L’année 2020 aura été un marqueur dans nos pratiques pédagogiques. Nous avons tous été bousculés par une pandémie qui nous aura fait basculer dans le tout numérique. Éloignés soudainement de nos publics, il nous aura fallu réinventer des dispositifs de formation dans l’urgence. Cette rupture du lien nous a fait réfléchir sur notre métier et sur ce que nous souhaitions en conserver. Rapidement, ce n’est plus la continuité pédagogique qui a été au centre de nos réflexions mais le lien pédagogique. Alors que les apprenants décrochaient pour de multiples raisons : techniques, psychologiques, pédagogiques, financières…, les enseignants s’organisaient pour choisir les outils qui pourraient pérenniser ce lien pédagogique. Et de nouveau, il était question de lien : le lien entre les équipes enseignantes par le biais de réunions de collaborations et de partage d’expérience afin de s’entraider. Puis, il aura fallu parler de toutes nos expériences et de ce que nous avions appris. Le numéro spécial Quelle éducation avec la Covid-19 ? proposé par Recherches et Éducation dès juillet 2020 montrait bien avec ces 40 contributions, que malgré les difficultés à recueillir des données de manière classique, nous avions tous besoin d’échanger sur ce qui nous avait traversé.
Concernant l’enseignement du FLE et des langues en général, l’épreuve aura été difficile. En effet, notre discipline ne s’appuie pas simplement sur la transmission de connaissances mais sur le développement d’une compétence communicative construite au fil des séances et minutieusement accompagné par des activités scénarisées. On avait déjà bien réfléchi sur l’hybridation de cours de langues (Nissen, 2019), sur l’enseignement de l’oral en ligne (Guichon et Tellier, 2017) mais gérer toutes les compétences et les évaluations en ligne était un nouveau défi surtout dans des contextes où le numérique n’était pas encore complètement déployé (manque de matériel et de connexion).
Le numéro que nous présentons a la particularité de balayer un large champ d’initiative dans des contextes très divers (Allemagne, Belgique, France, Gabon, Koweit, Maroc, Norvège) et auprès de différents publics (migrants, étudiants, étudiants en formation à la didactique du FLE). De nombreuses collaborations ont permis de contraster les expériences et de faire émerger des notions et des pratiques-clés.
Dans un premier article, Odile Blanvillain, Anne Prunet, Nelly Foucher Stenkløv et Carmen Avram ont choisi de se centrer sur l’accompagnement tutoral de deux formations de l’Université de Caen mises à distance pendant la pandémie. Les modalités pédagogique, organisationnel et socioaffectif de Quintin (2008) sont reprises afin de faire émerger le point de vue des enseignants et des étudiants. Il en ressort que pour les cours de didactique du FLE, le passage en ligne en septembre 2020, sans rencontre physique au préalable, bien que scénarisé, a pu porter préjudice à la dynamique de groupe. Malgré l’investissement en temps de la part des enseignants, les étudiants ont eu quelques difficultés à s’investir dans la modalité asynchrone. Il aurait peut-être fallu, selon les auteurs, ajouter quelques séances en synchronie afin de mieux rythmer le cours. Pour ce qui est des cours de FLE proposés par l’université de Caen pour des étudiants norvégiens, le passage en ligne a particulièrement impacté le développement de compétences interculturelles qui se réalisait de manière informelle sur le campus. C’est ainsi que des malentendus se sont développés et des ajustements ont été nécessaires afin que les étudiants norvégiens puissent s’acculturer au modèle universitaire français et poursuivre leur scolarité avec sérénité.
Gerald Schlemminger rend compte du passage en ligne d’un Atelier de français animé par des étudiants en didactique du FLE dans une École supérieure de pédagogie en Allemagne. Alors que les ateliers avaient été conçus pour mobiliser des principes pédagogiques issus de Freinet, Montessori, Vasquez et Oury afin de favoriser les échanges entre pairs, les étudiants en formation ont dû assurer ces derniers par le biais de visioconférence. Gérald Schlemminger décrit avec minutie l’impact de cette nouvelle modalité sur les temps d’apprentissage, sur la scénarisation des activités mais aussi pour la formation à la didactique du FLE. En effet, si les aspects tactiles et kinésiques sont fortement impactés, comme la manipulation de cartes de vocabulaire, le traçage vidéo par le biais d’enregistrements permet aux enseignants-formateurs de mieux accompagner les enseignants-étudiants en proposant des séances réflexives plus riches.
La contribution de Manal Hosny, Carine Zanchi et Driss Louiz nous plonge dans des considérations politiques nationales (Koweït ; Maroc) où l’enseignement à distance était fortement dénigré avant la pandémie. En effet, il était alors impensable d’obtenir un diplôme en ne se rendant pas physiquement en cours. On assiste alors par le biais de décisions parfois contradictoires aux changements des représentations d’une nation et de son système universitaire. On peut alors imaginer la difficulté de choisir des outils et de mettre en place des dispositifs de formation en FLE alors que le dénigrement est de mise. Finalement, on comprend que la pandémie aura fait tomber de nombreuses barrières et que l’enseignement en ligne fera partie intégrante des nouvelles maquettes de formations en FLE.
Sabrina Fecchio, Julie Mainguet et Jonathan Szajman partagent leur expérience concernant la mise en place de dispositifs de formation auprès de migrants pendant plusieurs phases de la pandémie à Bruxelles. Dans un milieu associatif qui s’appuie beaucoup sur des bénévoles et qui œuvrent auprès d’une population avec peu de moyens, ils nous relatent la difficulté à maintenir du lien pédagogique. Ce sont parfois des outils simples et partagés par tous, comme WhatsApp, qui permettent de se rencontrer à distance et d’attendre les prochaines rencontres en présentiel. Au-delà du lien pédagogique, ce sont aussi les littéracies numériques qui se sont développées chez les apprenants.
Au Gabon, la continuité pédagogique a pu se mettre en place rapidement dans les universités privées. Mireille Essono Ebang a profité de cette occasion pour développer une activité d’écriture collaborative avec Google Docs. L’asynchronicité de ce dispositif a permis aux étudiants d’échanger entre eux et de construire un texte commun avec fluidité malgré le manque de portables à disposition des étudiants et le coût élevé des connexions Internet. Mireille Essono Ebang nous rappelle aussi l’importance d’accompagner les étudiants d’un point de vue technique en restant à disposition via des applications comme WhatsApp.
Le numéro se termine par deux comptes-rendus. On appréciera tout d’abord la contribution de Simona Ruggia qui présente un outil capable de détecter le niveau de langues de textes oraux grâce à l’intelligence artificielle. Ses illustrations permettent de visualiser les parties d’un texte qui peuvent appartenir à plusieurs niveaux laissant ainsi la possibilité à l’enseignant de simplifier ou de complexifier ses extraits. Finalement, Nathalie Gettliffe propose un résumé du dernier ouvrage d’Hervé Adami pour la formation des migrants au français. On y retrouvera les notions-clés développées par l’auteur ainsi que les principes pédagogiques qui sous-tendent une didactique contextualisée.
Nous remercions encore tous les auteurs de ce numéro et les évaluateurs qui ont permis l’enrichissement des textes. Malgré les campagnes de vaccination en cours, la pandémie reste encore d’actualité. Chaque enseignant et chaque apprenant a su développer de nouveaux usages pour l’apprentissage des langues qui perdureront en partie dans l’après COVID. Pour certaines parties du monde, c’est tout une nouvelle économie numérique qui a démarré. Gageons que ce sursaut continuera à mettre l’humain au cœur de nos pratiques en maintenant ces liens qui nous rendent plus forts.