Abstracts

Ce présent retour d’expérience se nourrit de nombreux témoignages de formatrices bruxelloises ainsi que de membres de l’équipe Bruxelles FLE. Notre réflexion se donne pour but de faire le point sur les pratiques développées depuis l’éclatement de la crise sanitaire en 2020. La situation, aussi inédite qu’inattendue, est la cause du développement de nouvelles pratiques de formation et d’une diversification des compétences numériques des formatrices. Elle a joué en même temps un rôle de révélateur des limites de la formation à distance, qu’elle soit synchrone ou asynchrone, face à un public inégalement outillé et disponible pour continuer à bénéficier réellement des apports d’une formation guidée.

This article is intended to provide a feedback regarding the various teaching strategies that emerged following the COVID 19 health crisis. Relying on a variety of testimonies from the teachers as well as from the trainers of Bruxelles FLE, we intend to outline the new digital literacies that were developed for teaching French as a second language. We will also stress the challenge of teaching a foreign language online with synchronous or asynchronous tools as some students struggled to have access to digital technology and stable Internet connections.

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Introduction1

En Belgique, on peut distinguer trois phases dans la gestion de l’épidémie de COVID-19 par les autorités fédérales et communautaires, qui ont toutes eu un impact sur la formation linguistique pour adultes.

Les centres de formation bruxellois proposant une offre en FLE relèvent de secteurs variés et agissent dans divers dispositifs2. Au-delà de leurs particularités, ils sont soumis depuis plus d’un an à des contraintes liées à la situation sanitaire qui ont des effets sur leurs pratiques pédagogiques.

Voici les trois phases principales de gestion de COVID-19 identifiées depuis mars 2020 :

  • Le premier confinement décrété le 17 mars 2020 provoque la suspension des activités réunissant formatrices et apprenants.
  • La deuxième phase concerne un progressif déconfinement lancé au mois de mai 2020 et comprend la reprise des activités de formation, avec un nombre restreint de participants par groupe ainsi qu’un certain nombre de mesures de protection sanitaire (port du masque, mise à disposition de gel désinfectant, distance à respecter entre les participants …).
  • Depuis le mois d’octobre 2020, de nouvelles restrictions ont été décidées par les autorités, les formations en présentiel sont de nouveau interdites mais il reste possible de proposer des rendez-vous individuels aux apprenants3.

Notre réflexion se donne pour but de faire le point sur les pratiques développées depuis l’éclatement de la crise sanitaire en 2020. La situation, aussi inédite qu’inattendue, est la cause du développement de nouvelles pratiques de formation et d’une diversification des compétences numériques des formatrices. Elle a joué en même temps un rôle de révélateur des limites de la formation à distance, qu’elle soit synchrone ou asynchrone, face à un public inégalement outillé et disponible pour continuer à bénéficier réellement des apports d’une formation guidée.

Nous explorons donc ici les activités mises en œuvre par notre service d’appui pédagogique, les obstacles rencontrés et les leviers utilisés pour maintenir des formations adaptées, avant de faire le point sur les stratégies développées actuellement par les formatrices sur le terrain tandis que les mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus (dont le télétravail généralisé et l’impossibilité d’organiser des formations pour des groupes d’adultes) sont toujours en vigueur sur notre territoire (voir note 3).

1. Continuité de l’appui pédagogique

Bruxelles FLE est un centre d’appui pédagogique au service du réseau associatif qui anime l’offre de formation destinée aux adultes allophones en Région de Bruxelles-Capitale4.

Cet appui s’adresse à plusieurs dizaines de centres de formation pour adultes actifs dans différents dispositifs soutenus par les pouvoirs publics communautaires. Il existe environ 60 opérateurs de formation animant une offre de formation en FLE. Ils ont le statut d’association pour la plupart mais leur taille varie fortement, tout comme leur nombre de formatrices ou d’apprenants. Leur public et le type de formation suivie dépendent des dispositifs dans lesquels ils sont actifs : parcours d’accueil (primo-arrivants, modules intensifs ou extensifs), Insertion Socio-Professionnelle (demandeurs d’emploi, modules intensifs), Cohésion sociale et Education permanente (apprenants aux profils hétérogènes, visées de participation citoyenne et d’émancipation, cours extensifs).

Notre appui pédagogique consiste à animer des groupes de travail réunissant des formatrices autour de problématiques rencontrées sur le terrain, permettant de mutualiser leurs ressources, de confronter leurs points de vue et leurs expériences pratiques. Ces rencontres sont articulées avec un programme de formation continue constitué d’intervenants experts qui proposent des réponses à ces problématiques (méthodologies, connaissance des publics, réflexion sur les dispositifs de soutien public à la formation…). Cette offre complète les missions poursuivies par l’association Lire et Écrire, mouvement associatif belge francophone pour le droit à l’alphabétisation pour tous.

Ce travail commun a pu être poursuivi depuis mars 2020, dans un contexte nouveau d’isolement des apprenants, bien sûr, mais aussi des travailleuses et des bénévoles. Nos échanges ont été maintenus avec certaines d’entre elles qui nous ont confié leurs questionnements : comment garder contact avec son groupe ? Quels contenus d’apprentissage proposer ? Comment démarrer avec un groupe débutant en distanciel ? etc.

1.1. Premier confinement : contacts individuels et échanges de pratiques

Pris par surprise par la crise qui a éclaté, nous nous sommes prioritairement concentrés sur le fonctionnement de l’équipe en interne. Nous avons ensuite contacté les formatrices d’autres associations (qui participent fréquemment à nos actions d’appui pédagogique) quand ce ne sont pas elles qui s’adressaient à nous pour savoir comment chaque centre de formation répondait aux problèmes posés par l’isolement. Au fil de ces échanges, nous avons ainsi recueilli les témoignages (voir annexe) décrivant leurs expériences à distance.

Lors de cette première phase de la crise sanitaire, nous avons surtout participé à la réflexion sur les outils collaboratifs à distance en testant d’abord les solutions informatiques en interne. Les échanges avec les formatrices du réseau associatif ont surtout eu lieu sous forme de rencontres virtuelles individuelles, pour mutualiser les expérimentations (voir annexe) mais aussi, plus simplement, pour maintenir un lien avec des personnes que nous sommes habitués à croiser régulièrement dans notre programme d’appui pédagogique.

1.2. Déconfinement : apprendre hors du centre de formation

La période de déconfinement a notamment été l’occasion de réunir un groupe de travail pour réfléchir à l’animation des formations avec le retour en présentiel dans un contexte contraint du fait des nombreuses mesures de protection sanitaire évolutives (par exemple, l’évolution du nombre de mètres carrés minimum obligatoire par participant dans une salle de formation).

Dès lors, il nous a semblé opportun de proposer une activité à l’extérieur, en profitant des mesures moins contraignantes imposées à ce moment. L’objectif de la rencontre était d’envisager l’exploitation d’un espace social hors lieu de formation. Nous avons réalisé cette rencontre dans un musée où le groupe de formatrices présentes se sont retrouvées pour y observer et recenser les situations de communication et les supports écrits disponibles avant d’échanger sur les usages pédagogiques possibles de l’observation et des fruits de ce recueil5.

1.3. Confinement partiel : créer des ressources en ligne

Depuis la reprise des mesures de confinement, nous avons adapté notre appui pédagogique afin de répondre à certains besoins précis de formatrices désormais mieux outillées pour affronter les situations d’enseignement à distance. Si les outils de collaboration avec leurs groupes étaient maintenant mieux définis et exploités, la difficulté et le temps nécessaire à la création de supports en ligne continuait à représenter un écueil.

Si nous avons pu créer en interne des activités interactives pour les publics en formation, le maniement de certains outils complexes (Active Presenter, Genially) n’était pas à la portée de tout le monde et vu le temps nécessaire à leur appropriation, ce type de solutions n’a été conservé que par les plus à l’aise avec l’outil informatique.

Le constat généralisé fait par les participantes de nos ateliers de création de supports en ligne était que les apprenants passaient en général par un outil de communication qu’ils connaissaient déjà, à savoir WhatsApp. Nous avons donc imaginé ensemble quelques activités adaptées à cette application.

Les recommandations émises lors de ces ateliers de création de supports ont été les suivantes :

  • Proposer des séances courtes
  • Alléger les contenus abordés lors des séances
  • Prendre le temps de familiariser le groupe aux outils de travail à distance
  • Mutualiser les préparations et supports au sein et entre centres de formation
  • Différencier l’offre à distance selon les publics et les apprenants
  • Réaliser un suivi individuel des apprenants

Certaines formatrices ont développé des activités en ligne via le site Learning Apps, probablement le plus facile d’accès, le plus complet et le mieux adapté aux apprenants disposant uniquement de GSM, les activités pouvant être transmises sous forme d’un simple lien puis affichées en plein écran. À noter qu’un des intérêts de Learning Apps est sans doute de pouvoir adapter une activité déjà créée et de la rendre pertinente pour son propre groupe (en réduisant le nombre d’items d’un quizz, en simplifiant une consigne trop complexe, en ajoutant des items, etc.).

En outre, pour répondre à la recherche d’outils numériques utiles pour l’enseignement à distance, nous proposons depuis novembre 2020 des formations courtes centrées sur des applications accessibles (Quizizz, Quizlet, PDFescape…).

Suite à ce témoignage sur notre propre activité de seconde ligne au profit des formatrices, le présent retour d’expérience vise à mettre en valeur l’émergence progressive de leurs pratiques avec les apprenants qui ont continué à participer à de nouveaux dispositifs d’apprentissage, malgré des conditions personnelles et souvent matérielles peu favorables à un dispositif d’apprentissage formel.

2. Mise en place de différentes pratiques face à la situation sanitaire

Dès le 17 mars 2020, les mesures prises pour gérer l’épidémie de COVID-19 ont amené tous les organismes associatifs de formation linguistique à basculer de cours exclusivement présentiel synchrone à des modalités respectant les mesures sanitaires imposées par la situation. Le secteur a dû s’adapter en réorganisant ses activités afin d’assurer une continuité pédagogique. Sous l’effet de la sidération, les différentes associations ont dû rapidement choisir l’une ou l’autre plateforme dans leur version gratuite, sans avoir véritablement le temps de les tester.

D’après les retours de formatrices que nous avons rassemblés, quatre grandes modalités de formation se dessinent :

  • Les cours de groupe à distance en synchrone : sur des plateformes de visioconférence (Zoom, Meet, Skype, Jitsi…) avec ou sans outil complémentaire (type Google Classroom).
  • Les cours individuels à distance en synchrone : via Whatsapp.
  • Le suivi à distance en asynchrone : via Whatsapp.
  • Les cours individuels en présentiel aménagé ou en effectif réduit.

Comme mentionné précédemment, c’est au départ Whatsapp qui a été le plus largement utilisé. Cela répondait d’un côté à la demande de la majorité des apprenants (application déjà connue, facilité et confort d’utilisation, absence d’alternative au GSM) et de l’autre côté, cela rassurait aussi les formatrices (peur d’utiliser un autre outil numérique mal connu et de le faire manipuler par les apprenants).

Par la suite et en raison de la prolongation des mesures sanitaires, les associations ont dû mener une réflexion plus aboutie concernant les plateformes testées auparavant et qu’elles pourraient conserver. Bien évidemment, les versions gratuites de plateformes telles que Zoom ont montré leurs limites avec des répercussions sur la qualité de l’enseignement à distance en synchrone. Certaines associations ayant des moyens plus conséquents ont eu l’opportunité d’obtenir des versions payantes et donc plus performantes, alors que d’autres ont dû se résoudre à garder les versions gratuites – il a pu s’agir d’un choix politique pour certains organismes favorisant les logiciels libres. Dans un premier temps, cela a possiblement renforcé la fracture numérique au sein du réseau associatif bruxellois et a généré des disparités pédagogiques selon les organismes de formation, bien que dans un second temps, des fonds spéciaux aient été accordés par les pouvoirs publics, proposés par des soutiens privés ou encore mis à disposition par des associations spécialisées dans le domaine informatique.

Cela étant dit, la volonté était la même : choisir des outils numériques plus « performants » afin de proposer une formation linguistique plus cohérente. Les associations se sont à la fois mieux préparées dans l’organisation des formations et dans la prise en main des différents outils (tant par les formatrices que par les apprenants).

Le tableau ci-dessous reprend des exemples concernant l’organisation des formations dans quelques associations bruxelloises lors de la deuxième phase du confinement (avec la possibilité de rencontre individuelle avec les apprenants), et la manière dont :

  1. les formations ont pu démarrer dans de bonnes conditions (comment contacter les apprenants du groupe pour les informer sur les outils et les modalités de la formation à distance, comment tester leurs compétences au niveau numérique, leur équipement).
  2. les formatrices ont réussi à articuler la formation à distance avec des retours aménagés en présence, créant ainsi un accompagnement plus personnalisé pour les apprenants.
  3. les outils numériques ont été utilisés pendant la formation à distance.

Tableau 1 : organisation générale des formations (confinement phase 2)

Démarrage de la formation à distance (en amont de la formation) Modalités de suivi et d’accompagnement de la formation à distance (pendant la formation) Outils utilisés pour la formation à distance (pendant la formation)
Rencontre(s) individuelle(s) Rendez-vous individuels périodiques en présentiel pour transmettre un dossier, pour maintenir un contact, pour créer du lien Classes virtuelles : Zoom, Teams, Meet, Skype, Whatsapp
En présentiel ou à distance Rendez-vous individuels périodiques pour suivi de l’apprentissage, en présentiel ou à distance Dépôts d’activités sur des espaces de stockage partagés : Google Classroom, Google Drive
Tests des outils à distance pour s’assurer de la possibilité de suivre la formation Cours particuliers sur besoin et/ou sur demande  
  Permanence de la formatrice sur Whatsapp qui propose des activités (sans cours) en ligne  
  Alternance de période de travail synchrones et asynchrones  

La prolongation des mesures sanitaires a pérennisé l’utilisation des divers outils numériques déjà mentionnés, ce qui n’est pas sans conséquence sur le rôle de l’enseignant et celui de l’apprenant.

3. Questionner l’intégration du numérique en formation

3.1. Leviers et freins

Après quelques mois de recul, l’expérience vécue par les formatrices de terrain de l’équipe Bruxelles FLE nous a donné envie d’objectiver nos pratiques. Nous tenions donc à approfondir la réflexion et pouvoir proposer une analyse de ce que l’intégration du numérique a apporté en formation dans le secteur associatif.

Dans ce but, nous avons rencontré d’autres formatrices du réseau associatif afin de mutualiser nos retours d’expérience, en incluant le point de vue de nos apprenants, et voici ce que nous en avons retiré :

Tableau 2 : Cours collectif à distance synchrone

Leviers Freins
Apprenants Apprenants
confort lié à l’absence de déplacements à gérer pour suivre le cours « à l’autre bout de Bruxelles »

maintien de la continuité pédagogique

maintien d’une forme de lien social malgré la distance

maintien de la motivation par le fait d’avoir un cours à heures fixes, au sein d’un groupe

possibilité d’apprendre à (mieux) manipuler les outils informatiques
difficultés matérielles liées :

à une mauvaise connexion internet,

au manque d’outils tels qu’un ordinateur ou une tablette pour suivre le cours,

à la présence de personnes dans l’environnement de l’apprenant

environnement peu propice à la concentration et à l’apprentissage

risque de démotivation
effet d’autovalorisation : l’apprenant constate qu’il est capable de « faire » avec des outils numériques, qu’il développe des savoir-faire qui ne sont pas uniquement linguistiques (cf. CECRL,p.16-17) risque de ne pas se sentir intégré à un groupe à cause de la distance

compréhension-acquisition du non-verbal rendue plus difficile

démotivation plus probable liée à la distance, aux difficultés techniques et « environnementales » de l’apprenant

fatigue et problèmes physiques liés à l’utilisation intensive du numérique
Formatrices Formatrices
– constat de la motivation des apprenants
– curiosité de développer de nouvelles compétences
difficulté de faire travailler l’écrit, notamment la production écrite
questionnement sur la plateforme à choisir pour donner cours : quelles sont les potentialités offertes par chaque plateforme/réseau social ? Quelles sont les meilleures en fonction du profil du groupe ?
temps passé à repenser une grande partie de sa pédagogie, adapter tous ses supports au distanciel, adapter toutes les modalités à une interaction rendue plus lente par le distanciel
nécessité de segmenter plus les séances afin de ne pas trop fatiguer les apprenants
fatigue liée à l’utilisation du numérique en synchrone (jongler entre les onglets, partage d’écrans, etc.) et aux plus grands efforts faits pour maintenir une dynamique de classe
sentiment d’isolement professionnel accru : interactions avec les pairs plus complexes

Tableau 3 : Cours individuel à distance synchrone

Leviers Freins
Apprenants Apprenants
maintien de la continuité pédagogique
maintien du lien social malgré la distance
maintien de la motivation par le fait d’avoir un cours à heures fixes
lien avec une formatrice uniquement
absence de sentiment d’appartenance au groupe
absence d’émulation de groupe
Formatrices Formatrices
possibilité de systématisation orale ou écrite plus grande et de travail centré sur les besoins et les difficultés de l’apprenant impossibilité de faire de la mise en page sur Whatsapp, donc difficile d’écrire en faisant ressortir un élément important autrement que par l’utilisation de majuscules.

Tableau 4 : Cours / suivi à distance asynchrone

Leviers Freins
Apprenants Apprenants
maintien de la continuité pédagogique
maintien du lien malgré la distance
peut faire à son rythme des devoirs (exercices, PE, CE/CO) sans être connecté à une réunion de groupe

pas de pression pour réaliser l’activité
gain de confiance en soi
risque de perte de sens et de motivation si le suivi est trop distendu
Formatrices Formatrices
peut proposer des activités articulées avec les séances synchrones
possibilité de mettre en place plus facilement la pédagogie différenciée
difficulté de maintien d’une cohérence pédagogique, notamment si le suivi est trop distendu en termes de fréquence

Tableau 5 : Suivi ponctuel en présentiel avec masque

Leviers Freins
Apprenants Apprenants
maintien de la continuité pédagogique
maintien du lien
maintien de la motivation par le fait d’avoir un cours
le non-verbal est peu/mal perçu à cause du masque et de la distanciation
les sons du français sont mal perçus pour les mêmes causes
Formatrices  Formatrices 
utilisation de la gestuelle difficulté pour organiser des activités de groupes, notamment une production écrite collective à cause de la distanciation et des mesures sanitaires

Il est vrai que lorsque le confinement strict de mars 2020 a été annoncé, la plupart des formatrices ont majoritairement vu des obstacles à l’intégration du numérique dans le suivi des apprenants. Toutefois, les tableaux précédents tentent de démontrer que, s’il existe bien des freins au numérique, il est également possible de considérer les points d’appui positifs permettant de tirer au mieux profit de la situation. De plus, il nous semble important d’attirer l’attention sur la démythification du numérique, non seulement vis-à-vis des peurs des formatrices face à ces outils, mais également vis-à-vis de celles des apprenants. Une formatrice qui prend progressivement en main un nouvel outil peut alors mieux l’expliquer aux apprenants, les engager à l’utiliser sans crainte et, finalement, leur permettre de développer une nouvelle compétence.

3.2. Un effet non-négligeable des cours distanciels en synchrone : « l’effet distance »

Lors de ces rencontres de retours d’expériences, plusieurs formatrices ont fait part d’observations communes sur base de leur vécu en classe à distance en mode synchrone. Elles convergent toutes vers les mêmes conclusions : elles se sentent « loin » de leurs apprenants et n’ont pas l’impression de pouvoir créer une vraie dynamique de groupe. Notre équipe pédagogique à Bruxelles FLE a souhaité pousser plus loin la réflexion sur ce qui pourrait être appelé « l’effet distance ».

Nos deux formatrices de terrain à Bruxelles FLE le confirment : cette distanciation n’est pas seulement une conséquence de l’éloignement physique : pendant les cours en ligne (mode synchrone), chacun est isolé chez soi. Cela amoindrit la sensation de groupe. Le non verbal est moins important, ce qui entrave voire bloque la communication. 

Elle met aussi en lumière le manque d’autonomie manifeste des apprenants face au numérique. Il y a une “médiatisation” qui n’existe pas en présence, c’est-à-dire que chacun doit recourir à des outils pour pouvoir interagir, ce qui requiert davantage d’autonomie de la part des apprenants. Or, cette autonomie sur les plans technique, méthodologique et métacognitif n’est pas un acquis.

La distance, la médiatisation et le manque d’autonomie entraînent un ralentissement du rythme du cours et le rendent beaucoup moins participatif qu’en présence, ce qui accroît le risque de décrochage, de perte d’attention, d’abandon… 

C’est en travaillant sur l’appropriation des outils de communication et sur l’autonomisation des apprenants que l’on pourra réduire “la distance”. Autrement dit, en permettant aux apprenants de devenir plus acteurs que spectateurs, la sensation de distance et d’isolement s’estompera.

Conclusion

À l’heure d’écrire ces lignes, la campagne massive de vaccination décrétée par les pouvoirs publics au mois de décembre 2020 est toujours d’actualité. L’avancement de cette campagne ainsi que l’évolution de la situation sanitaire vienne de déterminer les pouvoirs publics à ouvrir la voie à un possible retour à la formation en présentiel, sous réserve du respect d’un nouveau protocole de protection sanitaire similaire aux mesures prises à l’issue du premier déconfinement.

Le bouleversement imposé des pratiques dans le domaine de la formation linguistique des adultes allophones a provoqué une prise de conscience de la nécessité d’intégrer le numérique comme outil pédagogique sur le long terme, bien que dans le secteur associatif, comme par ailleurs dans la société soumise à cette situation d’exception, la lassitude face aux contacts virtuels s’exprime du côté des formatrices et des apprenants.

Il est encore difficile de généraliser quant aux pratiques de formation à distance à Bruxelles, tant celles-ci sont multiples, même si, en tant que service d’appui pédagogique, notre volonté est d’amorcer la transition entre le distanciel et le présentiel : il s’agit en effet de tirer parti de tous les atouts numériques expérimentés pendant les divers confinements, de les réexploiter lors du retour en présentiel, de s’appuyer sur les nouvelles compétences acquises (par les formatrices et les apprenants) pour pouvoir se projeter dans de nouvelles modalités de formations hybrides (bimodale, comodale...) et, ainsi, envisager sereinement un retour en présentiel « aménagé ». L’objectif principal est de réfléchir à des dispositifs qui restent flexibles afin d’anticiper toute nouvelle mesure de distanciation sociale dans un futur proche.

Depuis des mois, les débats politiques - mais aussi pédagogiques - sont nombreux sur les limites de l’expérience d’enseignement/apprentissage à distance. Cependant, il nous paraît envisageable de retenir des points positifs de cette expérience. En premier lieu, le développement « forcé » des outils numériques en classe de langue a permis à notre public spécifique d’apprenants allophones de se découvrir de nouvelles compétences numériques, utiles bien au-delà des compétences nécessaires à la participation à un dispositif de formation formel.

Les formatrices, plus ou moins aguerries au numérique, continuent de tenir un rôle de première ligne dans ce contexte, en accompagnant et en motivant leurs apprenants sur le chemin de la numérisation de l’apprentissage. Ceci leur aura aussi permis de développer leurs propres compétences numériques et d’endosser un nouveau rôle de techno-pédagogue.

La réduction des effectifs à distance aura également eu l’avantage de rendre les formatrices plus attentives aux besoins et aux attentes individuelles et de favoriser ainsi l’usage de la pédagogie différenciée en classe à distance.

De plus, ce retour d’expérience nous fait prendre conscience que cette crise sanitaire est sans doute en train d’influencer notre manière d’envisager l’enseignement à plus long terme, notamment par la diffusion et la banalisation des formations hybrides ou des formations plus ciblées. Nous réalisons aussi que nous sommes beaucoup mieux préparés à différentes éventualités : nous pouvons prendre les devants sur la prochaine étape de gestion de la pandémie par les autorités - tout en espérant que la sortie de crise soit définitive -, et anticiper sur le retour en formation d’apprenants aux expériences d’apprentissage diverses lors de l’année écoulée ainsi que sur la probable progressivité de la reprise en présentiel.

Bibliography

https://www.bruxellesfle.be/

https://www.bruxellesfle.be/apprentissage-en-ligne/

Appendix

Annexe

Sitographie non exhaustive de projets menés avec des groupes en formation dans Bruxelles confinée

Notes

1 Ce texte privilégie la forme féminine pour désigner les intervenantes pédagogiques afin de refléter l’importance de leur représentation constatée dans notre réalité bruxelloise. Return to text

2 Voir le document « Cartographie des organismes de FLE à Bruxelles subventionnés répartis par agréments » : https://www.bruxellesfle.be/carte-des-lieux-de-formation/ Return to text

3 Mise à jour à l’heure de publier ce texte : le 29 avril 2021, une circulaire de la Commission communautaire française annonçait une possible reprise des cours en présentiel pour certains opérateurs de formation. Return to text

4 Bruxelles FLE est géré par le centre de formation Proforal asbl. Return to text

5 Tout au long de la crise, bien d’autres formatrices ont exploité la possibilité de réunion en extérieur dès lors que cela était légal, révélant selon nous l’impossibilité fondamentale pour la plupart des apprenants et des formatrices de substituer la présence physique dans l’apprentissage par des techniques d’enseignement à distance, quel que soit leur qualité. Return to text

References

Electronic reference

Équipe Bruxelles FLE, Sabrina Fecchio, Julie Mainguet and Jonathan Szajman, « Former à distance dans Bruxelles confinée », Didactique du FLES [Online], 2:1 | 2021, Online since 01 mai 2021, connection on 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=233

Authors

Équipe Bruxelles FLE

Centre régional d’expertise et d’appui pédagogique aux opérateurs de formation en français langue étrangère. Il est géré par l’asbl Proforal.

Sabrina Fecchio

Formatrice FLE dans le cadre du parcours d’accueil des primo-arrivants à Bruxelles et chargée du projet Ateliers SocioLinguistiques (ASL). Elle est également autrice pour EMDL-Edition Maison des Langues et conceptrice de supports pédagogiques de l’enseignement-apprentissage du FLE pour TV5MONDE Langue française.

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Julie Mainguet

Formatrice FLE dans le cadre du parcours d’accueil des primo-arrivants à Bruxelles, formatrice de formateurs et futurs formateurs au sein du Certificat en didactique du FLE de l’UCL (en cogestion avec Proforal/BruxellesFLE) et dans le cadre de la formation continue des formateurs FLE de Bruxelles-Capitale en Méthode Verbo-Tonale de remédiation/correction phonétique. Elle est également autrice pour la maison d’édition Didier (Edito B1) et conceptrice de supports pédagogiques de l’enseignement-apprentissage du FLE.

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Jonathan Szajman

Coordinateur de Bruxelles FLE. Il est également doctorant, membre de l’équipe CRAPEL (Laboratoire ATILF - université de Lorraine).

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