Introduction
L’enseignement des arts reste un domaine qui questionne et qui demande à être exploré, de par son ambiguïté entre discipline intégrée dans le système éducatif mais à la fois qui s’éloigne volontairement de la forme scolaire classique. Si la forme scolaire est avant tout scripturale, où l’usage de l’écriture est consubstantiel, selon Rey (cité dans Go et Prot, 2023, p. 81), l’enseignement des arts s’est principalement situé en tant qu’expérience (Dewey, 2010) avec une approche déclarée sur les savoirs pratiques. Les modalités d’apprentissages sont alors différentes des autres disciplines plus scolastiques, introduisant les élèves dans une démarche artistique singulière dans le cadre d’une action conjointe (Sensevy et Mercier, 2007). Engager les élèves dans une telle démarche s’effectue grâce aux interactions organiquement coopératives selon Sensevy et Mercier (2007, p.15). C’est pourquoi l’enseignement des arts a été traité à partir de différents angles et avec une diversité d’approches permettant de poser les fondements pour une didactique des arts (Gaillot [1997], Lagoutte [1991], Espinassy [2017], Fabre [2015]), l’affirmant en tant que démarche réflexive par l’exploration artistique et créative. Nous avons pu assister à un glissement qui s’est opéré entre un enseignement centré sur la technique, par le biais d’un apprentissage du dessin assimilé à la forme scripturale (Vincent, 1994, p. 25), pour s’en détacher et s’orienter vers le processus par des situations de recherche (Lahalle, 2004). Il participe dès lors d’une reconstruction de la forme scolaire telle qu’elle a été définie par Go et Prot (2023), avec des apprentissages qui s’éprouvent par la pratique au travers d’une expérience exploratoire.
Pourtant, si nous parlons bien de pratique, celle-ci convoque des savoirs qui sont cependant encore complexes à nommer ou identifier pour ceux qui l’exercent. Tel que l’avait exposé Perrenoud (1998), il n’y a pas de pratiques sans savoir, mais : « Il reste alors à déterminer si les savoirs ainsi identifiés sont transmissibles, ou du moins susceptibles d’être construits dans le cadre d’un dispositif de formation initiale » (1998, 502). Cette difficulté d’identifier les savoirs en arts et de pouvoir les transmettre dans un dispositif didactique persiste, d’où le besoin d’approfondir ces questionnements dans le cadre de son enseignement. Cette tension est d’autant plus présente en primaire, car la discipline reste difficile à aborder pour des enseignants qui ont eu une formation très succincte et ne saisissent pas toujours ses enjeux. Les obstacles sont nombreux (Torregrosa, 2023b), notamment dans la représentation des arts comme un moment ludique et récréatif et en tant que discipline secondaire. On se confronte à deux difficultés : la charge horaire de formation trop réduite pour bien approfondir les enjeux principaux de cet enseignement et les pratiques diverses en contexte scolaire. On retrouve en effet une diversité de pratiques selon les compétences et représentations des enseignants, entre des activités très libres mais sans contenus précis et des activités très dirigées qui n’ouvrent pas de processus créatif.
Dans le cadre de l’enseignement des arts, notre problématique porte sur ces tensions présentes entre la difficulté d’établir un dispositif didactique en arts et la prise de position vers la reconstruction de la forme scolaire. Au travers de cet article, nous présenterons une étude réalisée en écoles primaires genevoises, à partir de l’observation de pratiques représentatives de l’enseignement des arts, afin d’en détecter les caractéristiques et voir dans quelle mesure elles amènent une transformation de la forme scolaire classique. Notre analyse se centrera sur l’étude des séquences d’enseignements à travers la notion de dispositif qui amplifie la proposition d’une simple activité en arts, et permet de mieux cerner les enjeux d’apprentissages de cette discipline. Il s’agit de penser les conditions de transformations de la forme scolaire qui se dessinent dans l’enseignement des arts pour définir les contours d’un dispositif qui intègre les différentes situations. Entre incitation et mise en pratique, déceler les leviers d’apprentissage d’une démarche en arts, et ainsi dégager des outils didactiques pour la formation des enseignants.
Enjeux et apprentissages en arts
Poser les savoirs et compétences à acquérir en arts a été le fruit de diverses études et transformations de programmes qui ont différé selon les pays, pour accroître la légitimité de l’enseignement des arts au cœur du système scolaire en tant que discipline à part entière avec les apprentissages correspondants. Le travail de Gaillot (1997) et de Lagoutte (1991) a enrichi la perception de celle-ci, en énonçant les savoirs en arts et les manières de les aborder dans les enseignements primaires et secondaires. Gaillot a identifié des contenus cognitifs techniques, théoriques et culturels, en signalant le savoir technique pour la mise en œuvre d’une pratique déterminée, pouvant favoriser une démarche exploratoire ; le savoir théorique qui renvoie au notionnel, qui favorise une approche à la connaissance des dimensions et problématiques propres à l’art ; le savoir culturel qui se rapporte à la connaissance des œuvres, favorisant les associations, les liens avec l’histoire et notre société actuelle (Gaillot, 1997, p. 75-76). L’axe culturel occupe actuellement une place privilégiée dans les enseignements artistiques, en soulignant le rapport aux œuvres, à l’histoire de l’art et à la culture. Ce sujet a été approfondi autour de la rencontre avec l’œuvre notamment dans l’ouvrage dirigé par Chabanne, Parayre et Villagordo (2012) et des liens avec les objets culturels de références par Mili et Rickenmann (2005).
La discipline des arts a bien pris sa place au cœur de la formation initiale, néanmoins son enseignement reste encore flou, en particulier pour les professeurs du primaire, qui perçoivent les arts plutôt comme un moment ludique et de plaisir. Si les arts sont tournés vers des savoirs exploratoires, des savoir-faire pratiques, qui s’éloignent des pratiques scripturales et donc des représentations de la forme scolaire (Reuter, 2023), ils amènent divers apprentissages qui ne peuvent être négligés (tels que le graphisme, les nuances/dégradés, les compositions, le fond/la forme, le volume, etc.). La pratique d’atelier, qui se différencie de la forme scolaire classique, induit souvent en erreur les enseignants et les élèves, qui ne considèrent pas les apprentissages sous-jacents, l’assimilant plutôt à un espace de bricolage et de jeu. Cette pratique d’atelier renforce justement la place de l’élève en tant qu’agissant, plongé dans un processus exploratoire vers une démarche artistique/plastique. À partir d’une incitation (Espinassy, 2017), cette démarche vise à renforcer l’appropriation des situations en fonction des possibilités et intérêts des élèves, tout en essayant d’offrir l’expérience d’un processus créatif en contexte scolaire. Cela s’inscrit alors dans ce que Go et Prot (2023, p. 82) nomment une reconstruction de la forme scolaire, qui amène à changer les circonstances existantes. En effet, cette reconstruction implique plusieurs conditions de transformations qui sont déjà présentes dans l’enseignement des arts. Tout d’abord, l’organisation et l’aménagement de l’espace au cœur des transactions pour favoriser un milieu didactique riche, essentiel pour engager les élèves dans un processus créatif, mais aussi plus spécifiquement dans la transmission des savoirs scolaires, où l’élève est engagé dans une pratique d’expérience d’étude (Go et Prot, 2023, p. 84-85). Comme ils le soulignent :
« La reconstruction de la forme scolaire consisterait à ce que soit plongé l’Élève dans une activité d’enquête, une pratique de travail intellectuel, du rapport de première main aux problèmes dans un environnement d’institutions publiques. » (2023, p. 85).
Là est le propos de l’enseignement des arts, qui implique un autre rapport aux objets de savoir ; ceux-ci n’organisent pas le temps scolaire, mais c’est le processus de recherche, entre contrainte et incitation vers une démarche créative, qui est au cœur du quotidien des élèves. Dès lors, saisir les enjeux d’apprentissages en arts est nécessaire pour renforcer sa particularité mais reste complexe pour les enseignants du primaire de par son éloignement de la forme scolaire classique. De plus les programmes donnent des lignes de direction amples mais n’offrent pas des moyens de les mettre en pratique. S’il existe des moyens d’enseignement romands (MER) pour chaque discipline, les arts ne disposent pas de supports pour les enseignants. Un futur enseignant n’ayant eu qu’une pratique plastique durant sa formation obligatoire, éprouvera des difficultés pour transposer ces intentions en séquences didactiques complètes, tel que le décrit Espinassy :
« les enseignants du premier degré ont une représentation floue des disciplines artistiques (ce qui en augmente la difficulté et la complexité de mise en œuvre), et montre qu’ils se sentent insuffisamment compétents pour conduire les enseignements attendus » (2017, p. 28).
En outre, les programmes changeants ne facilitent pas la prise en main de la discipline pour les enseignants, selon Espinassy et Claverie : « Les enseignants composent depuis longtemps avec la variabilité constitutive des prescriptions et l’instabilité des textes institutionnels » (2023, p. 29). En France, nous sommes passés de l’enseignement des arts par le dessin au travers de la copie et la géométrie pour se diriger vers les arts visuels et ainsi ouvrir le panorama des approches et des pratiques (Lagoutte, 1991). L’expérience est privilégiée, le tâtonnement et l’action à partir de questionnements, d’un processus de recherche incité par l’enseignant. En Suisse romande, le programme officiel est le Plan d’études romand (PER) qui préconise « l’exploration des langages visuels, plastiques et sonores et aide à leur compréhension. Il favorise la construction de références culturelles. Les activités pratiques contribuent au développement et à la stimulation du potentiel créatif des élèves » (PER, 2010). Les enjeux des enseignements artistiques sont donc forts, comme le souligne Poussier :
Son objectif prioritaire est d’amener les élèves à mettre en œuvre l’imagination, la sensibilité, la création comme les textes nous l’imposent, et non à « faire » simplement au sens technique et occupationnel du terme, dans le but de maîtriser telle ou telle technique choisie arbitrairement par l’enseignant
(2004, p. 101).
Son approche a bel et bien été transformée au fur et à mesure des réformes, ou comme le précisent Espinassy et Claverie, on peut parler d’un changement de paradigme, en basculant d’une discipline basée sur des savoir-faire, vers un enseignement d’un processus, une démarche à partir d’une intention (2023, p. 26). Ces transformations renforcent la dimension singulière de cet enseignement qui se détache de la forme scolaire classique, en partant d’une situation ou une incitation qui mènera les élèves dans un processus de recherche, d’expérimentation et de résolution par une production. C’est une approche similaire à la situation-problème, enquête ou contrainte communément nommée en arts, où l’élève se confronte à une situation, un obstacle, un questionnement, qu’il devra résoudre avec la mise à disposition de matériel, de notions, de pistes ; un milieu riche qui l’entraîne dans son processus plastique et créatif. Milieu qui acquiert une valeur essentielle en art, car c’est un milieu action tel qu’il a été défini par Go (2006, p. 88), qui offre divers centres possibles à l’élève dans son processus. L’expérience de l’élève est donc valorisée, l’amenant à appréhender le fait artistique au travers d’un dispositif déclencheur pour formuler des propositions sans résultats préétablis.
Dès lors, « la didactique des arts plastiques repose sur un projet éducatif qui met la pratique exploratoire et réflexive au cœur de ses dispositifs d’enseignement, où la maîtrise des savoirs est toujours interrogée en vertu du projet artistique des élèves » (Espinassy et Claverie, 2023, p. 34). On assiste bien à un changement de paradigme, qui s’établit principalement dans la place de l’expérience au cœur du processus d’apprentissage de l’élève et grâce à un dispositif qui permet de faire découvrir aux élèves une démarche créative artistique. Changement qui ne surgit pas seulement dans l’enseignement des arts, mais qui provient surtout du rapport aux arts en général. En effet, au cœur du paradigme contemporain développé par Heinich (2014), les arts jouent un rôle essentiel dans le rapport à la culture des enfants et des personnes en général. Une approche qui est favorisée par l’expérience, par un dispositif interactif, amenant une plus grande implication des spectateurs, qui participent de l’œuvre. Heinich (2014) insiste sur le fait que l’art contemporain va au-delà de l’œuvre et accentue la dimension participative, de diffusion et de réflexion que celle-ci convoque. Ainsi, si dans les musées ou institutions culturelles, il est possible de découvrir des expositions qui invitent à vivre une expérience, à manipuler et à établir des interactions, les pratiques artistiques à l’école primaire restent principalement reproductives ou techniques, proche du paradigme moderne, voire classique et abordent peu le paradigme contemporain ou l’apprentissage d’une démarche par une expérience. Dans cette étude, nous tenterons de déceler les caractéristiques des pratiques représentatives des enseignants du primaire afin de révéler les leviers qui favoriseraient une approche à l’art par l’expérience vers une démarche plastique créative.
Dispositif didactique en arts plastiques et visuels
L’enseignement des arts s’affirme dans ce nouveau paradigme en participant des transformations de la forme scolaire (Go et Prot, 2023). Néanmoins, dans l’enseignement primaire, les pratiques communes qui persistent sont de réaliser des activités basées sur des techniques spécifiques, se finalisant avec la remise d’une production plus ou moins similaire entre chaque élève (Torregrosa, 2023a). Elles n’engagent pas réellement dans un dispositif exploratoire et réflexif, car il n’y a pas d’expérience proposée, mais plutôt une activité de courte durée dirigée par l’enseignant. Par exemple, dans le contexte genevois, il est proposé des « bricolages » pour les festivités (Noël, Pâques, fêtes des Mères), qui consistent à reproduire un modèle donné et qui sera offert aux parents une fois finalisé. Ce type de pratique se rapproche de la forme scolaire classique par un processus de « question-réponse-tâche », où l’élève n’est pas au cœur du dispositif ni agissant. Kerlan et Lemonchois précisent justement que l’expérience se construit, elle implique une durée, une demande de temps, et une élaboration narrative de ce qui se vit et se travaille (2017, p. 99). Cette différence entre l’activité de la forme « question-réponse-tâche » et l’expérience peut s’identifier par la notion de dispositif, de par sa structure intentionnelle qui ne se réduit pas à un vécu temporel, mais à une réelle expérience qui engage progressivement les élèves dans un processus de réflexion, vers une démarche plastique/artistique. Ce temps de l’expérience est le temps du problème évoqué par Go et Prot (2023, p.89), où la démarche de l’élève est au centre du processus d’apprentissage. Dès lors, nous nous focalisons sur la notion de dispositif pour la distinguer des pratiques communes de cette discipline au primaire qui relèvent souvent d’une activité d’expression ou de techniques sans contenus précis. Cette notion nous semble affiner le potentiel d’une séquence en arts plastiques et visuels, afin de considérer l’ampleur de ses objectifs et leurs portées dans les apprentissages des élèves. Le dispositif se comprend comme une séquence d’arts plastiques et visuels considérant tous les enjeux sous-jacents : les contenus, les procédés, le milieu didactique, l’organisation sociale, les gestes professionnels et les apprentissages émergents. Selon Schneuwly (2009), un dispositif didactique est mis en place par deux aspects : une consigne de l’enseignant et la création de conditions d’apprentissage définissant l’activité scolaire à faire par les élèves, informant de dimensions principales considérées par l’enseignant. Il s’agit d’organiser la classe, de choisir les supports, de mettre en place des démarches visant la rencontre avec les objets enseignés. C’est un terme générique désignant un ensemble d’outils de l’enseignant :
Par dispositif didactique nous entendons l’ensemble des supports matériels (tableau noir, feuilles, textes, livres, cahiers…), des modes de travail (agencement spatial de la classe, formes sociales de travail…) et le discours de l’enseignant (consignes et leur reformulation) visant à présenter l’objet et à focaliser sur certaines de ses dimensions
(Jacquin, 2011, p. 3).
L’enseignant crée, par son dispositif didactique, des conditions qui engagent les élèves dans un processus qui implique observer, manipuler, analyser, réfléchir, produire. Cela se passe selon le « contrat didactique » (Brousseau, 1988), explicite ou implicite, définissant les attentes à propos des objets à apprendre. Ce contrat prend sens dans la dévolution qui s’opère selon les conditions d’apprentissages mises en place par l’enseignant. Ce n’est donc pas la communication d’une connaissance, mais la dévolution d’un bon problème selon Brousseau (1984). Sensevy (2011) ajoute que ce contrat se transforme dans la reconstruction de la forme scolaire, évitant le rapport de subordination qui préexiste pour laisser place à une relation d’échanges mutuels et féconds pour les apprentissages. En effet, le contrat didactique fixe les conditions générales d’un enseignement, mais dans celui des arts il présente d’autres enjeux, puisque les savoirs visés peuvent évoluer au cours de la séquence, selon les réactions, apports des élèves face à la contrainte posée. À partir de ces injonctions, le professeur rétroagit et saisit le rapport au monde de l’élève au cœur du contrat qui les lie (Sensevy, 2011). Ce contrat, en lien avec le milieu didactique est sujet à négociations, amenant des situations adidactiques par son évolution au cours de la séquence. Situation décrite par Bourg :
L’enseignant a la charge de confronter l’élève à des situations à travers lesquelles ce dernier va rencontrer un problème. Ces situations, porteuses du milieu auquel l’élève va s’adapter, sont qualifiées par Brousseau d’adidactiques : c’est l’élève qui a la responsabilité de la construction de son savoir, il agit indépendamment des attentes de l’enseignant.
(2021, p 48-49).
Les dispositifs didactiques en arts conjuguent alors des séquences structurées autour d’objectifs et savoir prédéterminés par l’enseignant et à la fois un milieu ouvert qui favorise des situations adidactiques où les élèves agissent dans la continuité de la séquence et des savoirs émergents. Dans ce sens, les savoirs, les compétences, les objets qui y sont contenus sont mobilisés pour permettre l’apprentissage de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences qui s’intègrent au milieu à chaque nouvelle acquisition par l’élève (Roy, 2022). On parle alors de dispositif basé sur une action conjointe, tel qu’il est décrit par Sensevy, où « contrat et milieu interfèrent, l’un faisant progresser l’autre et réciproquement au cours du jeu didactique ». (Defrance, 2012, p. 138).
Dans cette perspective, la notion de dispositif a un sens fort en art et revient souvent dans le cadre d’exposition ou d’œuvres interactives contemporaines. Initialement elle avait un arrière-plan théorique en tant que fonction stratégique, définie par Foucault qui précise que le dispositif « est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir, qui en naissent, mais tout autant, le conditionnent » (1994, p. 299). Sa définition a été revue par Agamben (2014), introduisant le concept de sujet dans la relation du dispositif et son propos. Dans l’art contemporain et le milieu muséographique, cette notion s’est déployée de façon très large comme un ensemble de moyens conforme à un plan, en intégrant les notions d’interactivité, d’opérativité et de performativité (Guelton, 2016). Le dispositif considère ainsi l’agencement des objets et les interactions possibles pour dépasser la notion d’œuvre associant en corrélation la situation du spectateur. Tel que le précise Gonzalez :
« Toutes ces opérations suggèrent l’impossibilité d’isoler l’objet, l’artefact ou l’œuvre de l’espace ou d’un contexte qui est souvent institutionnel et qui implique nécessairement d’intégrer la situation du spectateur. Le dispositif crée ainsi une articulation d’agencements entre le public et des artefacts, personnes et institutions. »
(2015, p. 15).
Cette approche correspond au paradigme contemporain souligné par Heinich (2014), avec un accent posé sur l’expérience que vit le spectateur/visiteur/élève selon les espaces donnés. C’est pourquoi elle s’applique parfaitement dans le cadre d’une analyse didactique des enseignements en arts, car elle recouvre la complexité de l’organisation d’un enseignement par la pratique autour d’objets de savoir. Elle éclaire par ailleurs la place des interactions entre les participants, mais aussi la nécessaire médiation des savoirs en jeu, et par là, les modes de participation des personnes, non pas comme spectateurs mais comme acteurs des enjeux de connaissances. Un dispositif didactique en arts inclut donc une expérience au-delà d’une simple activité, où les objets d’enseignements en jeu se perçoivent dans la pratique exploratoire et interactive. Comme le soulignent Kerlan et Lemonchois :
« En amenant les élèves à vivre des expériences artistiques et culturelles s’éloignant de simples activités de loisirs, ces dispositifs ont favorisé, pour les enseignements également, un vécu expérientiel dont on commence à mieux percevoir les effets dans leur exercice du métier. »
(2017, p 110).
Finalement, un dispositif didactique en arts intègre l’ensemble des supports matériels, les modes de travail, la consigne ou l’incitation et l’expérience qui est proposée, stimulant les processus exploratoires des élèves qui se découvrent et s’enrichissent au fur et à mesure de la séquence. Détecter ces dimensions constitutives dans l’analyse des leçons nous permettra de poser les caractéristiques d’un dispositif didactique dans l’enseignement des arts au primaire.
Contexte et méthodologie de recherche
Méthodologie et procédure
Notre cadre de recherche s’inscrit dans le contexte de l’enseignement primaire genevois, où notre objectif est de décrire et comprendre ces séquences représentatives pour saisir les étapes structurantes et les leviers vers des apprentissages en arts. Nous nous sommes basés sur la méthodologie de l’approche clinique (Leutenegger et Schubauer-Leoni, 2002), pour analyser le système et sous-système didactique, qui nous permettront de rassembler et de croiser des traces susceptibles de nous informer des actions et organisation des acteurs. Notre corpus est constitué de trois enseignantes chevronnées en école primaire à Genève, avec une ample expérience d’enseignement et la participation aux formations des futurs enseignants de l’Université de Genève. Des entretiens ont été réalisés avec les enseignantes et des observations avec des enregistrements vidéo du déroulement d’une leçon avec leurs élèves durant deux à six périodes de 45 minutes chacune. Nous avons privilégié les enseignants qui favorisaient les arts dans leurs enseignements et qui valorisaient cette discipline au travers de leur discours. Durant les leçons, nous avons filmé les gestes professionnels et toutes interactions avec les élèves ainsi que leurs moments de productions. L’étude prend appui sur une épistémologie pratique des enseignants pour rendre compte de : « l’ensemble des savoirs qui informent sur ce qu’il fait et dit dans sa classe sans pour autant qu’il ne soit toujours en mesure de les expliciter ». (Amade-Escot, 2014, p. 20). Si dans les entretiens préalables, les contenus ou savoirs en jeu ne sont pas toujours explicites, nous les découvrons au travers des régulations et institutionnalisations durant les séquences.
La procédure de recueil de données a été réalisée comme suit :
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pour les enseignantes, nous avons sélectionnés des aspects de pratiques ordinaires et des éléments révélateurs à l’intérieur du système didactique (Leutenegger et Schubauer-Leoni, 2002, p. 241).
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Pour les élèves, nous nous sommes centrés sur les interactions avec les enseignantes, les échanges entre élèves eux-mêmes et la mise au travail ainsi que le processus de production, avec des photographies des étapes et de leurs productions.
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Des entretiens semi-directifs ont été réalisés au préalable et à postériori à l’observation filmée, pour saisir les intentions des enseignantes autour de l’enseignement/apprentissage des arts, ainsi que leur analyse une fois la séquence réalisée.
Parmi les évènements remarquables filmés, des verbatims ont été transcrits pour mettre en évidence les attentes des enseignantes au travers des consignes, des régulations et des institutionnalisations.
Analyse des séquences : structure et particularités
Nous centrerons notre étude sur l’analyse de trois séquences observées, en soulignant les étapes et gestes professionnels sollicités, afin de saisir les apprentissages sous-jacents. Une analyse à priori et a posteriori sera établie pour chaque séquence afin de saisir les écarts entre ce qui est proposé, les objectifs visés et ce qui est effectif. Dans ce sens, nous soulignerons les caractéristiques de chaque séquence à la lumière de la notion de dispositif. Nous nous focaliserons sur la consigne initiale, le processus suivi et les productions finales :
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1ère séquence : semaine de décloisonnement en arts, autour du thème de l’eau – activité en arts et musique sur deux journées avec différents degrés (de 1PH à 8PH, équivalent à tous les niveaux de maternelle et primaire).
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2e séquence : production d’un éléphant en volume par des bandelettes de papier (3PH – équivalent CP)
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3e séquence : Atelier sur les dinosaures en collage avec un fond en peinture (5PH – équivalent CE2)
Après une description de chaque séquence, nous retracerons les particularités de chacune pour saisir les dimensions choisies et développées selon les enseignantes. Dans les entretiens préalables, les enseignantes ont unanimement partagé l’objectif de travailler la créativité et l’imagination pour les élèves en arts. Nous verrons à partir de l’analyse des ateliers quels sont les aspects favorisés pour accéder à ces objectifs et si ceux-ci sont abordables au travers des séquences proposées.
Pour la séquence 1, la thématique générale de l’école pour ce décloisonnement est l’eau. La séquence observée consiste en la représentation d’une chanson sur le thème de l’eau, au travers de sons et d’une production plastique. Nous nous centrerons sur la production plastique qui exige l’illustration d’une scène de la chanson, à partir d’un storyboard réalisé en groupe (composé d’élèves de différents degrés) par la technique du collage et du dessin :
Enseignante : En gros ce qui était imposé, c’est on doit faire un étang
Ce sont les paroles de la chanson qui imposaient le dessin, donc c’était ça les consignes en fait, après le matériel ben oui il fallait un carton vert au départ, et après dessus ils construisaient comme ils pouvaient, mais fallait que ce soit un étang, ça ne pouvait pas faire un étang violet, là j’aurais dit non, un étang ce n’est pas violet, mais ils n’ont pas été hors du cadre, ils ont respecté le cadre sans avoir besoin de les remettre. Je leur dis vous faites comme vous voulez tout en lançant des idées.
Les élèves sont répartis en groupes, et deux tables principales sont installées dans la classe pour engager les élèves dans les ateliers : une pour produire les sons, et une avec tout le matériel à disposition pour la production plastique. L’activité s’est déroulée en plusieurs étapes : la production du son, l’enregistrement, le storyboard de la scène choisie et la production plastique. Les savoirs visés sont techniques par le collage et le dessin, mais aussi exploratoires par le travail d’assemblage et composition de l’environnement de l’étang, ainsi que la présentation de l’eau (étang). Les consignes données sont larges : représentation de la scène par le collage grâce au matériel disponible dans la classe et le dessin, avec apport de matériaux du parc pour élaborer l’environnement de l’étang.
À partir de la notion de dispositif, une expérience est bien proposée ainsi qu’un processus plastique par les différentes techniques et modalités de travail, pourtant les consignes générales ne sont pas clairement définies installant un flou chez les élèves, et à la fois des instructions de production très précises qui brident le processus créatif ; enfin il n’y aura pas d’institutionnalisation. La dimension flexible de l’activité avec l’ajout de procédés (tel que le collage de matériaux du parc) apporte une possibilité d’appropriation des élèves et l’ouverture vers des productions différentiées.
Pour la séquence 2, avec la classe de 3PH, l’activité consiste à élaborer un éléphant en volume à partir de bandelettes de papier de couleurs. Dans la définition, l’enseignante travaille avec eux les différentes manières possibles d’assembler les bandelettes :
Enseignante : ou on prend une feuille ou on prend un sous-main en carton comme ça, (…). Après on appuie (elle colle la bandelette de couleur)… ça fait un rond ! Ah ! Ah ! … qu’est-ce que ça pourrait être ?
Un élève : une tête !
Enseignante : Une tête ! qu’est-ce qu’on va faire comme animal, je vous l’ai déjà dit ?
Les élèves : Un éléphant !
Enseignante : Un éléphant ! ça pourrait être une tête d’éléphant. Oui ? Comment est-ce qu’on pourrait faire ses yeux ?
Tous les élèves lèvent la main
Enseignante : Amedane ! on coupe quoi, montre-moi !
(Un élève se lève pour prendre la bandelette)
Enseignante : comment on fait avec ce papier pour faire des yeux à notre tête ?
Les élèves prennent le matériel et se mettent au travail en autonomie. Les savoirs visés sont techniques et plastiques autour de la mise en volume, de l’image bidimensionnelle à la tridimensionnelle pour l’élaboration de l’éléphant. Durant la définition, l’enseignante précise ses attentes en termes d’imagination et d’essais, mais l’activité se focalisera principalement sur la formalisation de l’éléphant en volume. Si nous considérons cette séquence à la lumière de la notion de dispositif, les élèves sont bien confrontés à une situation qu’ils devront résoudre en se plongeant dans le processus. Le processus étant autonome, il n’y a pas de régulations mais aussi sans institutionnalisation, ne facilitant pas l’appropriation des savoirs par les élèves. Ils en restent donc à l’expérimentation pour réaliser l’éléphant en volume sans rendre explicite les compétences plasticiennes (Gaillot, 1997) convoquées. On retient l’entrée par le matériel et la manipulation de certains élèves qui facilite l’appropriation de l’activité pour les autres élèves afin de travailler en autonomie.
Pour la séquence 3, avec la classe de 5PH, l’enseignante commence la présentation avec plusieurs images de dinosaures en questionnant les élèves sur ce qu’ils voient. Elle régule en apportant un vocabulaire précis, par exemple la texture, le collage, le croquis, le projet. Elle explique peu à peu l’activité qu’ils réaliseront : ils devront dessiner un dinosaure, en respectant certaines parties du corps et couvrir le dinosaure d’une texture par le biais du collage, grâce à des coupures dans des revues, et ce en représentant différents motifs selon les parties du corps. L’enseignante soumet un procédé particulier pour la création du fond : établi en collaboration avec la MDAS (maître spécialisé en disciplines artistiques et sportives) de l’école, elle propose d’élaborer le fond en peinture à partir de trois couleurs (jaune, bleu et blanc) qui seront étalées sur la feuille à l’aide de cartes bancaires. Ce procédé fait référence à l’usage d’autres outils par les artistes pour sortir des techniques classiques ; procédé souvent sollicité dans les écoles d’arts supérieures et transposé dans la formation initiale pour introduire le détournement :
Enseignante : Alors écoutez bien ce qui va se passer, votre dinosaure il va avoir un fond. Moi je vais travailler avec 8 élèves à la fois pour créer le fond. Le fond on va le créer dans les verts, d’accord ? là c’est un exemple (elle montre une feuille peinte par elle-même). Pour le faire je n’ai pas utilisé de pinceau.
Un élève lève le doigt : tu as utilisé une carte de crédit !
Enseignante : J’ai utilisé des cartes !
Des élèves : Quoi ??!! (Une effervescence monte entre les élèves)
Enseignante (en souriant) : … qui sont périmées, donc calmez-vous tout de suite, inutile de me les prendre, vous n’allez rien faire avec !
Les savoirs visés sont techniques par le collage et de dessin pour la représentation du dinosaure, mais aussi des savoirs opératoires par le travail du fond par la peinture avec la carte. L’enseignante accompagne en circulant entre chaque groupe et la régulation se situe dans la répétition des attentes, dans la précision des techniques ou le choix du support. Cette séquence s’est déroulée durant 4 à 5 séances de deux périodes, selon les élèves. Différentes institutionnalisations ont été réalisées, notamment intermédiaires pour échanger sur les stratégies et pratiques de chacun afin d’inspirer les autres et enfin une institutionnalisation finale pour échanger sur les productions. En relation à la notion de dispositif, la démarche exploratoire est présente ainsi que des institutionnalisations, celles-ci pourraient être accentuées autour des procédés et des savoirs émergents, par exemple sur le sens de l’outil utilisé et les choix des stratégies pour que l’expérience s’enrichisse de nouvelles significations afin de favoriser la construction posturale (Gaillot, 1997). L’organisation par ateliers de différentes techniques stimule la mise en marche du processus et l’autonomie des élèves pour la réalisation de leurs productions.
L’accompagnement au cœur du dispositif
Durant ces activités, on note une tension persistante entre donner une proposition dirigée et l’intention de laisser libre cours aux élèves. Une tension qui pourrait se situer sur la nécessité de maintenir la forme scolaire classique et le désir d’ouvrir le cadre pour amplifier les possibilités de processus singulier des élèves. Par conséquent, le guidage reste important au niveau de la consigne, néanmoins, les enseignantes se situent en retrait et même en réticence (Amade-Escot, 2007), pour éviter que les élèves soient juste les exécutants d’une attente définie, elles tentent d’ouvrir des choix pour qu’ils s’emparent de la tâche et cherchent l’autonomie dans leur processus. Dans le cadre d’un dispositif didactique en arts favorisant une démarche artistique/plastique, l’accompagnement pourrait être soutenu en mettant à disposition des moyens, des outils, des supports, qui permettront à l’élève de s’engager en autonomie vers une démarche singulière. Selon Bucheton et Soulé, l’accompagnement se situe dans la « gestion du temps, du rythme (dilatation, accélération, pauses), des déplacements et de ceux des élèves, de ses gestes corporels, de la maîtrise des artefacts de base » (2009, p 34). Ce rapport au temps et à la circulation dans l’espace ainsi que la maîtrise des gestes pour l’accompagnement :
(…) ouvre à l’enseignant la possibilité de se rendre disponible pour des moments de communication où le temps de la classe semble suspendu : des microscénarios improvisés, des moments d’attention conjointe provoqués par un évènement qui vient de surgir et dont on se saisit.
(Bucheton et Soulé, 2009, p 34).
Les microrégulations soutiennent ces processus pour mettre en commun les choix et stratégies de chacun, les difficultés ou les pratiques positives afin de faciliter la continuité du travail, comme par exemple dans la 3e séquence, dans la classe de 5PH (activité des dinosaures) :
L’enseignante montre les différents fonds des élèves : Regardez comme ils peuvent être différents les uns des autres, les mêmes couleurs, le même format et on peut créer deux choses différentes. Et voilà, ces deux-là sont vraiment différents, avec les mêmes formats et même couleurs, quand tu mets plus d’une couleur que de l’autre. Ces deux-là aussi. Si je passe ma main là-dessus, je ne sens pas la même chose que là-dessus, pourquoi ? Si je passe la main sur ce fond-là, je ne sens pas la même chose que sur celui-ci, vous voulez sentir ? vous voulez faire ? Elle passe les fonds prêts des élèves pour qu’ils touchent un à un. Enseignante à une élève qui touche : met tes deux mains. Alors pourquoi on ne sent pas la même chose ?
Ces échanges permettent qu’une dynamique s’installe par « l’interélaboration, évolution des significations entre les acteurs et les objets manipulés » (Bucheton et Soulé, 2009, p. 34). Les enseignants acquièrent un rôle de régulateurs.rices des transactions, qui varient en fonction des savoirs sous-jacents. On constate que des savoirs (tels que le volume, le travail pictural et de textures, la forme et le fond) vont se spécifier au cours des microrégulations, en découvrant les processus des élèves (l’assemblage des bandelettes, la composition des paysages, les textures de peintures), où les enseignants repèrent des pratiques et des stratégies qui favorisent la production et vont rebondir sur ces procédés pour les mutualiser. Ce sont des moments forts, car ils donnent une nouvelle direction ou des nouvelles pistes de travail pour les élèves en difficulté. Pourtant ces pratiques ou les apprentissages émergents sont très peu verbalisés durant les enseignements, alors que cela permettrait de faire ressortir les savoirs en jeu. L’enseignante de la séquence 1 affirme :
On fait, on le fait et après je pense qu’il n’y a pas de retour, il n’y a pas de qu’est ce qui a fonctionné, qu’est ce qui n’a pas fonctionné, pourquoi ? parce que je pense que c’est important de le faire avec eux, et à quoi ça sert. (…) Ce n’est pas visible en fait, je pense que c’est un truc qu’on ne fait pas assez.
Ces institutionnalisations sont pourtant essentielles dans un dispositif en arts pour mobiliser les ressources et stratégies de certains et les rendre accessible à ceux qui pourraient rencontrer des difficultés. L’enseignante de la séquence 2 ajoute : « Il y a toujours des objectifs mais c’est vrai qu’on ne les met pas forcément en mots. (…) Peut être que je les vois plus après l’activité qu’avant l’activité. ». Ce sont donc des apprentissages qui se construisent au fur et à mesure de la démarche, tel un déploiement situationnel, ils se découvrent progressivement, mais qui demandent à être identifié par les enseignants pour les partager aux élèves afin de saisir ces savoirs émergents. Comme le décrit Poussier :
Il nous semble évident que la circularité habituelle, démontée par les réponses personnelles des élèves, oblige l’enseignant à réajuster continuellement sa pratique, ses objectifs, à infléchir son projet, à chercher, à créer d’autres stratégies qui répondent au mieux au questionnement débusqué.
(2004, p. 103).
Finalement ces situations que nous avons observées durant les séquences, nous ont permis de pointer une structure commune pour un dispositif didactique en arts qui favoriserait cet enseignement en primaire avec les aspects suivants :
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Les moyens d’enseignements, incluant la préparation préalable de l’espace de classe, l’organisation des ateliers, la consigne avec le vocabulaire mobilisé, la circulation dans l’espace, les supports visuels affichés ainsi que le matériel mis à disposition ; l’ensemble du milieu didactique sur lequel peuvent s’appuyer les élèves durant leur processus.
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La participation et action des élèves dans le processus de définition s’inscrivant dans une action conjointe (Sensevy et Mercier, 2007) élargissant le contrat didactique initial. Les élèves peuvent reformuler la consigne, souligner les contraintes, établir des choix en les argumentant. Une place est octroyée à la manipulation, à l’expérimentation pour favoriser l’appropriation des procédés, pour sortir de la normativité et découvrir des stratégies.
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les interactions élèves/élèves et élèves/enseignant, la posture en réticence de l’enseignant pour que les élèves essayent par eux-mêmes, la diversité des propositions selon les formes, matériel, outils, techniques, pour favoriser les choix et la prise de décision des élèves. Les échanges entre eux pour s’aider et se partager des stratégies et les procédés.
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Les apprentissages soulignés dans les mises en commun intermédiaires et finales, d’où surgit la mise en évidence de notions et de savoirs. L’énonciation et la validation des savoirs par les élèves, à partir de leurs choix et des stratégies d’élaboration. La présentation des productions des élèves et des objets culturels en lien, permettant d’approfondir les savoirs cognitifs et culturels.
Conclusion : une démarche progressive
Au travers de cette étude, nous avons pu apprécier trois séquences en écoles primaires genevoises dont certaines ont initié les élèves dans un processus plastique, avec des procédés qui ont surgi durant le processus, devenant des stratégies collectives. L’analyse de ces séquences à la lumière de la notion de dispositif en tenant compte de l’expérience proposée, nous permet de saisir les modalités spécifiques de l’enseignement de l’art au primaire. Celles-ci s’approchent des modalités de la reconstruction de la forme scolaire signalé par Go et Prot (2023), notamment par le milieu didactique mis en place et la place du processus des élèves par rapport aux savoirs visés et ceux qui émergent au cours de la séquence, redéfinissant le contrat didactique initial. En effet, l’enseignement en arts s’élabore dans ce déploiement, dans cette progressivité, dans la découverte des pratiques et processus des élèves, qui sont mutualisés et réinvestis au moment même ou dans des prochaines activités. Il y a donc un réajustement permanent selon les processus d’apprentissages singuliers des élèves, qui participent aux savoirs émergents. Ceux-ci se révèlent par les négociations, les remarques ou des questionnements, incorporant des divergences, des ruptures, des détournements ou des stratégies nouvelles où vont bifurquer certains élèves. Verscheure et Amade-Escot soulignent ce processus :
En effet, ce contrat très local, est spécifique des tâches successivement proposées aux élèves, il évolue ainsi au cours de l’activité didactique en fonction de ce que les élèves, pour une part, et l’enseignant/e d’autre part, co-réalisent au cours d’interactions verbales et non verbales qui doivent être analysées.
(2004, p. 82)
Si cela spécifie le caractère différentiel du contrat didactique dans l’enseignement des arts, il est d’autant plus fort par ce tiraillement omniprésent entre offrir une expérience créative aux élèves et la tendance à guider excessivement l’activité afin d’éviter des obstacles et rester dans la forme scolaire. Les discours des enseignants présentent bien ces dilemmes, en mettant en place des séquences parfois contradictoires : ils déclarent une recherche de créativité et d’imagination et de fait proposent des séquences limitées sans approfondissements spécifiques vers des savoirs plastiques, exploratoires ou vers la pensée créatrice. Cette tension est bien au cœur du passage de la forme scolaire classique vers une transformation, impliquant d’autant plus le processus de l’élève. Dès lors, un dispositif en arts ne peut se penser comme une structure figée mais s’enrichit des situations qui surgissent au fur et à mesure de la séquence par les processus des élèves. Cela renforce la dimension progressive et interactive par l’expérience en arts où s’élaborent les échanges, où se renforcent également l’opérativité et la performativité de la séquence pensée par l’enseignant. C’est par le partage des processus, des institutionnalisations sur un savoir-faire que s’étoffent les contenus et objectifs préalables des enseignants, mais c’est aussi la possibilité pour les élèves de transformer, agir, s’impliquer dans ces démarches plastiques/artistiques. Cette étude nous a permis ainsi de rendre visible ces processus au travers de la notion de dispositif où l’enseignement des arts peut introduire dans une démarche plastique et créative quand il est possible de s’en approprier et vivre une expérience comme le propose Kerlan et Lemonchois (2017). La notion de dispositif acquière ainsi toute sa valeur, telle qu’on la saisit et définit dans le cadre des arts contemporains, comme agencement prévu et cognitif de l’espace en vue d’interaction vers des savoirs spécifiques aux arts. À partir de ces conditions, la forme scolaire est bel et bien transformée et les pratiques dans la didactique des arts contribuent à cette reconstruction.