Introduction
Le livre de Chnane-Davin et Cuq1 part du constat qu’il n’existe pas à ce jour d’ouvrage susceptible d’accompagner les enseignants de langue qui souhaiteraient sensibiliser leurs apprenants à la francophonie, à savoir, un espace où se mêlent locuteurs du français langue de socialisation première, langue seconde ou langue étrangère.
Pour ce faire, les auteurs proposent un parcours linéaire ou « à la demande » où se mêlent repères théoriques, méthodologiques et propositions didactiques accompagnées de supports pédagogiques. En effet, si quelques enseignants ont déjà intégré des modules de formation à la francophonie, ces enseignements sont souvent centrés sur la Francophonie institutionnelle autour de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) ou sur la culture savante (littérature, cinéma, chanson…) véhiculée par le biais de la langue française. Or, la francophonie (avec un f minuscule) est un formidable vecteur de rencontres entre différents locuteurs d’une même langue mais issus de cultures variées. Cette assertion sera le prétexte à examiner la francophonie sous toutes ses coutures pour envisager des enseignements pluralistes et enrichis.
1. Quelques éléments théoriques
Dans cette première partie, Chnane-Davin et Cuq présentent brièvement quelques concepts afin de mieux pouvoir appréhender la nature de la francophonie. Il s’agit tout d’abord de montrer que la francophonie dépasse largement le cadre institutionnel de la Francophonie (avec un F majuscule). Si cette dernière est une réalité récente qui s’est développée après la décolonisation avec la création à Niamey en 1970 de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), il n’empêche que la francophonie est ancrée depuis très longtemps dans une réalité historique, géographique et politique au travers de l’expansion de la langue française sur tous les continents. C’est ainsi que les auteurs démontrent d’emblée que la francophonie est un vaste espace multilingue où se côtoient non seulement de nombreuses langues mais aussi des variétés de français plus ou moins éloignés.
Cette francophonie linguistique regroupe environ 300 millions de locuteurs répartis en 3 groupes distincts : les natifs, les locuteurs de français langue seconde situés principalement dans des anciennes colonies franco-belges et des locuteurs de français langue étrangère qui ont embrassé cette langue dans une logique plus volontariste. Pour chacun, le français est maitrisé à différents degrés et, si l’écrit des natifs fait montre de peu de variations, la diversité à l’oral peut ralentir l’intercompréhension. C’est ici encore que les auteurs insistent sur la vitalité de la francophonie tant au niveau du nombre de locuteurs qui devrait doubler d’ici 50 ans que de la richesse du français (création lexicale). La Francophonie apparait encore comme un appareil étatique regroupant de nombreux pays (la moitié des états) mais avec relativement peu d’emprise sur une jeunesse exubérante.
Alors qu’est-ce qu’enseigner la francophonie ? Comment peut-t-on définir cet objet didactique aux confins de l’histoire, de la géographie, des sciences politiques et des politiques linguistiques ? Pour Dnane-Chavin et Cuq, enseigner la francophonie, c’est adopter
dans tous les domaines de l’enseignement du français une attitude méthodologique et pédagogique ouverte à tous les savoirs et matériaux issus du monde francophone au sens complet du terme, c’est-à-dire provenant aussi bien de régions où le français est langue maternelle que de celles où il est langue seconde et même parfois langue étrangère. (p. 51)
2. Éléments méthodologiques
L’ouverture à la francophonie nécessite de réfléchir à comment il serait possible d’organiser un ensemble de savoirs et de compétences. Pour les auteurs, ceci s’articule forcément à partir des contextes linguistiques. Ainsi, les locuteurs natifs, de langue seconde ou de langue étrangère se verront proposer des supports et des activités à partir de leur environnement francophone. Par exemple, pour les natifs, il est possible d’intégrer une sensibilisation à la francophonie dans les programmes d’histoire et de littérature/langue. Les grandes œuvres francophones sont plutôt présentées dans les programmes de pays ayant le français comme langue de scolarisation. Pour ce qui est des apprenants de français langue étrangère, les manuels font malheureusement rarement apparaitre des sources francophones mais un rapide survol des tables de matières montrent qu’il est possible de se décentrer du tout-France en insérant des supports francophones dans des thématiques pour la plupart très ouvertes.
Il existe donc dans chaque dispositif pédagogique des moments qui pourraient permettre de développer une compétence francophone avec des objectifs plus ou moins clairement identifiés mais qui pourrait inclure : l’histoire, la géographie, la variation linguistique/le plurilinguisme, la diversité culturelle, les institutions francophones, la culture savante et les pratiques artistiques actuelles. Toutes les méthodologies récentes pourraient être mobilisées, à savoir l’approche active, la perspective actionnelle, l’approche par compétence et contextuelle ainsi que la pédagogie Freinet.
3. Éléments pédagogiques
Chnane-Davin et Cuq rassemblent dans cette partie de nombreuses propositions didactiques qui s’articulent autour du développement de la compétence francophone, à savoir une ouverture vers les autres locuteurs du français et une décentration par le biais d’une approche mêlant réflexivité, comparatisme et pluralisme.
Au-delà des exemples d’exploitations pédagogiques précis, on retiendra des pistes d’activités qui permettent d’articuler langues et cultures avec notamment une immersion dans la francophonie anthropologique, une entrée dans la culture savante avec des documents courts comme le conte, la poésie ou la nouvelle et la mobilisation de supports artistiques modernes comme la chanson.
4. Réflexions et conclusion
L’ouvrage de Chnane-Davin et Cuq a le mérite d’esquisser ce que pourrait être l’enseignement de la francophonie, ses objectifs, ses méthodes ainsi que des pistes d’exploitations pédagogiques. La première partie de l’ouvrage ainsi que son test préliminaire permettent de déconstruire de nombreuses représentations qui limiteraient la francophonie à la seule Francophonie institutionnelle et sa culture savante. Or, on comprend aisément qu’une langue est portée par ses locuteurs et qu’en l’occurrence la francophonie dans toute sa diversité peut être un formidable outil pour une éducation à la culture de l’autre et au plurilinguisme par le biais d’une langue commune. La mobilisation de ressources francophones issues de toutes les aires du monde (puisque même les locuteurs de français langue étrangère sont inclus dans la démarche d’ouverture) semble être porteuses d’un renouvellement pédagogique plus profond qui est à la portée de chaque enseignant. Les nombreux exemples de la dernière partie de l’ouvrage pointent de manière concrète comment faire entrer la francophonie dans tous les dispositifs d’apprentissage du français (première, seconde ou étrangère). Les référentiels proposés indiquent des cheminements possibles pour construire une compétence francophone pour tout niveau en langue en mobilisant des pratiques réflexives (mieux se connaitre), interculturelles (s’ouvrir à l’autre) et transculturelles (construire avec l’autre). Au final, ce livre est une invitation à la construction d’une identité francophone commune dans le respect de la diversité culturelle et linguistique. L’objectif est noble et il mériterait d’être intégré dans les formations initiales de tous les enseignants de français (langue native, seconde et étrangère) ainsi que les différents curriculums et manuels de français.