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Ce dossier thématique intitulé « Les juifs et la cité dans l’espace du Rhin supérieur (xie-xvis.) » est le fruit de la journée d’étude1 organisée à l’université de Haute-Alsace (Mulhouse) et à Strasbourg les 4 et 5 juillet 20232, avec le soutien de l’université de Haute-Alsace, du laboratoire du CRÉSAT de l’UHA, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation Rothschild et de la Société pour l’étude du judaïsme en Alsace-Lorraine3. Initialement, cette rencontre visait à réunir les chercheurs français travaillant sur l’histoire des juifs dans l’espace sud-rhénan au Moyen Âge, en partant du constat que l’histoire des juifs dans le monde germanique à l’époque médiévale restait encore trop marginale dans le monde universitaire français4. Ce dossier thématique réunit les contributions de tous les chercheuses et chercheurs français qui ont participé à cette rencontre, mais il intègre aussi celles de deux historiens qui, de Suisse et d’Allemagne, se sont joints à sa publication. Il offre ainsi un panorama de leurs recherches en cours dans les champs de l’histoire, de l’archéologie et de l’archivistique, à travers des études de sources inédites ou peu exploitées.

Deux citations constituent des jalons intéressants pour introduire ce sujet sur un plan chronologique, spatial et thématique ; et pour suggérer d’emblée l’évolution profonde de la situation des juifs dans les cités rhénanes entre le xie et le xvie siècle. La première provient du privilège accordé aux juifs le 13 septembre 1084 par l’évêque Rüdiger de Spire qui commence par ces termes : « Quand moi Rüdiger […] transformai au nom de la Sainte et indivisible Trinité la ville de Spire en une cité, il me vint à l’esprit que je pourrais accroître son prestige en y faisant venir des juifs5 ». Quatre siècles plus tard, en 1501, le ton de l’humaniste Jakob Wimpfeling6 est tout autre. Dans l’éloge qu’il fait de Strasbourg dans un chapitre intitulé « Excellentia urbis Argentina » de son ouvrage Germania, il affirme que la grandeur de la ville tient entre autres « à (ses) bibliothèques, ses doctes savants, aux écoles des frères mendiants, à ses architectes, à l’expulsion des juifs, ses magnifiques maisons, ses belles rues et ses places […] »7.

À ses débuts, la période envisagée est en effet marquée par les privilèges importants accordés aux juifs par l’évêque Rüdiger de Spire de 10848, ainsi que par l’Édit impérial de l’empereur Henri IV de 1090 qui confirme ces privilèges et même les élargit. Ces deux édits ouvrent une période de relative inclusion des juifs dans les villes rhénanes qui y bénéficient alors de droits nombreux. Précisons d’emblée que sur ce thème et pour toute la période que nous évoquerons, la nuance et la précision seront toujours de mise, puisque même dans les décennies les plus favorables, cette inclusion ne fut jamais totale ni dénuée d’ambivalence et que cette période se caractérise dès ses débuts par les premières persécutions contre les juifs. Il n’en demeure pas moins qu’entre la fin du xie siècle et la première moitié du xive siècle, donc pendant deux siècles et demi, le monde rhénan se caractérise par le développement important des communautés juives dans l’espace du Rhin supérieur que l’on délimitera de Bâle au Sud, jusqu’aux villes de Worms, Spire, Mayence, bien connues sous le nom de SchUM9, au Nord. La présence de ces communautés juives dans le monde germanique se révèle en quelques chiffres. Même si on reviendra plus loin sur le sens à donner aux termes de « communauté juive » et de « cité » dans l’espace germanique, on peut dès à présent noter que dans l’Empire allemand, on compte plus de 1000 communautés juives au xive siècle10 et que les juifs sont présents dans près de 40 % des villes allemandes médiévales. Mais c’est dans l’espace du Rhin supérieur que le développement des communautés juives est particulièrement important puisque dans la première moitié du xive siècle elles sont présentes dans environ 75 % des villes. Dans un contexte où en Occident les juifs sont expulsés d’Angleterre en 1290 ; puis, de façon réitérée, de France tout au long du xive siècle, jusqu’à leur expulsion définitive en 1394 sous Charles VI, les villes germaniques constituent un lieu où les Juifs peuvent s’implanter et faire perdurer leur religion, leurs traditions et leur culture11. Entre le xie siècle et la première moitié du xive siècle, l’histoire du monde rhénan est ainsi marquée par le développement de ces nombreuses communautés juives et par l’épanouissement de la culture ashkénaze en leur sein12.

À partir de la fin du Moyen Âge, en revanche, il en est tout autrement. Le discours de l’humaniste alsacien Jakob Wimpfeling témoigne, en même temps qu’il participe, d’un contexte très différent marqué par une violence grandissante à l’encontre des juifs. Si dès la fin du xie siècle, les juifs ont été victimes de massacres dans la région du Rhin au moment des croisades13, le xive siècle, et plus précisément les années 1330-1340, marque en effet un tournant avec la généralisation des discriminations puis des violences à leur encontre, à une échelle et avec une intensité inédites, et ce dans l’ensemble du monde rhénan. Ceci passe tout à la fois par des mesures économiques toujours plus défavorables ; par la diffusion de l’antijudaïsme dans les discours et les pratiques ; par l’explosion des violences collectives, en particulier lors des pogroms14 en 1349 au moment de la Peste noire ; enfin par l’expulsion définitive des juifs d’un certain nombre de villes de l’espace rhénan à partir de la fin du xive siècle. Dans le cadre de ce dossier, on cherchera ainsi à évoquer l’évolution de la situation sociale, économique, juridique et politique des juifs dans ces villes de l’espace sud-rhénan qui purent être à la fois des lieux de cohabitation et d’exclusion durant ces siècles médiévaux15. Il conviendra en même temps de souligner la dégradation grandissante de leur situation au fil des décennies et le déclin d’un grand nombre de ces communautés juives dans les villes rhénanes après la Peste noire de 1349.

Sur l’état de la recherche en France, deux choses sont à relever. En premier lieu, les recherches universitaires portant sur les juifs dans le monde germanique au Moyen Âge restent assez peu nombreuses en comparaison de celles portant sur les juifs au sein de l’espace méditerranéen (italien et ibérique notamment)16 ou en France17. De ce fait, si certains chercheurs soulignent la faiblesse des études juives à l’université en France18, ce constat est particulièrement vrai en ce qui concerne l’histoire du monde ashkénaze médiéval. Les enseignants-chercheurs qui travaillent sur ce thème à l’université française sont assez peu nombreux, les projets de recherche collectifs qui s’y rapportent sont rares et on ne compte que très peu de jeunes chercheurs (masterants, doctorants ou postdoctorants) s’y intéressant. La spécificité de la France en ce domaine est d’autant plus marquée si l’on tente la comparaison à l’échelle internationale. En Israël, en Allemagne ou aux États-Unis, des centres de recherche consacrent depuis des décennies leurs travaux à l’histoire du judaïsme ashkénaze médiéval grâce à des équipes fortes de nombreux chercheurs, jeunes ou confirmés, et à des projets de recherche pluriannuels reposant sur des dotations financières extrêmement importantes19. Ces moyens conséquents ont abouti à la publication de nombreux ouvrages majeurs et à l’établissement d’outils de travail extrêmement précieux, permettant un renouvellement en profondeur de notre connaissance du judaïsme ashkénaze médiéval. De ce fait, notre travail collectif montrera les acquis de la recherche actuelle dans le champ universitaire français, mais il mobilisera aussi constamment la recherche internationale20.

De cette historiographie récente, on synthétisera succinctement les principaux apports, même s’il s’agit là de questions éminemment complexes qui mériteraient de bien plus amples développements. La plupart de ces chercheurs ont comme point commun d’avoir pris leur distance par rapport à l’histoire que l’on a pu qualifier de « lacrymale » comme avec les formes de téléologie historique qui faisaient converger toute l’histoire juive en direction de la Shoah21. Un certain nombre appellent de leurs vœux ou travaillent concrètement dans leurs propres recherches à une forme d’histoire globale de la société médiévale, en souhaitant voir traiter ensemble l’histoire des juifs avec celles des chrétiens22. Précisons que cette optique ne signifie pas diluer les spécificités sociales et culturelles. L’intérêt d’une telle démarche est de permettre l’examen tant des interactions et des influences réciproques, que des écarts entre communautés. En inscrivant de façon rigoureuse l’histoire des juifs dans son contexte social et politique, il s’agit aussi de réfléchir aux formes d’appropriation et de différenciation23 et ce faisant, de mieux mettre en valeur les spécificités du monde juif ashkénaze médiéval et son histoire propre en Occident. Par là même, il s’agit aussi de souligner la capacité d’« agentivité » des juifs, renvoyant à l’idée d’une forme de liberté, de choix possible et de pouvoir d’action dans l’histoire, et ce en dépit des humiliations ou des violences endurées24. C’est là un point important souligné aussi par Claire Soussen dans sa conclusion, où elle met en perspective les contributions de ce dossier au prisme d’autres aires géographiques. Enfin, cette optique permet également de s’interroger sur les apports, les influences et l’empreinte des juifs dans l’histoire longue des sociétés dans lesquelles ils s’inscrivent, dans notre cas donc dans celle du monde germanique. Précisons qu’il s’agit en même temps de prendre en compte les asymétries de pouvoir entre juifs et chrétiens, qui font que les premiers et les seconds n’ont pas du tout le même pouvoir d’action25 ; tout comme le poids des stigmatisations et l’ampleur des persécutions dont les juifs furent victimes.

Nous allons voir que ce sujet est complexe à maints égards. L’une des difficultés majeures à laquelle l’historien est confronté pour mener cette recherche est le problème des archives. Car dans cet espace sud-rhénan, les sources qui ont été produites par les juifs eux-mêmes et qui sont parvenues jusqu’à nous, ne sont pas si nombreuses. Lorsqu’on étudie les recensements extrêmement complets effectués par les historiens allemands (notamment Gerd Mentgen), accessibles sur la base de données Medieval Ashkenaz. Corpus der Quellen zur Geschichte der Juden im spätmittelalterlichen Reich, on peut estimer à plus de 2000 le nombre de documents disponibles pour l’Alsace et les villes de SchUM qui nous permettent d’envisager l’histoire des juifs au Moyen Âge. Cependant, il faut relever, car c’est essentiel, qu’environ 90-95 % des sources parvenues jusqu’à nous sont chrétiennes26. Et quand les sources juives existent, elles sont généralement extrêmement fragmentaires du fait de la disparition des communautés ou de leurs membres ; des réemplois dont les archives juives ont été l’objet ; ou des destructions volontaires ou involontaires de celles-ci au fil du temps. Il s’agit là d’une problématique essentielle, qui sera au cœur de la contribution de Benoît Jordan à travers la description des sources disponibles dans les fonds d’archives en Alsace.

Si parcellaires soient-ils, ces documents venant des juifs eux-mêmes feront évidemment l’objet de toute notre attention. Concrètement, nous avons conservé des fragments hébraïques, comme par exemple ceux de la bibliothèque juive de Colmar qu’analysera de façon approfondie Judith Kogel et qui permettent de reconstituer, sous cet angle, la vie de la communauté juive de cette ville27 ; des takkanot (règlements des villes) ; des responsa de rabbins ; des chroniques hébraïques, comme celles relatant les massacres des juifs dans le monde rhénan à l’époque des croisades qui seront au cœur de la contribution de René Gutman ; ou encore les Memorbücher (livres des martyrs) recensant les noms des victimes. On soulignera aussi l’intérêt des sources iconographiques, notamment des haggadot illustrées de la fin du Moyen Âge ou celles d’autres types de codex hébraïques. On soulignera enfin l’intérêt des recherches archéologiques récentes qui ont permis de renouveler en profondeur notre connaissance de la vie quotidienne des communautés juives dans l’espace germanique, ce dont témoigne la contribution de Manon Banoun sur l’organisation du quartier juif de la ville de Strasbourg et son implantation dans la cité.

C’est cependant souvent avec des sources produites par les chrétiens, que l’on sera amené à envisager l’histoire des communautés juives. Des sources qui émanent en règle générale de la chancellerie impériale, de l’administration ecclésiastique et surtout des administrations urbaines, alors en plein développement. Parmi elles, on évoquera les édits impériaux, les registres de la chancellerie impériale, ceux des Conseils de ville, les correspondances urbaines, les documents fiscaux, les textes juridiques, parmi bien d’autres. Nous verrons que même si ces formes documentaires n’ont pas été conçues et pensées pour nous renseigner directement sur les juifs, elles se révèlent riches d’informations sur l’organisation des communautés juives ou sur la situation économique, juridique ou politique des juifs.

Ces caractéristiques générales des corpus d’archives posent néanmoins aux historiens des questions importantes, tout à la fois épistémologiques et éthiques, celle de savoir comment faire l’histoire d’une minorité, alors même que les archives conservées révèlent en elles-mêmes, par leurs orientations explicites comme par leurs silences, les rapports de force de l’histoire dans le temps long. Il s’agit là d’un écueil majeur, lourd d’enjeux pour le travail des historiens, et dont il convient d’être toujours conscient, puisqu’il ne s’agit pas de faire l’« histoire des vainqueurs » pour faire écho aux réflexions célèbres de Walter Benjamin28. Pour tenter d’échapper à cet écueil, on cherchera d’une part à conduire une analyse extrêmement rigoureuse de la documentation, tant sur le plan de la critique interne que de la critique externe ; et d’autre part à croiser autant que possible les formes documentaires. C’est la raison pour laquelle les contributions de ce dossier envisageront des sources variées, juives et chrétiennes, à la fois écrites, iconographiques et archéologiques, afin de diversifier les perspectives d’analyse. Ce faisant, on cherchera à mener un travail historique aussi précis que possible, en dépit des biais et des limites des corpus d’archives. Pour autant, nous le verrons, beaucoup de nos questions resteront sans réponse. Sur ce thème, le travail de recherche s’apparente en effet souvent à un travail d’équilibriste au-dessus du vide des archives, même si les silences des sources sont justement lourds de sens et demandent à être entendus.

Partant de là, nous pouvons en premier lieu nous interroger sur la définition et les contours des communautés juives dans le monde germanique au Moyen Âge, en examinant cette question à plusieurs échelles.

Précisons d’emblée que la taille de ces communautés est très variable. Un grand nombre sont très petites et ne comptent que quelques dizaines de membres, ne rassemblant de fait que quelques familles29 ; dans les villes de taille moyenne, les communautés comptent quelques centaines de membres ; quand les plus importantes d’entre elles, celles de Spire ou de Mayence entre autres, comptent probablement entre 1000 et 2000 personnes30. Naturellement ces chiffres doivent être ramenés à la population des villes allemandes de l’époque31. En réalité, dans celles-ci, les communautés juives représentent entre 5 % et 15 % de la population selon les cités32. En d’autres termes, la présence des juifs est indéniablement une donnée incontournable de l’histoire des villes dans le monde rhénan.

Ce qui marque l’existence d’une communauté, ce sont par ailleurs les lieux autour desquels s’organise la vie religieuse et quotidienne de celle-ci : la synagogue, le mikveh, le cimetière, le lieu d’abattage rituel et la « Tanzhaus » (littéralement maison de danse)33. Dans toutes les villes, les lieux d’habitation se situent à proximité de ces espaces communautaires. Il convient cependant de préciser que dans les villes allemandes médiévales, cet ensemble de lieux et d’habitations n’est pas fermé et que juifs et chrétiens vivent les uns à côté des autres dans les mêmes rues. Se dessine ainsi un ensemble de rues où s’ancre la vie de la communauté juive dans la cité, que l’on pourra qualifier de « quartier juif » ou « juiverie », mais qui ne correspond aucunement à un ghetto. Celui-ci, entendu au sens de quartier fermé, où les juifs sont contraints de s’installer, ne se développe en Occident qu’à l’aube de l’époque moderne. Au Moyen Âge, en revanche, les cités allemandes se caractérisent par la cohabitation quotidienne des juifs et des chrétiens dans l’espace de la ville.

Une communauté juive se définit aussi comme une entité politique organisée au sein même de la cité, le kahal34. Cette « cité dans la cité » selon l’expression de Simon Schwarzfuchs est organisée autour d’un groupe d’hommes appartenant généralement aux familles les plus riches. Leur autorité reconnue dans la communauté est d’ailleurs liée à ce niveau de richesse qui leur permet de payer les sommes, toujours plus lourdes, exigées des villes ou de l’empereur. Ce sont aussi ces hommes qui décident des règles régissant en interne la vie de la communauté et qui la représentent face aux institutions urbaines. Le kahal jouit par ailleurs d’une autonomie juridique. Il possède en effet son propre tribunal, les juifs étant jugés par des personnes de la communauté pour les affaires internes.

Une spécificité notable des communautés rhénanes est qu’elles s’organisent au sein de ce que l’on pourrait qualifier de fédération juive rhénane, organisée autour des villes de SchUM35. Régulièrement, les rabbins représentant les différentes communautés de la région se réunissent dans ces villes pour décider des règlements communautaires. C’est lors de ces rassemblements de rabbins, qui réunissent parfois jusqu’à 150 rabbins, que sont établies ces takkanot, principal instrument d’autonomie gouvernementale des juifs36. Ces règlements sont fixés en premier lieu pour les villes de SchUM, mais ils sont généralement adoptés dans les villes plus petites de l’espace rhénan. Ainsi trouve-t-on au sein de l’espace rhénan une association des communautés juives citadines, basée sur l’alliance et la solidarité, en même temps que sur l’autonomie des différentes communautés qui la composent.

Enfin, à l’époque médiévale, l’histoire des communautés juives de l’espace sud-rhénan doit être située à une autre échelle encore, celle d’« Ashkénaz »37. Au xie siècle, le terme « Ashkénaz » en est venu à signifier la Lotharingie, ou Lother en langage rabbinique, soit une région englobant les parties de l’ancien Empire carolingien (France du Nord-Est, Lorraine, Flandres et Rhénanie) où les juifs parlaient le vieux français ou le moyen-haut-allemand38. C’est dans cet espace géographique que se déploie cette branche spécifique du judaïsme qu’est la culture ashkénaze. Dans les villes de Spire, Worms et Mayence, qui en sont les foyers majeurs, sont actives de très nombreuses figures intellectuelles éminentes aux xiie-xiiie siècle et se développent des écoles de renom, attirant de très nombreux étudiants. Le rayonnement des villes de SchUM porte alors dans tout l’espace ashkénaze une vie spirituelle et intellectuelle extrêmement intense39. Autour de 1200, l’érudit Isaak or Sarua définit l’importance des villes de SchUM en ces termes : « Nos maîtres de Mayence, de Worms et de Spire font partie des plus savants des savants… De là vient l’enseignement pour Israël dans son ensemble… depuis le jour de leur fondation toutes les communautés sont tournées vers eux dans l’espace rhénan et dans tout le pays d’Ashkenaz »40.

 

Après avoir esquissé les contours des communautés juives rhénanes, il convient de resituer précisément leur histoire dans le contexte politique, social, culturel du monde germanique dans lequel elles s’inscrivent, et plus précisément dans celles des villes. Sur ce plan, il se révèle particulièrement fécond de croiser deux champs historiographiques : d’un côté celui portant sur l’histoire des juifs ; de l’autre, celui portant sur l’histoire politique dans le monde germanique, en particulier sous l’angle de l’histoire urbaine41. Pour appréhender la place des juifs dans le modèle de la cité allemande, rappelons en premier lieu que la période médiévale se caractérise par une stratification juridique42. De ce fait, si l’on veut envisager leur situation juridique dans les villes, il convient d’articuler deux niveaux : leur statut de serfs de la chambre impériale et le droit urbain, même si les deux peuvent être imbriqués.

Dans le monde germanique, l’histoire des juifs est indissociable de leur statut de « serfs de la chambre impériale ». À l’époque médiévale, ceci ne doit pas s’entendre ici comme un statut d’esclave, mais renvoie à la protection que l’empereur doit assurer à « ses » juifs pensés ici comme ses « sujets », ce en échange d’un impôt spécial43. Dans l’Empire, ce statut est né dans le cadre des deux cités de Worms et de Spire avec les privilèges accordés par l’empereur Henri IV aux Juifs en 1090. C’est néanmoins avec le privilège de Frédéric II de 1236 concernant les juifs qu’apparaît la notion de « serfs de notre chambre » (« servi camerae nostrae » ou « Kammerknechte »). Ce statut offre aux juifs des droits et une sauvegarde juridique qui leur permet de vivre parmi les chrétiens. Il leur assure (en principe du moins) la protection physique et celle de leurs biens ; le droit d’exercer leur religion et d’avoir des activités économiques ; et de bénéficier de procédures adaptées en cas de litige judiciaire avec des chrétiens. En contrepartie, les juifs sont soumis à un impôt spécifique, dont la communauté s’acquitte généralement collectivement. Cette protection impériale reste cependant très relative, puisqu’elle n’empêche ni les premiers massacres de juifs à la fin du xie siècle, ni ceux bien plus massifs du xive siècle. De fait, cette protection impériale varie grandement en fonction de l’engagement personnel plus ou moins fort des empereurs à défendre les juifs, révélant la totale dépendance de ces derniers à leur égard. Si cet engagement fut net au xie et encore au xiie siècle, force est de constater qu’il fut très variable ensuite, se traduisant souvent par le choix de laisser les villes décider de leur sort, souvent en fonction de considérations politiques et surtout économiques. Par ailleurs, on notera que si les empereurs ne sont pas les instigateurs des pogroms au xive siècle, il est un domaine en revanche où leur engagement est entier, celui touchant à la décision d’annuler les dettes dues aux juifs, jouant ici d’un levier inhérent à ce statut de serf de la chambre impériale44. Dans les années 1370-1390, plusieurs décisions de ce type furent prises qui touchèrent de très nombreux juifs dans une grande partie de l’espace rhénan, en Suisse et en Alsace notamment, contribuant au fait de les appauvrir et donc de les fragiliser profondément. Précisons enfin que si cette protection des juifs tout comme la perception des revenus fiscaux qui leur sont liés sont a priori une prérogative royale, il n’est pas rare que l’empereur renonce à cette prérogative au profit d’un prince ou d’une ville. Au xive siècle, à l’époque de l’empereur Charles IV, de nombreuses communautés allemandes vont ainsi acheter très cher à ce dernier le droit de protéger « leurs » juifs, car celui-ci représentait en effet une manne économique et fiscale très importante.

À un deuxième niveau, l’histoire des juifs doit également être envisagée à l’échelle de la ville, tout en précisant que leur situation n’est pas la même en fonction du profil des villes. Dans l’Empire, on trouve en effet des villes impériales, des villes libres et des villes territoriales, renvoyant à un degré variable d’autonomie ou de dépendance par rapport à des autorités extérieures, qu’il s’agisse de l’empereur, d’un évêque ou d’un prince. De ce fait, si l’on peut dessiner des tendances générales, il faut en même temps garder à l’esprit que, dans chaque ville, l’histoire des juifs fut spécifique, obligeant à envisager la question au cas par cas. Un point commun à toutes ces cités germaniques, cependant, est que les juifs sont des citoyens d’un genre spécifique45. S’ils ont bien des droits et des devoirs au sein de la cité, ils ne bénéficient pas du statut de « bourgeois » (« Bürger ») à part entière comme les autres hommes de la ville. Jusqu’au xive siècle, ils bénéficient ainsi de différents droits : droit de domicile, protection de la vie et des biens, droit à un traitement équitable en cas de comparution devant les tribunaux, droit d’acquérir des terres, d’exercer des activités commerciales ou artisanales46. Et ils peuvent aussi participer à la défense de la ville. Cependant même si, on le voit, une forme de citoyenneté municipale leur est reconnue, les juifs demeurent dans une position inférieure. Les droits politiques municipaux leur sont refusés, comme le fait d’exercer une charge publique. Par ailleurs, ils sont soumis à des impôts particuliers qui vont devenir toujours plus lourds au fil des décennies. Les juifs accèdent donc officiellement à une forme d’appartenance à la ville, mais leur position demeure marginale par rapport aux chrétiens qui seuls exercent une pleine citoyenneté. En somme, jusqu’à la première moitié du xive siècle, les juifs font juridiquement partie de la cité, mais de façon liminale, en tant que citoyens de deuxième catégorie.

L’un des signes de cette appartenance liminale à la cité touche au serment, ainsi que le montre Olivier Richard dans sa contribution47. La nature du serment des juifs (« Judeneid ») témoigne de la position spécifique de ces derniers dans la cité, ni complètement membres de la communauté urbaine, ni complètement en dehors. La forme qu’il prend pour eux les maintient ainsi à la marge de la société urbaine sur un plan politique. Et cette marginalité va progressivement évoluer en exclusion. À partir de la seconde moitié du xive siècle, dans un certain nombre de villes rhénanes, et il faut ici, répétons-le, faire du cas par cas, les juifs ne vont justement progressivement plus faire partie de « la cité », puisqu’ils en seront expulsés et ne seront plus autorisés à y vivre. Tel est le cas par exemple à Strasbourg où les juifs sont exclus à partir de 1388, à Sélestat en 1470, Kaysersberg en 1477, Colmar en 151248. Alors que la ville médiévale allemande se définit jusque-là, on l’a vu, comme une communauté plurielle, composée de groupes divers, et intégrant, même si c’est de façon liminale et à travers des droits moins favorables, la minorité juive, elle cherche à se définir à partir du milieu du xive siècle comme une entité politique unifiée et homogène, fondée sur l’exclusion de ceux qui sont désormais pensés comme extérieurs à elle, à savoir les juifs.

Au regard de ces différents éléments, on pourra s’interroger sur la place des juifs dans l’histoire des cités germaniques, envisagées dans toute leur diversité ; mais aussi sur leur place dans la définition même de la cité, en tant que construction politique, dans l’Empire à la fin du Moyen Âge. Dans la mesure où certains historiens ont souligné le fait que les villes allemandes médiévales ont été des laboratoires politiques49, on pourra se demander dans quelle mesure les juifs ont pu y contribuer à travers leurs propres institutions50. La question se pose pour le kahal, cité dans la cité, avec ses règlements et son organisation spécifique, fondée entre autres sur la collégialité51. Elle se pose aussi par rapport à la fédération juive rhénane évoquée plus haut, dans son lien aux ligues urbaines qui se créent dans l’espace rhénan à partir du xiiie siècle. En tant que réseau d’informations et forme d’alliance, cette fédération juive précède en effet probablement au moins d’une génération les associations urbaines52. De fait, il apparaît que dans ce monde germanique, chrétiens et juifs sont confrontés aux mêmes problèmes, sur le plan de l’organisation sociale et politique, et que des solutions comparables se trouvent chez les uns et les autres, témoignant d’influences réciproques.

 

Concernant les principaux jalons de l’histoire des juifs dans le monde rhénan au Moyen Âge, on proposera de distinguer trois phases ; du xie siècle au xiie siècle ; du xiiie siècle aux années 1340 ; de la Peste noire à l’aube de l’époque moderne.

La première période de cette histoire va du xie au xiie siècle. C’est de la fin du xie siècle que datent les débuts des communautés juives dans les villes de Spire, Mayence et Worms dont Gerold Bönnen retrace l’histoire dans sa contribution, tout en rappelant l’importance des liens entre ces trois villes dans le monde rhénan. Au xiie siècle, celles-ci abritent en effet les communautés juives les plus importantes53. En Alsace, en revanche, on ne trouve alors pas de communautés juives en dehors de Strasbourg, où la présence des juifs est attestée à la fin du xiie siècle. Celle de Spire l’est pour sa part dès 1084, date à laquelle s’y installent entre autres des marchands, des banquiers et des savants. À Spire, les juifs sont alors accueillis avec un engagement très vif par l’évêque Rüdiger, qui leur octroie le 13 septembre 1084 un privilège resté célèbre, établi sur le modèle des privilèges carolingiens antérieurs, et qui reste pour l’époque tout à fait exceptionnel. Ce privilège prévoie en effet que les juifs puissent vivre à Spire, dans un espace situé à moins de 200 mètres de la cathédrale. Les juifs ont par ailleurs leur propre justice, peuvent pratiquer les activités d’argent et de commerce sans frais de douanes, ont leur propre cimetière, le droit de porter les armes, tout comme celui d’avoir des nourrices et des domestiques chrétiens54. En février 1090, ces privilèges sont confirmés et même élargis par l’empereur Henri IV. Se voit alors précisé le droit de pouvoir jouir de leurs biens meubles ou immeubles dans tout l’Empire sans être importunés ; de ne pas payer de droits de douanes dans tout l’Empire pour le commerce de différents produits comme le vin, les colorants ou les produits médicinaux. De plus, il est interdit de leur faire violence ou de les baptiser de force. Si un juif veut se convertir, un délai de réflexion de trois jours est exigé afin d’éviter tout baptême forcé. En cas de non-respect de ces décisions impériales, de très fortes peines sont prévues. Ce contexte particulièrement favorable ne dure cependant que quelques années puisque dès 1095, l’appel à la croisade lancé par le pape Urbain II, marque les premières menaces pour les juifs. Le contexte est tel que suite à la requête du représentant des juifs de Mayence auprès de l’empereur Henri IV, celui-ci demande que les princes, les évêques et les comtes de son empire protègent les juifs et leur apportent assistance et refuge. Ceci n’empêche pas cependant les premiers massacres dans toute la région rhénane dans le contexte des premières croisades. Si à Spire, l’intervention énergique de l’évêque permet de sauver une grande partie de la communauté juive, on compte en revanche environ 800 morts à Worms et plus de 1000 morts à Mayence55.

La deuxième période qu’on délimitera du xiiie siècle à la première moitié du xive siècle se caractérise par l’important développement des communautés juives dans tout l’espace rhénan56. Dans le premier tiers du xive siècle, les juifs sont présents dans 75 % des villes alsaciennes ce qui marque le plus haut niveau de présence juive en Alsace. Nombre de sources, juives et chrétiennes, témoignent alors de relations diverses entre juifs et chrétiens dans l’espace de la ville, obligeant à dialectiser le rapport entre juif réel et juif imaginaire comme le montre Carole Wenner à partir du cas de Strasbourg. Ces relations entre juifs et chrétiens étaient d’ailleurs explicitement autorisées par les privilèges impériaux de 1090 en faveur des juifs de Worms et de Spire. Dans un contexte où les juifs ne vivent pas dans des ghettos, les relations quotidiennes sont ainsi marquées par la cohabitation concrète des juifs et des chrétiens, qui vivent les uns à côté des autres dans les mêmes quartiers, les mêmes rues, parfois au sein d’un même foyer, avec les nourrices ou les domestiques. Ces relations quotidiennes se caractérisent aussi parfois par des actes de solidarité ou d’entraide, par des relations de bon voisinage et même par des relations intimes. De la réalité de ces pratiques témoignent, par contraste, les textes interdisant de façon répétée à la fin du Moyen Âge, les unions charnelles et les mariages mixtes, le partage de bains et de repas, notamment lors des fêtes religieuses, la présence de nourrices ou de servantes juifs dans les foyers chrétiens ou inversement57. Les sources juives évoquent aussi de telles relations de voisinage quotidiennes entre juifs et chrétiens. Les Responsa du Maharam, rabbin de Worms, une des grandes figures rabbiniques de SchUM, évoquent de nombreuses questions de voisinage entre juifs et chrétiens, liées par exemple à la construction de fours, de bains ou de lieux d’aisance. Ces écrits révèlent également des cas de ventes de maison entre juifs et chrétiens, tout comme la possibilité faite aux juifs de louer, sous certaines conditions, un logement à des chrétiens. Dans les villes allemandes médiévales, les juifs ont donc des contacts quotidiens avec les chrétiens, qui ne se limitent pas à la place du marché ou à quelques magasins, mais ont cours dans l’espace privé58. En somme, se révèle ici la complexité de cette histoire dans les villes germaniques. S’il s’agit d’un côté de souligner la puissance grandissante de l’antijudaïsme et ses effets tragiques, il s’agit de l’autre de reconnaitre les différentes modalités de cohabitation qui purent aussi exister entre les chrétiens et les juifs. Entre le xie siècle et la première moitié du xive siècle, les sources montrent indéniablement la possibilité d’un modus vivendi, certes déséquilibré et défavorable aux juifs, mais néanmoins réel, dans l’espace de la ville en Allemagne.

Notons aussi que dans le domaine économique, les échanges entre juifs et chrétiens sont constants. Tel est le cas dans le domaine du commerce et du prêt d’argent, où les juifs sont très actifs, même si les chrétiens le pratiquent aussi. Mais les juifs sont présents dans de nombreux autres domaines. Grâce à leurs capitaux et leurs investissements, ils ont été des acteurs majeurs du développement du secteur viticole dans l’espace rhénan, tant sur le plan de la production que de la commercialisation59. En outre, ils pratiquent diverses activités artisanales, liées aux métiers du livre, aux métiers du textile, au travail du verre ou des métaux, ainsi que la médecine. Toutes ces activités, indispensables à la vie des cités et de leurs habitants, amènent de fait les juifs à entretenir de nombreuses relations au quotidien avec les chrétiens et contribuent de façon essentielle au développement économique des villes et de la région rhénanes.

Ces divers éléments ne doivent cependant aucunement relativiser la dégradation grandissante de la situation des juifs dès les xiie-xiiie siècle60, qui va atteindre à partir des années 1340 une acmé tragique. La troisième phase de cette histoire des juifs dans l’espace rhénan se marque en effet à partir de là par la généralisation des discriminations et des violences à leur encontre61, aboutissant à l’irréductible déclin des communautés juives. Ainsi voit-on se diffuser les discours antijuifs, les images infâmantes, ainsi que l’obligation de port de signes ou vêtements distinctifs, comme l’étudie Danièle Sansy dans sa contribution en se focalisant sur le cas de Strasbourg à la fin du xive siècle62. En 1349, alors que la Peste noire commence à se diffuser dans tout l’Occident, de terribles pogroms ont lieu dans une très grande partie des villes rhénanes où ils se succèdent jour après jour à partir du mois de janvier63. L’un des plus tristement célèbres est celui du 14 février 1349 de Strasbourg au cours duquel la plus grande partie de la communauté juive de la ville finit sur le bûcher.

Ces événements ne marquent pas la fin de la présence des juifs dans le monde rhénan, néanmoins, ils marquent un tournant. Après ces massacres, certains juifs reviennent parfois s’installer dans ces mêmes villes rhénanes, mais le nombre de communautés juives dans l’espace sud-rhénan est divisé des deux tiers et la population au sein de ces communautés juives qui se reconstituent est beaucoup moins nombreuse qu’avant. En dehors de quelques grandes villes comme celles de SchUM où les juifs essaient, sur plusieurs décennies, de renouer avec leurs traditions, la plupart tendent cependant à s’installer dans des plus petites villes qu’auparavant. Si on ne peut pas parler d’une disparition des communautés juives, ni même d’un judaïsme rural à la fin du Moyen Âge, la physionomie générale de ce monde juif ashkénaze a indéniablement changé64. À ces actes de violence collective vont en outre suivre d’autres mesures, jusque-là inédites dans le monde germanique, à savoir l’expulsion des juifs des villes. Alors même, rappelons-le, que de telles mesures sont régulièrement mises en pratique ailleurs en Occident depuis le xiie siècle, c’est partir des années 1390 que les premières expulsions ont lieu dans l’Empire65. Dans certaines villes, ces expulsions vont être temporaires et suivies d’une réadmission, parfois elle aussi temporaire. Néanmoins, même quand les juifs peuvent se réinstaller dans les villes, leurs droits ne sont plus les mêmes, et évidemment sont encore plus défavorables qu’auparavant. De plus, il leur est impossible de récupérer leurs maisons, leurs biens comme tous les établissements communautaires, dont les citadins ont pris possession, leur déniant toute possibilité de restitution ou de compensation. Les conséquences de ces événements sont nombreuses. La période marque un déclin de l’organisation traditionnelle des communautés juives, tout comme de leurs fondements légaux, économiques et sociaux. Les juifs ne vivent plus dans les grands centres urbains, les berceaux du monde juif ashkénaze, mais dans des villes de taille plus modeste66 ; voire des toutes petites villes. Ce changement se double d’un déplacement géographique puisque les juifs s’installent désormais souvent plus au sud de l’espace rhénan qu’auparavant, c’est-à-dire plutôt au centre et au sud de l’Alsace. Enfin suite à ces massacres et expulsions, nombre de juifs quittent la région, habités par le traumatisme des exactions passées et le sentiment d’insécurité présent. Ces événements tragiques contribuent en somme à marquer profondément les formes de vie et de pensée des juifs ashkénazes pour de nombreux siècles. Mais ces événements modifient aussi profondément le profil des sociétés urbaines rhénanes, puisqu’ils marquent l’irréductible déclin de ce qui constituait depuis quatre siècles la principale minorité présente sur ce territoire et qui, on l’a vu à maints égards, fut en réalité tout sauf un groupe marginal dans l’histoire du monde rhénan.

Notes

1 Nous tenons à remercier chaleureusement tous les collègues qui ont participé à l’organisation de cette journée d’étude ainsi que toutes celles et ceux qui ont apporté leur aide et leur expertise scientifique dans le cadre de sa publication. Nos remerciements vont en premier lieu à Dominique Iogna-Prat qui a bien voulu être expert scientifique externe à ce dossier. Notre reconnaissance va aussi à Élisabeth Clémentz, Odile Kammerer, David Lemler, Elsa Marmursztejn, Mafalda Toniazzi et Michèle Tauber pour leur précieuse collaboration. Return to text

2 La première journée de cette rencontre a pris la forme d’une rencontre scientifique classique sur le campus Fonderie de l’université de Haute-Alsace à Mulhouse. La seconde journée a eu lieu à Strasbourg et a permis d’approfondir ces échanges in situ et autour des archives. Nous tenons ici à remercier sincèrement Carole Wenner qui nous a menés sur les lieux liés à l’histoire des juifs dans la ville, avec notamment la visite du mikveh médiéval. Notre vive reconnaissance va aussi à Benoît Jordan qui a bien voulu accueillir l’ensemble des participants et des auditeurs aux archives de la ville de Strasbourg afin de présenter au public de nombreux documents d’archives relatifs à l’histoire des juifs, dont différentes sources évoquées par les intervenants lors de leurs communications. Return to text

3 Dans l’ensemble de ce dossier, nous avons choisi d’écrire « juif » avec j minuscule, à l’instar de la plupart des historiens médiévistes français. Ce faisant, nous optons pour une orthographe renvoyant à l’appartenance confessionnelle, quand le fait d’écrire « Juif » (J majuscule) penche pour l’appartenance à une nation. Sur cette question, voir la mise au point de Benoît Grévin, Dominique Iogna-Prat, Danièle Sansy, « Destins des juifs d’Europe du Nord : une question d’histoire globale » dans le cadre du dossier La rouelle et la croix. Destins des Juifs d’Occident, sous la direction de Dominique Iogna-Prat et Danièle Sansy, Médiévales, no 41 (2001), p. 7-13, ici p. 7. Return to text

4 Précisons que cette journée d’étude a rencontré un réel succès public. Organisée en présentiel et en visioconférence, elle a réuni environ une centaine de personnes sur les deux jours, avec des auditeurs de tous profils et de toutes les générations, pour beaucoup non-universitaires. Return to text

5 Julius Aronius (éd.), Regesten zur Geschichte der Juden im Fränkischen und Deutschen Reiche bis zum Jahre 1273, éd. orig., Berlin, Simion, 1887-1902, New York et Hildesheim, Olms, 1970, n° 168. Return to text

6 Jakob Wimpfeling (né à Sélestat en 1450 et mort à Sélestat en 1528) est un humaniste, théologien, historien, pédagogue. Return to text

7 Je souligne. « In his urbs vestra plurimum excellere videtur et prae caeteris abundare […] bibliothecis, viris in omni facultate doctissimis, fratrum mendicantium gymnasiis architectonicis, Hebraeorum repulsa, magnificis aedificiis, pulchris statis et plateis […] », Jakob Wimpfeling, Cis Rhenum Germania, Bibliothèque de l’État de Bavière, Pickel, 1649, paragraphe « Excellentia urbis Argentina », p. 43-44 (en ligne). Return to text

8 Sur le contexte général, voir entre autres Alfred Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, Online Édition, Trier University Library, 2015 ; Alfred Haverkamp (dir.), Zur Geschichte der Juden im Deutschland des späten Mittelalters und der frühen Neuzeit, Stuttgart, Anton Hiersemann, 1981 ; Alfred Haverkamp (dir.), Juden und Christen zur Zeit der Kreuzzüge, Sigmaringen, Jan Thorbecke, 1997 ; Gilbert Dahan, « Juifs en Occident médiéval : l’aire ashkénaze (xie-xive siècles) », in Jean Baumgarten, Rachel Ertel, Itzhok Niborski, Annette Wieviorka (dir.), Mille ans de cultures ashkénazes, Paris, Liana Levi, 1994, p. 24-32 ; Robert Chazan, The Jews of medieval Western Christendom, 1000-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Bernhard Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental (430-1096), Paris et La Haye, Peeters, 1960. Return to text

9 SchUM est l’acronyme composé des initiales hébraïques des villes de Spire, Worms et Mayence. Return to text

10 A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, op. cit., p.23 Return to text

11 Pierre Monnet, Villes d’Allemagne au Moyen Âge, Paris, Picard, 2004, p. 62-63. Return to text

12 Outre Spire, Worms, Mayence qui abritent les communautés juives les plus importantes dès la fin du xie siècle, on repère en Alsace la présence de communautés juives constituées à Strasbourg (fin xiie siècle), Haguenau, Rosheim, Obernai (vers 1215). Entre 1250 et 1300, le nombre de communautés juives attestées en Alsace passe à quatorze ; entre 1300 et 1350, à quarante-neuf. Sur les lieux d’implantation et l’évolution démographique des communautés juives dans l’espace rhénan, nous renvoyons à l’ouvrage de référence de Gerd Mentgen, Studien zur Geschichte der Juden im mittelalterlichen Elsass, Hanovre, Verlag Hahnsche Buchhandlung, 1995. Pour une synthèse en français, voir Benoît Jordan, Les juifs en Alsace : installations, persécutions et expulsions de 1250 à 1522, Atlas historique d’Alsace, 2007 [En ligne : www.atlas.historique.alsace.uha.fr]. Return to text

13 Sur les persécutions des juifs dans le contexte des croisades, voir en français Simon Schwarzfuchs, Les Juifs au temps des croisades, Paris, Albin Michel, 2005 ; Elsa Marmutsztejn, « 1096. Dans la vallée du Rhin. Les massacres de la première croisade », in Pierre Savy (dir.), Histoire des Juifs. Un voyage en 80 dates de l’Antiquité à nos jours, Paris, Puf, 2020, p. 185-190 ; René Gutman, Aude-Marie Certin (éd.), Le baptême ou la mort. Les massacres des juifs dans l’espace rhénan à partir de chroniques hébraïques sur les croisades (xie-xiie s.), Paris, Éditions de l’Éclat, 2024. Return to text

14 Même si le mot de « pogrom » désigne en premier lieu les massacres commis envers la population juive en Russie au xixe siècle après l’assassinat du tsar Alexandre II, nous choisissons, à l’instar d’autres historiens, de l’utiliser dans ce dossier pour évoquer les massacres des juifs à l’époque médiévale. Le terme, entré dans le langage courant et désignant aujourd’hui de façon élargie les violences extrêmes et les destructions contre les populations juives, apparaît en effet plus immédiatement compréhensible que d’autres termes. Voir la mise au point sur le choix de ce terme faite par J. Glatz, A. Lernardt, R. Rothenbuch (dir.), Zwischen Pogrom und Nachbarschaft. Beziehungen und gegenseitige Wahrnehmung von Juden und Christen in den SchUM-Städten während des Mittelalters, Mayence, Wurtzbourg, Publikationen Bistum Mainz, 2021, p. 9. Return to text

15 Il convient ici de souligner l’apport des travaux de Simon Schwarzfuchs, Freddy Raphaël et Georges Bischoff et qui, sous des angles variés, ont montré que l’espace rhénan, et en particulier l’Alsace, put être au Moyen Âge un lieu de cohabitation entre chrétiens et juifs, en même temps que le théâtre de la persécution de ces derniers. Voir entre autres Simon Schwarzfuchs, François Igersheim, article « Jude », Dictionnaire historique des institutions d’Alsace, fascicule 10, Strasbourg, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 2017, p. 1182-1197 ; Simon Schwarzfuchs, « Les communautés juives en Allemagne (xive-xviie siècles) », in J. Baumgarten et alii (dir.), Mille ans de cultures ashkénazes, op. cit., p. 76-81 ; Freddy Raphaël, Robert Weyl, Juifs en Alsace : culture, société et histoire, Toulouse, Privat, 1977 ; Freddy Raphaël (dir.), Le Judaïsme alsacien. Histoire, patrimoine, traditions, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1999, rééd. 2003 ; Georges Bischoff, « Le Moyen Âge entre accueil et persécution », in Freddy Raphaël (dir.), Regards sur la culture judéo-alsacienne : des identités en partage, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2001, p. 43-56. Return to text

16 Ces dernières années, d’importantes rencontres scientifiques ont été organisées en France qui montrent le dynamisme de la recherche sur l’histoire des juifs en Italie ou dans la péninsule Ibérique. Parmi les plus récentes, on évoquera la journée d’étude Appartenir à la cité. Faire communauté. L’inclusion politique des juifs au Moyen Âge organisée au MAHJ le 7 juin 2022 sous la direction de Claire Soussen et Claude Denjean (à paraître). Pour l’espace ibérique, nous renvoyons aux travaux de Claire Soussen, entre autres Judei nostri. Juifs et chrétiens dans la couronne d’Aragon à la fin du Moyen Âge, Toulouse, Méridiennes (Études médiévales ibériques), 2011. Return to text

17 Pour un panorama de la recherche actuelle sur l’histoire juive en France, voir Sylvie-Anne Goldberg (dir.), Histoire juive de la France, Paris, Albin Michel, 2023, en particulier la première partie « La longue naissance de la France », p. 29-222. Return to text

18 Esther Benbassa, « Les Juifs dans l’histoire, histoire des Juifs, histoire juive », in Jean Baumgarten, Frank Alvarez-Pereyre (dir.), Les études juives en France, Paris, Éditions du CNRS, 1990, p.79-86, p.84. Return to text

19 Nous renvoyons par exemple aux travaux menés par Elisheva Baumgarten et son équipe à l’université de Jérusalem, notamment dans le cadre du projet ERC « Beyond the Elite : Jewish Daily Life in Medieval Europe » ; ou aux recherches menées à l’institut de recherches Arye Maimon-Institut für Geschichte der Juden de l’université de Trêves, fondé en 1996 par A. Haverkamp, à l’origine entre autres de la création de la base de données Medieval Ashkenaz. Corpus der Quellen zur Geschichte der Juden im spätmittelalterlichen Reich [https://www.medieval-ashkenaz.org/projekt.html]. Return to text

20 Concernant les travaux portant sur l’histoire des juifs dans le monde germanique au Moyen Âge dans la recherche internationale, la liste des publications majeures est trop vaste pour qu’ils soient tous cités. En Allemagne, on se contentera d’évoquer les travaux d’Alfred Haverkamp, de Gerd Mentgen, d’Eva Haverkamp, d’Andreas Lenhardt (voir notamment le récent ouvrage dirigé par A. Lenhardt, J. Glatz et alii [dir.], Zwischen Pogrom und Nachbarschaft…, op. cit.). Concernant les travaux des chercheurs israéliens, américains ou anglais sur ce sujet, on se limitera à renvoyer aux travaux de Robert Chazan, Ivan Marcus, Elisheva Baumgarten et David Nirenberg parmi d’autres. Return to text

21 David Nirenberg, Antijudaïsme, trad. fr., Paris, Labor et fides, 2023, p. 20. Return to text

22 Comme l’écrivaient déjà Benoît Grévin, Dominique Iogna-Prat, Danièle Sansy en 2001 : « Nous pouvons, à l’opposé, soutenir que la société médiévale ne peut être étudiée que globalement et, du coup, souhaiter voir l’histoire des juifs traiter avec celle des chrétiens. Il s’agit – ou plutôt il s’agirait : le conditionnel est de mise à l’heure des souhaits – d’une histoire globale de la société médiévale et non pas d’une histoire comparée […] Les implications d’une telle démarche […] sont de permettre l’examen tant des interactions que des écarts entre communautés » ; B. Grévin, D. Iogna-Prat, D. Sansy, « Destins des juifs d’Europe du Nord… », art. cit., p. 8. Un horizon réflexif qui n’est pas sans points communs avec celui de Peter Schäfer de l’université de Princeton qui écrivait en 2002 : « Jews and Christians did live in the same world, rather than in two separate worlds rigorously sealed off one from the other », in Mirror of His Beauty : Feminine Images of God from the Bible to the Early Kabbalah, Princeton, Princeton University Press, 2002, 238-39, cité par Elisheva Baumgarten, « Appropriation and Differentiation : Jewish Identity in Medieval Ashkenaz », AJS Review, 42/1 (avril 2018), p. 39-63, ici p. 52. Return to text

23 E. Baumgarten, ibid. Return to text

24 Nous renvoyons ici aux travaux de Pierre Savy sur l’Italie. Voir notamment sa communication « Une inclusion négociée ? L’agentivité juive (France-Italie, bas Moyen Âge) » dans le cadre de la journée d’étude Appartenir à la cité. Faire communauté. L’inclusion politique des juifs au Moyen Âge, op. cit. (à paraître). Return to text

25 D. Nirenberg, Antijudaisme, op. cit., p. 20. Return to text

26 Pour la période 1273-1347, on trouve par exemple 337 sources conservées pour l’Alsace ; 340 pour Mayence ; 322 à Worms ; pour la période 1348-1390, 548 à Mayence, 322 pour la ville de Worms. Une estimation approximative permet de préciser que dans ces villes, les sources juives représentent moins de 10 % de l’ensemble, souvent même seulement plutôt 5 %, constituant de surcroît souvent des écrits fragmentaires ou des stèles funéraires parfois non intégrales. Sur les spécificités des sources disponibles sur l’histoire des juifs dans l’espace ashkénaze à la fin du Moyen Âge, voir aussi Alfred Haverkamp, « Verschriftlichung und die Überlieferung von Quellen zur Geschichte des ashkenasichen Judentums während des späten Mittelalters : Übersicht und Einsichten », in Idem, J.-R. Müller (dir.), Verschriftlichung und Quellenüberlieferung : Beiträge zur Geschichte der Juden und der jüdisch-christlichen Beziehungen im spätmittelalterlichen Reich (13./14. Jahrhundert), Peine, Hahnsche Buchhandlung, 2014, p. 1-64. Return to text

27 Outre sa contribution dans ce dossier, nous renvoyons à Judith Kogel, Sur les traces de la bibliothèque médiévale des Juifs de Colmar : reconstitution à partir des fragments conservés dans les reliures d’incunables, Leyde et Boston, Brill, 2019. Sur ce sujet voir aussi Andreas Lehnardt, Annelen Ottermann, Fragmente jüdischer Kultur in der Stadtbibliothek Mainz. Entdeckung und Deutungen, Mayence, Landeshauptstadt Mainz, 2015. Return to text

28 Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Paris, Payot, éd. 2017. Return to text

29 Simon Schwarzfuchs, Kahal, la communauté juive de l’Europe médiévale, Paris, Maisonneuve et Larose, p. 23. Return to text

30 Les chroniques hébraïques des croisades relatant les massacres des juifs à la fin du xie siècle dans le contexte de la première croisade évoquent 800 morts à Worms, entre 1100 et 1300 à Mayence. Ces chiffres, globalement corroborés par les sources chrétiennes, permettent d’avoir une estimation générale de la taille des communautés juives dans ces deux villes, puisque ces massacres y ont marqué la destruction quasi-totale de celles-ci ; R. Gutman, A.-M. Certin (éd.), Le baptême ou la mort…, op. cit., p. 32-33. Return to text

31 Précisons en effet qu’au xiiie siècle, entre 80 et 90 % de la population urbaine de l’Empire vit dans des villes de 200 à 2000 habitants, ce qui correspond aux trois-quarts des villes allemandes. À cette époque, la plus grosse ville est Cologne qui compte environ 40 000 habitants ; Mayence ou Spire comptent environ 20 000-25 000 habitants ; quand d’autres, comme Nuremberg ou Trêves, comptent environ 10 000 habitants ; Francfort-sur-le-Main, à peine 7000 habitants. Pierre Monnet, Villes d’Allemagne, op.cit., p. 26-27. Return to text

32 Concernant la part des juifs dans la population des villes de l’Empire, Pierre Monnet précise par exemple que si les juifs représentent 4 % de la population de Trêves (donc environ 400 juifs), ils représentent 15 % de la population de Nuremberg (donc environ 1500 juifs) ou de celle de Francfort-sur-le-Main (un peu de plus de 1000 juifs) ; Pierre Monnet, Conclusion de la journée d’étude Appartenir à la cité…, op. cit. (à paraître). Return to text

33 Attestée dès le début du xiiie siècle dans de nombreuses communautés de la vallée rhénane, comme par exemple à Mayence ou Colmar, la « Tanzhaus » était probablement destinée aux mariages et autres événements communautaires. D’après les sources, souvent rabbiniques, les premières dateraient du début xiiisiècle et elles semblent avoir perduré jusqu’au xviie siècle ; J. Kogel, Sur les traces de la bibliothèque médiévale des Juifs de Colmar…, op. cit. Return to text

34 S. Schwarzfuchs, Kahal, op. cit. Return to text

35 Sur ce sujet, voir Ulrich Hausmann, « Jüdische Nachbarschaft inmitten christlicher Bürger. Raumnutzung und Alltagskontakte zwischen Juden und Christen in den SchUM-Städten Speyer, Worms und Mainz », in J. Glatz et alii (dir.), Zwischen Pogrom und Nachbarschaft…, op. cit., p. 28-67, ici p. 36-41. Return to text

36 Eric Zimmer, Jewish synods in Germany during the Late Middle Ages (1286-1603), New York, Yeshiva University Press, 1978. Return to text

37 Article « Achkénazim », Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Robert Laffont, rééd. 1996, p. 13-15, ici p. 13. Return to text

38 Sur cette question, rappelons que Rachi, qui se forma à Mayence et Worms avant de s’installer à Troyes, est le premier à utiliser le mot « ashkénaze » pour désigner la langue allemande, et donc le pays d’Ashkénaz. Tiré de la Torah, le terme hébreu « ashkénaz » gagne progressivement en importance aux xiie-xiiie siècles pour désigner le royaume germanique ; A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, op. cit., p. 2-4. Return to text

39 L’une des grandes figures de cette communauté intellectuelle juive de l’espace ashkénaze est Rachi, qui se forma auprès de Gershom de Mayence, avant de s’installer à Troyes à partir de 1070 où il attira des étudiants venant de toutes les villes rhénanes. Return to text

40 H. Lipa, J. Höschel (éd.), Isaak ben Moses, Sefer Or Zaru’a, vol. 1, Zhitomir, 1862, 217b. Cette citation est reprise par A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, op. cit., p. 3 et se voit aussi commentée en introduction de l’ouvrage dirigé par J. Glatz et alii (dir.), Zwischen Pogrom und Nachbarschaft…, op. cit., p. 7. Return to text

41 Ce croisement invite à revenir en premier lieu sur la définition de la cité dans le monde germanique. Ainsi que le rappelle Pierre Monnet, la communauté citadine médiévale tente de se construire en premier lieu comme un lieu de paix, une tentative d’organisation sociale et de construction politique, ouvert au pragmatisme, un terrain d’expériences plus que d’application d’un système rigide. Ainsi peut-elle être définie comme « un terrain d’élaboration théorique et de mise en pratique du lien social, un lien vivant, complexe, sans cesse à tisser car bâti à la mesure de ce qu’est une cité (figure de “la société” dans son ensemble) : une mosaïque de droits, de privilèges et de statuts ; d’immunités et d’enclaves ; de groupes et de corps sociaux divers et imbriqués ; de cultures, de sentiments, de codes » ; Pierre Monnet, Villes allemandes, op. cit., p. 10. Sur l’histoire des villes en Allemagne, voir en allemand, M. Escher, F. G. Hirschmann, Die urbanen Zentren des hohen und späteren Mittelalters : vergleichende Untersuchungen zu Städten und Städtelandschaften im Westen des Reiches und in Ostfrankreich, Trêves, Kliomedia, 2005 ; E. Isenmann, Die deutsche Stadt im Mittelalter (1150-1550), Cologne, Vandenhoeck & Ruprecht, 2014. Return to text

42 Sur le statut juridique des juifs dans la chrétienté, Mark R. Cohen, Sous le croissant et sous la croix. Les Juifs au Moyen Âge, trad. fr., Paris, Seuil, 1994 et 2008, p. 89-130. Voir aussi Guido Kisch, The Jews in Medieval Germany : a study of their legal and social status, Chicago, University Press, 1949. Return to text

43 Pierre Monnet, « Des villes d’Allemagne au xiiisiècle », in Idem, Villes d’Allemagne au Moyen Âge, op. cit., p. 20-108, ici p. 62-63. Return to text

44 A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, op. cit. Return to text

45 P. Monnet, « Des villes d’Allemagne au xiiie s. », art. cit., p. 95. Return to text

46 M. R. Cohen, Sous le croissant et sous la croix…, op. cit., p. 126-130. Return to text

47 Sur ce thème, voir Olivier Richard, Serment et gouvernement dans les villes du Rhin supérieur à la fin du Moyen Âge, thèse d’HDR, université Paris-Sorbonne, 2015 ; à paraître en 2024 sous le titre, La ville jurée. Serment et gouvernement dans les villes du Rhin supérieur à la fin du Moyen Âge, Heidelberg, heiUP (Pariser Historische Studien, 130). Return to text

48 O. Richard, Serment et gouvernement…, op. cit., chapitre « Le serment des juifs », p. 198-204. Return to text

49 Sur ce thème nous renvoyons aux travaux de Pierre Monnet déjà cités. Return to text

50 Sur le rôle moteur des villes de SchUM dans le monde ashkénaze médiéval à partir du xiie siècle, Eric Zimmer, Jewish Synods in Germany during the Late Middle Ages (1286-1603), New York, Yeshiva Univ. Press, 1978 ; Reiner Barzen, « Die SchUM-Gemeinden und ihre Rechtssatzungen. Geschichte und Wirkungsgeschichte », in Pia Heberer, Ursula Reuter (dir.), Die SchUM-Gemeinden Speyer-Worms-Mainz. Auf dem Weg zum Welterbe, Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2012, p. 23-35 ; Rainer Barzen, Takkanot Kehillot SchUM. Die Rechtssatzungen der jüdischen Gemeinden von Mainz, Worms und Speyer im hohen und späteren Mittelalter, thèse de doctorat, université de Trêves, 2004. Return to text

51 Simon Schwarzfuchs, « Naissance, développement et organisation des communautés ashkénazes », in J. Baumgarten et alii (dir.), Mille ans de cultures ashkénazes, op. cit., p. 15-23, ici p. 17. Return to text

52 U. Hausmann, « Jüdische Nachbarschaft », art. cit., p. 36-40, ici p. 40, note 62. Return to text

53 Outre sa contribution dans ce dossier, nous renvoyons aussi en allemand à Gerold Bönnen, « Staufer-Juden-Bischöfe in den Kathedralstädten Worms, Mainz, Speyer », in Knut Görich (dir.), Jüdisches Leben in der Stauferzeit, Göppingen, Gesellschaft für staufische Geschichte, 2021, p. 66-91. Return to text

54 Cette attitude bienveillante a pour partie des raisons politiques et économiques, mais elle a aussi un fondement culturel et religieux. Sur ce plan, l’action de l’évêque de Spire est en effet à relier au mouvement monastique réformé puissant qui se déployait dans la région, notamment à Trêves et à Gorze, près de Metz. En effet, les évêques proches de cette mouvance ont été des acteurs essentiels dans le développement du judaïsme ashkénaze ; A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, op. cit., p. 16. Return to text

55 Dans leur ensemble, les massacres liés à la première croisade dans le monde germanique, en Bohême et en Hongrie, ont fait environ 5000 victimes. Return to text

56 Au début du xiiisiècle, apparaissent les communautés de Haguenau, Rosheim, Obernai (vers 1215). Entre 1250 et 1300, le nombre de communautés juives attestées en Alsace passe à quatorze. Sur les 66 villes alsaciennes, 49 ont des communautés juives ; B. Jordan, Les juifs en Alsace, op.cit. Return to text

57 Sur le sujet des relations quotidiennes entre juifs et chrétiens dans les villes, voir les analyses précises, et tout en nuances, proposées par Andreas Lehnardt et Ulrich Hausmann ; Andreas Lehnardt, « Nachbarschaftsgeschichten – Alltagskontakte zwischen Christen und Juden in den SchUM-Städten », in J. Glatz et alii (dir.), Zwischen Pogrom und Nachbarschaft…, op. cit., p. 11-27 ; U. Hausmann, « Jüdische Nachbarschaft inmitten christlicher Bürger… », art. cit. Return to text

58 A. Lehnardt, « Nachbarschatsgeschichten – Alltagskontakte… », art. cit. Notons que ces relations quotidiennes étaient réciproques. A. Lehnardt montre que les contacts entre juifs et chrétiens étaient parfois si étroits que ces derniers reprenaient des usages et des règles juives, même s’ils n’en avaient pas le droit, ici p. 21-26. Return to text

59 Sur ce thème, Gerd Mentgen, Studien zur Geschichte der Juden, op.cit., p. 557-574. Return to text

60 Rappelons en effet qu’en 1241, un pogrom fait environ 160 victimes à Francfort-sur-le Main, et qu’en 1297-1298, la persécution des juifs de Nuremberg fait plus de 600 victimes ; Pierre Monnet, « Des villes d’Allemagne au xiiie s. », art. cit., p. 62-63. Return to text

61 Sur les motifs et les formes de cette discrimination et de cette exclusion, nous renvoyons à Carole Wenner, Images et perceptions des juifs dans l’espace germanique entre fantasmes et réalités (xiiie s.-xviie s.), thèse de doctorat, université de Strasbourg, 2007, en particulier la partie III, p. 298-420 (en ligne). Return to text

62 Danièle Sansy, « Marquer la différence : l’imposition de la rouelle aux xiiie et xive siècles », Médiévale, 41 (2011), p.15-36 ; Eadem, « Identifier les juifs dans l’espace urbain : les signes distinctifs des juifs en terre d’Empire (xiiie-xve s.) », in Rostros judíos del Occidente medieval (XLV Semana Internacional de Estudios Medievales, Estella-Lizarra, 17/20 de julio de 2018), Pampelune, Gobierno de Navarra, 2019, p.167-192. Return to text

63 Alfred Haverkamp, « Die Judenverfolgungen zur Zeit des Schwarzen Todes im Gesellschaftsgefüge deutscher Städte », in Idem (dir.), Zur Geschichte der Juden im Deutschland…, op. cit., p. 27-67. Return to text

64 Cette période marque le déclin irrémédiable des centres majeurs culturels et religieux, notamment du fait de la perte d’une frange importante des élites lettrées décimées par les massacres. L’âge d’or des villes de SchUM se termine ainsi avec la Peste noire ; A. Haverkamp, Jews in the Medieval German Kingdom, p. 51-64. Return to text

65 À partir de là, elles deviennent particulièrement fréquentes dans les années 1420-1430, puis dans les années 1460-1470, puis 1495-1520, dans les villes rhénanes comme en Souabe ou en Franconie. Return to text

66 Notons qu’il s’agit souvent de villes impériales, comme Mulhouse, Kaysersberg, Haguenau, Rosheim, Obernai, Sélestat, Turckheim, Munster, Colmar. Return to text

References

Bibliographical reference

Aude-Marie Certin, « Introduction », Revue du Rhin supérieur, 6 | 2024, 17-36.

Electronic reference

Aude-Marie Certin, « Introduction », Revue du Rhin supérieur [Online], 6 | 2024, Online since 16 décembre 2024, connection on 24 janvier 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=465

Author

Aude-Marie Certin

Agrégée et docteure en histoire, Aude-Marie Certin est maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’université de Haute-Alsace (Mulhouse). Spécialiste des sociétés urbaines du monde germanique au Moyen Âge, elle travaille actuellement sur l’histoire des communautés juives au sein de l’espace rhénan. Parmi ses diverses publications, elle a publié avec René Gutman, Le baptême ou la mort. Les massacres des juifs dans l’espace rhénan à partir de chroniques hébraïques sur les croisades (XIe-XIIe siècle), Paris, Éditions de l’éclat, 2024.

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