Quinze ans après sa fondation, la revue Les Cahiers du GEPE fait peau neuve et devient les Cahiers du plurilinguisme européen.
Le nouveau nom de la revue s’explique par le fait que le Groupe d’Études sur le Plurilinguisme Européen, qui l’a fondée, n’a plus d’existence institutionnelle suite à la restructuration de son équipe d’accueil, d’une part, et surtout à la volonté de la part des responsables de la revue de rendre son objet plus « parlant » à un public plus large, d’autre part. L’adjonction de l’adjectif européen pour qualifier le plurilinguisme dont il est question a été retenue pour marquer la continuité avec l’ancien titre de la revue, et ne doit en aucun cas occulter son souci permanent d’ouverture sur d’autres espaces. Les thématiques et enjeux scientifiques de la revue restent en effet inchangés : c’est bien le plurilinguisme sous toutes ses formes et tous les points d’attention, toutes les problématiques qu’il soulève, qui restent les objets centraux de la revue, de sorte que l’esprit de feu le GEPE continue bel et bien de l’animer.
Ce moment charnière dans l’histoire des Cahiers éclaire également la thématique retenue pour le présent numéro. L’intitulé « plurilinguismes et langues en devenir » peut en effet être compris de différentes manières : « que sont devenues », ou « que deviennent », ou « que vont devenir » les différentes langues étudiées dans ce numéro au contact d’autres langues et dans des contextes les plus variés ? Et comment évolue la manière de les étudier ?
Le numéro s’ouvre avec trois contributions discutant des situations et pratiques sociolinguistiques émergentes, en lien avec les paradoxes qu’amène la mondialisation. Chloé Faucompré et Peggy Candas présentent les premiers résultats d’une recherche-action-formation menée sur la place des langues dans l’internationalisation des formations de l’enseignement supérieur. Gérald Schlemminger interroge quant à lui le devenir de l’enseignement du français, langue du voisin, face à celui de l’anglais, dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne. Au-delà de l’espace éducatif, Odile Schneider-Mizony propose une contribution sur un sujet habituellement traité plutôt en psycholinguistique, les langues faciles à lire et à comprendre, mais dont les enjeux sociaux et sociétaux ne peuvent qu’intéresser les sociolinguistes.
Suit une série de contributions portant sur des variétés germaniques dans des situations de minoration plus ou moins importante. Le bas-allemand, reconnu comme « langue régionale » en Allemagne du Nord, bénéficie d’un espace de représentation plutôt plébiscité : le théâtre amateur. Dans leur contribution, Albrecht Plewnia et Reinhard Goltz s’intéressent au rôle que joue ce dernier dans la vitalité et la transmission de la langue. Une autre forme de théâtre, moins connue, est discutée dans la contribution de Lucile Hamm, qui s’intéresse aux pièces radiophoniques diffusées en alsacien sur Radio-Strasbourg à travers les tapuscrits qui en ont été conservés, et à la manière dont l’alsacien y est représenté, en contact avec le français et d’autres langues. Elle met en lumière les difficultés méthodologiques mais aussi l’intérêt d’étudier un tel corpus. À l’autre bout de l’Europe géographique, Katharina Dück consacre quant à elle une étude aux locuteurs de l’allemand en Géorgie et aux efforts faits par différents acteurs pour maintenir ce dernier, malgré une évolution du contexte sociohistorique contribuant largement à sa minoration.
La plus menacée parmi les langues traitées dans ce numéro est sans doute le patois sauget, historiquement implanté dans un micro-espace du domaine franco-provençal, et auquel Claude Truchot consacre une longue et passionnante enquête. Dans celle-ci, il étudie les changements de langue sur le temps long, avec un appui central sur des sources historiques, dans tous les domaines possibles, dans la mesure où tous disent quelque chose, même en creux, des phénomènes d’usages linguistiques.
Le fait qu’un numéro spécial de la revue ait été consacré aux travaux d’Andrée Tabouret-Keller en 2021, d’une part, et que des parutions importantes aient eu lieu dans les domaines privilégiés par la revue, d’autre part, expliquent un nombre inhabituellement élevé de comptes rendus dans ce numéro.
Dans le domaine des politiques linguistiques, deux versions éditées de thèses ont retenu l’attention du comité de rédaction. L’ouvrage de Zorana Sokolovska fait l’objet d’un compte rendu par l’auteure de ces lignes, focalisé sur ses aspects théoriques et méthodologiques, en lien avec l’accent mis par la revue « sur la définition en amont des paradigmes scientifiques, des modalités d’approches, des modèles qui restituent les démarches préconisées et les résultats ».1 L’ouvrage de Coraline Pradeau intitulé Politiques linguistiques d’immigration et didactique du français a quant à lui donné matière à discussion à Yannick Lefranc. Ce dernier fournit dès lors un compte rendu au format original, dans lequel il cherche à la fois à restituer le message de l’auteure et à entrer en dialogue avec elle, sous la forme de « commentaires critiques qui se veulent loyaux et constructifs ».
Vincent Balnat livre le compte rendu de l’ouvrage Termes en discours, situé au croisement de la terminologie et de la sociolinguistique, et dont les contributions révèlent l’importance de la prise en compte des contextes sociolinguistiques et culturels dans l’étude de la terminologie utilisée dans des échanges mondialisés. En cela, il fait écho à la réflexion sur l’internationalisation dans l’article de C. Faucompré et P. Candas, en discutant notamment la notion d’English as Lingua Franca.
Enfin, le hasard du calendrier a voulu qu’est paru au moment de la soumission de l’article de K. Dück sur les locuteurs de l’allemand en Géorgie, un ouvrage de C. Roth sur une autre minorité de langue allemande, implantée en Roumanie, les Saxons de Transylvanie, dont le compte rendu est proposé par Alexandre Zeitler. Les réflexions sur ces deux situations à la fois similaires et différentes entrent largement en résonance malgré des approches très différentes.
Le nouvel hébergement de la revue lui donne des fonctionnalités qui la rapprochent des normes actuelles en matière de publication (notamment grâce à l’attribution de DOI à chaque contribution) tout en préservant son originalité : le format exclusivement en ligne permet de publier des contributions qui n’auraient peut-être pas pu être accueillies ailleurs en raison des contraintes liées à la réalisation d’une revue papier et dont il aurait cependant été fort dommage de priver la communauté des chercheurs (cf. l’empan de l’article de C. Truchot dans ce numéro). Il permet également de continuer à publier aussi bien des travaux de chercheur·e·s aguerri·e·s tout comme ceux de tou·te·s jeunes chercheur·e·s (cf. l’article de L. Hamm dans ce numéro).
Dans l’espoir que ce numéro continuera à susciter l’intérêt des lect·eur·rice·s, ancien·ne·s et nouve·aux·lles venu·e·s, souhaitons longue vie aux Cahiers du plurilinguisme européen !