Introduction
Les enfants de moins de 15 ans représentent aujourd’hui une proportion importante des migrants qui se dirigent vers l’Europe1 (OCDE, 2023). Alors que les familles migrent pour diverses raisons, les enfants ont des besoins similaires à leur arrivée : apprendre le français de scolarisation (FLSco), s’adapter à un système scolaire inconnu et acquérir les compétences nécessaires pour s’insérer socialement et professionnellement dans le pays d’accueil. Il s’agit d’un parcours individuel dans lequel l’enfant doit s’engager, mais également d’une ambition partagée par les écoles et les enseignants qui jouent un rôle de soutien important. Notre article cherche à déterminer si les établissements scolaires ont la capacité de répondre aux besoins des jeunes migrants, appelés élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) en France2, en tenant compte de leur langue familiale et de leurs compétences souvent bilingues ou plurilingues.
Nous présentons dans cet article une étude de cas d’un collège girondin doté d’une équipe pédagogique plurilingue et engagée dans un travail collectif à l’initiative de l’enseignant de l’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Ce collège a développé des approches stratégiques pour valoriser les compétences plurilingues des EANA3, afin de maximiser leurs chances de réussite aux examens du diplôme national du brevet (DNB), améliorant ainsi l’accès aux lycées. La recherche, réalisée en 2022-2023 dans le cadre de l’étude nationale L’orientation des jeunes migrants (OJEMIGR 2021-2014), pilotée par Maïtena Armagnague, financée par l’Agence Nationale de la Recherche et impliquant une trentaine de chercheurs des universités françaises, examine les processus d’orientation scolaire en 3e et d’affectation aux lycées dans cinq académies : Aix-Marseille, Bordeaux, Créteil, Strasbourg et Versailles.
La problématique interrogée pour cet article concerne l’invisibilité des langues familiales dans le système scolaire français. En nous interrogeant sur la manière dont la valorisation des langues familiales est réalisée dans l’orientation scolaire, nous nous sommes posé deux questions :
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Les langues parlées à la maison jouent-elles un rôle dans les résultats scolaires ?
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Le système éducatif aide-t-il les EANA à réussir, en valorisant leurs compétences linguistiques existantes ?
Les analyses des données quantitatives et qualitatives, recueillies en suivant 10 EANA de 3e sur l’année scolaire, mettent au jour un constat frappant : les canaux d’évaluation plurilingue existent au sein du système éducatif français, et peuvent être mobilisés à l’avantage des élèves allophones. Cette mobilisation des compétences linguistiques existantes est fortement liée à l’impulsion des enseignants en UPE2A qui sont souvent moteurs de pratiques scolaires inclusives plus larges dans l’établissement (Smythe, 2023).
Après avoir passé en revue la littérature académique, nous présentons l’expérience menée dans un collège girondin concernant l’usage du plurilinguisme dans l’orientation des élèves de 3e. Les résultats montrent en conclusion que des ouvertures existent pour valoriser les compétences plurilingues des EANA, au bénéfice de leur réussite.
1. Revue de la littérature académique
En France, de nombreuses recherches sur le bi-plurilinguisme, la scolarisation et les approches inclusives pour une didactique du français font état d’un atout plurilingue qui peut favoriser la réussite scolaire s’il est soutenu par des outils pédagogiques adaptés (Rispail, 2024 ; Smythe, 2024 ; Auger, 2023 ; Mendonça Dias & coll., 2020 ; Armagnague-Roucher & coll., 2018). Mais ces études montrent aussi l’incidence du monolinguisme qui caractérise l’école française en termes d’une seule et unique langue de scolarisation. Si les élèves ne sont pas inclus selon leurs besoins éducatifs particuliers en matière de langues familiales et de cultures d’origine, alors la scolarisation renforce les risques d’exclusion scolaire et sociale, conduisant à l’échec scolaire ou à un potentiel académique inexploité (Faupin, 2015 ; Miguel Addisu & Maire Sandoz, 2015 ; Klein & Salle, 2009).
Les apports du plurilinguisme pour favoriser les apprentissages du et en FLSco sont bien documentés dans la littérature et font partie d’une pédagogie de l’inclusion. Partant du principe que les systèmes scolaires doivent s’adapter à la réalité vécue de leurs publics, depuis 2012 (circulaire du 7 octobre), les EANA dans les établissements scolaires en France peuvent être considérés comme « élèves à besoins éducatifs particuliers » (Châteaureynaud & Piot, 2022). Certains exemples d’outils pédagogiques adaptés qui prennent en compte le plurilinguisme des élèves, et qui ont été développés ces dernières années, sont issus de projets de recherche en collaboration entre chercheurs et enseignants des écoles. Le projet « Comparons nos langues » (Auger, 2015) a produit un kit de formation pour les enseignants de FLSco, afin d’accompagner les EANA dans le transfert de leurs compétences linguistiques et communicationnelles. Le projet « Plurilinguisme et inclusion scolaire » (Stratilaki-Klein, 2022) a interrogé la pluralité des parcours biographiques des élèves allophones, en proposant aux enseignants une « grille de lecture » afin de développer des pratiques de médiations linguistiques et culturelles. D’autres projets mettent en lumière des bonnes pratiques basées sur des pédagogies plurilingues et interculturelles pour des EANA en classes d’inclusion, tel que le langage comme ressource didactique (Prevost-Zuddas, 2024 ; Cadet & coll., 2022).
Un travail de recherche interrogeant les pratiques inclusives pour les EANA au sein d’un collège girondin (Delaunay, 2023) a recueilli des données sur les adaptations pédagogiques des enseignants et les attitudes du personnel à l’égard de l’EANA dans les classes d’inclusion, via un questionnaire en ligne, des entretiens individuels et des groupes de discussion. Dans ce collège, 88 personnes ont participé (dont 30 personnels4 et 58 membres de l’équipe pédagogique), et en conséquence un grand nombre de données ont été récoltées et analysées. L’étude montre que le projet d’établissement cherche à mettre en œuvre une mission éducative de réduction des inégalités. Cependant, l’insuffisance des moyens freine la mise en place d’une école réellement inclusive et capable de valoriser pleinement la diversité de son public.
2. Présentation du terrain girondin
La Gironde, au sein de l’académie de Bordeaux, propose un large éventail d’UPE2A. En 2023-2024, 33 enseignants accompagnent les écoliers dans leur apprentissage du français et 34 dispositifs sont déployés pour le second degré dont 14 UPE2A et 7 UPE2A NSA5 en collège.
Les enseignants en UPE2A, quasiment tous titulaires de la certification complémentaire Français langue seconde, sont habitués à recevoir des élèves d’âges, de profils différents, de nationalités et de langues diverses. Une récente enquête menée par le Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) de Bordeaux, met en lumière que 94 % des enseignants en UPE2A interrogés dans l’académie permettent à leurs élèves de parler dans leur langue familiale, 96 % d’écrire dans leur langue scolaire et 87 % s’appuient sur les langues familiales de leurs élèves pour l’étude de la langue française (Prévost, 2023).
Si les UPE2A fonctionnent comme des laboratoires6 où l’on est largement persuadé que le plurilinguisme et l’agilité, qu’il permet de déployer, sont primordiaux pour une entrée plus sereine dans l’acquisition des connaissances scolaires et l’inclusion dans la société d’accueil, qu’en est-il des évaluations dans les classes ordinaires ? L’étude de cas du collège girondin présente un exemple d’un travail plurilingue porté par l’enseignant d’UPE2A et l’équipe pédagogique, sur l’évaluation scolaire en 3e.
3. Étude de cas du collège girondin
Le projet OJEMIGR (2021-2024) avait pour objectif d’analyser la construction de l’orientation scolaire de jeunes EANA dans le système éducatif français. La 3e a été choisie, car c’est l’année critique pour les adolescents migrants qui arrivent souvent en cours d’année scolaire, avec peu ou pas de maîtrise de la langue française (OCDE, 2015a). Les modalités du travail sur l’orientation risquent de générer des désavantages, car plutôt que d’évaluer les compétences et les connaissances linguistiques existantes des élèves, il met en évidence leurs connaissances insuffisantes de la langue française et du programme national (OCDE, 2018). Selon les mesures de l’OCDE, les élèves immigrés sont plus susceptibles d’obtenir de moins bons résultats scolaires dans des systèmes scolaires rigides et homogènes (OCDE, 2018, p. 228). En particulier, les immigrants ont tendance à être plus désavantagés dans les systèmes qui adoptent des pratiques qui accroissent les inégalités entre tous les élèves, comme le redoublement, le regroupement par niveau et l’orientation scolaire précoce (OCDE, 2024).
Au cours de 2022, nous avons suivi une cohorte de 10 élèves allophones en 3e sur le sujet de leur orientation du collège vers le lycée. Cette étude a également permis d’interroger l’inclusion des langues familiales et la place accordée aux compétences plurilingues dans leur cursus.
3.1. Terrain de recherche
Le secteur d’enquête est un collège girondin au sein duquel la majorité des 600 collégiens vient de familles favorisées et 10 % des élèves sont boursiers7. Dans l’indice de position sociale des 134 collèges du département, ce collège est bien classé, avec un taux de réussite au DNB qui se situe entre 92 % et 97 %. Les EANA sont accueillis dans un dispositif UPE2A créé en 2018, qui peut recevoir 24 nouveaux arrivants allophones sur une période d’une année glissante (ministère de l’Éducation nationale, 2012). Ils bénéficient de 12 heures hebdomadaires de prise en charge en FLSco en UPE2A, le reste de leur emploi du temps se déroulant dans leur classe d’inclusion, de façon progressive et au regard des progrès en FLSco. L’enseignant d’UPE2A du collège travaille en équipe avec les professeurs d’histoire-géographie, d’éducation civique, de français et le professeur documentaliste à la question de l’orientation des élèves de 3e et de la personnalisation des parcours.
3.2. Présentation de la cohorte étudiée
La cohorte présente un profil d’élèves majoritairement nés et scolarisés dans un pays européen, les autres participants ayant des parents originaires de Tunisie, Maroc, Guinée-Bissau ou Mali. Ceux qui étaient scolarisés en Europe identifient leur première langue (L1) comme l’italien, l’espagnol ou le portugais, et d’autres langues parlées en famille plutôt comme la « langue de la maison ».
Pour ces jeunes nouveaux arrivants, l’année de 3e est un temps chargé de transitions multiples et majeures. L’année de leur arrivée, ils ont quitté leur pays où ils appartenaient à une communauté culturelle et linguistique, pour arriver dans un pays d’accueil où les enjeux sont multiples : s’acclimater au système scolaire et à la vie au collège, apprendre suffisamment le français pour réussir en 3e, choisir une orientation au lycée, et réussir la transition du collège vers le lycée. Catégorisés comme « arrivants tardifs »8 par l’OCDE, leur risque d’échouer dans le système scolaire est plus important. L’OCDE a analysé les coefficients de l’âge d’arrivée, les similitudes entre L1 et la langue de scolarisation, et les caractéristiques des systèmes éducatifs (OCDE, 2012). Ces résultats montrent que le groupe le plus vulnérable à l’échec est composé d’élèves qui arrivent à l’âge de 14-15 ans, originaires de pays moins développés, et parlant une langue à la maison qui est différente de la langue de scolarisation du pays de destination.
Le tableau 1 donne un aperçu des profils linguistiques et culturels des 10 élèves participants suivis au collège. On relève le plurilinguisme de ces élèves pour des raisons diverses : soit ils sont élevés par deux parents qui parlent deux langues différentes (ce qui est le cas pour l’élève J, son père étant russe et sa mère ukrainienne) ; soit ils parlent une langue en famille (l’arabe ou le bambara) et ont été scolarisés dans une autre (l’italien ou l’espagnol), ce qui est le cas pour les élèves A, B, C, E et G de la cohorte. Pour certains élèves, ils ont développé une maîtrise de l’anglais comme langue seconde grâce à une scolarité antérieure dans leur pays d’origine, ce qui a été le cas pour l’élève J en Ukraine, l’élève D en Géorgie et l’élève K en Afghanistan. Pour les deux élèves afghans, le persan sert de lingua franca parmi les multiples groupes ethniques de la région, tandis que le pachto est la langue parlée à la maison par le groupe ethnique dominant, les Pachtounes.
Tableau 1 : Profils linguistiques et culturels des élèves participants
| Nom | Profil | Pays de naissance | Âge | Langues familiales | Langue de scolarité antérieure (avant d’arriver en France) | Langues vivantes antérieures | Arrivé en France |
| A | Mère marocaine, père tunisien | Italie | 14 ans | Arabe | Italien | L2 anglais | N0 |
| B | Parents marocains | Italie | 16 ans | Arabe | Italien | L2 allemand/anglais/espagnol | N+2 |
| C | Parents marocains | Italie | 15 ans | Arabe | Italien | L2 anglais | N+2 |
| D | Parents géorgiens | Géorgie | 14 ans | Géorgien | Géorgien | L2 anglais/russe | N0 |
| E | Parents marocains | Italie | 14 ans | Arabe | Italien | L2 anglais | N0 |
| F | Parents algériens | Algérie | 14 ans | Arabe | Arabe | ? | N+2 |
| G | Parents maliens | Espagne | 15 ans | Bambara | Espagnol | L2 anglais | N0 |
| H | Mère portugaise, père de Guinée-Bissau | Guinée-Bissau, au Portugal depuis l’âge de 2 ans | 15 ans | Portugais | Portugais | ? | N+2 |
| I | Parents afghans | Afghanistan | 15 ans | Persan L1a, Pashto L1b | Persan/Pashto | L2 anglais | N0 |
| J | Mère ukrainienne, père russe | Ukraine | 15 ans | Ukrainien L1a, Russe L1b | Ukrainien | L2 anglais | N0 |
| K | Parents afghans | Afghanistan | 16 ans | Persan L1a, Pashto L1b | Persan/Pashto | L2 anglais/japonais | N0 |
N0 = année de la première scolarité en France. N+1 = année de la deuxième scolarité en France. N+2 = année de la troisième scolarité en France
3.3. Méthodologie
Dans une approche ethnographique, une méthodologie mixte a été employée pour recueillir des données qualitatives grâce à quatre entretiens formels avec des enseignants et de nombreux échanges informels, deux entretiens auprès de l’équipe de direction, deux entretiens avec chaque élève (en février et juin 2022). Par ailleurs, ont eu lieu des observations du travail des élèves (i) en UPE2A, (ii) en atelier d’orientation, et (iii) en supports produits par les élèves pour l’oral du DNB, comme les questions de recherche, fiches de planning et discours bilingues. Des données qualitatives supplémentaires ont été recueillies sur la manière dont les enseignants et la direction de l’établissement ont géré le processus d’orientation pour les EANA lors de (i) deux journées de formation CASNAV (mars 2022), (ii) une réunion-assemblée orientation 3e UPE2A, ONISEP9, et (iii) les conseils de classe (juin 2022).
Des données quantitatives ont été collectées à partir des résultats d’examens du diplôme d’étude en langue française (DELF) et diplôme national du brevet (DNB), des bulletins de notes des trimestres 2 et 310, des bilans de fin de cycle, des fiches de vœux et des fiches de dialogues. Une analyse de ces données montrera que l’orientation de chaque élève était variable et pas toujours prévisible. Elle était parfois déterminée par des éléments tels que la disponibilité des places au lycée (notamment dans les sections bilingues), la volonté des parents ou la capacité de l’élève à définir son propre parcours d’orientation.
Toutes ces données ont été traitées en croisant les résultats scolaires (quantitatives) avec les compétences plurilingues de chaque élève relevées en entretiens (qualitatives). Nous avons souhaité identifier les possibilités systémiques permettant aux élèves d’exploiter leur plurilinguisme au cours des évaluations de 3e, tant en contrôle continu que dans les évaluations finales du DNB. Cet aspect est intéressant car il pourrait illustrer comment l’EANA peut être aidé à réussir dans le système scolaire essentiellement monolingue français, lorsque les enseignants sont informés des options d’évaluation bi-plurilingue permettant aux élèves de mettre en valeur leurs compétences linguistiques. Pour ce faire, nous avons d’abord créé un tableau de tous les types d’évaluations continues et finales en 3e liées aux langues – langues maternelles, langues étrangères et FLSco – et avons noté les résultats de chaque élève pour chaque évaluation. Cela nous a permis de visualiser les résultats de chaque élève à la fin de la 3e (après 3 mois à 2 ans de scolarité en France) en FLSco et en français, en langues vivantes (parfois la langue maternelle de l’élève, parfois une langue étrangère qu’il avait déjà étudiée), et dans les résultats globaux du DNB.
Pour les données relatives aux processus d’orientation scolaire, nous avons pris des notes détaillées, des photos et de courts enregistrements audios extraits de l’atelier d’orientation organisé pour les EANA. Cela nous a permis d’observer comment, quand et pourquoi les élèves activaient leur répertoire plurilingue pendant cet atelier, et comment le personnel a facilité un environnement de travail multilingue. Nous n’avons pas eu besoin d’utiliser les données des conseils de classe ni des entretiens avec les enseignants et le personnel pour les résultats présentés dans cet article.
3.4. Résultats
Les résultats obtenus répondent aux deux questions de recherche suivantes :
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Les langues parlées à la maison jouent-elles un rôle dans les résultats scolaires ?
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Le système éducatif aide-t-il les EANA à réussir, en valorisant leurs compétences linguistiques existantes ?
3.4.1. Question 1
En réponse à la première question relative au rôle des langues familiales dans les résultats scolaires, on constate une certaine valorisation du plurilinguisme dans les résultats quantitatifs des évaluations de 3e, malgré une « hiérarchisation des langues ». Ainsi, même si les langues considérées comme « langues minoritaires » (comme le bambara et le persan) n’ont pas pu participer aux évaluations bilingues, certains locuteurs de langues minoritaires ont néanmoins pu mettre à profit leurs compétences plurilingues dans une langue majoritaire, comme l’anglais, l’italien ou l’espagnol. Ce premier résultat montre que des notes obtenues en contrôle continu étaient suffisamment élevées pour permettre une affectation dans les lycées girondins assez bien classés, pour certains. Cela s’explique en partie par l’organisation des parcours et des évaluations en 3e qui valorisent les matières déjà maîtrisées par l’élève, y compris les langues vivantes, l’éducation physique et sportive ou l’éducation musicale, permettant ainsi de contourner la barrière de la langue de scolarisation. De plus, pour le DNB, les élèves allophones préparaient les oraux en mode bilingue, cette option étant permise par les textes11et la disponibilité des évaluateurs bilingues en anglais, italien ou espagnol (les langues vivantes proposées au sein de ce collège).
Le tableau 2 présente les résultats des 10 élèves participants lors des évaluations de leurs compétences linguistiques au cours de l’année (CC = contrôle continu) et lors des épreuves finales pour le DNB (français écrit). Le rapport entre les langues parlées (colonne 2) et les résultats obtenus en évaluations en contrôle continu de langues vivantes étrangères (colonne 3) pointe, avec évidence, que les élèves sont en réussite. Deux résultats montrent l’évaluation des compétences plurilingues : d’une part, la note obtenue en soutenance orale du projet (EDUSCOL, août 2023) et d’autre part, la note de contrôle continu obtenue en « langages pour penser et communiquer », ces derniers relevant du domaine 1 du socle commun de connaissances, de compétences et de culture12 évalués en cours et en fin de cycle 4, dans lequel se trouve l’objectif de « comprendre, s’exprimer en utilisant une langue étrangère » (EDUSCOL, nov 2023). En colonne finale, ces résultats sont cumulés en note moyenne du DNB pour chaque élève, celui-ci devant démontrer une maîtrise satisfaisante des huit composantes du socle commun (EDUSCOL, mai 2023).
Tableau 2 : Résultats des élèves aux évaluations
| Élève | Langues parlées | CC (/20) : Résultats en Langues vivantes étrangères 2022 | CC (/200) : Langages pour penser et communiquer | Cours d’année (/100) : Soutenance orale du projet | Parcours choisi pour épreuve orale (bilingue) | CC (/20) : Français | DNB épreuve finale de Français (/100) |
Moyenne (/20) DNB 2022 |
| A N0 |
Arabe, Italien |
Italien 19,37 |
170 | 90 | Éducation artistique et culturelle (Italien, Français) |
11,21 | 48 | DNB 15,08 Mention Bien |
| B N+2 |
Arabe, Italien, Français |
Italien 16,20 |
180 | 65 | Parcours éducatif de santé (Italien, Français) |
8,92 | 26,5 | DNB 12,88 Mention AB |
| C N+2 |
Arabe, Italien, Français |
Italien 18,0 |
160 | 90 | Avenir : mon futur projet de métier (Italien, Français) |
5,8 | 39,5 | DNB 12,95 Mention AB |
| D N0 |
Géorgien, Anglais, Russe |
Anglais 18,95 Russe 16,56 |
190 | 77,5 | Parcours éducatif de santé (Anglais, Français) |
Non noté | 8 | DNB 12,68 Mention AB |
| E N0 |
Arabe, Italien |
Italien 18,20 |
140 | 80 | Parcours citoyen (Italien, Français) |
Non noté | 9 | DNB 9,4 Refusé |
| F N+2 |
Arabe, Français |
85 | 100 | Avenir : mon futur projet de métier (Français) |
Non noté | 30,5 | DNB 9,82 Refusé Maintien en 3e |
|
| G N0 |
Espagnol, Bambara, Français |
Espagnol 19,20 |
160 | 100 | Éducation artistique et culturelle (Espagnol, Français) |
Non noté | 34 | DNB 13,93 Mention AB |
| H N+2 |
Portugais, Français |
115 | 75 | Parcours citoyen (Portugais, Français) |
Non noté | 33,5 | DNB 10,0 |
|
| I N0 |
Persan, Anglais (A2) |
Anglais 11,50 |
40 | 75 | Avenir : mon futur projet de métier (Anglais, Français) |
Non noté | 3 | DNB 4,75 Refusé |
| J N0 |
Ukrainien, Russe, Anglais (B2) |
Russe 18,38 Anglais 18,20 |
170 | 100 | Éducation artistique et culturelle (Anglais, Français) |
Non noté | 2 | DNB 11,5 |
| K N0 |
Persan, Anglais (B2) |
Non noté | Éducation artistique et culturelle (Anglais, Français) |
Ne s’est pas présenté |
Dans l’ensemble cette cohorte a obtenu de bons résultats au DNB : 7 élèves sur 10 ayant passé l’examen en 2022 l’ont réussi (4 avec mention Assez Bien, 1 avec mention Bien). La plupart ont également maintenu une bonne moyenne aux évaluations en contrôle continu, notamment grâce à leurs compétences existantes en langues vivantes et en sport.
À titre d’exemple, l’élève A s’est distingué en 3e avec une mention Bien au DNB. Ce nouvel arrivant (N0) a eu non seulement la note la plus élevée en langue vivante étrangère (19,37 sur 20 en italien), mais aussi la note la plus élevée en français au sein de la cohorte des élèves allophones de 3e en contrôle continu (11,21) et en note finale (48/100). Déjà bilingue en arabe et italien à son arrivée, L’élève A a pu apprendre le français assez rapidement et a même dépassé ses camarades élèves B et C qui avaient déjà l’avantage de 2 ans de scolarisation en France avant de se présenter au DNB. L’élève A s’est aussi montré performant dans l’évaluation des « langages pour penser et communiquer » en contrôle continu dans sa classe d’inclusion (170/200), ce qui suggère une facilité dans d’autres compétences langagières évaluées en socle commun, telles que les langages mathématiques, scientifiques et informatiques. En conseil de classe, les enseignants ont précisé qu’il « s’est investi dans son travail » et qu’il s’orientera vers un parcours science (OJEMIGR rapport interne, 2024).
L’élève A, locuteur et scolarisé en italien, a-t-il réussi grâce à l’agilité linguistique issue de son bilinguisme familial ou à l’acquisition plus aisée du français, langue latine proche de l’italien, ou encore grâce à une solide scolarité antérieure ou enfin à une ambition familiale porteuse ?
3.4.2. Question 2
Pour répondre à la deuxième question : le système éducatif aide-t-il les EANA à réussir en valorisant leurs compétences linguistiques, appuyons-nous sur un constat issu de l’étude qui porte sur l’encadrement du processus d’orientation et la place accordée aux répertoires plurilingues.
En mars 2022, une réunion d’orientation a été organisée par l’enseignant UPE2A, avec le professeur documentaliste, le psychologue de l’Éducation nationale, l’enseignant de mathématiques et les 10 élèves allophones en 3e. Cette réunion avait pour objectif de présenter le site ONISEP (Office national d’information sur les enseignements et les professions) et d’accompagner les élèves pour découvrir des parcours lycéens menant vers les qualifications et les métiers de leur choix. Ce travail sur l’orientation a été soutenu par une réflexion plurilingue en parallèle : la traduction des mots clés des sites web, des échanges entre élèves et personnels en anglais ainsi qu’en français, et finalement la production des textes de vœux en français et/ou en anglais.
Un premier objectif de la session fut d’accompagner les élèves dans la saisie des informations clés du système éducatif français qui leur seraient utiles dans la construction de leur orientation : la différence entre un lycée professionnel et un lycée général ; ce que c’est qu’un Bac, un Bac Pro ou un BTS (Brevet de Technicien Supérieur) ; et quel chemin scolaire aboutit à quel métier. Un deuxième objectif fut de faire réfléchir l’élève à son avenir en France, et à la réalité de construction d’un parcours scolaire ciblé sur un métier dès la 3e. De plus, l’équipe demandait aux élèves de préciser trois choix, pour éviter une déception si le premier choix de métier s’avérait irréalisable à cause d’un niveau de maitrise du français insuffisant pour poursuivre une voie académique, ou d’un trop grand écart dû à une scolarité antérieure chaotique (comme peuvent être les cas des élèves I et K, qui n’avaient pas été scolarisées en Afghanistan pendant 2 ans à cause du COVID et ensuite de l’occupation des Talibans). Même si un faible niveau de maîtrise du français ne peut pas, à lui seul, empêcher un élève d’accéder à un lycée, le processus de sélection algorithmique par points d’Affelnet13 peut désavantager l’EANA.
À la fin de la session ONISEP, chaque élève a produit un écrit qui développait les quelques informations qu’il avait pu rassembler : ses deux ou trois choix de métier, la qualification requise (par exemple, BAC+3), les noms des lycées susceptibles de recevoir leurs dossiers, et / ou une explication de leurs choix. Les élèves ont produit ces textes en s’appuyant sur leurs compétences plurilingues, soit dans leur choix de parcours qui leur permettront de travailler en mode bi-plurilingue, soit dans la production écrite bilingue français-anglais. Prenons comme exemple le résumé des vœux de l’élève D qui est arrivée en novembre 2022 de Géorgie avec ses parents, parlant géorgien à la maison, anglais L2 (couramment) et russe L3. Au moment de l’atelier ONISEP, D maitrisait très peu le français et ses enseignants ne comprenaient ni le géorgien ni le russe. Elle produisait donc son fichier largement en anglais avec quelques mots clés traduits en français. Cela donnait : « I want to do law. I want to go to law school. DROIT. » (sic).
Si certains locuteurs de langues minoritaires déclarent utiliser l’anglais comme lingua franca au cours des premiers mois de leur scolarité en France, tant à des fins académiques que sociales, d’autres langues sont moins visibles dans le processus – notamment l’arabe, langue familiale des élèves A, B, C et E et d’environ 28,7 % des immigrés vivant en France en 2024 (N = 1 377 800)14 (INSEE, 2024). La pratique de valorisation du plurilinguisme des élèves est donc évidente dans l’encadrement du processus d’orientation, mais les limites imposées par un système scolaire qui adopte une vision sélective et hiérarchique des langues sont toutefois à pointer (Smythe & coll., 2025).
3.5. Discussion
Comment ces résultats reflètent-ils une valorisation des langues familiales et des compétences linguistiques existantes des EANA au sein du système scolaire français ? Nous constatons que le plurilinguisme a joué un rôle moteur dans la réussite scolaire en 3e pour certains, ainsi que dans leurs résultats du DNB et leurs choix d’orientation, néanmoins avec des limites à souligner.
Si les canaux d’évaluation par les langues ont été optimisés pour les élèves allophones de 3e, toutes les langues parlées par les élèves n’ont pas pu avoir un impact positif sur les résultats scolaires. Pour les évaluations orales du DNB, bien que l’option d’évaluation bilingue existe, elle ne s’applique en réalité qu’aux langues enseignées au collège – anglais, italien, russe et espagnol – et à la disponibilité d’évaluateurs locuteurs dans ces langues. Pour les élèves qui parlent des langues minoritaires immigrées telles que le persan, le géorgien ou l’ukrainien, ceux-ci n’ont pas pu préparer une évaluation orale dans ces langues et ont eu recours à l’anglais. Cette langue remplissait de multiples fonctions pour les élèves dont le niveau d’anglais était supérieur au français leur arrivée. Elle servait de lingua franca dans la communication avec leurs enseignants et leurs camarades, et de support dans l’intégration sociale ainsi que dans la scolarité. La langue italienne jouait un rôle similaire pour quatre des élèves, mais était moins largement parlée comme langue de communication au sein de la communauté scolaire. Certaines langues sont donc devenues plus « utiles » en tant que moyens de réussite aux évaluations finales et ont ainsi été mises au premier plan dans les processus d’orientation et d’examen comme étant utiles à la réussite scolaire ; tandis que d’autres langues étaient de fait « minoritaires », exclues ou rendues inutiles dans le contexte scolaire. Cela témoigne d’un traitement hiérarchique des langues au sein du système scolaire français, où les compétences plurilingues peuvent avoir un effet positif sur les résultats scolaires, mais uniquement pour les langues identifiées par le système éducatif comme pertinentes pour l’apprentissage.
Un deuxième point soulevé par ces résultats, en lien avec la particularité de cette cohorte, est que la moitié des élèves bénéficiaient de l’avantage supplémentaire d’avoir effectué un parcours scolaire préalable dans un pays européen. La moitié arabophone L1 de cette cohorte avait été majoritairement scolarisée en Italie (à l’exception de l’élève F), et n’était donc pas défavorisée par l’exclusion de l’arabe dans les limites de l’option du DNB bilingue, ni par le fait que l’arabe ne soit pas enseigné comme option de deuxième langue dans le collège étudié. Comme le montrent les résultats, ils ont obtenu des notes élevées dans l’option de langue italienne et ont été évalués dans les deux langues lors de l’examen oral du DNB. C’était également le cas de l’élève G qui parle le bambara comme langue familiale, mais qui avait été scolarisé en Espagne. Non seulement il a pu utiliser ses compétences en espagnol pour réussir l’oral du DNB, mais il a également été sélectionné pour son premier choix d’orientation au lycée : le parcours bilingue espagnol-français BachiBac. Cela montre en effet que les jeunes migrants au profil caractérisé par le plurilinguisme dans un contexte européen – les « Third Culture Kids » (Pollock & coll., 2010) – peuvent bénéficier de multiples points d’entrée linguistique dans les évaluations de 3e, lorsqu’ils maitrisent une des langues enseignées dans leur collège. Par l’offre linguistique restreinte, l’école en France privilégie certaines formes de plurilinguisme et pas d’autres, et ne traite donc pas tous les élèves de la même façon. En excluant certaines langues, elle exclut un égal accès à son système éducatif pour les élèves dits « allophones ». En outre, l’acclimatation aux normes du système scolaire peut être plus ou moins longue et dense selon les différences en scolarisation antérieure (en pays européen ou non européen, rural ou urbain, etc.).
Un dernier point de discussion porte sur les approches plurilingues, telles qu’elles ont été mises en place par les ateliers d’orientation pour ce groupe. Elles ont visiblement amélioré les chances de réussite des élèves de 3e, une année critique pour leur avenir, ce qui a permis à 9 sur 10 d’entre eux de faire la transition vers le lycée après seulement quelques mois dans le système scolaire français, pour certains. Par conséquent, les recommandations de l’OCDE semblent toujours pertinentes dans un souci d’inclusion des élèves plurilingues et d’équité d’accès à l’école en France qui permet une meilleure insertion sociale et professionnelle (OCDE, 2015b).
Cette proposition suggère que l’on réfléchisse à une autre temporalité que celle imposée par le système scolaire, de façon à ce que les jeunes migrants bénéficient d’un temps supplémentaire pour gérer ces changements multiples et majeurs. Dans ce collège, ce type de priorisation des besoins éducatifs des élèves allophones est pris en compte par les aménagements proposés, selon les contraintes curriculaires et le contexte spécifique, sous la forme de temps accordé pour préparer l’orientation dans un atelier plurilingue, de temps consacré à la rédaction et à la refonte des évaluations orales bilingues pour le DNB, et de temps pour développer la maîtrise de la langue française en UPE2A. Cet accompagnement structurel n’est pas qu’une expérimentation, mais plutôt un exemple de bonne pratique mise en place par l’enseignant de l’UPE2A, dans le cadre d’une éthique de coopération collégiale développée au sein de ce collège. Est-ce néanmoins un modèle reconductible et pérenne ?
4. Conclusion
En conclusion, nous constatons que les résultats de cette étude mettent en évidence plusieurs façons dont les enseignants d’un collège ont utilisé les ouvertures au plurilinguisme existant dans le système scolaire pour faire réussir les EANA qu’ils ont accueillis. L’étude indique qu’un ensemble d’éléments spécifiques a également soutenu les bons résultats scolaires de cette cohorte, parmi lesquels le rôle de l’enseignant UPE2A comme moteur de pratiques collaboratives et inclusives.
Par conséquent, il semble important que les enseignants soient formés aux approches plurilingues, comme le souligne du reste le rapport de la Cour des Comptes (2023) et les recommandations du Conseil scientifique de l’éducation nationale (2025). Tandis que des formations au plurilinguisme et à l’interculturalité se trouvent au sein des filières FLE/FLS en formation universitaire, celles-ci restent paradoxalement distinctes de la formation classique des enseignants (Mendonça Dias & coll., 2020). Ces disciplines seront-elles reconnues comme disciplines à part entière par l’éducation nationale, ce qui permettrait un renforcement de la formation au sein des INSPE et une prise en compte du plurilinguisme comme champ d’inclusion et d’équité ?
