Introduction
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale le « champ du français » (Porcher, 1987) n’a pas cessé de multiplier ses acronymes sans doute dans le but de « créer des curricula différents pour des publics différents » (Dumortier, 2003, p. 8). Cependant, aujourd’hui un enseignant de français se trouve confronté à une série de sigles dont FLE, FLS, FLI, FOU, FLA, FLM, FLSco, pour n’en citer que quelques-uns, parmi lesquels il est difficile de se démêler et surtout de décider quelle démarche entreprendre lorqu’on se trouve face à des publics différents d’apprenants. Quel français enseigner ? Pour quels buts Par quelles démarches ? Comment aborder enfin ce vaste « champ du français » ?
Enseignante de français (FLE, FLS, FLA et parfois FLM) et chercheuse en même temps, l’auteure de cet article essaiera de donner des balises pour se repérer dans le labyrinthe des dénominations au niveau conceptuel aussi que concret. En prenant appui sur son expérience d’enseignement en Belgique et en France, d’échange avec collègues, de situations rencontrées sur le terrain, on proposera quelques réflexions et pistes pratiques pour adapter l’enseignement du français à un public à chaque fois spécifique.
1. Toute une histoire de dénominations
1.1. En principe c’était le français langue étrangère (FLE)
Dans son plaidoyer pour une « didactique historique » en FLE, Porcher déplore que la didactique du français langue étrangère, qui est une région de l’histoire de l’éducation en général, « laisse à la porte son propre enracinement, comme si elle pouvait en être indépendante » (Porcher, 1984, p. 250). Il apparait donc utile de remonter à l’origine de cette dénomination et des autres qui ont suivi, pour clarifier les notions qu’elles véhiculent ainsi que leur évolution au fil du temps.
La première apparition de la dénomination « français langue étrangère » date de mai 1957 : elle figure comme titre d’un numéro spécial des Cahiers pédagogiques dirigé par Reboullet. La naissance de cette notion aboutit après un long processus débuté lors de la colonisation (Porcher, 1995) et accéléré avec la Seconde Guerre mondiale et les mouvements d’indépendance. À cette époque le français entre en concurrence avec l’anglais. Une action centrée, centralisée est donc mise en place, mobilisant toutes les ressources disponibles pour relever la diffusion du français et redonner pleine voix à cette langue. D’abord appelé « français aux étrangers », ou « français hors de France » ou encore « français au-dehors » (Brunot, 1934, 1969), le syntagme « français langue étrangère » s’affirme pour plusieurs raisons, notamment pour ses liens au ministère des Affaires étrangères dont il hérite justement le déterminant « étrangère ». À ce moment-là, la dénomination s’appliquait clairement à l’enseignement du français pour les apprenants qui, hors de France, étudiaient pour des raisons variées (culturelles, politiques, économiques ou autres) le français.
Lorsque Reboullet (1957) emploie pour la première fois la lexie « français langue étrangère » qui deviendra en quelques années FLE, la décolonisation est en train de s’achever, de nouvelles frontières se créent, la mobilité des travailleurs augmente. La demande d’enseignement du français à l’étranger s’éloigne du français « cultivé » étudié par les élites jusqu’à ce moment-là, pour s’approcher de plus en plus au français utilitaire, concret, de la vie de tous les jours. Parallèlement la didactique des langues se développe et, avec elle, les approches d’enseignement : de l’approche grammaticale-traduction on passe à la méthode SGAV d’abord et à l’approche communicative ensuite. Les formes et les contenus du français enseigné changent et le français étudié par les étrangers acquiert un caractère d’oralité tout comme l’anglais ou les autres langues européennes.
Entre-temps, au début des années 1970, le Conseil d’Europe développe un projet qui promeut l’enseignement/apprentissage des langues vivantes en général, mais qui implique le français langue étrangère en premier chef. C’est à cette époque qu’on commence à élaborer, entre autres, l’idée d’une « langue de spécialité », d’un « français fonctionnel » d’un français sur objectifs spécifiques (FOS dans la siglaison contemporaine), qui « constitue le nouveau drapeau de la croisade pour le développement de l’enseignement de la langue française à l’étranger » (Porcher, 1976, p. 6). Comme le souligne Porcher, le français fonctionnel est constitué de tout ce qui n’est pas le « français général », soit « français de culture (parce que la culture, dans notre société, a toujours été identifiée à la culture littéraire et artistique, pour des raisons sociohistoriques bien connues) » (ibid.). L’objectif d’un côté était de répondre à des exigences particulières de publics définis mais de l’autre côté on visait à contraster le net et évident déclin de ce « français de culture » dans l’ensemble du monde. Avant de devenir un principe didactique, le « français à l’étranger » s’est d’abord affirmé comme une idée au sein des politiques linguistiques : le statut d’une langue (étrangère ou seconde) dans un pays est défini par les instances politiques qui lui attribuent ce rôle, mettant cette langue en relation avec les autres. C’est par le biais des politiques linguistiques que les langues sont prises en charge par le système éducatif et enseignées comme L1, L2 ou « langues vivantes », comme on appelle les langues étrangères étudiées actuellement en France dans les écoles.
L’approche diachronique que nous proposons très rapidement ici permet de comprendre le statut tout à fait particulier du FLE, qui se trouve à être une véritable « spécialité française », selon la définition de Chiss (2020) : « [L]e “FLE”, spécialité française, n’est pas seulement une matière d’enseignement parmi d’autres, mais désigne un corps de doctrines et de démarches, une nébuleuse historico-conceptuelle […]. On comprend le malaise dans la dénomination et peut-être les crises identitaires » (p. 149). Aujourd’hui en France sous l’étiquette FLE on rassemble à la fois des cours de français pour les « étudiants étrangers » mais aussi des cours de « didactique du FLE », en superposant des enseignements universitaires académiques, des formations initiales et continues des enseignants.
1.2. La naissance du français langue seconde (FLS) : des origines hors de France à sa parution en France.
Tout comme pour le FLE, la notion de « français langue seconde » a vu le jour dans un cadre de politique linguistique : la première parution de l’expression « français langue seconde » daterait de 1972 (Olivieri & Voisin, 1984) et elle aurait été utilisée lors d’une conférence internationale de ministres de l’Éducation nationale d’Afrique et de l’Océan indien. À l’inverse de « français, langue étrangère » dont on a mis en relief les origines internes à la France, la dénomination « français langue seconde » serait donc née hors de France, sous l’impulsion de certains pays, ex-colonies, qui ne reconnaissaient pas la langue française enseignée, apprise, utilisée dans leurs pays comme « étrangère » et lui ont donné une catégorisation à part, justifiée par de pratiques linguistiques différentes, un statut social autre, de particulières conditions d’enseignement/apprentissage, enfin une spécifique politique linguistique.
Dans ce sens, la définition que Besse (1987) donne de « langue seconde » ponctue parfaitement l’aspect politique de la notion : « L’enseignement/apprentissage d’une langue seconde peut être entendu comme celui d’une langue étrangère (pour les apprenants) ayant, dans le pays où elle est enseignée, un statut de langue officielle […] (p. 10) ». Cette conception permet d’appliquer le terme FLS à des situations à la fois en dehors de la France et en France, lorsque les « ressortissants » d’autres pays arrivent sur le territoire français ou francophone et y apprennent la langue.
À côté du caractère politique de la dénomination, figure aussi encore une fois l’aspect didactique : on considère langue seconde, la langue apprise pas des apprenants qui ont un contact quotidien avec cet idiome, aussi en dehors d’éventuel cours. En tenant compte de ces deux aspects, politique et didactique, on comprend très bien que FLS a pu débarquer dans les classes en France et dans les circulaires du ministère de l’Éducation nationale. On comprend plus difficilement pourquoi par contre la dénomination FLE (langue étrangère) puisse figurer entre autres dans les cours académiques en France, alors qu’un étudiant étranger qui étudie le français dans une université française a la possibilité quotidienne d’être confronté à cette langue.
La première parution de la dénomination Français Langue Seconde dans les programmes ministériels date de 1995, à l’occasion de nouveaux programmes de français pour le collège1. De fait, ces directives laissent un vide curriculaire et programmatique, car elles ne donnent pas d’indications pratiques aux enseignants, afin qu’ils puissent comprendre la spécificité du FLS et concevoir des activités adaptées. C’est pour cette raison qu’en 2000 le ministère de l’Éducation demande aux membres du GTD (Groupe de travail disciplinaire) parmi lesquels figurent entre autres Bertrand et Vigner la rédaction d’un livret, Le français langue seconde : « des documents d’accompagnement des programmes, qui en explicitent les choix, les étoffent de commentaires et de suggestions pédagogiques » (Bertrand, 2001, p. 50).
Ce FLS devient bientôt la spécificité des unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), dispositifs où les élèves arrivés en France bénéficient d’un an maximum de cours de français. Mais en quoi de FLS se différencie-t-il du FLE et, en amont, quelle est la formation professionnelle qu’il faut assurer à un professeur de FLS ? Dans les circulaires ministérielles, quand on parle de FLS, on souligne que l’objectif essentiel est la maitrise du français envisagé comme langue de scolarisation. « À ce titre, les finalités ordinairement retenues dans les démarches d’apprentissage du français langue étrangère ne sont pas forcément celles qui doivent l’être ici, même si un certain nombre de techniques d’apprentissage peuvent être utilement transposées »2.
À la fois langue de communication, langue d’enseignement et langue de socialisation à l’école et dans la société, ce français langue seconde relève enfin d’une démarche mixte : celle qui se concentre sur l’acquisition assez rapide des instruments permettant la communication en milieu social (objectifs visés par le FLE) et celle qui fournit les instruments pour accéder aux savoirs et aux langages spécifiques des différentes disciplines (objectifs visés par ce qu’on appelle désormais FLSco). La méthodologie n’emprunte donc pas seulement du français langue étrangère, mais aussi du français langue maternelle, car, après un an au plus3 en UPE2A, pendant lequel les élèves sont en cours spécial de français (langue étrangère ? langue seconde ?), ces élèves « non allophones » intègrent les classes « ordinaires » où ils sont censés être capables de suivre un cours de français langue maternelle, fondé sur les exercices de grammaire, les analyses linguistiques et littéraires, les rédactions, tout comme leurs camarades francophones natifs. De fait, malgré les distinctions qui persistent aujourd’hui, comme le constatait déjà N’Galasso en 1992, une didactique spécifique du FLS qui puisse se différencier de la didactique du FLE n’existe pas encore.
1.3. Du FLS au FLSco : comprendre l’acquisition d’une langue seconde pour contraster la frustration et respecter le processus d’apprentissage.
Dans la plupart des cas, un sentiment de frustration accompagne l’intégration des élèves allophones dans les classes ordinaires : d’un côté dans les salles de profs les enseignants avouent leur désarroi et le manque de moyens pour accueillir au mieux ces élèves ; de l’autre côté, les apprenants se retrouvent dans un environnement dont parfois ils ne connaissent même pas les règles sociales, qui peuvent aussi différer de celles de leurs pays d’origine. Et pourtant ils ont bien suivi un cours intensif de français pendant une année.
Mis au service de l’environnement scolaire et de toutes les autres disciplines, l’enseignement du français doit non seulement assurer la compréhension des consignes, mais aussi permettre d’accomplir toutes les opérations mentales qui auparavant étaient réalisées dans une autre langue, dite maternelle.
Compte tenu de ces considérations, il est clair que celui qu’on nomme le plus souvent « français de scolarisation » joue un rôle tout à fait particulier dans l’apprentissage du français, que ce soit langue seconde, langue étrangère ou encore langue première. Le FLSco, d’abord considéré comme le français des échanges et des routines à l’école, du lexique de l’environnement scolaire (par exemple : bulletin, carnet de liaison, note, règle, etc. – objets nommés d’ailleurs différemment selon les pays francophones4), est devenu de plus en plus une affaire de toutes les matières, la langue spécifique à chaque discipline. Dans ce sens, le FLSco (appelé en Belgique aussi FLA – français langue d’apprentissage) demande un traitement pédagogique particulier, une méthodologie adaptée et des temps d’acquisition divers.
Concernant l’acquisition de cette langue en usage à l’école, déjà dans les années 1970 les recherches de Cummins (1979 ; 1981) avaient mis en évidence que la langue apprise comme seconde ou étrangère se développe en deux étapes sur le plan cognitif. Le linguiste canadien distingue les « capacités de communication interpersonnelle de base » (Basic interpersonal Communication Skills: BICS) et la « maitrise de la langue des études scolaires/universitaires » (Cognitive Academic Language Proficiency: CALP). Cette deuxième compétence demande une réflexion métacognitive qui inclut des activités telles que faire des hypothèses, prédire, classifier, généraliser, opérations indispensables à l’école, où le langage devient plus abstrait et spécifique au contexte de la discipline enseignée. Les deux compétences, d’après Cummins, se développent en même temps, mais à des rythmes très différents, à tel point que pour maitriser la compétence CALP les élèves ont besoin de cinq à sept ans, selon leurs langues d’origine, alors qu’il faut entre trois et cinq ans pour développer les habiletés BICS. Le langage plus abstrait, cognitivement exigeant nécessite donc non seulement du temps mais aussi du soutien de la part des enseignants qui doivent être sensibilisés à ces difficultés.
Aujourd’hui la limite la plus importante au développement des deux types de compétences préconisées par Cummins est la perception insuffisante de la part des enseignants des problèmes liés au parcours scolaire des élèves non francophones. En principe, on investit de nombreuses ressources didactiques et économiques pour développer rapidement les compétences communicatives de base, mais on n’accorde pas la même attention à l’étude du FLSco, celui-ci étant considéré comme un parcours qui « va de soi », des compétences acquises automatiquement en situation d’immersion. Dans la réalité quand les enseignants interviennent en classe ordinaire, ils sont confrontés à des cas d’élèves qui viennent à peine d’apprendre à communiquer et ne sont pas toujours en capacité de suivre les cours et de réaliser toutes les activités proposées au reste de la classe. Les professeurs de discipline affirment vouloir maintenir une attitude d’« équité » envers tous les apprenants, mais on risque par cette posture de décréter l’échec scolaire pour les nouveaux arrivants allophones.
2. Le FLSCO : dénominateur commun à l’apprentissage du français
Le FLSco se révèle être le « plus grand commun dénominateur » (Verdelhan, 1997) aux situations d’apprentissage du français (langue étrangère ou seconde ?) du fait qu’on le retrouve en contexte scolaire non seulement au premier degré mais aussi et surtout au deuxième degré, dans l’environnement de l’école et dans toutes les disciplines. Dans le cas spécifique de notre contribution, notre attention se focalise sur le contexte de l’enseignement secondaire (second degré), qui voit de plus en plus la présence d’élèves primo-arrivants adolescents – qui entrent sur un territoire francophone suite au regroupement familial, par exemple – ayant déjà fait un parcours scolaire dans leur pays d’origine. La plupart des études parues au sujet du FLSco (Verdelhan-Bourgade, 2002 ; Klein, 2012 ; Wauters, 2020) concernent en effet les enfants du premier cycle, pour lesquels l’apprentissage de la langue « scolaire » (la langue des disciplines spécifiques, mais aussi la langue des consignes des exercices, des routines de l’école) se fait finalement presque en même temps avec les camarades francophones natifs, alors que pour les élèves du secondaire l’apprentissage de ce type de langage se révèle plus difficile.
De plus, les classes du secondaire du second degré sont constituées de plus en plus d’élèves qui ont des connaissances non uniformes, du fait de leurs origines différentes, de leurs situations sociales variées et de leurs parcours scolaires spécifiques. À tel point que le FLSco représente souvent une difficulté pour tous les élèves, non seulement les primo-arrivants. « Ils ne comprennent pas les consignes, ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent, ils écrivent comme ils entendent… », ce sont les phrases qui reviennent souvent dans les discours des enseignants, le plus souvent faisant référence aux natifs.
Le langage qu’on utilise à l’école, surtout dans certaines disciplines, est un langage fortement abstrait, souvent polysémique, dense et complexe, nécessitant parfois des démarches mentales spécifiques pour être compris et maitrisé. Isoler le FLSco, l’autonomiser et le considérer comme un apprentissage à part, consacré éventuellement aux « non francophones » risque de faire perdre de vue les difficultés que beaucoup d’apprenants rencontrent désormais dans leur quotidien à l’école et empêche de mettre en place au niveau plus général des pratiques d’enseignement ou de remédiation dont tous pourraient bénéficier.
Si la notion de FLSco nous interroge, c’est parce qu’elle pourrait inspirer de nouvelles démarches pédagogiques, adaptées à un public en constante et rapide évolution. Le FLSco a le mérite de faire apparaitre la nécessité d’une transformation linguistique et pédagogique. Depuis la parution du FLE, l’évolution de la notion de FLS et de tous les autres acronymes dont on n’a pas ici l’espace d’en décortiquer les spécificités, les temps ont changé, les méthodes d’enseignement des langues étrangères ont évolué, les besoins langagiers des apprenants se sont modifiés. Dans ce contexte, le FLSco pourrait jouer un rôle novateur, car mettre en place une didactique du FLSco demande aussi un renouvellement dans l’enseignement du FLM (français langue maternelle), demande d’entrer dans une optique du plurilinguisme, tel qu’il est préconisé par la Commission européenne (2006).
3. Une nouvelle frontière en didactique des langues : la méthode CLIL/EMILE pour l’apprentissage de la langue de scolarisation
C’est ce que certains pays, parmi lesquels l’Italie5, ont déjà commencé à faire en mettant en place l’enseignement selon la méthodologie CLIL (Content and Language Integrated Learning - EMILE Enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère, en français). Les apprenants CLIL sont des élèves qui étudient les contenus de certaines disciplines dites non linguistiques en une deuxième langue (étrangère). Cette méthodologie crée un environnement d’apprentissage qui favorise le plurilinguisme, développe une conscience interculturelle et met en valeur les compétences de tous les participants, apprenants et enseignants qui travaillent ensemble pour apprendre à apprendre.
Dans ce contexte, la langue (étrangère) a le rôle de médiateur de l’apprentissage, comme elle pourrait l’être pour l’élève qui sort de l’UPE2A et intègre la classe ordinaire en France, assimilée de façon indirecte et efficace. En d’autres mots, la langue étrangère se révèle comme un moyen plutôt que la finalité de la pratique pédagogique. Cela conduit les élèves à s’impliquer de plus en plus dans le processus d’étude et d’apprentissage, à se concentrer davantage en vue d’un résultat plus conscient, grâce à un véritable processus dynamique qui place l’élève au centre de l’action didactique et éducative, objectif principal de l’éducation scolaire moderne. Normalement, les progrès des apprenants sont doubles : une amélioration des connaissances linguistiques tout en développant leurs savoirs et savoir-faire dans la matière concernée.
Cette méthodologie permet la progression imbriquée de BICS et CALP, telle qu’on l’a décrite ci-dessus : apprentissage de la langue seconde partant de la matière comme ressource, mais aussi apprentissage de la matière en L2. Coyle et coll. (2010) ont résumé, dans le schéma du Language Triptych (Triptyque des langues), l’idée selon laquelle l’enseignement de la langue dans le cadre du CLIL/EMILE est reconsidéré selon une triple modalité : la langue est à la fois langue de l’apprentissage, langue pour l’apprentissage et langue par l’apprentissage. Il s’agit donc d’acquérir des connaissances et des compétences linguistiques d’une manière naturelle, tout en apprenant en même temps des idées, des comportements, des modes de vie, des visions du monde, en un mot : une culture. C’est par cette progression de compétences, de connaissances et de la compréhension du contenu, grâce à un processus cognitif intégré et à l’interaction dans le contexte communicatif, qu’on met ainsi en place un apprentissage conscient de sa propre identité ainsi que de l’altérité.
Certains aspects déjà vérifiés sur le terrain de la méthode CLIL/EMILE pourraient donc faciliter l’apprentissage de la langue de scolarisation, qui devient de plus en plus non seulement affaire de tous les élèves, allophones et francophones, mais aussi de tous les enseignants, non exclusivement les enseignants de langue. Le CLIL/EMILE donne aux apprenants la possibilité d’utiliser la langue dans des contextes cognitifs et significatifs concrets et différents ; cela leur permet d’employer la langue immédiatement, en favorisant la motivation.
De plus, l’approche CLIL/EMILE tient compte de différents styles cognitifs, en proposant différents types d’activités, habitue les apprenants à partager, confronter, négocier, éduque à une approche multiculturelle et multidisciplinaire de la connaissance et peut être proposée à tous les niveaux scolaires. Côté enseignant, ce que le CLIL/EMILE invite à faire c’est de considérer simultanément les deux aspects de la difficulté possible pour les élèves : celui inhérent au contenu de la matière et celui inhérent à la langue. En effet, en enseignement CLIL/EMILE, on ne peut jamais ignorer le fait que l’élève pourrait avoir des difficultés de compréhension à cause de la barrière linguistique, avec le risque qu’il ne puisse pas accéder aux concepts fondamentaux de la discipline. Le souci constant de l’enseignant CLIL/EMILE est donc de fournir un input compréhensible (Krashen, 1987), de concevoir des stratégies pour faciliter ou soutenir la construction de nouvelles connaissances et compétences de l’apprenant. Il ne faut pas non plus croire qu’une majeure exposition à la langue est suffisante pour son intériorisation, comme l’ont montré certaines expériences dans d’autres pays ayant une longue tradition d’enseignement bilingue (Swain & Lapkin, 1982).
3.1. Mise en place d’une approche CLIL/EMILE : stratégies
Dans l’approche CLIL/EMILE, ce qu’on demande aux enseignants c’est nouveau et souvent compliqué. Avant tout on demande une attention particulière à la langue ainsi qu’à la discipline elle-même : l’enseignant doit maitriser les deux aspects et percevoir les obstacles à la compréhension que peuvent rencontrer les apprenants. C’est pour cette raison qu’un enseignant locuteur natif, qui connait peu de la langue d’origine de l’élève n’est pas idéalement placé pour aborder ce type d’approche sans formation supplémentaire. Il en va de même pour l’enseignant d’une matière, qui, habitué à travailler en langue maternelle et ne considérant donc pas l’aspect linguistique spécifique à sa discipline, ne se préoccupe pas des aspects linguistiques de sa matière, les considérant comme allant de soi.
Dans ce type de contexte, l’enseignant doit être conscient des processus cognitifs et des compétences linguistiques dont l’élève a besoin pour traiter les textes spécifiques à la discipline (structures linguistiques, types de textes, champs lexicaux, conventions rhétoriques et, en amont de tout ça, le langage des fameuses « consignes ») et doit être capable de faire face aux difficultés des élèves avec des stratégies appropriées.
La valeur ajoutée du CLIL/EMILE réside dans sa contribution à la modernisation de la didactique traditionnelle, basée sur la transmission des connaissances, dans laquelle l’enseignant expose des notions, effectue des démonstrations, en suivant un développement logique qui lui semble évident, mais qui ne l’est pas toujours pour les apprenants, qui ne possèdent pas la même maitrise du sujet que l’enseignant. Dans ce cas-là, l’élève est censé écouter, comprendre, pratiquer et reproduire ce qui lui a été enseigné, n’ayant qu’un rôle de récepteur de concepts élaborés par quelqu’un d’autre.
La méthode CLIL/EMILE propose un modèle d’apprentissage axé sur des compétences méthodologiques transférables, qui puissent former des personnes capables de faire face à des situations nouvelles et complexes. Les compétences ne s’acquièrent pas par transmission mais se construisent. La classe devient un laboratoire dans lequel chacun apporte sa propre contribution, son propre style d’apprentissage, ses propres expériences, qu’il partage avec les autres. Les ressources du groupe peuvent être utilisées pour construire de nouvelles connaissances et compétences sous la direction d’un expert, l’enseignant, qui n’est plus le dépositaire du savoir mais l’organisateur d’environnements d’apprentissage et le facilitateur. L’approche CLIL/EMILE, proposée dans l’enseignement de la « langue de scolarisation », permet donc un travail collaboratif entre élèves natifs francophones et allophones, qui travaillent en équipe en mettant en commun des stratégies d’apprentissage, des connaissances, des compétences.
Dans ce sens, la méthodologie qu’on propose ici, même dans le cadre du FLSco, contribue au processus de transformation et innovation didactique. Ce type de démarche tire parti des méthodes interactives, de la gestion coopérative de la classe et de l’accent mis sur différents types de communication (linguistique, visuelle et cinétique) (Langé, 2001).
3.2. Quelques lignes méthodologiques
L’approche qu’on propose ici demande :
- une attention particulière aux aspects linguistiques et, par conséquent à toutes les stratégies verbales et non verbales mises en œuvre pour faciliter la compréhension (contextualisation, définition de phases de travail, utilisation de supports visuels, utilisation de la redondance,…) ;
- la focalisation de l’activité d’enseignement sur l’apprenant et non sur l’enseignant, donc sur l’apprentissage plutôt que sur l’enseignement ;
- la gestion active de la classe, avec l’utilisation du travail en groupe et en particulier de l’apprentissage collaboratif ainsi que des approches basées sur les tâches ;
- l’utilisation de méthodologies différenciées, adaptées à l’âge des élèves, à la tâche, au contexte et aux différentes compétences ;
- l’acquisition de techniques de recherche de matériel, y compris à l’aide d’outils multimédias :
- l’acquisition de compétences en matière de planification et de travail en équipe.
Conclusion : le FLSCO, un défi
Des décennies se sont écoulées depuis la parution des premiers acronymes qui ont salué et accompagné l’évènement de la didactique des langues en général et de la didactique du français en particulier. Dans le contexte actuel, où les contours entre FLE et FLS sont de plus en plus flous6, en admettant qu’autrefois ils aient été nets, où de nouvelles notions et de nouveaux besoins linguistiques voient le jour répondant aux recommandations du Conseil de l’Europe concernant l’éducation plurilingue, la tâche de la didactique des langues, en l’occurrence de la didactique du français, est de proposer des instruments novateurs et créatifs aussi pour l’acquisition des connaissances disciplinaires qu’on peut appeler « langue de scolarisation », une littéracie spécifique dans tous les degrés de l’éducation.
Ainsi considéré, le FLSco, nous semble s’apparenter à un défi : les enseignants et les apprenants sont appelés à « se mettre en jeu » d’une manière qui peut sembler à première vue déroutante ou trop exigeante. C’est pourquoi, il est essentiel – comme d’ailleurs dans toute activité éducative – que les acteurs appelés à y opérer soient pleinement conscients d’eux-mêmes et de leurs actions : les enseignants sur la base d’une préparation adéquate à la tâche à accomplir, les apprenants en surmontant la peur de commettre des erreurs et en apprenant à reconnaitre et mettre en œuvre leur propre potentiel.