémoires du déporté résistant « N.N. » 4596, Raon-l’Etape, Fetzer, 1970, p. 7. Retour au texte

12 Archives Bad Arolsen [ABA], 3231369 et 3231370, Documents concernant Robert Sheppard à Natzweiler, 1944. Retour au texte

13 Special Operations Executive, service secret britannique créé par Winston Churchill en juillet 1940. Retour au texte

14 B. Sheppard. Missions secrètes et déportationop. cit., p. 392-394. Retour au texte

15 Pierre Tisseau, Nous, les Bandits : La Pierre-Levée (Prison de Poitiers), Compiègne, Buchenwald, Natzweiler-Struthof, Sainte-Marie-aux-Mines, Neckarels, Dachau, Bazoges-en-Pareds, Chez l’auteur, 1948, p. 146. Retour au texte

16 Jean-Paul Kremer, Le salut ne vient pas d’Hitler : un mennonite déporté à Natzweiler et Buchenwald, Alès, Mission Timothée, 2016, p. 76. Retour au texte

17 Dépôt central des archives de la justice militaire [DCAJM], Jgt575_280558, Dossier 12, Témoignage de Eugen Hönig (déporté), 31 janvier 1947 / Dossier 4, Témoignage d’Ernest Krenzer (travailleur civil, architecte) et de Joseph Stadler (travailleur civil, contre-maître à la carrière), vers 1945-1947. Retour au texte

18 Centre Européen du résistant déporté, mémorial de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof [CERD], CERD.2013.O.303 à 309, croquis du camp par le déporté français Henri Gayot, vers 1944. Retour au texte

19 Nasjionalbiblioteket Oslo [NO], nb_digimanus_191844, Krigstrykk 2 Rudolf Næss: Album fra Natzweiler « NN under SS », vers 1945. Retour au texte

20 Erving Goffmann, Asiles. Étude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 41. Retour au texte

21 Thibault Bruslé, Marie Morelle, « Objets et enfermement : une introduction », Champ pénal – Parentalités enfermées/Objets et enfermement/Probation française, vol. XI (2014), p. 3 [En ligne : https://doi.org/10.4000/champpenal.8884 (consulté le 16 avril 2025)]. Retour au texte

22 Adrian Myers, Gabriel Moschenska, « An Introduction to Archaeologies of Internment », in Archaeologies of Internment, New York, Springer, 2011, p. 3. Retour au texte

23 Alexandre Bolly, Aurélie Guidez, Le camp du Struthof : vestiges de la voie d’accès au camp et abords du bâtiment de la chambre à gaz, Natzwiller, Bas-Rhin, Centre européen du résistant déporté, Sélestat, Archéologie Alsace, 2024 ; Juliette Brangé, Théo Aubry, Michaël Landolt, Loïc Lutz, Matthieu Morel, Frédérique Neau-Dufour, Aurélien Vantillard, Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, carrière de granite, Natzwiller (Bas-Rhin), rapport de fouille archéologique programmée, Strasbourg, Nord-Est Archéologie, 2022 [En ligne : https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-04075849v1 (consulté le 11.04.2025)]. Retour au texte

24 Bundesarchiv Berlin [BAB], NS3/1346, Monatsbericht, 13 novembre 1941 et 14 janvier 1942. Retour au texte

25 DCAJM, Jgt575_280558, Dossier 1, Bautagebuch, SS Bauleitung, 1er avril 1942 au 31 décembre 1943. Retour au texte

26 Juliette Brangé, Étude architecturale et fonctionnelle de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof (67) : croisement des données archivistiques et archéologiques, mémoire de master 2 archéologie, sous la direction de J.J. Schwien et M. Landolt, Strasbourg, faculté des sciences historiques, 2021, vol. 1, p. 120-129. Retour au texte

27 DCAJM, Jgt575_280558, Dossier 1, Bautagebuch, SS Bauleitung, 1er avril 1942 au 31 décembre 1943. Retour au texte

28 J. Brangé, T. Aubry, M. Landolt et al., Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof… op. cit.; Alexandre Bolly, L’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, Natzwiller, Bas-Rhin, Centre européen du résistant déporté, route départementale 130 – 017103, Sélestat, Archéologie Alsace, 2019. Retour au texte

29 DCAJM, Jgt575_280558, Dossier 1, Bautagebuch, SS Bauleitung, 1er avril 1942 au 31 décembre 1943. Retour au texte

30 Ibid. Retour au texte

31 « Pour autant que je sache, la création de la graniterie Rothau a été initiée par l’Inspection générale de la construction à la fin de l’année 1940. Lors d’un voyage d’inspection en Alsace, SPEER avait observé le magnifique granite rouge que l’on trouve dans cette région et il souhaitait maintenant qu’il soit utilisé en grandes quantités pour les grands projets de construction, car l’impression générale de ces grands bâtiments serait trop terne si l’on n’utilisait que du granite gris et des teintes similaires. » (Traduction J. Brangé, d’après HLS Nuremberg Trials Project, NMT 4, p. 7427, HLS no 4859). Retour au texte

32 Karl Blumberg. Né le 30.10.1889 à Bonn. Ingénieur militaire. À la DESt à partir du 1er janvier 1940. Décès le 09.10.1948 à Stuttgart. Retour au texte

33 Société créée en avril 1938 par Arthur Ahrens de Magedebourg et Dr Walter Salpeter de Munich. Intégrée au SS-WVHA (Office central SS pour l’économie et l’administration) en avril 1939. Retour au texte

34 Harvard Law School Library [HLS], Nuremberg Trials Project, NMT 4, p. 7427, HLS no 4859, juillet 1947. Retour au texte

35 Michel Fabréguet, « Une entreprise concentrationnaire SS. La société des terres et pierres allemandes (1938-1945) », Vingtième Siècle, no 54 (1997), p. 51‑60 ; Hermann Kaienburg, Die Wirtschaft der SS, Berlin, Metropol, 2003. Retour au texte

36 HLS, Nuremberg Trials Project, NMT 4, p. 7427, HLS no 4859, juillet 1947. Retour au texte

37 BAB, NS3 1225, Bilan comptable de la DESt. Une facture de 8 540 RM en 1942 et une facture de 2 830 RM en 1943. Retour au texte

38 Statistiques réalisées à partir de différents documents : BAB, NS3 1346 et 1347 Monatsberichte DESt ; BAB, NS4 NA 100 Blockstärke für die Häftlingsverpflegung ; et la publication suivante : H. Kaienburg, Die Wirtschaft… op. cit., p. 1099. Retour au texte

39 BAB, NS3 1346 et 1347 Monatsberichte DESt. Retour au texte

40 R. Steegmann, Struthofop. cit., p. 247. Retour au texte

41 Juliette Brangé, Louise Guedj, Michaël Landolt, Julien Quantin, Clément Schermann, Arthur Schnepp, Pauline Secchioni, Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, carrière de granite, Natzwiller (Bas-Rhin), rapport de fouille archéologique programmée, Sélestat, Archéologie Alsace, 2024. Retour au texte

42 Étude en cours. Le total n’est pas encore fixé. Retour au texte

43 Deutsches Technikmuseum Berlin [DTB], III.2.4288, Junkers Flugmotor, JUMO 211 F u. J, Baureihe 2, Ersatzteilliste, Zylinderkopf mit Steuerung, Ausgabe September 1942. Retour au texte

44 DCAJM, Jgt575_280558. Retour au texte

45 Anne Settelen, Nathalie Zisette, Connaissances et sentiments au sujet du camp de concentration du Struthof : essai d’histoire orale, t. 1, mémoire de maîtrise d’histoire, sous la direction de Jean-Luc Pinol, Strasbourg, faculté d’histoire, 1991. Retour au texte

46 A. Settelen, N. Zisette, Connaissances et sentiments au sujet du camp de concentration du Struthof… op. cit. Retour au texte

47 DCAJM, Jgt575_280558. Retour au texte

48 https://www.struthof.fr/agenda/actualites/default-title/en-quete-de-memoire-les-descendants-des-travailleurs-civils-de-la-carriere-de-natzweiler (consulté le 23.06.2025). Retour au texte

49 Entretien avec Marie-Élise Edel, Obernai, février 2025. J’adresse encore mes remerciements à Madame Marie-Élise Edel, la fille de Joseph Stoeffler pour son témoignage. Retour au texte

50 Entretien avec André Gross, Grendelbruch, décembre 2024. J’adresse encore mes remerciements à la famille Gross pour leur témoignage. Retour au texte

51 Collection famille Gross. Retour au texte

52 Pour rappel : le site change de nom avec l’ouverture du camp d’internement administratif, passant du camp de concentration de Natzweiler au camp d’internement administratif du Struthof. Retour au texte

53 J. Brangé, L. Guedj, M. Landolt et al., Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof… op. cit. ; Frédérique Neau-Dufour, Struthof 1944-1945 : un camp pour épurer l’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2025. Retour au texte

54 Archives d’Alsace, site de Strasbourg [AAS], 335D 106, Comptes-rendus de quinzaine, 1945. Retour au texte

55 Il s’agit de la seule période où des femmes seront également enfermées dans le camp. Retour au texte

56 AAS, 332D 121, Note de service du 25 avril 1945 fixant les règles de location de la main d’œuvre. Retour au texte

57 J. Simon, J. Brunissen, C. Cuny et al., Le camp de concentration du Struthof… op. cit., p. 287. Retour au texte

58 Alphonse Faudet a réalisé un graffiti au sein de la cellule 13 de la baraque bunker. Voir Juliette Brangé, Michaël Landolt, Loïc Lutz, Frédérique Neau-Dufour, Carrière de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof, Natzwiller (Bas-Rhin), rapport de prospection archéologique, Strasbourg, Nord-Est Archéologie, 2021 [En ligne : https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-04075806v1 (consulté le 16.06.2025)]. Retour au texte

59 AAS, 1175 W266, Rapport du centre pénitentiaire du Struthof du 27 avril 1946. Retour au texte

60 AAS, 1175 W266, Courrier du directeur du centre pénitentiaire le 25 mars 1946. Retour au texte

61 AAS, 1175 W266, Rapport du centre pénitentiaire du Struthof du 27 avril 1946. Retour au texte

62 AAS, 1175 W266, Rapport du centre pénitentiaire du Struthof du 12 septembre 1947. Retour au texte

63 J. Brangé, L. Guedj, M. Landolt et al., Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof… op. cit. Retour au texte

64 AAS, 545 D 1288, Le Nouvel Alsacien, 22 avril 1950. Retour au texte

65 CERD, sans numéro d’inventaire, dessin de la charpente de la forge dans le cadre de sa vente, vers 1950. Retour au texte

66 Janvier 1950 : classement du sol du camp haut ; septembre 1950 : inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques de la carrière ; août 1951 : classement de la chambre à gaz ; février 1955 : classement de la carrière ; décembre 2009 : ensemble du périmètre du camp inscrit à l’inventaire supplémentaire. Retour au texte

67 Notamment la construction du CERD à partir de 2003, qui n’a pas fait l’objet de fouilles archéologiques avant les travaux. Retour au texte

68 J. Brangé, M. Landolt, L. Lutz, F. Neau-Dufour, Carrière de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof… op. cit. Retour au texte

69 Établissement public sous tutelle du ministère des Armées, a diverses missions mémorielles dont la gestion du site de l’ancien camp de Natzweiler-Struthof. Retour au texte

70 Information fournie par le CERD. Retour au texte

71 Sarah Newman, Unmaking waste: new histories of old things, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2023 ; William Rathje, Cullen Murphy, Rubbish! The Archaeology of Garbage, Tucson, University of Arizona Press, 1992. Retour au texte

72 Juliette Brangé, Théo Aubry, Louise Aymard, Louise Guedj, Michaël Landolt, Loïc Lutz, Matthieu Morel, Frédérique Neau-Dufour, Arthur Schnepp, Aurélien Vantillard, Ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, carrière de granite, Natzwiller (Bas-Rhin), rapport de fouille archéologique programmée, Strasbourg, Nord-Est Archéologie, 2023 [En ligne : https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/halshs-04196498v1 (consulté le 11.04.2025)]. Retour au texte

73 Pierre Nora, « Entre mémoire et Histoire », Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997, vol. 3/1, p. 1664. Retour au texte

74 Henry Rousso, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine, Paris, Belin, 2016, p. 10. Retour au texte

75 Entretien famille Rémy, Natzwiller, février 2025. J’adresse encore mes remerciements à la famille Rémy pour leur témoignage. Retour au texte

Illustrations

  • Figure 1 : Vue au drone de la carrière dominant la vallée, notamment le village de Neuviller-la-Roche

    Figure 1 : Vue au drone de la carrière dominant la vallée, notamment le village de Neuviller-la-Roche

    Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2024, Julien Quantin.

  • Figure 2 : Plan d’ensemble du camp de concentration de Natzweiler

    Figure 2 : Plan d’ensemble du camp de concentration de Natzweiler

    No 1 : camp haut, no 2 : camp bas, no 3 : carrière.

    Juliette Brangé, fond : Lidar HD IGN.

  • Figure 3 : Sélection d’articles de presse évoquant l’auberge ou la station du Struthof entre 1902 et 1937

    Figure 3 : Sélection d’articles de presse évoquant l’auberge ou la station du Struthof entre 1902 et 1937

    DAO : Juliette Brangé, documents : Gallica BNF.

  • Figure 4 : Décor d’une boîte à cigarette en aluminium, don du déporté Japp von Mesdag (néerlandais, déporté NN, matricule 4415)

    Figure 4 : Décor d’une boîte à cigarette en aluminium, don du déporté Japp von Mesdag (néerlandais, déporté NN, matricule 4415)

    Photo Juliette Brangé, coll. CERD, OnaCVG – CERD.2013.0.177.

  • Figure 5 : Décor d’une boîte en aluminium, fabriquée par les déportés Peters Frederik (néerlandais, déporté NN, matricule 5603) et Nicolas Dauphin (luxembourgeois, déporté politique, matricule 7088), offerte au travailleur civil Joseph Stadler

    Figure 5 : Décor d’une boîte en aluminium, fabriquée par les déportés Peters Frederik (néerlandais, déporté NN, matricule 5603) et Nicolas Dauphin (luxembourgeois, déporté politique, matricule 7088), offerte au travailleur civil Joseph Stadler

    Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

  • Figure 6a : Mirador 2 installé en haut de pente, 1976

    Figure 6a : Mirador 2 installé en haut de pente, 1976

    CERD, ONaCVG.

  • Figure 6b : Mirador 5 installé en bas de pente, 1976

    Figure 6b : Mirador 5 installé en bas de pente, 1976

    CERD, ONaCVG.

  • Figure 6c : Fouille en cours au premier étage de la forge côté nord-ouest

    Figure 6c : Fouille en cours au premier étage de la forge côté nord-ouest

    Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2023, Julien Quantin.

  • Figure 7 : Carte de répartition des clients de la DESt Rothau, et montant de leur créance en RM

    Figure 7 : Carte de répartition des clients de la DESt Rothau, et montant de leur créance en RM

    DAO : Juliette Brangé, d’après BAB NS3 1225.

  • Figure 8 : Crochets de levage des moteurs d’avions Jumo 211

    Figure 8 : Crochets de levage des moteurs d’avions Jumo 211

    Fouille programmée de la carrière du camp de Natzweiler 2023, DAO : Julia Zimmermann.

  • Figure 9 : Boucle de ceinture et plaque d’identité artisanale, fabriquées dans des pièces de moteurs d’avions en aluminium

    Figure 9 : Boucle de ceinture et plaque d’identité artisanale, fabriquées dans des pièces de moteurs d’avions en aluminium

    Fouille programmée 2024 (Juliette Brangé)

  • Figure 10 : Carte de répartition des travailleurs civils de la carrière par leur commune de résidence pendant la Seconde Guerre mondiale

    Figure 10 : Carte de répartition des travailleurs civils de la carrière par leur commune de résidence pendant la Seconde Guerre mondiale

    DAO : Juliette Brangé

  • Figure 11 : Portrait de Joseph Stadler pendant la Première Guerre mondiale

    Figure 11 : Portrait de Joseph Stadler pendant la Première Guerre mondiale

    Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

  • Figure 12 : Carnet de Joseph Stadler avec adresses de déportés ayant travaillé avec lui à la carrière

    Figure 12 : Carnet de Joseph Stadler avec adresses de déportés ayant travaillé avec lui à la carrière

    Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

  • Figure 13 : Vestiges de la charpente de la forge au sein d’une filature de La Claquette

    Figure 13 : Vestiges de la charpente de la forge au sein d’une filature de La Claquette

    Juliette Brangé.

  • Figure 14 : Panel d’objets perdus ou jetés par des touristes depuis les années 1950 sur le site de la carrière de Natzweiler et découverts en fouille

    Figure 14 : Panel d’objets perdus ou jetés par des touristes depuis les années 1950 sur le site de la carrière de Natzweiler et découverts en fouille

    DAO : Juliette Brangé.

  • Figure 15 : Joseph Stadler, travailleur civil, et Peter Bernsen, déporté allemand (témoin de Jéhovah) en octobre 1982 à Grendelbruch dans la maison familiale de J. Stadler

    Figure 15 : Joseph Stadler, travailleur civil, et Peter Bernsen, déporté allemand (témoin de Jéhovah) en octobre 1982 à Grendelbruch dans la maison familiale de J. Stadler

    Photo Juliette Brangé, coll. Famille Gross, Grendelbruch.

Citer cet article

Référence papier

Juliette Brangé, « Matérialité d’un espace d’enfermement : le KL Natzweiler, un camp de concentration à 800 mètres d’altitude », Revue du Rhin supérieur, 7 | 2025, 69-98.

Référence électronique

Juliette Brangé, « Matérialité d’un espace d’enfermement : le KL Natzweiler, un camp de concentration à 800 mètres d’altitude », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 7 | 2025, mis en ligne le 15 décembre 2025, consulté le 16 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=573

Auteur

Juliette Brangé

Doctorante Cifre (UMR 3400 ARCHE et Archéologie Alsace, dir. Alexandre Sumpf) réalise ses recherches de thèse sur la place des camps de concentration dans l’économie de guerre allemande entre 1939 et 1945 en comparant les camps de Natzweiler (Bas-Rhin) et de Flossenbürg (Bavière). Responsable d’opération, elle dirige depuis 2020 le chantier archéologique programmé au sein de la carrière de granite du camp de Natzweiler.

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