Ces dernières années, l’orthographe en FLM suscite un regain d’intérêt parmi les chercheurs et praticiens avec des ouvrages, colloques et tables rondes consacrés à cette thématique (Viriot-Goeldel & Brissaud, 2019 ; Mortamet, 2019 ; Pellat, 2023 ; Enseigner et apprendre l’orthographe à l’heure du numérique, Paris, octobre 2021 ; Questions d’orthographe, Bruxelles, mai 2022). Les recherches sur l’orthographe en FLES, elles, continuent d’accuser un net retard, même si de nouvelles parutions ont vu le jour (Dubois & coll., 2011 ; Makassikis, 2017).
En raison de son rôle crucial dans la communication écrite, l’orthographe devrait occuper une place de choix dans l’apprentissage du français langue étrangère et seconde (FLES). En FLE, où les apprenants proviennent d’horizons linguistiques variés, l’apprentissage et la maitrise de la norme orthographique française représente un repère commun favorisant la compréhension mutuelle, transcendant l’idée de simple correction d’erreurs. En renforçant leur compétence écrite et leur compétence linguistique globale, l’orthographe contribue à forger une communication efficace et à consolider l’aptitude langagière des apprenants.
Nous avions à cœur de rassembler des contributions qui se centrent sur des problématiques spécifiques aux apprenants en FLES et mobilisant divers cadres théoriques (psycholinguistique, linguistique, sociolinguistique, historique…). En effet, comme tout objet d’enseignement-apprentissage, l’orthographe française subit des pressions de son environnement et est notamment sujette à des représentations de la part des apprenants, des enseignants et des institutions qui en sont les garantes (Makassikis, 2018 ; Makassikis & Pellat, 2011). Les enseignants ne connaissent pas toujours les descriptions synchroniques (Catach, 1980 ; Fayol & Jaffré, 2014) qui pourraient les aider à faire des retours judicieux. Faut-il aussi faire des incursions vers des explications historiques (Croizié-Hocquet, 2015) ? Quelle place donner à la lecture, la copie, la comparaison, la dictée, l’oral, pour que les apprenants FLE/FLS s’approprient et mémorisent l’orthographe des mots (Nieberding, 1997 ; Amokrane, 2011 ; Surcouf, 2011 ; Luzzatti, 2010 ; Fleuret & Thibeault, 2016) ? Comment multiplier les formes de mémorisation (auditive, visuelle, kinésique) pour accroitre les chances de rétention orthographique (Campese, 2018) ? De nombreuses questions restent en suspens, mais des pistes didactiques se dessinent en prenant en compte les spécificités du public FLES, notamment en comparaison des natifs.
Li et Wang ont centré leur analyse sur les homophones verbaux et plus particulièrement les verbes se terminant en [e] (passé composé avec être ou avoir, imparfait) afin d’identifier les erreurs qui seraient typiques pour les étudiants chinois ayant fait un, deux ou trois ans de français à l’université. Leur comparaison avec des collégiens inscrits en troisième et ayant rédigé la même dictée montre que les étudiants chinois produisent des formes verbales plutôt correctes, mais certaines erreurs sont le fait d’une incompréhension du mot ou d’une transcription erronée de certains sons. Les étudiants chinois sont aussi plus faibles dans la transcription des formes verbales à l’imparfait. Les auteurs proposent entre autres de travailler l’homophonie verbale par le biais de la dictée.
L’article de Prévost et Benzitoun s’appuie sur une comparaison entre élèves collégiens inscrits dans des UPE2A et des écoliers de CE2/CM1 qui devaient rédiger une histoire à partir d’images. Les résultats montrent que tous les élèves ont des difficultés avec la morphologie silencieuse. Mais contrairement aux natifs, les élèves allophones commettent des erreurs sur le genre, le choix des auxiliaires ou des graphèmes pour transcrire des sons qui ne sont pas toujours bien perçus. Les accents sont aussi source de difficultés. Les auteurs concluent sur l’importance pour les allophones d’acquérir rapidement un stock lexical afin de pouvoir transcrire plus facilement les mots.
Makassikis et Pellat apportent un éclairage historique sur l’origine des accents et proposent quelques règles simples pour placer les accents aigu et grave sur la lettre e. Ainsi outillés, les enseignants pourront plus facilement faire des retours sur les copies qui contiennent bien souvent des erreurs d’accentuation graphique. Une séquence didactique longue est aussi proposée afin de modéliser des exercices autour de la différence é/è.
Dans sa contribution, Chaupré reprend en détail le plurisystème graphique de Catach (1980) et décline pour chaque système (phono-, morpho-, logo-grammique, étymologique et historique) des propositions pédagogiques pour les allophones. Ainsi, en alliant les deux grands principes imbriqués, sémio- et phono-graphique, qui gouvernent en synchronie le fonctionnement de toutes les orthographes (Fayol & Jaffré, 2014), elle propose un enseignement de l’orthographe française, mieux structuré pour ce jeune public.
Le reste du volume accueille des propositions Varia. L’article de Longpré et Papin interroge les pratiques des enseignants autour des repères culturellement sensibles, tels que l’égalité des droits pour les femmes et les hommes, la laïcité, la liberté d’expression, le droit à l’avortement, la lutte contre la violence conjugale, le racisme ou l’homophobie, ainsi que les différents types d’union. Les enseignants reconnaissent que ces aspects sont fondamentaux et font partie du programme de francisation au Québec ; cependant, ils hésitent à les aborder en cours car ils ne se sentent pas forcément légitimes.
Roussi et Baroutsaki ont conduit des entretiens auprès d’enseignants grecs qui s’interrogent sur les stratégies à mobiliser pour accompagner les fautes récurrentes en français. Après avoir discuté de la liste des fautes concernées, les auteures montrent comment les enseignants « bricolent » des explications afin d’attirer l’attention des apprenants sans être vraiment sûrs que leur technique soit efficace.
Mickunaityte plaidoie pour l’introduction de l’enseignement de l’argot auprès de publics jeunes. Elle expose dans un premier temps le développement de l’argot et ses différentes formes. Puis, elle décrit les aspirations des jeunes apprenants, désireux de pouvoir communiquer efficacement avec leurs pairs francophones en mobilisant ce type de langage.
Le volume se termine par trois comptes rendus sur des livres publiés récemment, à savoir Plurilinguisme scolaire en Alsace, Le Français par les cinq sens et Le français à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe (2000-2020) : coopération dans le Rhin supérieur.