Introduction
Suite aux bouleversements technologiques, le monde de l’éducation est confronté à une vague de changements qui met au défi tant les enseignants que les apprenants. Avec l’introduction de nouveaux outils, l’enseignement et l’apprentissage se sont transformés. Les modes d’enseignement sont bouleversés, une subtile interaction s’opère entre réel et virtuel. Les enseignants et les apprenants doivent obligatoirement s’adapter pour délivrer et s’approprier un savoir aux formes hybrides.
C’est précisément cette gageure qu’il nous a été donné de relever l’année dernière durant le confinement, dans une école privée, en décembre 2021. Gageure en effet, car offrir un enseignement linguistique virtuel est une chose mais enseigner de manière adéquate et judicieuse dans un contexte imposé d’enseignement en ligne en est une autre.
Si l’école proposait aux enseignants, après une rapide formation de prise en main, la plateforme de visioconférence Teams comme socle de travail, des questions ont clairement surgi : Comment animer efficacement une classe linguistique virtuelle ? Comment adapter le contenu d’enseignement à un espace-temps redéfini ? Et surtout, quels outils choisir, parmi l’offre numérique pléthorique, pour connecter les apprenants au monde actuel ?
Cet article aura ici pour objet de démontrer qu’il a été et est concrètement possible de répondre à la problématique posée. Pour ce faire, nous partirons de l’hypothèse selon laquelle les documents authentiques, dans leur offre renouvelée, ont véritablement la potentialité et pertinence d’aider à mieux contextualiser les activités, à leur donner simultanément corps et proximité, à rendre plus intéressant et beaucoup plus vivant l’apprentissage, à favoriser une meilleure immersion dans des situations concrètes, réelles et parfois instantanées.
Puis, de la théorie à la pratique, nous partagerons et examinerons notre expérience. Observations et résultats nous conduiront à asseoir notre hypothèse et valider notre thèse. Comme nous le verrons, en effet, les documents authentiques sont en classe virtuelle de remarquables agents d’animation et de formidables auxiliaires pour ancrer dans la temporalité l’enseignement et connecter au monde actuel les apprenants.
1. Contexte général
Les systèmes éducatifs du monde entier ont connu de profondes mutations avec l’apparition des nouvelles technologies et la révolution digitale. L’apprentissage se fait toujours plus hybride, avec un équilibre souvent délicat entre outils/supports « traditionnels » et « numériques », entre enseignement « présentiel » et « distanciel ». Cela a consécutivement entraîné une modification du rôle des enseignants qui se doivent, à présent, de réunir de nouvelles compétences pour satisfaire une approche éducative intégrée.
Au-delà des passeurs, des transmetteurs de savoir qu’ils ont toujours été, face aux nouveaux outils qu’il faut apprivoiser, les enseignants se doivent d’être animateurs et facilitateurs, transmetteurs du savoir-apprendre. Ils doivent en effet encourager les apprenants à se faire confiance, à oser, à renouveler et développer leurs compétences. Ils doivent les guider, les engager, les motiver dans un processus éducatif dont ils sont plus qu’auparavant des acteurs. Les approches communicative et actionnelle ont ici toute leur place.
Dans ce cadre parfois déroutant et complexe où s’enchevêtrent virtuel et réel, ils se doivent également d’être des médiateurs et des fédérateurs pour que l’enseignement, au contenu désormais mobile et protéiforme, soit en continuelle connexion avec le présent tout en assurant un ancrage solide et rassurant.
Au cœur bien évidemment de ces changements, les apprenants ont vu leur rôle se transformer. Il leur est, en effet, réclamé aujourd’hui davantage d’implication, de participation et de coopération dans le processus d’apprentissage — ce qui n’est pas un mal en soi puisque, plus les apprenants participent activement au processus éducatif, plus le niveau de leurs acquis d’apprentissage est élevé (Aydoğan, Farran & Sagsoz, 2015) et plus ils développent une attitude positive envers l’apprentissage. C’est aussi la seule voie vers la réussite scolaire, comme le signalent Skinner & Pitzter (2012). Il leur faut également appréhender un savoir aux sources multiples, apprivoiser des contenus hybrides et en accepter la fluidité. Ainsi, dans ce monde en perpétuel mouvement et déstabilisant en raison d’une redéfinition des notions d’espace et de temps, l’adaptation est devenue un mot-clé. Les enseignants et les apprenants se doivent assurément d’être extrêmement flexibles.
2. Problématique et hypothèse
En conséquence, les activités éducatives tout comme les expériences d’apprentissage — et ce d’autant lorsqu’il s’agit de classes en distanciel caractérisées par l’éloignement physique et la solitude des apprenants — doivent impérativement s’inscrire dans la proximité et l’interactivité, s’attacher à une réalité fluctuante et se nourrir d’actualité, conjuguer naturellement l’hybridité des modes et des temps. Une nouvelle approche pédagogique a ainsi mis en évidence l’importance d’une bonne connaissance des principes pédagogiques de base et de leur contexte philosophique pour le développement d’activités éducatives correspondant au contexte d’enseignement en distanciel. Mais cela constitue un véritable défi lorsqu’il s’agit d’une mise en œuvre en temps limité. Il faut être en capacité de capter l’attention des apprenants, d’obtenir leur adhésion pour une pleine participation au processus d’apprentissage.
Alors, comment animer efficacement en distanciel une classe linguistique ? Comment adapter le contenu d’enseignement à un espace-temps redéfini ? Et surtout, quels outils choisir pour connecter les apprenants au monde ? Les documents authentiques, auxquels nous donnent encore plus facilement accès les nouvelles technologies semblent être, plus que jamais, les supports par excellence pour répondre précisément à ces préoccupations et ces exigences pédagogiques.
3. Quelques repères
Mais que sont les documents authentiques ? Quelle importance et adéquation ont-ils dans cette recherche d’animation et de connexion au monde d’aujourd’hui ?
3.1 Définition
Vogrig (2021 : 5) définit communément les documents « authentiques » comme des documents non créés à des fins didactiques par opposition aux documents dits « fabriqués » pour la classe. Ce sont en fait des documents écrits, audio ou audiovisuels créés à des fins communicatives et destinés à des natifs. En classe de langues, ces documents authentiques sont utilisés dans leur forme originale et exploités grâce à des activités périphériques.
Depuis la méthode SGAV, ces documents authentiques sont devenus d’indispensables supports de l’enseignement linguistique, car s’ils sensibilisent les apprenants à la culture de la langue cible et véhiculent une communication délivrée des contraintes spatio-temporelles, ils créent une rare proximité et font de l’immersion un apprentissage véritablement expérientiel et sensoriel. Traditionnellement et selon Couto Silva (2015, p.103), un document authentique pourrait être un document de la vie quotidienne. Ce pourrait être également un support écrit, audio, audiovisuel, cinématographique ou iconographique.
Cuq et Gruca (2003, p.60) les classent eux aussi en documents de la vie quotidienne (plans de ville, horaires de train, publicités, recettes de cuisine, poèmes, caricatures, livres, billets de train ou d’avion…) ; documents administratifs (fiches d’inscription, formulaires, passeports, pièces d’identité…), documents de presse écrite et radiotélévisée (articles, bulletins météorologiques, programmes de télévision…) ; documents audio et/ou vidéo (interviews, podcasts, chansons, clips, films...) ou iconographiques (photos, images, caricatures, bandes dessinées, peintures…). (Cuq, 2005, p. 235)
Aujourd’hui, les documents authentiques prennent une dimension centrale et dynamique dans l’enseignement des langues grâce à leur facilité d’accès et de partage par les nouvelles technologies. Associés à la réalité virtuelle avec les avatars, les chatbots, la modélisation 3D, ils peuvent se transformer en de vivants supports et fournir de formidables occasions de visites guidées, d’excursions virtuelles…
3.2 Importance et pertinence des documents authentiques
Si les sources des documents authentiques ont toujours été nombreuses, elles sont désormais pléthores, les outils technologiques et numériques mis à la disposition du plus grand nombre ayant favorisé leur création et leur extraordinaire développement. Et ce n’est pas pour déplaire aux enseignants de langues étrangères.
Al Azri et Al Rashdi (2014, p.35), déclarent que les documents authentiques comblent le fossé entre la langue enseignée dans la salle et la langue utilisée dans la vie quotidienne. Ainsi, les débutants, en acquérant de l’expérience dans l’utilisation de la langue cible en classe, sont mieux préparés à l’utiliser en dehors de la classe, afin de parvenir à une communication efficace.
Grâce aux nouveaux outils, ces documents authentiques peuvent directement et immédiatement être intégrés aux contenus d’apprentissage, rendant ce dernier certes moins conventionnel mais beaucoup plus mobile et attrayant, à l’expression multimodale et multisensorielle.
Aslim-Yetis (2010) affirme que pour animer en distanciel une classe linguistique, ces documents authentiques sont de formidables assistants d’enseignement/apprentissage. S’ils ont cette capacité de susciter l’intérêt et la curiosité, de focaliser l’attention des apprenants, de les enthousiasmer ou de les séduire parfois, ils les incitent à interagir avec les autres intervenants. Facteurs tout à la fois d’expression et d’autonomisation, ils favorisent la participation à une expérience de réalité collective, la construction active et interactive du savoir, son appropriation et sa personnalisation même. Par une animation judicieuse, les apprenants entrent en action sans même y prendre garde. Au final, les compétences linguistiques en sortent renforcées.
Pour connecter au monde des apprenants face à leur écran, les documents authentiques sont également de remarquables auxiliaires. Les nouvelles technologies en ont décuplé l’offre et multiplié de façon fort créative les possibilités d’emploi. Il leur est tout autant possible d’étudier avec un éventail de ressources immédiatement disponibles et actualisées que de se plonger dans un univers précis et d’élargir leur environnement et horizon sans même bouger ! Se déplacer virtuellement dans un lieu, le visiter, s’informer, échanger, partager, collaborer en temps réel et sans aucune frontière, tout cela n’est plus de la magie, mais une réalité. Le monde s’offre aux apprenants, dans son immédiateté et son authenticité. Apprendre une langue et une culture étrangères, c’est aussi une merveilleuse occasion d’exploration.
4. Expérience : exploitation de documents authentiques en enseignement distanciel
4.1. Contexte de l’expérience
La présente intervention pédagogique a été réalisée auprès d’une classe de 3e d’un collège privé. Une relation basée sur le respect et la confiance avait déjà été établie avec ces apprenants depuis la sixième, classe en laquelle ils ont commencé à apprendre le français, matière obligatoire, à raison de deux fois par semaine.
Six séances de 45 minutes ont été organisées en décembre 2021, lors du confinement, via la plateforme Teams. Cette classe en distanciel réunissait un groupe de 20 collégiens grécophones, répartis en 12 filles et 8 garçons de 14 et 15 ans. Une classe d’âge volontairement ciblée pour sa maturité, son aisance plus importante à manier langage et outils et sa plus grande coopération au travail de groupe. Leur niveau allait de A1 à A2, le grec étant leur langue maternelle et le français, une langue suffisamment familière pour leur permettre de verbaliser leurs idées.
Pour les supports pédagogiques, nous avons principalement utilisé un article tiré du magazine Géo Ado, des photos et un site dédié au Sénégal. En termes d’outils, nous avons employé l’outil numérique Kahoot, l’application Google Forms, les plateformes de visioconférence Teams et Zoom pour une rencontre virtuelle avec des élèves sénégalais. Les apprenants étant équipés au choix d’un ordinateur ou d’une tablette.
4.2. Présentation des objectifs pédagogiques des séances
L’objectif principal de notre intervention était d’aider les apprenants à comprendre et utiliser des mots simples et des expressions brèves concernant :
- Les voyages et les destinations
- Les villes et les villages
- Les déplacements et les moyens de transport
- La géographie et les conditions climatiques
Le plan de travail mis en œuvre, basé sur l’unité « Voyages et destinations », cherchait à développer tout autant les compétences linguistiques, communicationnelles, cognitives, sociales, motrices et auditives. La première séance intitulée « Partez à la découverte du Sénégal » s’organisait en 5 activités articulant savoir, savoir-faire et savoir-être : décrire une image et mobiliser ses connaissances, lire et comprendre un document en repérant les informations importantes, répondre à des questions, mobiliser du vocabulaire, faire des recherches, écrire de petits textes, partager avec ses pairs ses idées, ses connaissances, ses souvenirs, ses émotions…
Les compétences communicatives ont été subdivisées comme suit :
- Compétences sémantiques (Les apprenants doivent être capables de repérer des informations dans un article) ;
- Compétences lexicales (Les apprenants doivent être capables de nommer les monuments et les lieux touristiques d’une ville) ;
- Compétences linguistiques (Les apprenants doivent être capables d’appréhender la fonction des divers pronoms relatifs et adverbes) ;
- Compétences pragmatiques (Les apprenants doivent être capables de comprendre la composition et l’organisation des phrases, de rédiger un article, de comprendre des informations détaillées, de développer la capacité à les maîtriser en termes de thème-rhème mais aussi de communiquer en français avec d’autres personnes du même âge) ;
- Compétences fonctionnelles (Les apprenants doivent être capables de fournir et de demander des informations) ;
Dans le respect de ces objectifs, des activités ludiques ont été créées dans le but de susciter l’intérêt, l’attention et l’enthousiasme des apprenants. Un environnement d’apprentissage détendu et sans stress a été établi, permettant aux enfants d’interagir sans crainte de faire des erreurs.
4.3 Description de l’expérience
Notre expérience a cherché à répondre aux exigences d’un enseignement en distanciel faisant appel à du blended-learning (via l’utilisation d’outils en ligne et la réalisation de tâches numériques), avec la volonté particulière d’intégrer diverses options éducatives numériques pour un enseignement certes court mais pertinent, ludique, interactif et connecté. Nous avions choisi ce thème : « Partons à la découverte du Sénégal ! »
Comme nous souhaitions travailler sur trois axes : langue, culture et communication, nous avons décidé d’élaborer une sorte de cahier d’activités interactif en prenant pour point de départ un article tiré du magazine jeunesse Géo Ado (2014) « Le Sénégal, c’est comme une famille » et partagé à l’écran.
Séance 1 : Découverte du Sénégal en documents et musique — Activités périphériques
Pour mettre en perspective notre sujet, nous avons associé à l’article du magazine un document authentique sonore sous forme de lien et avons invité les apprenants à cliquer dessus. Il s’agissait de la chanson sénégalaise de Bass Thioung intitulée Jaam La Woté Ak Ambiance1. Rien de mieux pour animer la classe, donner le ton, motiver, donner envie de participer. En activité de prélecture, nous avons inséré quelques photos et quelques questions, prétextes à la libre expression et aussi à l’implication, à la recherche puisque les liens étaient fournis. La séance a alors permis tout à la fois l’interactivité et l’interaction, toujours dans une ambiance musicale chaleureuse.
- Écoutez la musique de fond. Connaissez-vous ce type de musique ?
- Connaissez-vous la chanson ?
- Qu’en pensez-vous ?
Puis, nous avons montré une image d’une plage au Sénégal et avons posé les questions suivantes :
- Décrivez ce magnifique endroit !
- Où se situe la plage ?
- En quelle saison sommes-nous ?
- Partagez avec vos camarades vos observations, vos souvenirs…
S’ensuivaient des questions sur le drapeau du Sénégal avec une image projetée.
- Regardez ce drapeau. À quel pays appartient-il ?
- Pouvez-vous le décrire ?
Finalement, nous sommes revenue à l’article de presse et nous avons poursuivi par l’étude et la compréhension de l’article avec l’insertion d’une nouvelle page.
À ce stade, et par souci d’animation et de coopération, nous avons réparti les apprenants en équipes (4 groupes de 5 personnes) via l’outil approprié de la plateforme. Leur mission : observer le document, étudier son genre, s’interroger sur le thème, la cible, l’objectif… L’une des activités (activité 1) comportait la consigne suivante : Observez le document. De quel type de document s’agit-il ? Que représente-t-il ? Décrivez les images que vous voyez. Tâche qui a donné lieu ensuite à d’enthousiastes commentaires des intervenants !
Oh là là ! Quelle belle fille !!! Où habite-t-elle ? C’est où le Sénégal ? C’est loin ?
Là-bas, c’est vrai qu’ils ont des plages magnifiques ? Vous pourriez nous montrer des photos ?
Moi, j’aimerais bien visiter le pays et voir comment ils vivent !
Séance 2 : Exploration d’un site Internet et visite virtuelle du Sénégal
Nous avons commencé cette séance par une immersion dans ce beau pays qu’est le Sénégal grâce au site Internet Au Senegal.com. Un site qui offre des informations très intéressantes sur le pays avec des activités et des excursions à réaliser, accompagnées d’une multitude de photos. Nous avons exploré le site avec les apprenants en partagent notre écran grâce à la plateforme Teams. Nous avons ainsi pu nous informer grâce à une actualité parfois en temps réel, regarder des cartes et faire ensemble, grâce à de véritables documents authentiques, des mini-visites virtuelles à 360 degrés. Sous notre supervision et nos indications, chacun d’entre nous, devant son écran, a eu la chance de découvrir Dakar, la capitale, l’intérieur de sa cathédrale, l’atelier d’Ousmane Mbaye, le Ferlo, le cimetière marin de Fadiouth, Guet Ndar, la place du Souvenir africain, la baie de Hann et la plage de Toubab Dialaw. Chaque mini-visite a donné lieu à des discussions animées et sur notre invitation, des comparaisons avec notre pays ont pu être faites.
Séance 3 : Activités faisant appel aux outils éducatifs numériques
Ici, nous avons repris notre « cahier interactif », affiché de nouveau notre article et poursuivi notre étude.
Nous avons commencé par organiser une compréhension écrite : un quiz à choix multiples créé par nos soins via l’application Kahoot et affiché à l’écran, avec un temps de réponse minuté, des bulles de couleurs sélectionnables et l’affichage de résultats par équipe. Notons que nous avons veillé à équilibrer les équipes avec des apprenants de niveau fort, moyen et faibles en leur sein afin de créer un échantillon viable. Il convient de rappeler qu’une salle de classe, qu’elle soit physique ou virtuelle, est le lieu où se réalisent objectifs d’apprentissage et d’éducation. Et cette classe fonctionne comme tout groupe social. Ses membres, l’enseignant, les apprenants, interagissent et développent des relations interpersonnelles. C’est dans leur cadre que s’effectue et se transforme le processus de transmission car le contenu des connaissances et de l’éducation n’est jamais transféré aux élèves de manière automatique ou uniforme.
Ces relations interpersonnelles reposent principalement sur le comportement de l’enseignant et des apprenants, sur la façon dont une partie comprend et interprète le comportement de l’autre, et sur la façon dont les deux parties réagissent en fonction de cette compréhension. Dans le contexte de cette interaction, des corrélations et des effets dynamiques se développent et rendent compte de la forme et de la qualité des relations interpersonnelles.
Avec Kahoot, nous avons pu observer combien l’utilisation des outils éducatifs numériques pour des activités de vérification de compréhension et de réactivation de séance permet l’investissement personnel et l’émulation.
Les apprenants ont ainsi apprécié ce moyen simple, rapide de rafraîchir leurs connaissances et de pouvoir interagir autrement avec le matériel de cours.
Il est bon de revenir en arrière, d’évaluer ce que nous avons étudié…
La satisfaction des apprenants quant aux éléments de gamification encadrant l’application montre également que Kahoot, avec ses diverses options, peut soutenir un enseignement intégré et ludique, contribuant à une bonne rétention des connaissances. Six participants ont déclaré que cela les avait aidés à se souvenir des informations durant la leçon et après. Tous ont estimé que le cours était très intéressant et interactif grâce à cet outil :
C’était très divertissant. Pas une leçon ennuyeuse, débordante d’informations…
Nous avons passé des moments très amusants… C’était très agréable !
C’était vraiment super ! Nous avons tous participé et on est tous enthousiastes !
Dans le même esprit, nous avons enchaîné sur une activité à questions ouvertes, créée de nouveau grâce à l’application Kahoot et partagée sur écran. Nous en avons profité pour demander à nos apprenants toujours répartis en équipes de repérer les catégories de mots de chacune des phrases du questionnaire. Un temps plus long fut accordé et à la fin, nous avons affiché les bonnes réponses sur le tableau de la plateforme.
Enfin, grâce à Google Forms, nous avons modifié un extrait de l’article pour que les apprenants suggèrent tour à tour en direct le terme manquant.
Séances 4 et 5 : Échanges en direct avec des collégiens sénégalais
Nous avons consacré ces deux séances aux rencontres entre nos apprenants chypriotes et sénégalais, en insérant deux liens de rendez-vous surprise. Rendez-vous calés à l’avance pour une vraie connexion avec le Sénégal.
Grâce à Zoom et en un clic, nos apprenants ont pu pendant une demi-heure faire connaissance avec des élèves de troisième à Dakar et échanger avec eux, de vive voix ou par chat pour les moins audacieux : un moment fort, émouvant avec un effacement des contraintes spatio-temporelles. Des échanges vidéo, audio et écrits que nous avons avec soin enregistrés et qui resteront pour nous tous un précieux document authentique partagé.
Ce choix de rendez-vous interclasse n’était pas le fait du hasard. Dans le cadre d’une formation, nous avions rencontrée et nous étions liée avec une enseignante sénégalaise. Au fil de nos conversations, l’idée avait germé de mettre en relation nos apprenants respectifs. C’est ce fait même qui nous a motivé à chercher et choisir un document authentique sur le Sénégal, à organiser les séances et les activités autour de ce sujet.
Séance 6 : Rendez-vous avec un griot, en direct du Sénégal
Avec kMeet, nous avons terminé notre action en beauté. Un griot a eu la gentillesse de nous conter avec beaucoup de poésie et de magie, son envoûtant pays, peuplé d’animaux sauvages et de sorciers et de nous envoyer, en guise de souvenir, ce document authentique : un petit message écrit et signé, et dont chacun aura une copie.
C’est avec grand plaisir, les enfants, que j’ai pu vous faire voyager dans mon beau pays qu’est le Sénégal. Soyez toujours curieux, ne vivez pas sans regarder le monde autour de vous. Il recèle bien plus de secrets que vous ne l’imaginez. Nourrissez votre imagination et apprenez. Il ne faut jamais cesser d’apprendre pour vous construire et construire l’avenir. Allez, je vous donne un petit proverbe à méditer : « C’est la pluie qui tombe petit à petit qui remplit le fleuve » et vous dis : mangi dem (au revoir) et Ba beneen yoon, inch Allah ! À la prochaine si Dieu le veut ! Camara B.
Nous avons préparé une séance intitulée « Si le Sénégal m’était contée » avec Camara B., lequel nous a fait revivre, grâce à Zoom et en faisant appel à tous nos sens, la vie d’une Sénégalaise d’il y a bien longtemps, quand sorciers et animaux, dotés de parole, intervenaient dans le quotidien. Le prétexte à cette narration a été le portrait de yayé bobo que ses descendants n’ont jamais oublié d’emporter avec eux au travers de leurs pérégrinations, et même jusqu’à Paris !
Grâce à la plateforme Zoom, nous avons, là encore, précieusement enregistré ce récit et archivé les documents authentiques pour que les apprenants puissent librement y accéder, écouter et réécouter, réfléchir, imaginer, s’en inspirer…
Pour une meilleure évaluation de notre expérience, nous avons demandé aux enfants de partager leur ressenti sur cette séance. La première impression des apprenants a été très positive quant à l’application numérique. Ils ont tous été impressionnés par le fait de pouvoir voir et écouter un griot en direct du Sénégal. Et ils ont particulièrement apprécié sa façon de conter des histoires.
C’est agréable et différent… J’ai aimé parce qu’il y avait de belles scènes…
Ce n’était pas ennuyeux comme les livres qu’on lit en classe d’habitude…
C’est génial et je veux le refaire… Je suis heureux parce que j’ai appris à connaître la culture d’un pays que je n’aurais jamais eu la chance d’aborder par moi-même…
C’est amusant d’entendre une histoire racontée de cette manière. On a l’impression d’être au théâtre mais avec plus d’images, plus de couleurs, plus de sensations…
Nous avons également cherché à connaître les éventuelles difficultés rencontrées. À la question « Cette séance a-t-elle été difficile pour vous ? », seuls 3 apprenants ont mentionné un problème technique (un souci récurrent pour tous et toujours ennuyeux lors de direct !)
J’ai eu des problèmes de connexion… L’ordinateur boguait régulièrement… J’ai dû souvent attendre. Alors, j’ai perdu une grande partie de la narration…
5. Observations et résultats
Lors de ces six séances, nous avons noté une active participation de nos apprenants, une grande interactivité avec les outils, une autonomie certaine et beaucoup d’interactions. Or, susciter l’intérêt de l’apprenant et l’impliquer dans le processus d’apprentissage est le plus grand défi de l’éducation (Meirieu, 2008). Selon la philosophie pédagogique de Célestin Freinet, le défi consiste à développer une motivation pour l’expression et la communication au sein de l’école, entre les élèves eux-mêmes, et à l’extérieur de l’école, entre les classes, ainsi qu’à créer les conditions pour promouvoir la méthode « naturelle » d’apprentissage, soit créer les conditions pour l’utilisation de la langue dans des situations réelles de communication et d’action (Puren, 2010, p. 80). Et notre expérience a précisément répondu à ce défi.
Sur le thème « Partez à la découverte de Sénégal », il s’agissait de promouvoir la communication, le dialogue et la coopération entre les apprenants de nationalités et cultures différentes, d’encourager des valeurs telles que l’amitié, la paix et la solidarité en ayant comme langue commune, le français.
Grâce à la visioconférence, au partage d’écran, au chat instantané, la classe virtuelle a cette capacité de créer de la proximité, de véhiculer une ambiance. Les outils numériques permettent d’infinies possibilités pour rompre la distance, faire oublier l’environnement immédiat, égayer, stimuler, impliquer, entraîner… Et les documents authentiques, issus d’instants vécus dans une nouvelle spatio-temporalité, deviennent de précieux liens entre distanciel, virtuel et réel…
Au travers de cette expérience, nous avons pu constater combien notre enseignement a été enrichi et rendu vivant. L’apprentissage linguistique réparti au travers des activités réalisées en séance a été facilité par un travail souvent collectif, par l’instantanéité des échanges et de l’accès aux supports. Il a été nettement amélioré par la variété d’une offre éducative séduisante et dynamique.
Nous avons également vu combien, avec de la créativité, il est possible et facile de connecter une classe linguistique virtuelle au monde. Il suffit de quelques secondes, quelques minutes, pour essayer d’embrasser une autre culture, en saisir l’âme, s’immerger, explorer sans bouger, se mettre en lien et expérimenter en temps réel… Notre voyage au Sénégal a été profondément enrichissant et notre classe linguistique virtuelle, un temps fort et mémorable, authentique et animé.
Selon l’enquête par questionnaire adressée en fin de cours aux apprenants, les activités réalisées tout au long des six séances ont rendu notre enseignement en distanciel particulièrement intéressant. La majorité des élèves ont vraiment aimé entrer en contact et échanger avec les jeunes sénégalais de leur âge tout comme explorer la ville virtuellement.
Dans leurs échanges, ils ont pu observer et comparer les similitudes et divergences de mode de vie, de culture et d’expression, prendre mesure des richesses que ces différences peuvent apporter, élargir leur vision et cultiver le respect. Ils ont également apprécié le recours aux divers outils numériques qui leur ont permis d’acquérir plus d’habileté, d’aisance et de découvrir le champ des possibilités offertes. Les apprenants ont exprimé un vif désir de poursuivre leur apprentissage du français de cette manière et ont noué des liens d’amitié avec les collégiens du Sénégal.
C’est une expérience scolaire inoubliable. Nous avons appris à connaître de nouveaux enfants, différents en apparence, mais juste comme nous finalement ! Il fallait juste apprendre à s’adapter et vouloir les connaître ! Ce sont des amis maintenant… (Aspasia)
J’ai noué de solides amitiés et, moi aussi, j’ai vécu des moments inoubliables… (Iphigénie)
Nous avons rencontré des gens que nous n’oublierons jamais et noué des amitiés qui dureront longtemps ! (Zephie)
Nous avons voyagé virtuellement au Sénégal. Nous avons rencontré via Zoom des collégiens comme nous et nous allons rester en contact avec eux… C’est une expérience que je n’oublierai jamais… (Orphée)
J’ai appris à connaître de nouveaux endroits, des sites superbes. J’ai rencontré des personnes exceptionnelles. Ce voyage virtuel au Sénégal a vraiment été unique… (Jenny)
L’expérience que nous avons vécue est inoubliable ! Nous avons eu une occasion rêvée de connaître un autre pays et une autre culture… (Alexander)
J’ai pu élargir mes connaissances de la musique, des langues et du patrimoine culturel du Sénégal. Jamais je n’aurais pu imaginer le faire ainsi… ! (Iphigénie)
… Moi je vais garder le contact avec eux et je projette de les rencontrer…
Sur le plan linguistique, tous les apprenants ont fait des progrès. Leur grand intérêt et leur active participation aux exercices de langue et aux activités de communication y ont assurément contribué tout comme notre volonté d’appliquer les principes pédagogiques de Freinet telle la création d’une atmosphère de classe agréable, la participation active à des activités qui font sens, l’ouverture au monde. Il est ainsi apparu que les séances ont été vécues avec plaisir et non contrainte par les apprenants. Si nous avons veillé à impliquer individuellement ceux-ci dans tous les aspects du processus d’enseignement/apprentissage, depuis le choix des objectifs et du contenu, du rythme et des supports jusqu’à l’évaluation, nous les avons volontairement fait travailler en équipes — un facteur de socialisation — en mettant l’accent sur la collaboration et le partage avec leurs pairs plutôt que la compétition et le seul jugement de l’enseignant pour atteindre les objectifs pédagogiques. Nous leur avons ouvert une fenêtre sur le monde et offert une connexion à celui-ci en temps et dimension réels.
Notre approche était expérientielle car les apprenants ont été invités à apprendre par l’action, au sens où ils ont vécu des expériences leur permettant de ressentir et de vivre d’importantes valeurs comme l’amitié ou la solidarité. Les émotions partagées, les moments vécus tous ensemble, ont conduit enfin à une meilleure réalisation des objectifs d’apprentissage en rapprochant l’école des apprenants, en lui donnant plus d’attrait et de meilleures chances de remplir avec succès ses fonctions.
Conclusion
Enseigner en distanciel est un véritable défi pour les enseignants et une source de craintes, de doutes pour les apprenants. Toutefois, avec les nouvelles technologies et le numérique, ce peut être un moment fabuleux de partage et de lien — à condition, bien sûr, de faire preuve de créativité et d’un peu d’habileté avec les outils.
Dans une classe linguistique virtuelle, les documents authentiques, lesquels ne sont pas construits à des fins éducatives, trouvent toute leur place et leur utilité. En plus d’offrir aujourd’hui des formes encore plus riches et attrayantes que par le passé par l’emploi de divers médias, ils ont des impacts insoupçonnés. Meilleure exposition et interaction avec la langue apprise, élargissement des connaissances linguistiques, facilitation de la communication par sa contextualisation et son immédiateté, automatisation accrue des réflexes langagiers, maîtrise inconsciente de la langue du quotidien…
Il est certain que sans eux nous n’aurions jamais pu animer nos séances, fédérer et engager nos apprenants, connecter la classe au monde comme nous l’avons fait.
Et cette connexion au monde, nous l’avons fondée sur cette valeur pédagogique qu’est l’action en tant que contribution au développement social et culturel des apprenants par le contact et la confrontation avec une autre culture, la définition, par une approche ouverte, du « je » et de « l’autre » dans ses similitudes et différences. Notre souhait étant que le dialogue engagé entre apprenants soit le début d’un processus d’échanges toujours plus ouverts, riches et constructifs. C’est cette même valeur de l’action qui, nous le croyons fermement, a entraîné les apprenants à adopter une attitude volontaire et positive, les a motivés à mieux atteindre les objectifs et les a inscrits dans une culture scolaire d’ouverture, de créativité et de coopération.