Semer le chaos

p. 13-14

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Le chapitre inaugural de ce numéro situe le médium artistique au cœur d’une histoire du regard. Dans un monde soumis au panoptique du visuel, les techniques mises en place pour canaliser l’attention des spectateur·ices font appel à des imaginaires socioculturels, déterminés par les régimes iconologiques dominants1. Les artistes convoqués ici défendent une visualité hors-la-loi. L’image, proche comme lointaine, s’adapte à ses usages, elle se manipule et se segmente en rendant possible le démantèlement de ses modèles. Altérée dans sa matérialité et ses repères, elle se lit par indices et se raconte par ses manques.

Éparpiller les signes, brouiller le visible, inviter à l’ordre par le désordre… Au gré de représentations alternatives, les démarches plastiques des artistes dérèglent les attentes spectatorielles. Elles provoquent une confusion sensorielle par la dissimulation d’un ou de plusieurs détail(s) signifiant(s) dans la mise en récit globale des œuvres.

La section « Semer le chaos » convoque une constellation marginale de connaissances à partir d’opérations comme le décentrement ou le (dé)montage. Induit par ces actions, le trouble pousse à l’enquête, au dénouement réflexif des mécanismes à l’œuvre. L’articulation entre savoirs et gestes invite à appréhender les images sur un mode intermédial, ouvert à une temporalité qui prend à son compte la double histoire de la production visuelle : matérielle et mentale.

Le décentrement et le (dé)montage font apparaître un lien essentiel entre une méthode « indiciaire », consistant à pointer le signe dans un ensemble, et un enjeu d’ordre politique qui donne lieu à une contre-analyse du sens primaire de l’objet référentiel. Thomas Bernolin se penche ainsi sur le glissement esthétique du cinéma d’horreur « found footage » dans les inquiétantes vidéos cryptiques postées sur les plateformes virtuelles. En empruntant leurs imageries du surnaturel et du paranormal à des films comme Le Projet Blair Witch (1999) ou Unfriended : Dark Web (2018), ces vidéos amateures qui se propagent sur YouTube parasitent les concepts a priori circonscrits de réalité et de fiction. Par la valeur documentarisante de la basse définition des images, le détournement de fonds d’archives et de documents factuels, elles façonnent des légendes urbaines guidées par les théories conspirationnistes. Il s’agit ainsi de décortiquer, décoder le format de ces images pour mettre à nu leurs valeurs scénaristiques et rétablir la vérité (fact-checking). Ces mythologies collaboratives permettent in fine de fuir le chaos issu du monde réel.

1 Jonathan Crary, Techniques de l’observateur. Vision et modernité au xixe siècle [1990], Bellevaux, Éditions Dehors, 2016.

Notes

1 Jonathan Crary, Techniques de l’observateur. Vision et modernité au xixe siècle [1990], Bellevaux, Éditions Dehors, 2016.

Citer cet article

Référence papier

« Semer le chaos », RadaЯ, 8 | 2023, 13-14.

Référence électronique

« Semer le chaos », RadaЯ [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 10 juillet 2023, consulté le 29 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=582

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