Crée en 1959, le bureau d’étude et de liaison pour l’enseignement du français dans le monde (BEL) n’a eu de cesse depuis 50 ans de diffuser dans le monde par le biais de stages intensifs certains principes pédagogiques ou organisationnels qui sous-tendent l’enseignement du FLE. L’ouvrage coordonné par France Education international (anciennement CIEP) reprend quelques interventions choisies à la suite des journées qui se sont déroulées en 2017 pour célébrer les noces d’or du BELC1. Le livre est divisé en 3 parties principales afin de témoigner de l’évolution de l’enseignement du français à partir des années 60 : 1) Aux commencements, 2) Parcours et éclairages, 3) Travaux et perspectives. Un post-scriptum dédié à Francis Debyser qui dirigea le BELC pendant une vingtaine d’année clôture l’ensemble des contributions. Notre propos sera organisé de manière à faire ressortir les évolutions et les innovations qui ont guidé la formation des enseignants au sein du BELC.
1) L’enseignement du FLE se différencie de l’enseignement du français langue maternelle
La contribution de Guy Capelle intitulé « Aux origines du Bureau d’étude et de liaison pour l’enseignement du français dans le monde, ou le hasard fait bien les choses » nous indique que l’institution actuelle est née d’une frustration d’un assistant de coopération, en l’occurrence l’auteur, de se retrouver trop fréquemment confronté à du personnel envoyé par le Ministère des Affaires Etrangères pour assurer des cours de français à l’étranger alors que ces derniers n’avaient suivi qu’une formation en français langue maternelle. Sa plainte auprès de son supérieur hiérarchique, M. Roger Seydoux au Quai d’Orsay, devait être entendue de même que sa conceptualisation d’un organisme qui pourrait se charger de former les futurs assistants de coopération à des méthodes d’enseignement spécifiques au FLE et, en accord avec les derniers développements pédagogiques, notamment l’accent sur l’enseignement de l’oral. En 1959, Guy Capelle prenait la tête du BEL (1959-1967) et son directeur adjoint supervisait la création d’une nouvelle revue mensuelle « Le français dans le monde » soutenue par Hachette.
2) L’enseignement du FLE s’appuie sur les recherches universitaires
Daniel Coste, en tant que dernier directeur du Centre de recherches et d’études pour la diffusion du français (CREDIF), reprend dans son chapitre de manière détaillée les points communs et divergences entre le CREDIF et le BEL afin d’illustrer notamment les enjeux en termes d’appuis universitaires : « BEL et CREDIF avant le BELC : remarques sur la constitution d’un couple ». Dès 1951, le centre d’étude du français fondamental est intégré à l’Ecole Normale supérieure et dispose d’un vivier d’universitaires pour mener à bien une description du français (Le français fondamental) afin de créer une méthode pour faciliter l’apprentissage du français langue étrangère des étudiants étrangers et des travailleurs migrés. Le BEL est quant à lui rattaché au Ministère des Affaires Etrangères ; il s’attache à former des enseignants de français qui interviendront à l’étranger et il se trouve de fait statutairement et géographiquement en marge des recherches universitaires. Conscient de ce manque d’assises théoriques et même méthodologiques puisque le BEL ne produit pas de méthode d’enseignement du FLE à l’instar du CREDIF avec Voix et Images de France, Guy Capelle, alors directeur du BEL, organise des journées d’études en 1961 en coordination avec le CREDIF afin de rassembler les linguistiques de l’époque. Le BEL choisira de s’appuyer sur les récentes recherches en analyse contrastive afin de développer une expertise pour l’enseignement du FLE aux contacts d’autres langues (comparaison langue source-langue cible).
3) L’enseignement du FLE inclut une formation à l’interculturel
A travers sa contribution « L’abécédaire d’un C », Geneviève Zarate relate l’historique de l’ajout de la lettre C à l’acronyme BEL. Dès sa naissance, le C indiquera que la civilisation est un élément important dans l’enseignement du FLE, en rappel au Cours de langue et de civilisation françaises de Mauger enseignée dans toutes les institutions représentant le français à l’étranger. Puis, à la suite du recrutement de Geneviève Zarate (1979-1991) au sein du BELC, plusieurs discussions, expérimentations et publications internes (dont AntoBelc, 1983) feront osciller le débat entre Culture et Civilisation. Ce ne sera qu’en 1993 que le sigle BELC signifiera Bureau d’étude des langues et des cultures et inclura les notions d’interculturel, le français ne se trouvant plus dans une posture de « civilisant » mais plutôt comme un élément de contre-pouvoir dans un monde se tournant de plus en plus vers l’anglais.
4) L’enseignement du FLE repose sur la convivialité, l’échange et la créativité
Denis Bertrand, ancien directeur du BELC de 1992 à 1996, donne un aperçu à travers son témoignage « Le BELC, un laboratoire du langage » des pratiques de formation qui continuent d’animer les universités d’été du BELC. Tout d’abord, un esprit de convivialité où la pédagogie n’est pas descendante mais où l’animateur crée une dynamique à partir d’expériences personnelles. Les échanges entre théoriciens et praticiens sont encouragés de même que les retours sur des expérimentations locales hors manuels. Finalement, la créativité s’appuie sur toutes les disciplines (littérature, anthropologie, linguistique, psychanalyse …) afin de faire émerger des dispositifs innovants (OULIPOPO autour de l’intrigue policière, simulations globales, collaboration à distance avec le minitel…). C’est tout un bouillonnement d’interactions fertiles et d’idées productrices que l’on perçoit dans un lieu isolé géographiquement de sa tutelle (le CIEP) mais fidèle à ses partenaires étrangers.
5) L’enseignement du FLE s’inspire de théories issues de différentes disciplines
Comme le rappelle Francis Yaiche dans son article « Langage et communication : le système BLEC ou comment traverser les frontières pour entrer dans l’ère de la complexité », les formateurs FLE se doivent un esprit curieux qui permet de voyager au sein de différentes disciplines. Alors que la théorie de la complexité est la nouvelle représentation théorique à la mode pour l’acquisition des langues secondes, le BELC avait déjà propulsé la systémique au cœur de ses formations. Modulaires et interdisciplinaires, les programmes d’enseignement ont reposé tout à tour sur la littérature, la psychanalyse, les sciences de l’information et de la communication, les sciences de l’éducation, la psychologie, la créativité, le marketing, la publicité… afin de dépasser la « purification » disciplinaire et prendre en compte la langue, l’Autre dans son histoire et dans son système. C’était se positionner en porte-à-faux par rapport à la didactique des langues, une discipline en cours de constitution dans les sphères universitaires et en cours de marchandisation monolithique.
6) L’enseignement du FLE demande des lieux de préparation propice à la réflexion
Ce qui frappe dans les propos d’Henri Portine dans « Un paradigme nommé BELC », c’est l’institution BELC en tant que haut-lieu d’échanges. Le BELC apparait comme un endroit de réflexions avec les autres au travers de temps forts comme les universités d’été, les réunions locales, les déjeuners informels avec les collègues ou la participation aux séminaires d’universitaires parisiens. C’est aussi un lieu de ressources avec une bibliothèque remplis d’ouvrages inédits ou exotiques. Les administratifs et les techniciens initient les experts aux techniques de reproduction, aux nouvelles technologies…dans un esprit de communauté participative. Les responsables laissent les stagiaires développer leurs projets personnels et les expérimenter lors d’ateliers à l’étranger. L’individu semble sublimé dans le collectif : une « ruche industrieuse » selon Portine. Le déménagement du BELC au sein du CIEP entachera durablement cette dynamique.
7) L’enseignement du français au public migrants ne peut être dissocié du FLE
Dans leur article, « Le BELC et la formation des adultes dits « migrants » : convergences institutionnelles et didactiques », De Ferrari et Laurens notent que, dès la création du Centre Migrants (centre de documentation) en 1973 au sein du BELC, la volonté gouvernementale était de s’appuyer sur les compétences qui avaient été développées pour l’enseignement du FLE à l’étranger afin d’accompagner cette fois-ci un public local en dépassant le simple cadre de l’alphabétisation. Les différentes directives gouvernementales ont parfois éloigné les formateurs auprès de migrants du champ du FLE en introduisant des référentiels calqués sur le français langue maternelle ou en dissociant le français langue d’intégration du FLE ; cependant, les référentiels européens ont permis depuis 2000 de réintégrer l’enseignement du FLE en contexte d’immersion (pour des migrants) au sein de la didactique du FLE de manière générale. Pour les auteurs, les particularités du français pour migrants se situent au niveau de la mise en œuvre d’une véritable pédagogie des premiers acquis avec l’accent sur l’agir oral en situation, la nécessité d’accompagner le développement de compétences interculturelles (notamment la décentration) et l’adaptation de l’enseignement grammatical et lexical à de vraies situations de communication. Les stages BELC proposées depuis 2002 s’appuient sur cette symétrie FLE et Français pour migrants en centrant son dispositif de formations de formateurs autour de la pédagogie de l’immersion.
8) L’exploitation de documents authentiques peut s’appuyer sur l’analyse de discours
Ce que nous rappelle Chantal Claudel dans son écrit intitulé « L’apport des approches discursives en formation à la didactique des langues », c’est que le BELC a toujours su s’approprier les dernières réflexions linguistiques afin d’enrichir ses stages de formation. Alors que la linguistique appliquée commençait à s’essouffler et que les enseignants étaient à la recherche d’autres éléments que le micro-linguistique pour renouveler leurs pratiques, l’analyse de discours prenant en compte la situation de communication dans son ensemble semble être un vent nouveau dans les années 70 pour des acteurs qui s’orientent vers des postures plus communicatives pour concevoir la construction des compétences linguistiques. Que ce soit dans le cadre du Français sur objectifs spécifiques ou pour l’enseignement du Français général, la focalisation sur des régularités linguistiques dans une série de documents est particulièrement féconde. Dans le contexte des stages BELC et la formation Profle à destination d’acteurs du Ministère des affaires étrangères, la notion de genre parait une entrée productive qui permet aux enseignants de s’emparer de nombreux documents authentiques et de les pédagogiser selon des axes multiples (actes de paroles, lexique, cultures…).
9) L’unité didactique peut servir à évaluer le développement des compétences professionnelles
Dans leur intervention « L’unité didactique : évolution d’un outil cadre pour l’enseignement/apprentissage des langues », Valérie Lemeunier et Véronique Laurens replacent dans un premier temps les développements de l’unité didactique dans son contexte historique. Cette dernière s’est tout d’abord inscrite au sein de méthodes avec un déroulé plutôt rigide (SGAV) et ce n’est que récemment (approche communicative-actionnelle) que l’unité didactique arbore une certaine flexibilité dans les phases qu’elle peut proposer. Il n’en reste que de nombreux enseignants sont à la recherche d’une certaine systématisation dans la présentation de leurs contenus et que les stages BELC sont souvent l’occasion d’affiner des propositions d’unités didactiques. Pour les enseignants-novices, la formation articulée autour des unités didactiques permet dans un premier temps de les positionner en tant que techniciens capables de comprendre et d’adapter à minima les propositions des manuels. D’autres paliers (pilote, auditeur, ingénieur) pourront être franchis au fur et à mesure du développement professionnel de l’enseignant qui se servira de l’unité didactique pour s’adapter à des profils apprenant particuliers, évaluer des compétences et concevoir ses propres ressources. Finalement, lors d’entretiens professionnels ou d’embauche, l’unité didactique peut être mobilisée pour accompagner l’agir professionnel.
10) La littérature constitue toujours un support pédagogique privilégié
Anne-Claire Raimond reprend dans son chapitre « De l’analyse de texte aux pratiques créatives : variations autour de la littérature dans les formations du BELC » les grandes tendances qui se sont succédé au cours des diverses formations centrées sur la littérature. Tout d’abord, les supports s’appuyant sur la littérature patrimoniale ont été petit à petit mis de côté afin que ne subsiste presque exclusivement que la littérature contemporaine sous différents formats théâtre, roman, conte, poésie mais aussi bande-dessinée et littérature de jeunesse. Les extraits d’œuvres longues ont aussi été écartés au profit d’œuvres plus courtes (le conte, la fable, la nouvelle) étudiées dans leur intégralité afin de permettre de suivre le récit dans sa totalité. D’autres supports (images fixes ou cinématographiques) s’ajoutent ou remplacent le texte. D’un point de vue méthodologique, le texte littéraire peut servir pour une exploitation pédagogique linguistique mais aussi culturelle. Il peut être prétexte au lire, à l’écrire ou au dire. Bref, les stages BELC sont toujours l’occasion pour de très nombreux enseignants de se former à l’exploitation du texte littéraire sous toutes ses coutures.
11) Le jeu peut être mobilisé pour soutenir les apprentissages
La contribution d’Haydée Silva intitulée « Métamorphoses du ludique au fil du BELC : jeu de piste » reprend les évolutions successives lors des différents séminaires proposés pendant les stages BELC. Tout d’abord, le jeu s’est imposé dans une démarche plutôt structuraliste (1967-1972) comme une technique permettant de fixer des structures mais aussi de faire émerger une certaine liberté de production par le biais des jeux de rôles, de l’improvisation, du théâtre... le tout dans un climat bon-enfant. Entre 1973 et 1997, la créativité est au centre des interventions avec des comédiens, des chanteurs, des conteurs qui envahissent les formations pour proposer des projets pédagogiques complets aboutissant à des simulations globales et donc à la création de mondes à part. Depuis cette époque, le jeu se recentre sur le ludique et moins sur la créativité ; il tient à se prolonger dans les nouvelles technologies. Les interventions sont plus en soutien au développement de compétences particulières (phonétique, oral…) que pour soutenir des productions plus globales. Alors que le jeu a été un élément central des formations BELC, il reste maintenant à l’adapter à des contextes modernes où le jeu sérieux et l’informel prennent le pas sur les plus traditionnels lancers de dés et simulations en tout genre.
12) L’enseignement du FLE est un véritable métier qui mérite un référentiel évolutif
La formation des enseignants de FLE est au cœur de la mission du BELC. Les années de formation déployées ont permis de circonscrire avec plus de précision les attendus de cette mission. Valérie Lemeunier décline dans un référentiel pointu « Métier : enseignant de français » chacune des compétences à développer dans cet agir professionnel. Quatre niveaux ont été répertoriés correspondant à la classification de Bloom, à savoir les paliers technicien, pilote, auditeur et ingénieur. Ce sont à chaque fois des descripteurs qui permettent de situer des enseignants dans leur développement professionnel mais aussi de classer des métiers à part, chacun pouvant choisir de n’exercer qu’un seul rôle.
13) Une formation continue proposée au monde diplomatique
Présentée par Manuela Ferreira Pinto, la contribution « Le BELC au service de la coopération linguistique » reprend quelques données cruciales pour comprendre l’importante mission du BELC. Avec une moyenne d’âge de 40 à 45 ans, les stagiaires sont en grande majorité des enseignants (60%) à la recherche d’un renouvellement de leurs pratiques même si le BELC a aussi vocation à former des cadres de la coopération. De nombreux étrangers (70%) sont désireux de ramener sur leur sol des propositions qui dépassent le strict cadre de la pédagogie et touchent aussi à l’ingénierie, aux suivis qualité des formations, à la gestion des centres de langues ainsi qu’à la mise en place de certifications spécifiques du FLE. De manière générale, la conception modulaire des stages ainsi que leur dépaysement aux quatre coins du monde permettent au BELC d’assurer sa mission de formation continue malgré des baisses de budget conséquentes sur les postes diplomatiques.
14) Conclusion
A travers des contributions variées, c’est toute l’histoire du BELC mais aussi du FLE qui refait surface avec ses innovations et ses tensions pendant les 50 dernières années. La lecture de cet ouvrage fait émerger aussi les acteurs-clés de différentes époques, les dynamiques individuelles et collectives ainsi que les changements de statut administratif du BELC. On en ressort avec une certaine nostalgie d’une époque d’une jovialité certaine où on pouvait innover sans avoir à remplir des bilans qui prennent des semaines, où on pouvait échanger librement quitte à se fâcher temporairement avec ses collègues, où il existait des lieux dédiés pour les stages ou les rencontres administratives, où les mobilités personnel technique, diplomatique, universitaire pouvaient s’envisager de manière plus fluide, où les pressions financières étaient moins importantes, où la disciplinarisation était moins frappante…Bref, un temps où le facteur humain n’était pas subordonné à des impératifs pécuniers et administratifs.