Direction du numéro
Yannick Hamon (DSLCC, université Ca’ Foscari) et Mariadomenica Lo Nostro (diSPS, université de Salerne).
Numéro thématique et de varia
La date limite de soumission est le 15 mars 2024
pour une publication en juillet 2024.
Les propositions sont à envoyer à yannick.hamon@unive.it et à
mlonostro@unisa.it ainsi qu’à asso.rhenane.enseignants.fle@gmail.com.
La feuille de style se trouve sur le site de la revue à
https://ouvroir.fr/dfles/index.php?id=72.
Au début des années 2000, à la faveur des développements technologiques, un paradigme collaboratif fort est identifié (Zourou, 2007) : les ACAO (Apprentissages collectifs assistés par ordinateur). Héritier des premières recherches menées sur la Communication Médiée par Ordinateur, les ACAO donnent le la à des recherches sur les collaborations dans des environnements numériques qui analysent entre autres les processus interactionnels entre outils technologiques et groupes d’apprenants (affordances des outils, négociations, médiations entre pairs).
Au-delà de la seule sphère du FLE, la collaboration est scrutée en 2016 lors d’un colloque qui lui est dédié à Neuchâtel1. S’en suivra une publication en ligne (Dubois & coll., 2018) soutenue par la revue RIPES (Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur) qui revient sur les fondements d’une pratique porteuse d’un réseautage entre établissements et structures éducatives. L’on parle alors de communautés d’apprentissage (Cristol, 2017) inspirées des communautés de pratique de Wenger (1999). En 2017, c’est la télécollaboration qui se retrouve sous les projecteurs, avec un numéro spécial de la revue ALSIC (Potolia & Straliki, 2017) et qui explore les différents types de collaboration à distance en faisant ressortir non seulement le rôle du tutorat et des médiations humaines mais aussi les possibles dysfonctionnements induits par la distance (asymétrie, contenus visés, passages d’une langue à une autre, perte de contact due à une corporéité partielle). Les recherches sur la télécollaboration peuvent traiter des dispositifs visant l’analyse des variables interculturelles (O’ Dowd, 2007), des projets centrés sur la formation des enseignants de FLE à la scénarisation pédagogique et au tutorat (Mangenot & Zourou, 2007), les formes de communication informelle (Combe, 2017 ; Combe Celik, 2020). Très récemment, Chachkine et Salengros-Iguenane (2023) mettent en exergue l’importance d’un apprentissage de la collaboration et de la télécollaboration et proposent un référentiel de compétences pour (télé)-collaborer dans les environnements numériques plurilingues.
Qu’elle soit ou non médiée par des instruments technologiques, la collaboration est riche puisqu’elle induit, par sa nature interactionnelle, des processus complexes de médiation, de médiatisation et de distribution des intrants langagiers. Les productions langagières en interaction appellent forcément aussi des dynamiques psycho-affectives, notamment dans le cas de rétroactions correctives effectuées entre pair-es (Blanchard & Andriamasinoro, 2019).
Sur le plan théorique, on observe le grand retour ou plutôt la réaffirmation d’une conception sociale de la pédagogie dans son ensemble. Des auteurs clés comme Vygostki (1978, 1997) ou Bandura (1980, 1986) sont de plus en plus cités dans les publications et orientent fortement l’agir didactique vers son essence même : la dimension interactionnelle. Springer (2018) propose d’analyser la notion de collaboration à l’aune des pratiques sociétales qui la circonscrivent et la rendent pertinente dans un environnement pédagogique. Puisant, dans le champ pédagogique, dans la tradition montessorienne et dans le constructivisme de Freinet, selon Springer, la notion « embarque » avec elle celle de cognition sociale telle qu’envisagée par Dillenbourg & coll. (1996). En effet, au-delà des formes de solidarités qui se développent entre pair-es (apprenant-es ou enseignant-es), c’est l’interaction suscitée par les initiatives de collaboration qui revient stimuler des dynamiques intéressantes au sein du carré pédagogique (Rézeau, 2001). Enfin, des auteurs comme Puren promeuvent dès le début des années 2000 une conception co-actionnelle de l’enseignement/apprentissage du FLE (Puren, 2002, 2004) dont se voit fortement imprégnée le cadre européen commun de référence (Conseil de l’Europe, 2021). Cette conception se traduit par la mise en œuvre de tâches (Nissen, 2004) permettant d’articuler structurellement le travail de groupe.
Dans les années 2000, les travaux collaboratifs, en tandem, trio et groupe, de Calbris et Montredon (2005) ont renforcé l’idée que « Le geste, jumeau de la parole, est fondamental dans la production langagière et dans sa réception par l’interlocuteur. Il aide le locuteur à concrétiser sa pensée parallèlement au mot abstrait et facilite chez l’interlocuteur la compréhension à partir de l’image enregistrée dans le cerveau, en plus de la trace sonore » (p. 4). La dimension gestuelle, comme la sémiotique non verbale (Krejdlin & Daucé, 2008), ont toujours été un élément clé tant de l’apprentissage oral et des pratiques partagées de collaboration (Bucheton, & Dezutter, 2008 ; Bucheton, 2009) pour la production de matériaux collectifs, dans une dimension organisationnelle (place du collaboratif dans les dictionnaires, les glossaires, les manuels ou sites internet d’apprentissage) pour l’E/A du FLE. Si l’introduction d’outils technologiques a fait naitre chez les chercheurs l’espoir de légitimer ce champ de recherche, le fait qu’il fasse souvent défaut dans les activités d’apprentissage à distance (vidéos masquées, manque de mobilité physique et ampleur du mouvement réduite) a encore souligné le rôle de facilitation et de renforcement de cette composante physique dans les activités d’apprentissage et de coopération (Tellier, 2020).
Ce numéro thématique vise à réunir des travaux de recherche menés sur les différentes formes, modalités et visées de la collaboration dans le cadre de la didactique du FLE. Des analyses dans une perspective didactologique (approche méta), des retours d’expériences menées auprès d’apprenant-es allophones ou francophones peuvent alimenter le numéro. Les pratiques de classes en contexte ordinaire, les contextes et environnements spécifiques (notamment pour les publics à besoins éducatifs particuliers), y trouveront également leur place. Les contributions attendues pourront s’inscrire dans les quatre axes suivants :
AXE 1 : La collaboration dans le quotidien pédagogique : pratiques de classes et instruments
Cherqui et Peutot (2015) qualifient le discours pédagogique d’« interaction orale complexe » (p. 116). La communication maître-élève revêt des formes spécifiques, distinctives des formes conversationnelles ordinaires. Comment les particularités de la communication scolaire sont-elles abordées et enseignées de manière explicite ? Quelles sont les pratiques d’enseignement et d’apprentissage, mises en œuvre dans différents pays francophones comme, par exemple, les leviers d’action proposés, en Belgique, par Wauters (2020) ? Comment faire travailler les apprenants en équipe et les amener à interagir pour mener à plusieurs mains des tâches conçues avec ou sans instruments numériques ? Couplées à la pédagogie de projet et à la classe inversée (Lebrun & Lecoq, 2015), comment les activités de groupe peuvent-elles augmenter les interactions ? Quelles places occupent les activités didactiques sur les médias sociaux dans des contextes formels d’apprentissage.
AXE 2 : Projets collaboratifs entre établissements distants
Les propositions concernant les projets collaboratifs peuvent s’inscrire dans des contextes formels ou informels et viser les différentes compétences enseignées dans les structures éducatives, qu’il s’agisse de l’école primaire, secondaire, de l’enseignement supérieur ou des dispositifs de formation continue pour les adultes. La collaboration peut être bilatérale et tutorée (comme les e-tandems), viser les aspects civilisationnels ou interculturels ou encore mettre l’accent sur des canaux et modalités spécifiques de communication (échanges synchrones, asynchrones, mixtes, collaboration pour les compétences écrite ou orale).
AXE 3 : Les collaborations comme vecteurs d’inclusion des publics à besoins particuliers
La collaboration permet-elle d’accentuer la prise en compte des apprenants affectés par des troubles de l’apprentissage. Facilite-t-elle l’appréhension des questions liées au genre ? Cela se traduit-il par une évolution des pratiques didactiques et des manuels ? Par exemple, lorsque le français est vecteur des enseignements disciplinaires, le français de scolarisation est constituée d’un lexique, de structures syntaxiques et de discours spécifiques (Duverger, 2009, 2011 ; Demarty-Warzée, 2011 ; Vigner, 2015 ; Mendonça Dias & Million-Fauré, 2023). Comment la communication au service des apprentissages disciplinaires est-elle explicitement travaillée sur le plan de l’inclusion ? Existe-t-il en revanche des dispositifs qui excluent certaines catégories d’apprenant-es. Des états des lieux objectifs peuvent aussi être proposés.
AXE 4 : Les collaborations entre enseignant-es, communautés solidaires
Lors de l’épidémie de Covid-19 mais aussi bien avant, des communautés d’enseignants de FLE se sont formées sur les médias sociaux et ont permis aux praticiens, non seulement de se soutenir mutuellement mais aussi d’échanger sur leurs pratiques médiées ou non par le numérique. Quelles communautés de pratique (Wenger, 2009) sur les médias sociaux pour quelles formes de réseautage et de solidarité ? Quel est l’apport de la sémantique non verbale et de l’étayage enseignant (Bruner, 1983) à l’époque digitale (groupes WhatsApp, Facebook et autres communautés 2.0, sous une structure hiérarchique et paritaire) ? Ces échanges s’accompagnent-ils de la constitution à plusieurs mains de matériaux pédagogiques (dictionnaires, glossaires, cartes pédagogiques) ? Qu’en est-il aussi des communautés apprenant-es et des parents d’élèves ?
Références
Bandura, A. (1980). L’apprentissage social. Mardaga.
Bandura, A. (1986). Social foundations of thought and action. Prentice-Hall.
Blanchard-Rodrigues, C. & Andriamasinoro, M. (2019). Écriture numérique à distance : interventions de co-écriture dans un environnement dynamique. J. Broisin, E. Sanchez, A. Yessad, F. Chenevotot (dir.), Actes du colloque EIAH 2019, p. 295‑300. ATIEF.
Bruner, J. (1983). Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire. PUF.
Bucheton D. & Deuzutter O. (dir.). (2008). Le développement des gestes professionnels dans l’enseignement du français. Un défi pour la recherche et la formation. De Boeck.
Bucheton D. (dir.). (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Octarès.
Calbris, G. & Montredon J. (2005). Clés pour l’oral – Manuel d’exploitation. Hachette FLE.
Chachkine, E. et Salengros-Iguenane, I. (2023). Compétences pour télécollaborer dans un environnement plurilingue : référentiel et tâche. Alsic, 25(2). https://doi.org/10.4000/alsic.6365.
Chequi, G. & Peutot, F. (2015). Inclure : français de scolarisation et élèves allophones. Hachette FLE.
Combe Celik, C. (2020). Créer un groupe Facebook : Quelles pratiques discursives pour l’enseignement/apprentissage non formel du FLE ? Dans A. Potolia & D. Jamborova Lemay (dir.), Enseignement/apprentissage des langues et pratiques numériques émergentes (p. 45‑58). Éditions des archives contemporaines.
Combe, C. (2017). Télécollaboration informelle 2.0 : le vlogue d’un américain en français sur YouTube. Alsic, 20 (2). https://doi.org/10.4000/alsic.3094.
Conseil de l’Europe (2021). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer – Volume complémentaire. Éditions du Conseil de l’Europe.
Cristol, D. (2017). Les communautés d’apprentissage: apprendre ensemble. Savoirs, 43, 10‑55. https://doi.org/10.3917/savo.043.0009.
Demarty-Warzée, J. (2011). Les discours des disciplines. Dans J. Duverger (dir.), Le professeur de « Discipline Non Linguistique ». Statut, fonctions, pratiques pédagogiques. Association pour le développement de l’enseignement bi/plurilingue (ADEB). http://www.adeb-asso.org/publications/book-5/.
Dillenbourg, P., Baker, M., Blaye, A. & O’Malley, C. (1996). The evolution of research on collaborative learning. Dans E. Spada, & P. Reiman (dir.), Learning in Humans and Machine : Towards an Interdisciplinary Learning Science (p. 189‑211). Elsevier.
Dubois M., Johnsen L. & Kamber A. (2018). Le travail collaboratif dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 34(2). https://doi.org/10.4000/ripes.1327.
Duverger, J. (2009). L’enseignement en classe bilingue. Hachette FLE.
Duverger, J. (dir.) (2011). Le professeur de « Discipline Non Linguistique ». Statut, fonctions, pratiques pédagogiques. Association pour le développement de l’enseignement bi/plurilingue (ADEB). http://www.adeb-asso.org/publications/book-5/.
Krejdlin G. & Daucé F. (2008). Le langage du corps et la gestuelle (kinésique) comme champs de la sémiotique non-verbale : idées et résultats. Cahiers slaves, 9, p. 1‑23. https://www.persee.fr/doc/casla_1283-3878_2008_num_9_1_1012.
Lebrun, M. & Lecoq, J. (2015). Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit ! Réseau Canopé.
Mangenot, F. & Zourou, K. (2007). Pratiques tutorales correctives via Internet : le cas du français en première ligne. Alsic, 10(1), p. 65‑99.
Mendonça Dias, C. & Million-Fauré, K. (2023). Mathématiques en français langue seconde et en langues étrangères. Hachette FLE.
Nissen, E. (2004). Expérimentation et présupposés pédagogiques d’un dispositif d’enseignement des langues à distance intégrant le travail de groupe. Études de linguistique appliquée, p. 134, 191‑203. https://doi.org/10.3917/ela.134.0191.
O'Dowd, R. (2017). Evaluating the outcomes of online intercultural exchange. ELT Journal, 61(2), p. 144‑152. https://doi.org/10.1093/elt/ccm007.
Potolia A. & Stratilaki-Klein, S. (2017). Regards croisés sur la télécollaboration. Alsic, 20(2).
Puren, C. (2002). Perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique des langues : vers une perspective co-actionnelle-co-culturelle. Les Langues modernes, 3, p. 55‑71.
Puren, C. (2004). De l’approche par les tâches à la perspective co-actionnelle. Les cahiers de l’APLIUT, XXIII(1), p. 10‑26.
Rézeau, J. (2001). Médiatisation et médiation pédagogique dans un environnement multimédia: Le cas de l’apprentissage de l’anglais en histoire de l’art à l’université [Thèse de doctorat, université Victor Segalen – Bordeaux II].
Springer, C. (2018). Parcours autour de la notion d’apprentissage collaboratif : didactique des langues et numérique. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 34(2). https://doi.org/10.4000/ripes.1336.
Tellier, M. (2020). Socialisation du groupe-classe au temps de la distanciation sociale. Formation et profession, 28(4 hors-série), p. 1‑15. https://doi.org/10.18162/fp.2020.681.
Vigner, G. (2015). Le français langue seconde : comment enseigner le français aux élèves nouvellement arrivés. Hachette Éducation.
Vygotski, L. (1978). Mind in society. Harvard University Press.
Vygotskij L. (1997). Educational Psychology. St. Lucie Press.
Wauters, N. (2020). Langage et réussite scolaire. Pratiques d’enseignement et français de scolarisation. Couleur livres ASBL.
Wenger, E. (1999). Communities of practice: learning, meaning and identity. Cambridge University Press.
Zourou, K. (2007). Paradigme(s) émergent(s) autour des apprentissages collectifs médiatisés en langues. Alsic, 10(2). https://doi.org/10.4000/alsic.688.