Quelle dimension montagnarde pour les filières laitières du Jura méridional ?

DOI : 10.57086/rrs.583

p. 173-200

Zusammenfassungen

L’article retrace le parcours des filières laitières du Jura méridional, en insistant sur leurs relations avec la dimension montagnarde de la région. Cette partie méridionale du massif jurassien offre des paysages différenciés faisant alterner moyenne montagne et montagne proprement dite, voire bassins intramontagnards (Belley), pour culminer à 1 720 m au Crêt de la Neige. Le lait y constitue depuis longtemps la principale production agricole et alimente des filières de transformation très diversifiées. Certaines sont véritablement d’inspiration montagnarde et produisent pour l’essentiel du fromage de comté. D’autres s’appuient sur une production laitière plus intensive qui alimente depuis plus d’un siècle des outils de transformation industriels localisés à l’intérieur du massif ou en périphérie immédiate et livrant des produits standardisés. La dimension montagnarde de ce système est alors souvent questionnée au sein de ces filières qui se sont massivement restructurées. L’article explique le cheminement de ces filières, dans toute leur diversité et s’interroge sur leur positionnement, cherche à savoir si elles regardent vers la montagne, s’en accommodent ou bien l’ignorent.

This article traces the history of the dairy industry in the southern Jura, focusing on its relationship with the mountainous nature of the region. This southern part of the Jura massif offers a varied landscape, alternating between the mid-mountain and the mountain proper, and even intramontane basins (Belley), culminating at 1,720 m at Crêt de la Neige. Milk has long been the region’s main agricultural product, feeding a highly diversified processing industry. Some are truly mountain-based, producing mainly Comté cheese. Others are based on more intensive milk production, which for more than a century has fed industrial processing plants located in the Massif or on its immediate outskirts, delivering standardised products. The mountain dimension of this system is often questioned within these industries, which have undergone massive restructuring. This article explains the development of these sectors, in all their diversity, and looks at how they are positioned, whether they are looking towards the mountains, accommodating them or ignoring them.

Gliederung

Text

Cet article s’inscrit dans la thématique de ce numéro de la Revue du Rhin supérieur consacré à la moyenne montagne et le fait en interrogeant les orientations prises par la production et la transformation laitières dans un massif un peu marginal et guère investigué par les géographes : le Jura méridional.

Les filières laitières sont, en France, dominées par la composante agroindustrielle qui s’épanouit pleinement en plaine, typiquement dans le Grand Ouest et qui juxtapose une production laitière intensive (races spécialisées, ensilage, maïs fourrage) et une transformation résolument industrielle (pasteurisation, produits finis standardisés, marques commerciales). D’autres composantes s’appuient sur des mécanismes plus différenciés où l’on trouve des marqueurs tels que des races locales, une surreprésentation de l’herbe et l’absence d’ensilage, une transformation au lait cru au sein d’entreprises artisanales. Elles font aussi une bonne place aux AOP, mais ne représentent qu’un dixième de la collecte nationale. On a donc une cohabitation de systèmes productifs différents, dont certains ont pu ou peuvent être qualifiés de « modèles » : modèle agricole breton en son temps1 ou modèle qualitatif jurassien2. Toutefois, ce clivage, outre le fait qu’il masque de nombreuses transitions, n’oppose pas systématiquement plaine et montagne, car la première abrite aussi des filières d’AOP alors que beaucoup de territoires d’altitude produisent du lait « industriel » destiné à des fabrications standardisées3. Il n’en existe pas moins des oppositions assez marquées entre les filières de plaine largement dominées par les pratiques décrites plus haut et celles de montagne, moins intensives, plus artisanales, davantage fromagères et abritant de nombreuses AOP.

Le choix du Jura méridional s’explique justement par la juxtaposition très nette de ces orientations différenciées4, ce qui nous conduit à interroger les liens qu’entretiennent ces filières, et surtout leur aval, avec leur territoire d’implantation, leur relation spécifique à la montagne. Dans ce Jura méridional en effet, l’aspect montagnard se retrouve dans la réalité climatique et le paysage comme dans le classement de la plupart des communes dans la « zone de montagne » délimitée par le ministère de l’Agriculture. C’est aussi un milieu laitier, qui ne constitue pas un bassin de production de premier plan, entre autres par rapport à la partie septentrionale du massif, mais qui en reprend en partie certains marqueurs : races locales (ici la Montbéliarde), fromages de terroir (comté notamment), fruitières. La région présente une grande complexité des situations, ce qui en fait à la fois l’intérêt et la difficulté de l’investigation, car on ne trouve ici ni l’uniformité des filières artisanales d’AOP des plateaux comtois5, ni celle des grands bassins de production de plaine organisés autour de quelques grandes usines6, mais plutôt la complexité d’une zone de transition comme en Haute-Marne7.

Le Jura méridional est un espace montagnard aux différenciations locales marquées, combinant chainons élevés (1 720 m au mont Jura), austères plateaux des Bouchoux, moyenne montagne du Valromey et bassins plus bas et pourtant inclus dans le même environnement montagnard (vallée du Suran, bassin de Belley). Le but n’est pas de définir ou de délimiter la moyenne montagne jurassienne dans une démarche de géographie régionale, mais d’interroger, grâce au prisme des filières laitières, le rapport au territoire et les attributs que celles-ci associent à la « montagne ». On y trouve en effet des fabrications fromagères de nature purement montagnarde et jurassienne (comté, bleu de Gex), mais aussi, depuis longtemps, des transformateurs aux stratégies industrielles éloignées de toute tradition et pour qui la provenance montagnarde de la matière première est sans valeur, sans intérêt.

Notre problématique vise donc à questionner ces filières, et surtout leur maillon aval, celui de la transformation, au regard de leurs relations à la montagne. Y retrouve-t-on une forme d’adéquation, de cohérence peut-être entre cette montagne assez contraignante (climat, pente) et une transformation fromagère spécifique qui reprend, elle aussi, certains éléments associés à cette localisation en altitude ? En clair, la filière cherche-t-elle à valoriser des particularités locales, un territoire et plus encore des terroirs, qui la relient alors fortement au contexte montagnard où elle est implantée ? Observe-t-on au contraire une dissociation plus ou moins forte entre ces filières et le territoire, combinant par exemple une production laitière standard (races non locales, ensilage, maïs) et une transformation qui ne mobilise aucun héritage local, le tout dans un environnement pourtant toujours montagnard et contraignant ? Le premier cas de figure renvoie aux systèmes fromagers qualitatifs jurassiens déjà étudiés par de nombreux auteurs avec des approches qui peuvent être géographiques8, historiques9, davantage économiques10 ou centrées sur les aspects techniques11. Le second questionne les systèmes laitiers « industriels » de montagne, hors du monde des AOP, souvent plus importants qu’on ne le croit en montagne et souvent aussi délaissés par le monde de la recherche12.

Répondre à toutes ces questions exige de revenir sur l’histoire laitière et fromagère locale et en ce sens, l’approche du géographe ne diffère pas de celle de l’historien, car elle mobilise les héritages passés pour comprendre la construction des filières actuelles. Sur cet aspect, la thèse de René Lebeau, centrée justement sur cette région, fournit un tableau de la transformation laitière dans les années 195013. On interrogera, selon une méthode de géographie économique, le rôle spatial des entreprises et la structuration des activités productives en fonction des échelles et des milieux. On mobilisera pour ce faire, dans une analyse diachronique, les monographies d’entreprises, la description de l’agencement des maillons des filières, la cartographie des acteurs et de leurs sphères d’influence, ainsi que des entretiens semi-directifs auprès des responsables. Les parcours complexes des entreprises font intervenir ici des firmes de plus en plus extérieures au territoire, des centres de décision lointains, des sociétés qui fabriquent des produits éloignés de toute tradition locale et aux prises à des restructurations permanentes. Dès lors, la relation « harmonieuse » qu’on aurait pu imaginer entre un type de territoire (la montagne sud jurassienne) et une forme spécifique de valorisation du lait est rompue. Les filières du Jura méridional sont montagnardes par la localisation des livreurs de lait et/ou des usines, mais peuvent devenir a-territoriales dans leurs fabrications et leur approche du marché. La localisation montagnarde relève-t-elle d’un simple constat, faisant de la montagne un simple support territorial, ou représente-t-elle une contrainte, un handicap que l’on peut contourner en faisant venir du « lait matière première » de l’extérieur (parce que moins cher) pour accroitre l’activité, ou alors en fermant des sites industriels jugés trop périphériques, en somme mal localisés ? Ces parcours d’entreprises sont à dessein largement mobilisés, car ce sont eux qui permettent de mieux comprendre la complexité du lien qu’elles entretiennent avec le massif jurassien.

Il faut aussi rechercher des mouvements inverses d’affirmation ou de réappropriation de la dimension montagnarde, de « retour vers la montagne », à travers notamment des systèmes purement jurassiens livrant des fromages d’AOP. Y a-t-il émergence de nouveaux ateliers de transformation fondés sur la valorisation d’un territoire ou même d’un terroir ? L’approche privilégie les évolutions constatées surtout depuis deux générations, sans mobiliser le temps long de l’histoire fromagère jurassienne qui remonte au Moyen Âge14. Face à une bibliographie relative aux filières laitières locales des plus succinctes et un corpus statistique limité15 et ne voulant pas procéder à une étude comparative avec le reste du massif jurassien, nous avons concentré nos efforts sur les enquêtes de terrain dans l’objectif de mieux comprendre les évolutions de ces filières dans la période contemporaine, surtout depuis les années 1980. Cette décennie est en effet marquée par l’instauration des quotas laitiers (1984), l’arrivée de groupes laitiers industriels en altitude (Besnier/Lactalis, Bongrain/Savencia…), puis un nouveau regard porté sur les fromages d’AOC16. Nous avons interrogé en novembre 2024 puis en janvier 2025 une douzaine d’acteurs, producteurs de lait, transformateurs ou affineurs, responsables agricoles actuels ou en retraite, revenant dans un massif déjà investigué il y a de nombreuses années. Cette étude, davantage centrée sur la transformation que sur la production du lait, exige de comprendre l’attitude des acteurs d’un aval de plus en plus contrôlé depuis l’extérieur du territoire, aujourd’hui depuis Laval, Caen ou Nantes, ce qui complique beaucoup l’exercice17. Comprendre les caractéristiques et le parcours des ateliers de transformation ainsi que leur fonctionnement actuel (volume d’activité, types de fabrications, contrôle capitalistique, stratégie) est pourtant une étape incontournable de la connaissance de ces filières, surtout en ce qui concerne leur volet industriel. Nous avons, de ce fait, surtout interrogé dans le cadre de questionnaires très ouverts des acteurs aux responsabilités professionnelles passées ou présentes souvent nombreuses et qui connaissent bien le fonctionnement des filières (présidents de coopératives laitières ou d’organisations professionnelles agricoles, responsables syndicaux…). Ces entretiens ont en général duré d’une à trois heures et nous nous sommes efforcés de mieux comprendre à travers les réponses de ces acteurs la relation à la montagne de ces filières. Ces enquêtes ont été complétées par l’exploitation de la presse régionale (Le Progrès, La Voix de l’Ain) ou professionnelle (hebdomadaire L’Ain Agricole) qui apportent des précisions factuelles appuyant ou éclairant les processus décrits dans les entretiens (données sur les volumes d’activité, lancement d’un nouveau produit, négociations du prix du lait…). L’un de ces interlocuteurs nous a ainsi décrit avec précision les étapes de la fermeture de l’usine de Leyment, l’autre les longues et délicates négociations relatives à la vente de la fromagerie de Belley. Notre objectif n’est pas de retranscrire dans le détail ces informations parfois sensibles18, mais celles-ci permettent de mieux comprendre l’évolution des filières et leurs relations à la montagne. Les recompositions entrepreneuriales successives prennent en compte de façon différente les usages et les paysages de la moyenne montagne jurassienne (prairie naturelle, pré-bois) et avalisent ou non ceux développés par des pratiques venues du bas pays, au premier rang desquelles la culture du maïs pour l’ensilage.

De la montagne, du lait, des produits laitiers et des hommes

Le Jura méridional : une montagne laitière

R. Lebeau décrit le Jura méridional comme un pays de contrastes (figure 1) comprenant le Bugey (sa partie la plus montagnarde), le bassin de Belley, le Pays de Gex et le Revermont. Une moyenne montagne ? On touche là à la délicate définition de la montagne pour laquelle les géographes se sont tous heurtés, et depuis longtemps, à la difficulté de l’exercice19, plus encore quand il s’est agi de la délimiter, insistant au passage sur leur incapacité à définir des seuils d’altitude ou de pente. La question se complexifie encore quand on veut définir et différencier une moyenne montagne. Contentons-nous de dire que celle-ci exclut clairement l’étage de la haute montagne des rochers et des glaciers, reste en général moins concernée par l’économie du tourisme d’hiver et réserve une large place à l’agriculture20. C’est typiquement le cas de ce Jura méridional.

Figure 1 : Le Jura méridional, localisation

Figure 1 : Le Jura méridional, localisation

Source : BD Topo IGN 2025. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

Le caractère montagnard du Jura méridional est repris par les publicitaires qui vantent le territoire et aiment communiquer sur la rudesse des hauts plateaux enneigés, ses grandes forêts, la pratique du biathlon21, mais le massif est loin d’être homogène. Quoi de commun entre le bassin de Belley en partie voué à la vigne et au maïs et les plateaux froids des Bouchoux couverts d’épicéas ? Entre la rude combe de Brénod et la plus riante vallée du Suran ? Il faut dire que les contrastes d’altitude sont marqués. Si, à l’Est, les puissants chainons du Crêt de la Neige et du Grand Colombier culminent respectivement à 1 720 et 1 534 m, le Rhône quitte le Bugey vers Lagnieu à 200 m d’altitude. Les alpages du mont Jura et du Grand Colombier rapprochent déjà de la haute montagne. Les rudes plateaux du haut Bugey (Belleydoux/Échallon et Le Poizat/Lalleyriat de part et d’autre de la cluse de Nantua) sont de nature clairement montagnarde. Dans le reste du territoire, souvent marqué par la pente, le qualificatif de moyenne montagne prend davantage son sens, avec des altitudes souvent assez modérées, comprises entre 500 et 800 m (Valromey, Combe du Val, vallée de l’Ange, val ­d’Izernore), voire moins le long du Suran, mais avec toujours en arrière-plan un cadre paysager marqué par la pente et la couverture forestière.

Ces différents éléments posent aussi la question de la délimitation de ce pays de montagne (figure 2). Dans une approche de géographie régionale, René Lebeau découpe sa région à partir de la frontière suisse, du Rhône de part et d’autre du coude de Cordon, puis au nord de Lagnieu sur l’escarpement du Revermont, incluant au passage le secteur du Suran à l’altitude déjà faible (300 à 600 m)22. Le zonage agricole « montagne » construit par l’administration à partir de 1961 est plus restrictif, car il exclut la vallée du Rhône, le bassin de Belley et la région du Suran, ces régions bénéficiant toutefois d’un classement en « zone de piémont », introduisant de ce fait une nuance supplémentaire dans le découpage territorial de la moyenne montagne23. Au-delà de ces découpages relatifs à la montagne, d’autres secteurs (plaines alluviales de la basse vallée de l’Ain et de la vallée du Rhône en aval de Lagnieu, partie basse du Pays de Gex) ont été classés en « zone défavorisée », permettant d’accéder aussi à certaines aides agricoles (figure 2).

Figure 2 : La montagne du Bugey à travers différents zonages

Figure 2 : La montagne du Bugey à travers différents zonages

Source : ministère de l’Agriculture. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

Notre intérêt principal est centré sur la filière laitière et son positionnement vis-à-vis de la montagne. Dans une analyse amont/aval, il convient d’aborder tout d’abord la production laitière de ce Jura méridional (figure 3) qui n’a pas la même ampleur qu’en Dombes et surtout qu’en Bresse, mais est bien présente avec quelques foyers plus productifs dans le Valromey, en Michaille (rive droite du Rhône en aval de Bellegarde) et dans le Pays de Gex, une région cependant très particulière, orientée vers l’approvisionnement en lait du marché genevois24. L’élevage laitier est aussi bien présent dans la Combe du Val (Montréal-la-Cluse, Maillat, Izenave), la vallée de l’Oignin (Izernore), vers Oyonnax et en Revermont (vallée du Suran). En raison de la carence de statistiques dans le cadre régional adopté, on ne peut qu’estimer la collecte de lait du Jura méridional : elle doit s’approcher de 60 millions de litres, plus 20 millions pour le Pays de Gex25, sur un total départemental de 276 millions de litres26.

Cette collecte alimente des filières majoritairement orientées vers la production fromagère et la région apparait au premier regard comme un décalque imparfait des plateaux franc-comtois où ces filières sont à la fois bien implantées et individualisées, solides, conquérantes et de nature clairement montagnarde (l’herbe, la Montbéliarde, la fruitière villageoise). Le Jura méridional associe depuis longtemps de telles filières fondées sur des terroirs (il est inclus en partie dans les aires d’AOP comté et bleu de Gex, figure 4) et d’autres orientées vers une production de lait plus standard, transformée par le secteur industriel. Le lien des filières vis-à-vis de la montagne du Jura méridional est donc complexe. Certaines « regardent » clairement vers elle et cherchent à valoriser leurs produits par les qualités spécifiques attachées à cette montagne, d’autres s’en accommodent, voire cherchent à lui tourner le dos. Ces attitudes divergentes ne se comprennent qu’en interrogeant leur construction durant la phase de modernisation agricole (1950-1980) et leurs évolutions contemporaines, marquées par d’importantes mutations27.

Dès lors, vers où « regarde » cette production laitière ? Vers le haut, sous-entendu vers le massif jurassien et les produits valorisant la provenance montagnarde, en mobilisant des pratiques typiquement montagnardes ? Vers le bas, sous-entendu vers le bas pays et les systèmes dominants de plaine en adoptant des méthodes de production plus génériques et plus intensives ? Quant à la transformation, fonctionne-t-elle sur la base d’un système fondé sur une production de fromages de montagne protégés par des AOP ? Ou au contraire livre-t-elle des produits davantage standardisés et sans référence à la montagne ?

Les filières laitières et leur lien inégal à la montagne

Même si la collecte globale du Jura méridional reste assez modeste, le lait est bien présent (figure 3), davantage concurrencé par la forêt ou l’urbanisation (Pays de Gex, périphérie d’Oyonnax) que par d’autres productions, même si l’élevage allaitant s’est nettement développé depuis les années 1980 et que la viticulture domine ponctuellement (vallon de Cerdon). Il alimente des filières diversifiées qui se différencient selon le type de fabrication fromagère et évoluent avec le temps.

Figure 3 : La production laitière dans le département de l’Ain en 2014

Figure 3 : La production laitière dans le département de l’Ain en 2014

Source : d'après données CRIEL 2014. Ricard D., Langlois E., UMR Territoires 2025.

Figure 4 : Les zones d’AOP et d’IGP fromagères dans le Jura méridional

Figure 4 : Les zones d’AOP et d’IGP fromagères dans le Jura méridional

Sources : Décrets ministériels et ODG. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

Le Jura méridional abrite d’abord des filières orientées dans la fabrication de produits de terroir, qu’il s’agisse du bleu de Gex (Valserine, Nord de la cluse de Nantua) ou du comté, reconnus par des appellations d’origine, respectivement en 1935 et 195828. Le premier vient des rudes plateaux situés aux limites des départements du Jura et de l’Ain. Resté confiné à un petit territoire, il est de nature vraiment montagnarde, mais avec de petits tonnages (500 t/an)29. Le comté30 est né quant à lui au Moyen Âge sur les plateaux du Doubs et dans la montagne jurassienne avant de se diffuser vers le Sud au xixe siècle31. Cette diffusion, selon R. Lebeau, est allée de pair avec celle de la fruitière villageoise et ce géographe insiste sur sa fragilité par rapport à un système mieux installé en Franche-Comté. Dans le Jura méridional du xixe siècle, la race montbéliarde est moins omniprésente, les troupeaux moins bien sélectionnés, les fruitières nombreuses mais fragiles, parce que plus petites et sous-équipées, parfois même sans locaux, souvent incapables de confectionner l’hiver ce gros gruyère de 40 kg32. Elles ont conquis vers 1850 la Valserine, le nord de la cluse de Nantua et le Valromey, puis progressé vers le sud entre 1850 et 1890 (bassin de Belley) pour atteindre peu après le coude du Rhône. Des fruitières d’alpage fabriquent aussi du gruyère en été, sur le mont Jura, le Grand Colombier et le plateau du Retord33.

Ce système fromager se rétracte au xxe siècle sous forme d’ilots dans les vaux de Brénod/Hauteville, d’Izernore (vallée de l’Oignin) et d’Izenave/Maillat/Montréal-la-Cluse (Combe du Val), ainsi que dans la vallée du Suran, alors qu’il se diffuse en nappe plus au nord de la chaine. Il produit aujourd’hui du comté et accessoirement du bleu de Gex, ce qui relie ces milieux à un système productif montagnard, avec une transformation fromagère et des pratiques d’élevage spécifiques. La première est restée artisanale, fondée sur la collecte quotidienne et le lait cru avant la vente aux affineurs des meules de comté « en blanc », âgées de quelques jours. En amont, les producteurs mobilisent des pratiques d’élevage tout aussi montagnardes et avec le temps, le « modèle » laitier des plateaux franc-comtois s’est donc imposé : hégémonie de la race montbéliarde, recours à l’herbe et au foin et rejet de l’ensilage, omniprésence de la prairie naturelle, rareté des labours, paysage du pré-bois. Ces filières d’AOP « regardent » donc vers la montagne, s’identifient à elle, s’y réfèrent, construisent leur communication sur son image34, dans des paysages de prairie naturelle… qui ignorent maïs, balles d’enrubannage et silos d’ensilage. Le Suran, plus bas, offre des paysages déjà différents, avec plus de labours, de céréales et de maïs. On peut estimer que ces filières fromagères d’AOP mobilisent 30 millions de litres de lait dans le Jura méridional.

Le Jura méridional s’orienta aussi très tôt vers la production de lait « standard » destiné à l’approvisionnement des villes proches comme on l’observe souvent autour des agglomérations35. Gabrielle et Louis Trenard, puis René Lebeau36, retracent les étapes du développement de ce « bassin d’approvisionnement lyonnais » à partir de 1900, par des industriels en recherche de lait pour répondre à la croissance urbaine. Saint-Olive et Guyot-Sionnest en 192637, puis Allix en 194538, expliquent sa géographie par l’inégale résistance des fruitières et le rôle du chemin de fer. Ces laitiers s’implantent ainsi en Revermont, mais peu vers Orgelet (Jura) où les fruitières sont trop bien installées. À l’inverse, ils profitent de leur faiblesse plus au sud (Mollard de Don, bassin de Belley) et en Valromey où ils leur achètent la collecte d’hiver (quand les fromageries manquent de lait pour fabriquer un gruyère), puis passent au ramassage à l’année, les fruitières devenant alors des coopératives de vente de lait, « une forme de dégénérescence » pour R. Lebeau39. Le chemin de fer oriente leur progression, celui de la cluse des Hôpitaux leur permettant d’atteindre plus facilement le Valromey et ses fragiles fromageries. Des flux secondaires de même nature s’observent autour de Nantua, Oyonnax, Bellegarde, Ambérieu et Belley40.

Des installations « industrielles » s’implantent aussi à Champagne-en-Valromey (unité de lait stérilisé en 1900) et surtout à Brens (près de Belley) où une « condenserie » est créée dès 1914. Rachetée par la Compagnie Générale du Lait de Rumilly (marque Lait Mont-Blanc), elle transforme 18 000 litres de lait par jour dès 193841. Vers Gex, les laiteries genevoises achètent aussi le lait des fruitières à partir du début du siècle et ces dernières cessent la fabrication du gruyère dès l’entre-deux-guerres42.

Cette orientation vers la fourniture de « lait matière première » progresse durant toute la première moitié du xxe siècle et s’accompagne de la création de circuits de collecte et d’outils de transformation de nature industrielle, aux mains de sociétés extérieures (Lyon, Genève, Rumilly). ce système se restructure assez vite (fermeture de Brens dès les années 1960) et s’impose en Pays de Gex où les Laiteries Réunies de Genève utilisent le système douanier de la Zone Franche. Cette dynamique incite les agriculteurs à adopter une production laitière plus générique, sans contraintes de race, d’alimentation ou de collecte journalière, soit un lien affaibli avec la montagne (entretiens, janvier 2025)43.

À partir des années 1950 et surtout 1960, le lait s’impose dans le département de l’Ain, très marqué par la révolution agricole44. Sous l’impulsion de leaders souvent issus de la JAC et de coopératives dynamiques (Servas, Grièges), les producteurs adoptent le modèle intensif de l’époque : sélection raciale, recours partiel à la Holstein, ensilage d’herbe puis de maïs. La collecte toutes les 48, voire 72 heures, alimente des usines qui privilégient les produits industriels standardisés (lait de consommation, lait concentré, yaourts, fromages à marques comme Bresse bleu) et l’emmental pasteurisé (qui devient un produit de dégagement, facile à stocker). Cette dynamique, puissante en Dombes et en Bresse, concerne aussi la montagne, certes à un degré moindre, surtout le Valromey et le secteur du Suran où le potentiel productif est plus élevé et la transition vers un système plus intensif plus facile. Dès lors, on se réfère de moins en moins au massif, on cherche même à en contourner ses contraintes, à l’ignorer si possible et cette production conventionnelle fournit du lait standard, du « lait blanc ». Ce positionnement ignore toute stratégie de différenciation à base territoriale, alors que les produits de terroir, comme le comté, restent peu attractifs.

Cette diversité des modes de fonctionnement n’est pas propre à la région et se retrouve dans le Massif central comme dans les Pyrénées, les Vosges et les Alpes du sud45. On y trouve autant de bassins de production développés à partir des années 1960 sur la base d’une agriculture intensive associée à un aval agroindustriel pour qui la montagne n’est qu’un support : Ségalas, monts du Lyonnais, Châtaigneraie cantalienne ou Champsaur deviennent autant de « petites Bretagnes » qui voisinent avec d’anciennes « montagnes fromagères » comme les monts d’Auvergne qui s’appuient, eux, sur des fromages de terroir46. Des cahiers des charges d’AOP assez peu contraignants rendent toutefois les oppositions entre systèmes productifs et filières moins nettes que dans le Jura méridional où le passage d’un système à l’autre reste difficile.

Le Jura méridional dans la mutation contemporaine des filières

Comment ces filières ont-elles évolué, notamment depuis deux générations ? Vers plus d’identification à la montagne grâce à des fromages d’AOP, ou en s’éloignant toujours plus du territoire et donc de la montagne par les filières industrielles ? 1984, date d’instauration des quotas à l’échelle européenne constitue un bon repère chronologique car la production de lait prend alors une nouvelle valeur du fait même de son contingentement : le quota devient un « droit à produire » et à l’aval, les transformateurs ont également intérêt à contrôler ce qui devient de plus en plus une ressource. Mais les années 1980 voient aussi l’émergence croissante des grands groupes laitiers en montagne, souvent à la recherche de productions d’AOP, mais pas seulement, alors qu’à l’aval, la grande distribution s’impose dans les habitudes d’achat.

Les filières d’AOP : plus que jamais montagnardes…

Ces filières organisées autour de la valorisation de terroirs fromagers furent longtemps à la peine dans la région, pénalisées par des faiblesses structurelles pouvant remonter au xixe siècle (ateliers trop petits, éloignement du cœur franc-comtois pour le comté, caractère confidentiel de l’appellation bleu de Gex, passage à un système de gestion indirecte)47. Vers 1990 encore, ces fruitières sont sur la défensive à cause d’un prix du lait jugé pas assez attractif au regard des exigences des cahiers des charges d’AOP48. Dès lors, nombre de producteurs de lait quittent leur fruitière pour des collecteurs industriels ou des coopératives qui connaissent un fort développement, comme celle de Bellignat près d’Oyonnax. Le recul du « système montagnard » est très net en Valromey où la dernière fruitière (Ruffieu) ferme en 1991, faute d’adhérents et de lait à transformer.

Le retournement vient du succès de cette même filière comté à partir de la fin des années 1980. Grâce à un positionnement collectif résolument qualitatif soutenu par l’action de leaders professionnels dynamiques, le comté devient plus recherché, son marché entame une longue phase de croissance, il est de plus en plus rémunérateur et donc attractif, même si son cahier des charges renforce le niveau de contraintes au fil des années49. Dès lors, l’hémorragie des adhérents cesse, puis le mouvement s’inverse, d’autant plus que certaines fruitières font preuve d’un réel dynamisme. Celle de Saint-Martin du Frêne (Combe du Val) inaugure ainsi un nouvel atelier en 1998 à la suite d’une fusion, puis un second en 2025, nécessaire pour une collecte annuelle qui atteint désormais 6 500 000 litres contre 1 600 000 en 1990 (enquête auprès du président de la fruitière, janvier 2025). Toutes les fruitières à comté en activité au début des années 1990 (Brénod, Poncin, Drom, Villereversure) fonctionnent toujours, à l’exception de celle de Simandre-sur-Suran qui ferme en 2020 pour fusionner avec sa proche voisine jurassienne de Nantey (commune de Val d’Épy) (figure 5).

Figure 5 : La transformation laitière dans le Jura méridional

Figure 5 : La transformation laitière dans le Jura méridional

Sources : D'après enquêtes personnelles (2024/2025), UMR Territoires.

La création d’une nouvelle fruitière dans le Valromey symbolise ce renouveau, emblématique de ce « retour vers le terroir » et d’un renforcement de l’ancrage montagnard50. On est ici en moyenne montagne, entre 450 et 900 m d’altitude, au-dessus du bassin de Belley, un val ouvert vers le Midi, un « adret montagnard » pour R. Lebeau. Fort de bonnes potentialités (altitude modérée, aptitudes relatives au labour et aujourd’hui à la culture du maïs…), le Valromey s’était orienté dès 1900 vers une production de lait générique vendue à l’extérieur (Lyon et Brens hier, plus tard usine d’emmental de Leyment), alors que les fruitières ne cessaient de décliner, avant d’alimenter la fromagerie de Belley.

Cette dernière, créée en 1991 par l’entrepreneur stéphanois Guilloteau, connait très vite le succès grâce à son Pavé d’Affinois et draine l’essentiel du lait du val en offrant un prix légèrement supérieur à celui de la concurrence. Tout change en 2016, quand l’affaire est mise en vente. Un des acteurs clefs de ce dossier, représentant des apporteurs de lait à l’époque, explique dans le détail cette négociation à rebondissements. Les enchères montent pour cette pépite de l’industrie fromagère51, la profession locale élabore un plan de reprise qui échoue de peu et c’est la très grosse coopérative polyvalente normande Agrial52 (et sa filiale laitière nantaise Eurial) qui l’emporte53.

Les producteurs auxquels on propose des conditions guère favorables trouvent alors difficilement leur place au sein de cette puissante structure extérieure au territoire, pourtant de statut coopératif. « On a très vite vu que nous n’étions que des pions et qu’il nous fallait rentrer dans le rang et accepter ce qu’on nous proposait », affirme l’actuel président de la coopérative du Valromey. En réaction, quatorze producteurs élaborent un projet de création d’une fruitière à comté. Celui-ci se concrétise en 2017 et la première fabrication a lieu en avril 2021. Cette opération de développement local apparait comme la transposition d’un modèle déjà bien installé en Franche-Comté (ce qui en réduit les risques), mais exige un lourd investissement (plus de 6 millions d’euros), un bouleversement des modes de production du lait (abandon de l’ensilage notamment, changement de race parfois), l’embauche de fromagers spécialistes des pâtes pressées cuites, l’obtention par le CIGC (Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté) de plaques vertes comté54, le choix d’un affineur et le financement du stockage du comté et enfin la recherche de débouchés pour le lait transformé en raclette au-delà du contingent de plaques vertes (enquêtes personnelles, janvier 2025).

Le projet réussit, le prix du lait dépasse le prévisionnel tout en restant loin des niveaux constatés en Franche-Comté, le magasin de vente au détail rencontre un tel succès que la coopérative en ouvre un second en périphérie de Belley et le collectif de producteurs se consolide55. Cette fruitière représente un changement radical d’orientation pour le territoire en faveur d’une agriculture et d’une filière typiquement montagnardes, le tout avec le soutien du CIGC. Le Valromey « regarde » dès lors incontestablement plus vers la montagne, s’appuie davantage sur elle, s’en inspire, même si la conversion au comté ne concerne que la moitié des producteurs de la vallée. L’évolution des surfaces en maïs fourrage souligne ce changement qui se retrouve dans le paysage. Elles reculent de 57 % dans l’ensemble du val entre 2016 et 202356.

Tableau 1 : Évolution des surfaces en maïs fourrage dans le Valromey (en ha, 2008/2023)

Communes 2008 2016 2023 Évolution 2023/2016
Ruffieu 7 22 0 -100 %
Haut Valromey 110 96 70 -27 %
Champagne-en-V. 172 171 82 -52 %
Arvières-en-V. 57 44 5 -89 %
Valromey-sur-Séran 159 134 45 -66 %
Total 505 467 202 -57 %

Source : d’après Géoportail.

Le « lait d’industrie » : incertitudes et éloignement de la montagne

À l’opposé, le secteur industriel a connu une histoire récente tourmentée qui exige de revenir sur les parcours respectifs des sites implantés ici, révélateurs de filières dominées par l’extérieur et qui se cherchent, sans réel ancrage montagnard. Les descriptions qui suivent résultent de la compilation de la presse généraliste et professionnelle57 et surtout de plusieurs enquêtes conduites en novembre 2024 et en janvier 2025 auprès de plusieurs acteurs de cette histoire laitière souvent complexe (figure 5).

Une coopérative laitière de la vallée de l’Albarine avait émergé dans les années 1960 grâce à des producteurs du Valromey, de la région de Saint-Claude/Oyonnax/Nantua et de celle d’Hauteville-Lompnes. Elle se développe énormément dans les années 1970 et 1980, prend des producteurs à la concurrence (Bellignat, URCVL)58, achète du lait dans la vallée du Rhône, en Ardèche et même en Lozère vers Langogne, ainsi que sur le marché Spot59 au point de transformer 120 millions de litres en 198960. L’entreprise s’appuie sur sa localisation privilégiée à Argis dans la cluse des Hôpitaux (route nationale, chemin de fer), mais ses deux marchés (UHT et emmental) sont dominés par des industriels extérieurs, hyperconcurrentiels et peu rémunérateurs. La coopérative, devenue SICA, doit se rapprocher en 1990 du Groupe Besnier, aujourd’hui Lactalis, qui arrête la chaine de lait UHT, puis celle d’emmental et finit par fermer l’ensemble du site. Les producteurs se désolidarisent peu à peu de l’entreprise, mais Lactalis collecte toujours quatre à cinq millions de litres (plateau d’Hauteville, Combe du Val, val d’Izernore) qu’il dirige vers son usine de Frangy en Haute-Savoie. Il ne reste donc rien du site industriel et le lait des producteurs, qui ne répond pas aux cahiers des charges des IGP tomme et raclette de Savoie61, est en général revendu à des artisans savoyards, fromagers ou fabricants de yaourts, qui mettent d’ailleurs en avant une dimension montagnarde, ou même savoyarde.

La coopérative laitière de la Vallée de l’Ange, créée en 1950 à Bellignat, profita du débouché oyonnaxien et collecta, vers 1980, jusqu’à 14 millions de litres, transformés pour moitié en yaourts et produits frais et pour le reste en emmental (au lait cru). Cependant, pour son ancien président, « l’évolution des habitudes d’achat du consommateur, la concurrence des grandes marques nationales et de la grande distribution et une perte de compétitivité sur le marché de l’emmental » la conduisent à cesser son activité en 1986. Elle vend ses locaux et devient une coopérative de collecte qui perd ses adhérents (au profit d’Argis puis des fruitières à comté) et se réduit dans les années 2010 à un noyau de quatre gros producteurs qui livrent 2 500 000 de litres à la fromagerie Guilloteau. L’ancrage territorial, qui pouvait exister du temps de la satisfaction du marché oyonnaxien62, a disparu et avec lui une forme d’appartenance à la montagne, en l’occurrence à la moyenne montagne (enquête auprès de l’ancien président de la coopérative, janvier 2025).

Le parcours du site de Leyment montre une logique de repli similaire. Cette fromagerie à emmental, créée en 1926 dans la plaine de l’Ain, mais qui collecte largement dans la montagne toute proche, inaugure une forte croissance dans les années 1970 grâce aux apports contractuels de nombreux industriels et de l’URCVL et à des achats sur le marché Spot. Elle devient ainsi une structure d’écoulement des excédents laitiers de la grande région lyonnaise et transforme bientôt 80 à 90 millions de litres par an en emmental pasteurisé qu’elle revend à l’affineur Dominici (Les Fromagers Savoyards) de Montmélian. La coopérative Lacopab63, qui gère l’usine à partir de 1989, signe même un contrat de location-gérance en 2002 avec ce dernier, mais ces sept ou huit mille tonnes pèsent peu et le site n’entre pas dans la stratégie des repreneurs de Dominici : Entremont puis A. Frère64. Au terme d’une période 2012-2014 très difficile que l’ancien président nous relate dans le détail, Lacopab jette l’éponge et rejoint le grand groupe coopératif SODIAAL en 2018 avec ses soixante adhérents, sa collecte de quinze millions de litres65 et son atelier que le nouveau propriétaire s’empresse de fermer. 40 % de la collecte proviennent toujours du Jura méridional (Mollard du Don, bassin de Belley, vallée du Rhône), mais toute référence à ce massif a disparu pour ce lait qui alimente aujourd’hui diverses usines (Vienne notamment), en fonction des besoins du groupe.

Le Jura méridional a aussi été marqué par l’action de Reybier, une famille d’entrepreneurs qui développa à Saint-Germain-de-Joux (cluse de Nantua) une grosse unité d’affinage. Reybier devient dès 1946 l’affineur à façon de l’Union des caves fromagères de l’Ain (UCFA) qui lui confie l’emmental des coopératives adhérentes puis le rachète en 1969. La coopération départementale domine alors la transformation, la marque Reybier acquiert une importance nationale66 et l’UCFA construit un nouvel atelier à proximité à Trébillet (Montanges) en 1971. Mais, là encore, le marché est intraitable et l’UCFA se retrouve en difficulté, d’autant plus que le site brûle en 198167 (enquêtes personnelles, janvier 2025). Le nouvel atelier développe le préemballage, puis le site est vendu en 2004 à Entremont, qui finit par le fermer en 2011, faute de compétitivité. Reybier fut longtemps un groupe typiquement montagnard (des racines jurassiennes, un site dans le Bugey, un approvisionnement à partir de fruitières locales), mais l’évolution de la filière emmental (industrialisation de la transformation dans le Grand Ouest, déclin du marché des fabrications traditionnelles, emprise de la grande distribution et de la restauration collective) détruit peu à peu le lien de ce site industriel avec sa montagne d’origine, allant jusqu’à signer sa disparition.

La fromagerie de Belley (Guilloteau puis Agrial) contraste avec ce qui précède par son incontestable succès qui doit tout à la rencontre d’une technologie novatrice (la microfiltration)68 au service d’un produit industriel de qualité, d’une marque forte (Pavé d’Affinois) et d’une grande efficacité commerciale (40 % de ventes à l’export, pour moitié aux États-Unis). L’usine s’approvisionne en partie auprès de l’URCVL (qui disparaît en 2009), puis de certaines coopératives de base de cette union, mais le rachat de 2016 rebat les cartes (voir plus haut). Un acteur clef du dossier nous décrit cette négociation complexe qui se réalise dans un contexte de sortie des quotas qui alourdit le marché et permet au repreneur Agrial69 de faire pression sur les livreurs de lait. Les relations se tendent avec l’organisation de producteurs (OP) qui fait même appel à la justice, mais très vite (2017) le marché se retourne, la reprise des exploitations devient plus difficile et la collecte stagne presque partout en France, les disponibilités sur le marché Spot baissent et les prix augmentent. Agrial comprend qu’il doit s’assurer un approvisionnement de proximité alors que les producteurs reprennent en partie la main (enquêtes personnelles, janvier 2025). Ils rejoignent en bloc la coopérative de la Vallée de l’Ange, une structure plus solide qu’une simple organisation de producteurs70 et obtiennent des conditions bien plus avantageuses, surtout pour le nouveau contrat 2022-2026. Cette forme de « retour au territoire », favorisé par le recul de la collecte départementale71 et la présence d’une unité performante, ne génère toutefois pas de véritable ancrage montagnard, même si 70 % des apports de la coopérative (23 millions de litres) viennent du Jura méridional : le Pavé d’Affinois n’est pas un fromage de montagne, mais une (simple) marque commerciale.

 

Revenir à cette histoire industrielle fort complexe permet de prendre conscience du repli généralisé de ces outils industriels ou artisanaux montagnards qui ne résistent pas à la concurrence, à un mauvais positionnement et aux restructurations d’entreprises. La région a eu la malchance d’être positionnée sur des marchés très difficiles sur lesquels elle a précocement perdu pied. Celui de l’emmental fut bouleversé dès les années 1960 par l’irruption de nouveaux ateliers en Bretagne, bien plus compétitifs72. Le secteur se massifie, les usines sont toujours plus grandes (jusqu’à 50 000 t/an aujourd’hui)73 et les fromageries de Bellignat, Argis ou Leyment qui ne livrent que quelques milliers de tonnes ne peuvent résister. L’évolution est la même pour le lait UHT, devenu un produit d’appel où le prix est déterminant : faire venir du lait de Lozère à Argis n’a vite plus de sens. Quant aux yaourts et produits frais de Bellignat, son ancien président nous explique qu’ils « capitulent devant les produits hyperstandardisés à grandes marques nationales qui s’imposent dans les années 1980 ». Le Jura méridional est donc victime des mutations structurelles de la filière, mais aussi d’un mauvais « positionnement produit », associé à un bassin de production d’altitude trop peu performant (contrainte du relief, faibles livraisons moyennes par exploitation, coûts de collecte trop élevés).

On constate sans peine que cette filière, en bonne partie montagnarde par son histoire, la provenance du lait et la localisation des sites de transformation (et d’affinage), s’est pourtant inscrite sur le temps long dans des filières standardisées, génériques, où l’élément montagne a peu à peu perdu sa place et est même devenu une contrainte, voire un obstacle. La filière laitière industrielle du Jura du Sud, sans « regarder » réellement vers la plaine, s’est en tout cas détournée de la montagne, sans parvenir à s’appuyer sur elle, d’autant plus que l’emmental est devenu un fromage des plaines du Grand Ouest. Seul le Valromey montre un processus de réappropriation à travers la construction d’une fruitière à comté, d’ailleurs couronnée de succès.

C’est que la réorientation vers d’autres types de fonctionnement est difficile. Adhérer à la filière comté exige une remise en cause complète de la conduite du troupeau, du système de production et de transformation du lait, l’inscription dans un cahier des charges exigeant (abandon de l’ensilage, adoption de la Montbéliarde, insertion dans le cercle de 25 km propre à chaque fruitière)74 et d’obtenir des plaques vertes attribuées par le CIGC. Le bleu de Gex est de son côté une petite appellation qui n’offre pas de perspectives de développement. Dès lors, les possibilités de réorientation vers des filières mieux centrées sur le produit et/ou de nature plus montagnarde restent limitées, même si l’on trouve quelques producteurs fermiers qui se lancent dans la transformation mais demeurent peu nombreux et certains éleveurs bio dont le lait rejoint en général les mêmes laiteries que le conventionnel. L’usine de Leyment est pour sa part reprise en 2021 par la Laiterie de la Côtière, un gros artisan local qui y transfère ses fabrications de yaourts et produits frais trop à l’étroit à Meximieux, mais pour des volumes sans commune mesure avec la période antérieure (deux millions de litres par an).

La dynamique la plus intéressante serait à rechercher du côté savoyard où se dirige une part désormais significative de ce lait jurassien, dont celui des derniers fournisseurs de Lactalis qui rejoint Frangy. D’anciens adhérents de l’URCVL ont aussi adhéré à la SICA Les fermiers savoyards75 et leur lait alimente en général des artisans et des PME régionales, comme le fabricant de yaourts haut de gamme Baïko d’Archamps (banlieue savoyarde de Genève). En outre, une vingtaine de communes de Michaille (rive droite du Rhône) et du bassin de Belley (Culoz, marais de Lavours) sont incluses dans les aires d’IGP tomme et raclette de Savoie créées en 1996 (figure 4). On retrouve là une nouvelle forme de relation à la montagne, mais au profit d’un territoire (l’Avant-pays savoyard) extérieur au massif jurassien proprement dit.

Conclusion

Retracer le parcours des filières laitières et fromagères du Jura méridional sur le moyen terme fait comprendre comment celles-ci ont été largement soumises à des forces d’impulsion extérieures à la chaine, situées à différentes échelles sur les proches plateaux jurassiens (comté) comme en Bretagne (emmental) ou dans les grands centres urbains (qui orientent la consommation). Ce tiraillement entre des forces centripètes a nui à la valorisation du territoire sud jurassien en tant que moyenne montagne laitière dotée de qualités spécifiques. Ces filières n’ont pas eu la capacité d’organisation qui fit le succès de celles de la partie septentrionale de la chaine et apparaissent davantage dominées. On note aussi dans la région une tendance assez nette à la différenciation des systèmes productifs, un peu à l’image de la Suisse qui fait cohabiter lait de fromagerie (destiné aux filières fromagères de terroir et de qualité) et lait d’industrie (qui alimente une transformation générique). Cette différenciation, qui est un phénomène ancien, s’est renforcé avec le temps et engendre une géographie complexe (figure 6) où certains territoires ont conforté leur système montagnard (val de Brénod, Valserine) quand d’autres sont passés à un système typiquement industriel (bassin de Belley, massif du Mollard du Don) dont les outils de transformation ont quitté le massif, avec parfois une superposition des systèmes comme en Valromey, voire dans le Revermont.

Figure 6 : Les systèmes laitiers et fromagers dans le Jura méridional

Figure 6 : Les systèmes laitiers et fromagers dans le Jura méridional

Sources : D'après enquêtes personnelles, 2024/2025 – UMR Territoires.

Cette différenciation rejoint notre problématique initiale : vers où regardent ces filières ? Cette attitude est complexe, elle peut se contenter d’une localisation et d’une provenance du lait sans cahier des charges précis, ou bien reprendre l’image de ce milieu et des produits, jouer sur l’identité montagnarde, jusqu’à s’inscrire dans un terroir reconnu par une AOP. Le système fromager traditionnel jurassien, fondé sur des produits de terroir, est justement clairement montagnard. On y retrouve la prairie naturelle et la race montbéliarde, la fruitière artisanale et le lait cru, la complémentarité entre fruitières et maisons d’affinage comme en Franche-Comté. Les filières industrielles ne s’appuient plus sur le massif, ne cherchent pas à en valoriser d’éventuelles ressources qu’elles ne discernent d’ailleurs pas, mais voient plutôt cette montagne comme une contrainte, un obstacle à la dynamique productive (par exemple la difficile culture du maïs en altitude), un surcoût pour la collecte en lien avec le relief, la contrainte hivernale, comme la moindre densité de producteurs. Dans ce contexte, les producteurs de lait résistent plutôt mieux que les unités de transformation. Les premiers s’adaptent finalement à l’environnement montagnard, comme c’est souvent le cas des bassins de production intensifs du Massif central (monts du Lyonnais, Ségalas) quand les secondes souffrent de localisations contraignantes, d’aires de collecte trop peu denses et du coup trop étendues76 (90) et ont d’ailleurs presque toutes disparu. Le Valromey apparait aujourd’hui comme une terre de cohabitation entre les deux systèmes, une moyenne montagne où l’obstacle altitudinal est à la fois réel et relatif, car il permet d’adopter à la fois un système montagnard (en réactivant aujourd’hui la tradition du comté) ou une production plus intensive destinée à des marchés génériques.

On constate aussi, dans le Jura méridional, une certaine tendance au renversement des trajectoires sur le moyen terme. Le système artisanal montagnard des fruitières fut longtemps relégué par l’agriculture moderniste conquérante développée dans un département acquis aux idées novatrices de la JAC, puis modelé par la révolution agricole. Le dynamisme laitier était alors en plaine, en Dombes et en Bresse où la coopérative de Servas connait un succès inouï des années 1950 à 1980 et fait figure de référence (marque Bresse Bleu)77. La montagne adopte à l’époque en partie ce même système productif, avec moins d’intensité et pour des volumes plus faibles, mais avec l’appui de laiteries dynamiques de dimension industrielle. Le lait « générique » se diffuse ainsi en altitude, reléguant le système montagnard en position délicate, qui perd ses fruitières, mais continue toutefois de s’appuyer, selon l’expression d’un de nos interlocuteurs, sur quelques « résistants » (producteurs de lait de foin, présidents de fruitières…).

La dynamique s’inverse à partir des années 1990. Le système artisanal et montagnard montre une nouvelle dynamique illustrée par la construction de fromageries (Chézery-Forens dès 1995, Saint-Martin du Frêne en 1998…), soutenu ensuite par le succès du comté et la montée des nouvelles attentes sociétales. La création de la fruitière du Valromey va plus loin et représente une véritable réorientation collective du système productif. Pendant ce temps, le monde agroindustriel des filières laitières standard n’a ni résisté à la concurrence interrégionale, ni trouvé sa voie et a vu ses outils de transformation quitter ce massif devenu pour lui un évident facteur de contrainte.

Anmerkungen

1 Corentin Canevet, Le modèle agricole breton, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1992. Zurück zum Text

2 Philippe Perrier-Cornet, « Le massif jurassien », Région et développement de l’agriculture, INRA-ESR, no 2 (1986), p. 61-122 ; Daniel Ricard, Les montagnes fromagères françaises, Clermont-Ferrand, Ceramac, 1993 ; Philippe Jeanneaux, Jean-Marc Callois, Claire Wouts, « Durabilité d’un compromis territorial dans un contexte de pression compétitive accrue : Le cas de la filière AOC Comté », Revue d’économie régionale et urbaine, 3e trimestre, no 1 (2009), p. 179-202 ; Philippe Jeanneaux, Stratégie des filières fromagères sous AOP en Europe – Modes de régulation et performance économique, Versailles, QUAE, 2018 ; Sandrine Petit, Claire Gaillard, Catherine Mougenot, « Innover en élevage AOP comté : à chacun son style », Géocarrefour, vol. 92, no 3 (2018) [En ligne : https://doi.org/10.4000/geocarrefour.10780]. Zurück zum Text

3 Voir Luigi Lorenzetti, Daniel Ricard, Laurent Rieutort, dossier « Trajectoires et recompositions des foyers agricoles intensifs en montagne », Revue de géographie alpine, noo 112/2 (2024). Zurück zum Text

4 D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. Zurück zum Text

5 Ibid. Zurück zum Text

6 C. Canevet, Le modèle agricole breton… op. cit. Zurück zum Text

7 Claire Delfosse, « Quand l’économie partage les sociétés. La frontière entre deux systèmes fromagers dans le département de la Haute-Marne », in Ch. Bromberger, A. Michel (dir.), Limites floues, frontières vives. Des variations culturelles en France et en Europe, Paris, MSH, 2001, p. 41-67. Zurück zum Text

8 D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. Zurück zum Text

9 Michel Vernus, Le Comté, Lyon, Textel, 1988 ; Claire Delfosse, La France fromagère 1850-1990, Paris, éd. La boutique de l’Histoire, 2007. Zurück zum Text

10 Ph. Jeanneaux, Stratégie des filières fromagères sous AOP en Europe… op. cit. Zurück zum Text

11 Fabien Knittel, La fabrique du lait, Europe occidentale, Moyen Âge-xxe siècle, Paris, CNRS éditions, 2023. Zurück zum Text

12 L. Lorenzetti, D. Ricard, L. Rieutort, Revue de géographie alpine, no 112/2, op. cit. Zurück zum Text

13 René Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional. Étude de géographie humaine, Lyon, Institut d’Études rhodaniennes, 1955. Zurück zum Text

14 Jean Boichard, L’élevage bovin, ses structures et ses produits en Franche-Comté, Paris, Les Belles-Lettres, 1977 ; F. Knittel, La fabrique du lait …, op. cit. Zurück zum Text

15 Les statistiques agricoles deviennent difficiles d’accès avec notamment des données communales qui, quand elles existent, sont de plus en plus soumises au secret statistique avec la restructuration des exploitations laitières. Les données concernant les entreprises de transformation sont inexistantes à une échelle si fine. Les centres régionaux de l’industrie et de l’économie laitière (CRIEL) qui collectaient les livraisons individuelles (données de la carte no 3) ne le font plus depuis la suppression des quotas en 2015. Zurück zum Text

16 D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. Zurück zum Text

17 Enquêter dans de grands groupes laitiers nationaux (Lactalis, Danone…) est devenu quasi-impossible et leurs services de communication connaissent en général très mal l’histoire de leur propre entreprise, n’apportent que des informations formelles et ne sont pas habilités à parler des questions stratégiques. Zurück zum Text

18 Détail des négociations commerciales, aspects sanitaires, profil des acteurs de ces dossiers… Zurück zum Text

19 Paul Veyret, Germaine Veyret, « Essai de définition de la montagne », Revue de géographie alpine, vol. 50/1 (1962), p. 5-35 ; Jean-Paul Diry, « Moyennes montagnes d’Europe occidentale et dynamiques rurales », Revue de géographie alpine, vol. 83/3 (1995), p. 15-26. ; Lucie Bettinger, Serge Ormaux, « La moyenne montagne européenne, approche d’un concept-problème à partir de l’exemple français », Insaniyat, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, vol. 53 (2011), p. 17-39. Zurück zum Text

20 Xavier Bernier, Christophe Gauchon, Atlas des montagnes. Espaces habités, mondes imaginés, Paris, Autrement, 2e édition, 2024. Zurück zum Text

21 On peut consulter les sites du PNR du Haut-Jura (www.parc-haut-jura.fr), du bleu de Gex (www.bleu-de-gex.com), ou l’Office du Tourisme Bugey sud / Grand Colombier (www.bugeysud-tourisme.fr) qui mettent en valeur cette pratique. Zurück zum Text

22 R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. Zurück zum Text

23 Ces zonages déterminent notamment le paiement de certaines aides agricoles. Zurück zum Text

24 Nous n’aborderons qu’à la marge ce territoire laitier original. Zurück zum Text

25 Il n’existe pas, curieusement, de données homogènes relatives à la collecte laitière en montagne, surtout depuis la fin des quotas laitiers. Cette valeur, qui recoupe plusieurs sources, n’est qu’une estimation qui nous semble fiable. La collecte du Pays de Gex est située ou non en zone de montagne. Zurück zum Text

26 275 895 000 litres en 2022 (L’Économie laitière en France, CNIEL, édition 2024). Zurück zum Text

27 Serge Berra, Histoire de l’agriculture et des organisations agricoles de l’Ain, 1945-2000 : Les semailles du progrès, t. 2, Salavre, Cleyriane Éditions, 2023. Zurück zum Text

28 Le tribunal de Nantua octroie au bleu de Gex une appellation d’origine judiciaire en 1935, transformée en AOC en 1977 avant de devenir une AOP (européenne) en 2008. Le comté obtient l’AOC en 1958 puis l’AOP en 1996. Zurück zum Text

29 L’aire d’AOP compte 74 communes ou parties de communes. Zurück zum Text

30 Les fromages jurassiens à pâte pressée cuite furent longtemps dénommés gruyère, avant que les expressions de gruyère de comté, puis de comté ne s’imposent, gruyère devenant un terme générique désignant l’ensemble de la famille des pâtes pressées cuites… avant que ne soit reconnue une IGP gruyère en 2007. L’emmental est l’autre fromage de référence de cette famille, caractérisé par sa pâte « à ouvertures », c’est-à-dire à trous. Zurück zum Text

31 R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. ; Fabien Knittel, « L’origine incertaine des fruitières du Jura », Annales fribourgeoises, vol. 83 (2021), p. 47-54. Zurück zum Text

32 R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. Zurück zum Text

33 Ibid. Zurück zum Text

34 Voir le site Internet de l’AOP bleu de Gex : www.bleu-de-gex.com. Zurück zum Text

35 François Vatin, Le lait et la raison marchande, essais de sociologie économique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996. Zurück zum Text

36 Gabrielle Trenard, Louis Trenard, Le bas Bugey, la terre et les hommes, Belley, Société Le Bugey, 1951 ; R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. Zurück zum Text

37 Pierre Saint Olive, René Guyot-Sionnest, « Le ravitaillement en lait d’une grande ville française. Étude sur la production, le commerce et la consommation du lait servant à l’alimentation de Lyon », Revue de géographie alpine, 14/1 (1926), p. 229-232. Zurück zum Text

38 Odette Allix, « Le bassin laitier lyonnais et l’approvisionnement en lait de la ville de Lyon », Études rhodaniennes, vol. 20, no 1-2 (1945), p. 71-96. Zurück zum Text

39 R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. Zurück zum Text

40 Ibid. Zurück zum Text

41 Ibid. Zurück zum Text

42 G. Trenard, L. Trenard, Le bas Bugey, la terre et les hommes… op. cit. Zurück zum Text

43 Aussi relevé par R. Lebeau, La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional… op. cit. Zurück zum Text

44 D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. ; S. Berra, Histoire de l’agriculture et des organisations agricoles de l’Ain… op. cit. Zurück zum Text

45 L. Lorenzetti, D. Ricard, L. Rieutort, Revue de géographie alpine, no 112/2, op. cit. Zurück zum Text

46 Daniel Ricard, « Châtaigneraie/région de Saint-Flour : Trajectoires contrastées de bassins laitiers de moyenne montagne », Revue de géographie alpine, vol. 112/2 (2024) [En ligne : https://journals.openedition.org/rga/14273]. Zurück zum Text

47 La fruitière en gestion directe embauche du personnel salarié et assure la commercialisation des fromages. En gestion indirecte (ou « système savoyard »), elle vend sa collecte et loue sa fromagerie (et le matériel) à un fromager privé (le fruitier) qui se charge de fabriquer et de commercialiser ses fromages. Quand le fruitier s’impose, il relègue souvent la fruitière à une simple fonction de collecte et de vente de lait. Zurück zum Text

48 Ce constat est partagé par plusieurs de nos interlocuteurs lors des enquêtes réalisées en janvier 2025. L’engagement des agriculteurs dans un système de production de lait à comté ou à bleu de Gex est en effet corrélé à la prise en compte de la valorisation du lait en fruitière et aux exigences du cahier des charges qui se traduisent par des surcoûts. Le différentiel de prix par rapport au lait standard était alors considéré comme trop faible vers 1990 au regard de ces surcoûts, conduisant de nombreux producteurs à quitter leur fruitière (enquête auprès de l’ancien président de la coopérative de Brénod notamment). Zurück zum Text

49 Une AOP est encadrée par des conditions de production / transformation / affinage et une aire exclusive consignées dans un décret ministériel. Ces éléments sont négociés au sein de l’interprofession (organisme de défense et de gestion aujourd’hui) et sont révisés de temps à autre en fonction des ambitions de ces dernières, mais aussi des incitations éventuellement formulées par l’INAO. Une dizaine de décrets ministériels au moins couvrent les deux AOP locales ; D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. Zurück zum Text

50 Laurence Berard, Philippe Marchenay, Les produits de terroir. Entre cultures et règlements, Paris, CNRS Éditions, 2004 ; C. Delfosse, La France fromagèreop. cit. Zurück zum Text

51 8 000 tonnes de fromage, 300 salariés, 60 millions d’euros de chiffre d’affaires, 5 à 6 millions de résultat net. Zurück zum Text

52 Agrial collecte 2,07 milliards de litres de lait en 2023 (site du groupe) grâce à sa filiale Eurial, ce qui en fait la seconde coopérative laitière nationale derrière SODIAAL et la quatrième entreprise laitière du pays. Zurück zum Text

53 Cet épisode a pu être retracé à partir d’enquêtes réalisées en janvier 2025 auprès des acteurs responsables de la fruitière du Valromey et de l’ancien représentant des producteurs de lait livrant à la fromagerie Guilloteau. Zurück zum Text

54 Le CIGC (Comité interprofessionnel du gruyère de comté) régule la production du comté par un plan de campagne annuel qui attribue un contingent de plaques vertes aux fromageries, les éventuelles plaques supplémentaires de marquage des fromages étant vendues à un prix prohibitif. Zurück zum Text

55 Nouvelles du comté, magazine de l’interprofession, printemps 2024, p. 12. Zurück zum Text

56 Évaluation à partir des données disponibles sur Géoportail [En ligne : www.geoportail.gouv.fr]. Zurück zum Text

57 C’est notamment le cas de l’hebdomadaire L’Ain Agricole. Zurück zum Text

58 L’Union régionale des coopératives de vente de lait, fondée en 1956, collecte de la Margeride au Bugey et revend l’essentiel du lait des adhérents (290 millions de litres à une époque) aux industriels lyonnais. Ses volumes font sa force, mais le relâchement des quotas laitiers la positionne de fait sur le marché Spot. Elle finit d’ailleurs par disparaitre en 2009 et ses adhérents sont alors repris par d’autres laiteries ou restent fidèles à leurs coopératives de base qui cherchent à contractualiser à leur tour avec des acheteurs. Zurück zum Text

59 Le marché Spot est celui des excédents laitiers, aux cours extrêmement volatils. Zurück zum Text

60 D. Ricard, Les montagnes fromagères françaisesop. cit. Zurück zum Text

61 Il s’agit de lait « hors zone », produit de plus avec de l’ensilage. Zurück zum Text

62 Ce lien au territoire évoque ce que l’on observe aujourd’hui à travers la quête de proximité du consommateur. Zurück zum Text

63 Les coopératives Plaine de l’Ain/Bugey, Leyment et Saint-Benoît fusionnent en 1989 dans la LAiterie COopérative Plaine de l’Ain-Bugey (Lacopab). Zurück zum Text

64 La société familiale annécienne Entremont développe la fabrication industrielle d’emmental en Bretagne vers 1965 et en devient le leader national (Entremont, Meule d’Or, Reybier…). Le groupe pharmaceutique Sanofi-Synthélabo acquiert 46 % de son capital dans les années 1980, puis Entremont passe en 1999 aux mains de l’investisseur belge Albert Frère (63,5 %) et de la coopérative bretonne UNICOPA (36,5 %) avant qu’ils ne la revendent à SODIAAL en 2011. Ce parcours éloigne à l’évidence beaucoup des trajectoires montagnardes traditionnelles. Zurück zum Text

65 40 % environ de ce lait viennent du massif du Mollard du Don, du bassin de Belley et de la vallée du Rhône. Zurück zum Text

66 10 % du marché national du gruyère vers 1975. S. Berra, Histoire de l’agriculture et des organisations agricoles de l’Ain… op. cit. Zurück zum Text

67 Ibid. Zurück zum Text

68 Technologie de filtration du lait avant fabrication qui améliore nettement le rendement fromager. Zurück zum Text

69 Agrial est une puissante coopérative polyvalente normande dont Eurial est la filiale lait, domiciliée à Nantes et qui collecte un peu partout en France. Zurück zum Text

70 Elle a désormais soixante producteurs pour vingt-trois millions de litres et a conservé, lors de la vente de 2016, une petite participation au capital remontant à la constitution de la société Guilloteau au début des années 1980. Zurück zum Text

71 Celle-ci passe de 317 millions de litres en 2011 à 296 millions en 2020 et 269 millions en 2022 (données CNIEL). Zurück zum Text

72 C. Canevet, Le modèle agricole breton… op. cit. Zurück zum Text

73 Il faudrait le double de la collecte du département de l’Ain pour alimenter une telle usine ! Zurück zum Text

74 L’AOP comté exige que tous les producteurs soient localisés dans un cercle de 25 km de diamètre centré ou non sur la fruitière. Zurück zum Text

75 La SICA des Fermiers Savoyards possède un tiers de la Société Laitière des Hauts de Savoie (SLHS) qui exploite l’usine de Frangy (Avant-pays savoyard) et dont elle a cédé les deux autres tiers au Groupe Lactalis. Zurück zum Text

76 L. Lorenzetti, D. Ricard, L. Rieutort, Revue de géographie alpine, no 112/2, op. cit. Zurück zum Text

77 S. Berra, Histoire de l’agriculture et des organisations agricoles de l’Ain… op. cit. Zurück zum Text

Illustrationen

  • Figure 1 : Le Jura méridional, localisation

    Figure 1 : Le Jura méridional, localisation

    Source : BD Topo IGN 2025. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

  • Figure 2 : La montagne du Bugey à travers différents zonages

    Figure 2 : La montagne du Bugey à travers différents zonages

    Source : ministère de l’Agriculture. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

  • Figure 3 : La production laitière dans le département de l’Ain en 2014

    Figure 3 : La production laitière dans le département de l’Ain en 2014

    Source : d'après données CRIEL 2014. Ricard D., Langlois E., UMR Territoires 2025.

  • Figure 4 : Les zones d’AOP et d’IGP fromagères dans le Jura méridional

    Figure 4 : Les zones d’AOP et d’IGP fromagères dans le Jura méridional

    Sources : Décrets ministériels et ODG. Langlois E., Ricard D., UMR Territoires.

  • Figure 5 : La transformation laitière dans le Jura méridional

    Figure 5 : La transformation laitière dans le Jura méridional

    Sources : D'après enquêtes personnelles (2024/2025), UMR Territoires.

  • Figure 6 : Les systèmes laitiers et fromagers dans le Jura méridional

    Figure 6 : Les systèmes laitiers et fromagers dans le Jura méridional

    Sources : D'après enquêtes personnelles, 2024/2025 – UMR Territoires.

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gedruckte Quellen

Daniel Ricard, « Quelle dimension montagnarde pour les filières laitières du Jura méridional ? », Revue du Rhin supérieur, 7 | 2025, 173-200.

Elektronische Referenz

Daniel Ricard, « Quelle dimension montagnarde pour les filières laitières du Jura méridional ? », Revue du Rhin supérieur [Online], 7 | 2025, online gestellt am 15 décembre 2025, aufgerufen am 16 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=583

Autor

Daniel Ricard

Professeur de géographie et enseigne à l’université Clermont Auvergne (UMR 1273 Territoires). Ses recherches portent essentiellement sur la géographie rurale et plus particulièrement sur les questions agricoles et les filières laitières, en France et à l’étranger.

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