Inclure par la pratique théâtrale : analyse d’un projet éduquant à l’art et par l’art

DOI : 10.57086/lpa.863

Abstracts

En Corse, une association d’éducation populaire travaille avec des enseignants et des artistes pour monter des projets théâtraux. En 2022 et 2022-2023, deux projets ont réuni des élèves d’un dispositif Ulis-école et des élèves de CM1. Les apprentissages visaient à transmettre un art, par la découverte de la pratique théâtrale et la création d’un spectacle, et éduquer par l’art en mettant en place les conditions de l’inclusion d’élèves en situation de handicap dans un projet collectif. Comment la pratique théâtrale favorise-t-elle ou entrave-t-elle l’inclusion ? Comment celle-ci participe-t-elle à la découverte d’un art ? Une chercheuse accompagnait ces projets dans la démarche de la socioclinique institutionnelle (Monceau, 2012) en menant une recherche avec tous les participants. L’analyse des réussites et des écueils de cette proposition met en exergue différents éléments : le lien entre la transmission d’une pratique et l’éducation par l’art, l’importance de la posture pédagogique des artistes, la richesse et les écueils de la multiprofessionnalité (Émery, 2017), la responsabilité politique.

In Corsica, a popular education association works with teachers and artists to set up theatrical projects. In 2022 and 2022-2023, two projects brought together Ulis-school pupils and CM1 students. The aim was to pass on an art form, through the discovery of theatrical practice and the creation of a show, and to educate through art, by putting in place the conditions for the inclusion of disabled pupils in a collective project. How does theatrical practice help or hinder inclusion? How does it contribute to the discovery of an art form? A researcher accompanied these projects using the institutional socio-clinical approach (Monceau, 2012), conducting research with all participants. Analysis of the successes and pitfalls of this proposal highlights various elements: the link between the transmission of a practice and education through art, the importance of the artists’ pedagogical posture, the richness and pitfalls of multiprofessionality (Émery, 2017), political responsibility.

Outline

Text

Introduction

En Corse, une association d’éducation populaire, l’Association des rencontres internationales artistique (Aria), créée par le comédien Robin Renucci en 1998, travaille avec des enseignants et des artistes pour monter des projets théâtraux restituant la dimension sensible de la pratique artistique en milieu scolaire, souvent occultée au profit des savoirs savants (Dall’Armellina, 2023). En 2022 et 2022-2023, deux projets ont réuni des élèves inscrits dans un dispositif Ulis-école (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) et des élèves de CM11. La circulaire de 28-08-2015 précise que l’Ulis est un « dispositif ouvert » scolarisant des élèves en situation de handicap nécessitant « un enseignement adapté dans le cadre de regroupements ». Ces élèves doivent être inscrits dans une classe de référence « correspondant approximativement à leur classe d’âge ». Ici, les Ulis-école accueillent des élèves sur le versant des troubles des fonctions cognitives ou mentales qui ont tous été conviés à participer aux projets, quelle que soit leur classe de référence.

Ce projet s’est monté à l’initiative d’une chercheuse dont les travaux portent sur l’apport de la pratique théâtrale dans le processus inclusif. Il visait à transmettre un art par la découverte de la pratique théâtrale et la création d’un spectacle, et à éduquer par l’art en mettant en place les conditions de l’inclusion d’élèves en situation de handicap. Les enfants devaient réaliser une création collective sous la direction d’artistes travaillant en collaboration étroite avec les enseignants et l’Aria. Comment la pratique théâtrale favorise-t-elle ou entrave-t-elle l’inclusion ? Comment l’inclusion participe-t-elle à la découverte d’un art ?

Une première partie analysera la pertinence de la pratique artistique dans le processus inclusif en contexte scolaire. Une deuxième partie présentera les projets mis en place. Les résultats contrastés pointent les richesses mais aussi les contradictions d’une telle proposition et montrent le lien étroit entre la transmission d’un art et l’éducation par l’art.

La pratique théâtrale dans l’école inclusive

L’éducation artistique et culturelle (EAC) à l’école n’est pas nouvelle et fait l’objet de multiples prescriptions de textes officiels (Ravez, 2023), dans lesquels la pratique théâtrale tient une place singulière.

Transmettre un art

La feuille de route publiée par le ministère de la Culture (2023), « Réussir l’objectif « 100 % EAC à l’école », témoigne d’une certaine volonté politique. « L’EAC conquiert peu à peu droit de cité dans le paysage scolaire, en s’appuyant sur les trois piliers que sont la rencontre avec les œuvres, la pratique artistique et l’acquisition de connaissances » (Ravez, 2023, p. 37). Le spectacle vivant constitue l’un des huit domaines de l’EAC. « La dimension tant artistique que culturelle de la pratique théâtrale favorise l’expérience du collectif, la découverte des œuvres, le développement de la sensibilité et de la créativité » (Circulaire du 23-11-2022).

Cependant, si le théâtre et la pratique théâtrale apparaissent dans les programmes de l’école primaire, ils y occupent une place singulière. N’étant pas une discipline scolaire instituée, le théâtre n’est pas obligatoire et ne bénéficie pas d’heures dédiées, au contraire des arts plastiques et de la musique. Néanmoins, cette absence présente un avantage car cette pratique peut s’inscrire dans les heures consacrées à de nombreux domaines scolaires : français, éducation physique et sportive, histoire… Elle peut donc bénéficier d’un volume horaire plus important que celui consacré aux autres arts.

La pratique théâtrale s’inscrit souvent dans une pédagogie de projets (Dupont, 2022). Ainsi, l’Office Central de la Coopération à l’école (OCCE) met en place THÉÂ, « action nationale d’éducation artistique », qui associe chaque année des auteurs de théâtre jeunesse pour une pratique théâtrale des élèves au sein des classes, dans une démarche coopérative (OCCE, 2023).

En Corse, l’Aria, depuis sa création, développe des projets scolaires permettant une éducation à l’art par l’art (de Saint Martin et Poveda, 2023) : « en matière d’éducation artistique à l’école, je persiste à dire que la pratique est primordiale » (Renucci, 2018, p. 21). La pratique théâtrale comprend plusieurs dimensions : l’apprentissage de ses techniques, la création d’une œuvre commune dans un lieu professionnel et sa restitution devant un public, condition sine qua non de tout projet construit avec l’association.

La particularité de ces projets réside dans leur délocalisation. Au sein du Giussani, situé au-dessus d’Île Rousse, l’Aria dispose d’un bâtiment d’hébergement et d’un théâtre, A Stazzona, qui permettent une découverte en immersion de la pratique théâtrale, dans laquelle le faire ensemble s’articule au vivre ensemble. La transmission d’un art peut ainsi favoriser une éducation par l’art, ici l’éducation inclusive.

Transmettre par l’art

L’école inclusive constitue le nouveau paradigme des politiques publiques. Elle nécessite l’adaptation de l’environnement à chaque individu par la prise en compte de tous les acteurs d’une institution (de Saint Martin, 2023). Au sein de l’école, elle ne concerne pas uniquement les élèves à besoins éducatifs particuliers mais nécessite l’engagement de tous.

L’inclusion rime avec transversalité, interdisciplinarité, synergie, coopération, coordination, dialogue permanent, valorisation de la diversité, autonomie, participation, partage des ressources et des pouvoirs
(Manço, 2015, p. 18).

La pratique théâtrale peut-elle participer au développement de cette école ? À quelles conditions ?

« Je postule que la pratique théâtrale, en tant qu’activité de création collective choisie et non subie, peut constituer un vecteur privilégié de l’inclusion, par une éducation “en acte” » (de Saint Martin, 2019, p. 110). Depuis 2017, au sein de l’Aria, des stages adultes réunissent des personnes en situation de handicap et des personnes dites valides. En même temps qu’elles suivent une formation théâtrale, elles participent activement à une recherche sur l’inclusion en réfléchissant collectivement à la situation vécue (de Saint Martin, 2019 ; de Saint Martin et Astier, 2022). Cette recherche a montré qu’il ne suffit pas qu’un lieu soit inclusif pour que l’inclusion soit réalisée et que, plus que le vivre ensemble, c’est le faire ensemble qui définit celle-ci. Est-il possible de transférer cette expérience dans le champ scolaire en proposant un projet de création réunissant des élèves bénéficiant d’un dispositif Ulis et des élèves de classes ordinaires ?

La pratique théâtrale favorise le processus inclusif par une rencontre ne se limitant pas au verbe, mais impliquant des croisements de regard, l’attention conjointe au corps et aux déplacements des autres partageant le plateau (l’espace scénique) avec soi. « La pratique du théâtre permet de lutter contre l’insignifiance, contre le verbalisme du propos, contre l’agitation permanente du corps » (Meirieu, 2002, p. 44). S’exerçant sous la houlette d’artistes, elle institue une relation différente entre élèves, par un autre regard porté sur eux, distinct des enjeux propres aux apprentissages dispensés au sein de l’école. Pour cela,

développer des partenariats au sein des institutions favorise l’ouverture, la créativité, la mise en place d’activités partagées amenant à des transformations des représentations sociales de l’institution ou de ses acteurs
(Montandon et Wagner, 2022, p. 58).

Les représentations sociales sur le handicap constituent en effet un des obstacles à l’inclusion scolaire. La rencontre initiée sur un plateau entre élèves en situation de handicap et élèves de classes ordinaires les modifie-t-elle ?

Une recherche « avec »

La mise en place des projets rapportés ici s’inscrit dans la recherche « avec » (Monceau, Soulière, 2017 ; de Saint Martin, 2023) qui reconnaît l’importance de la multiprofessionnalité et, au-delà, de tous les acteurs d’une institution dans la production de connaissances.

Une recherche socioclinique institutionnelle

La socioclinique institutionnelle, théorisée par Monceau (2012), propose une analyse de l’institution par une intervention au plus proche des acteurs de terrain. Il s’agit d’analyser collectivement les contradictions de l’institution définie comme un mouvement permanent entre l’institué (les règles, le déjà-là), l’instituant (ce qui bouscule l’institué) et l’institutionnalisation (le moment où l’institué absorbe l’instituant, se transformant alors). L’analyse collective consiste à élucider les rapports de chacun à l’institution, ses implications, au moyen d’analyseurs qui obligent chacun à expliciter ses implications. L’analyseur se définit comme « tout ce qui permet de révéler la structure de l’institution, de la provoquer, de la forcer à parler » (Lourau, 1970, p. 283).

J’ai initié ces projets et ai contribué à leur élaboration. Lors des séjours, logée dans le même bâtiment que les élèves, je participais à la vie collective. J’ai observé les temps de travail et consignais simultanément mes observations, complétées chaque soir par des premières analyses, dans un journal de recherche dont on trouvera des extraits ici. Lors du 1er projet, le chercheur géographe qui m’accompagnait m’a incitée à porter un regard plus spécifique sur l’occupation de l’espace « parce que les spatialités des acteurs sont de l’ordre d’un faire avec l’espace, les contenus effectivement enseignés ou plus largement transmis et les contenus effectivement appris sont relationnels » (Thémines, 2016, p. 136).

J’ai mené une séance de réflexion collective (SRC) avec chaque groupe d’élèves, en mars et en juin. La SRC est un temps d’analyse collective de la situation vécue pour produire des connaissances, à partir d’un thème que je propose. « Il s’agit pour le chercheur, non pas d’obtenir des réponses à ses questions, mais de provoquer des échanges – même contradictoires – entre les participants, de provoquer des effets imprévus qui vont permettre l’émergence d’analyseurs naturels, autorisant l’analyse collective des implications et produisant des connaissances. » (de Saint Martin, 2023, p. 91)

J’ai également conduit des entretiens individuels et collectifs avec les enseignantes et avec les accompagnants en mars, avec les artistes en juin. J’ai proposé une restitution des premières analyses aux enseignantes et aux artistes en juin. Les SRC avec les élèves, les entretiens ont été enregistrés et retranscrits en anonymisant les noms.

L’importance de la multiprofessionnalité

Chaque projet scolaire mené au sein de l’Aria repose sur une collaboration spécifique avec chaque enseignant et chaque classe mais procède de la même démarche : sous la houlette d’un ou plusieurs artistes, les élèves vivent toutes les phases d’une création artistique – de la construction de l’objet (l’écriture et l’improvisation) à sa finalisation (la restitution).

La circulaire du 11 novembre 2022 valorise le partenariat comme « une ressource essentielle2 » qui permet « une mise en réseau des forces artistiques et d’enseignement ». Dans le cadre de l’Aria, la mise en place de séjours externés participe d’une « perception d’une école ouverte sur son territoire [qui] renvoie à une vision non cloisonnée de l’éducation » (Montandon et Wagner, 2022, p. 52). Elle favorise la multiprofessionnalité, à savoir une collaboration « entre des acteurs ancrés dans des cultures professionnelles différentes issues de formation et d’expériences particulières » (Émery, 2017, p. 198), ici des enseignants, des artistes, les professionnels de l’Aria et des chercheurs. Cette multiprofessionnalité

requiert une adaptation continue aux cadres de travail, une résistance aux difficultés du temps et de l’espace, aux malentendus, aux confusions de vocabulaire, aux incompréhensions mutuelles, aux rapports de force, aux ambitions du pouvoir, aux effets de séduction, à l’usure du temps
(Carasso, 2016, p. 71).

Elle opère ici dans deux cadres différents, l’école et le théâtre. Le « dépaysement » (Montandon et Wagner, 2022, p. 53) suscité par les résidences à l’Aria autorise-t-il un autre rapport entre élèves ?

Émery (2017) rappelle que la multiprofessionnalité, processus dynamique et complexe, est une dimension essentielle de l’école inclusive. Dans le contexte d’un projet artistique, comment celle-ci peut-elle s’organiser ?

Le déroulement des projets

L’Aria choisit les artistes intervenants en fonction des projets. Ici, leur préparation s’est faite conjointement avec l’Aria, les enseignants, les artistes intervenants et la chercheuse, tout en respectant les places de chacun : le projet pédagogique est initié par les enseignantes, le projet artistique appartient aux artistes intervenants, l’organisation logistique à l’Aria, le volet recherche à la chercheuse.

Les textes – qui servent de support à la création et sont étudiés en classe – sont choisis en concertation entre artistes et enseignantes. Les artistes interviennent d’abord deux fois dans les classes pour une découverte de l’activité théâtrale. Puis, un premier séjour à l’Aria est consacré à la découverte du plateau et à l’écriture du spectacle. Les artistes retournent ensuite dans les classes pour poursuivre ce travail et le second séjour est dédié à la répétition du spectacle dans des conditions professionnelles : lumières, son, costumes…

Si la collaboration est constante avec la chercheuse, celle-ci n’intervient auprès des enfants que lors des séjours, l’éloignement géographique ne permettant pas un accompagnement dans les classes.

Le projet « Il était 4 fois »

Le projet 2022, qui portait sur le traitement des déchets, problématique importante en Corse, s’est construit avec deux enseignantes de l’école primaire d’Île Rousse, à partir d’un financement de la Fondation de France et engageait différents partenaires.

Partenaires du projet

Partenaires Personnes
Aria Marie-Laure, directrice
Artistes Raoul, danseur
Solène, comédienne
Céline, costumière
École Île Rousse Flavie, enseignante, CM1
Camille, coordinatrice Ulis
Valérie, accompagnatrice Ulis
Laboratoire Éma Claire, MCF en sciences de l’éducation et de la formation
Pascal, PU en géographie

Tous les noms, à l’exception de ceux des chercheurs et de la directrice de l’Aria, ont été anonymés. Valérie n’est pas enseignante ni AESH. Recrutée par la mairie, elle est une personne-ressource dans l’école.

Ce projet devait être réalisé en 2020 avec des collégiens mais a été interrompu par la pandémie qui a bouleversé les habitudes professionnelles. Il a finalement été proposé à l’école primaire d’Île Rousse, en prenant le temps d’écouter chacun. Il s’est donc déroulé sur un temps restreint dont rend compte le tableau suivant :

Déroulement du projet

Date Lieu Durée Activités
Avril 2022 École 2 × 1 journée Initiation au théâtre
Mobilisation du corps
Création de proverbes
Création de solutions à la pollution des déchets
12 et 13 mai 2022 Aria 2 jours en internat Travail sur le corps en mouvement, exploration de l’espace scénique
Travail sur les éléments
Atelier de scénographie
Séance de réflexion collective (SRC)
Mai/juin 2022 École 3 × 1 journée Travail d’improvisation
Travail sur l’écoute et la voix
Être ensemble sur scène
Préparation à la scène et au public
Du 14, au 17 juin 2022 Aria 4 jours en internat
Externat pour les élèves inscrits en Ulis
Répétition du spectacle
SRC
Restitution publique

À l’école, les enfants étaient répartis en demi-groupes durant deux séances d’une heure et demie. Ils ont travaillé sur l’expression corporelle, ont inventé des proverbes autour des questions des déchets et de la pollution, ont proposé des solutions possibles. Ce travail devait servir de base à l’écriture de la pièce.

23 enfants du CM1 et 6 inscrits en Ulis (sur 9 bénéficiant du dispositif) ont participé au premier séjour à l’Aria, consacré à la reprise des ateliers faits à l’école (mettre en mouvement et en scène le corps, illustration collective des proverbes écrits) à la découverte du théâtre et du plateau. Les artistes ayant décidé de travailler la question des traitements des déchets à partir des 4 éléments (eau, terre, air, feu), les enfants ont imaginé dans l’espace ces 4 mondes. Les SRC, conduites par groupe de 15 enfants, avaient pour thème « faire un projet commun quand on n’est pas tous dans la même classe ».

Les trois interventions suivantes, à l’école, ont été consacrées à la question de la représentation : évoluer ensemble sur scène, jouer avec des partenaires (écoute), porter la voix, se placer dans l’espace, jouer devant des spectateurs. Les élèves ont poursuivi le travail d’exploration des 4 mondes.

Lors du 2e séjour, les élèves ont répété le spectacle, écrit par les artistes à partir du travail commun effectué. Ils ont également participé à une nouvelle SRC sur le bilan de cette expérience.

Les enseignantes ont souhaité renouveler l’expérience l’année suivante.

Le projet « Le sel de la vie »

Le projet de 2022/2023 proposait une ouverture par la participation de la classe unique d’Olmi-Cappella, d’une classe de CM1 et du dispositif Ulis de l’école de Calenzana.

En septembre les enseignantes d’Île Rousse, un artiste, l’Aria et la chercheuse ont défini les modalités du projet. Il a été décidé de solliciter Anna, professeure de français à la retraite, bénévole de l’association, pour conduire des ateliers d’écriture dont les productions seraient insérées dans le spectacle. Solène, la comédienne, n’étant pas disponible, l’Aria a fait appel à une jeune comédienne, Alice.

Partenaires du projet

Partenaires Personnes
Aria Marie-Laure, directrice
Anna, bénévole
Artistes Raoul, danseur
Alice, comédienne
Céline, costumière
École Île Rousse Flavie, enseignante, CM1
Camille, coordinatrice Ulis
Valérie, accompagnatrice Ulis
École Calenzana Clémence, enseignante CM1
Anaïs, coordinatrice Ulis
Line, AESH
École Olmi-Capella Marie, enseignante classe unique
Laboratoire Éma Claire, MCF en sciences de l’éducation et de la formation

Les artistes ont travaillé en collaboration étroite avec les enseignantes et plus particulièrement celles d’Île Rousse, les autres classes ayant rejoint le projet sur une base déjà construite. Les enseignantes ont choisi le thème des « petits bonheurs » à partir duquel les artistes ont proposé les activités artistiques, en s’appuyant sur le texte Le Sel de la vie de Françoise Héritier et la chanson Le premier bonheur du jour de Françoise Hardy. Elles ont également souhaité que les enfants travaillent le chant et la danse.

Déroulement du projet

Date Lieu Activités
Novembre – décembre 2022 Écoles
Aria
Découverte du texte
Travail d’écriture sur les petits bonheurs, apprentissage de la chanson avec les enseignantes
Découverte d’un spectacle : rencontre des enfants des différentes classes
Janvier à mars 2023

3 interventions des artistes
½ journée dans chaque école
Écoles Initiation au théâtre : mise en espace, le corps en mouvement
Travail autour du bonheur à partir du quotidien des enfants et du Sel de la vie
Création musicale de la pluie
Production collective de dessins, de mots évoquant le thème transmis aux autres écoles
Du 27 au 30 mars 2023 Aria Exploration de l’espace scénique
Chorégraphie de la danse et répétition de la chanson
Ateliers d’écriture et de scénographie
SRC
Avril/mai 2023

2 interventions des artistes
½ journée
Écoles Répétition de la chorégraphie et de la chanson
Lecture oralisée d’extraits
27 mai au 2 juin 2023 Aria Répétition du spectacle
SRC
Présentation publique

En janvier et en mars, dans chaque école, les enfants ont travaillé en groupe entier et demi-groupes sur deux séances le matin. Ils ont travaillé sur des exercices fondamentaux du théâtre, sur l’expression corporelle, le bruitage de la pluie, la production de dessins à partir de tableaux. En classe, ils ont écouté la chanson, lu des extraits de l’ouvrage de Françoise Héritier, produit des textes individuels sur leurs petits bonheurs.

Le premier séjour à l’Aria a été consacré à la découverte du plateau, l’apprentissage de la chanson et la création d’une chorégraphie en utilisant un outil spécifique : des cartes présentant chacune des consignes différentes.

Dans les cartes, il y avait écrit des choses ; on devait les reproduire. Par exemple, il y avait « équilibre sur un pied » et on devait le faire. Tout en bas à gauche il y avait écrit « loin » ça veut dire loin du public, « face », face au public ; « proche », ça veut dire proche du public
(Naïr, CM1, SRC, 29 mars 2023).

En atelier d’écriture, les enfants ont produit des textes, individuels et collectifs, dont Anna (bénévole) a proposé une sélection lue à la fin du séjour. L’atelier scénographie a été consacré à des cartographies de différents lieux de petits bonheurs, en individuel et en collectif. La SRC portait sur la situation inclusive qu’ils vivaient par la création collective d’une pièce et le séjour externé.

En avril et mai, les deux interventions des artistes dans chaque école ont porté sur la répétition du chant et de la chorégraphie.

Lors du 2e séjour, les élèves ont répété le spectacle, écrit en situation par les artistes à partir du travail commun effectué. Ils ont également participé à une nouvelle SRC avec la chercheuse, sur le bilan de cette expérience.

Inclure par la pratique théâtrale, une utopie ?

Les deux projets présentent des résultats contrastés montrant l’importance du plateau, les écueils de la multiprofessionnalité mais aussi la responsabilité politique.

L’importance de l’espace scénique

Les enfants ont eu l’opportunité de travailler dans des conditions professionnelles : intervenants artistiques, costumière, scénographe, ingénieure lumière ; répétition et spectacle dans un théâtre, mise à disposition de tout le matériel nécessaire à la réalisation du spectacle. Ces conditions ont motivé les élèves, permettant une éducation à l’art par une initiation à la pratique théâtrale et le faire ensemble.

Journal de recherche, 14 juin 2022

Retour dans la salle, chaque groupe lit sa partition, installé dans son monde ; les postures sont détendues, quelques enfants allongés, mais tous sont présents à ce qui se passe. Raoul [danseur] travaille avec la terre et je l’entends dire à Amad [élève], qui ânonne son texte, que s’il a des difficultés, on l’aidera dans la lecture. Le groupe de l’air travaille avec Flavie [enseignante], le feu avec Camille [coordinatrice Ulis], puis Solène [comédienne], l’eau avec Solène. Mais en fait, je trouve une grande autonomie dans chaque groupe, les enfants sont vraiment en travail.

Le travail au plateau a rendu les enfants plus propositionnels dans l’activité et plus autonomes. « Il y a aussi toute l’autonomie. Et, pour nous, ils sont quasi autonomes » (Camille, coordinatrice Ulis, restitution, 1er juin 2023). Cette autonomie s’exprime aussi dans l’envie de prolonger l’expérience artistique : « Ah, si, il y a un autre truc que je veux dire. Ils m’ont vachement surprise. Ils ont voulu organiser un battle de danse à la récré. Et ça, je sais que c’est grâce à ce projet-là » (Flavie, enseignante CM1, entretien individuel, 15 juin 2022). Ainsi, la pratique théâtrale a, d’une certaine façon, ouvert la porte des possibles dans une conscience de l’importance du collectif. « Le théâtre, ça permet d’avoir des amis parce qu’on joue des rôles ensemble et ça permet de bien se connaître » (Roaya, CM1 SRC, 14 juin 2022).

En 2022-2023, les artistes ont répondu aux demandes des enseignantes qui souhaitaient faire du lien entre chant, danse, théâtre, arts plastiques. Les enfants ont bénéficié d’une approche artistique diversifiée car les artistes, dans les écoles, ont aussi travaillé avec les enfants à partir de différentes œuvres picturales (Haring, Pollock…) Cependant, cette pluralité n’a pas permis un travail approfondi de chaque domaine. La restitution a montré les limites de ce choix : sur scène, les enfants ne portaient pas leur voix, l’occupation spatiale collective du plateau était aléatoire.

La recherche met en exergue l’importance de l’espace scénique comme le lieu de la rencontre autorisant l’inclusion de tous les élèves. Cependant, cette rencontre ne peut se faire que dans un mouvement collectif. En 2023, les artistes ont fait le choix de diviser les 51 enfants en 4 groupes fixes et les ont fait travailler de façon statique, sans les mettre en mouvement.

On a choisi des groupes et les groupes ont été les mêmes jusqu’à la fin, jusque maintenant, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas pu dire : « Vas-y, aujourd’hui, on se fait un petit jeu avec toi et, demain, je fais un petit jeu avec toi… »
(Clémence, enseignante CM1, restitution 1er juin 2023).

Les artistes justifient ainsi ce choix :

Entretiens artistes, 8 juin 2023

Claire : Par rapport à l’an dernier, les enfants ont été beaucoup moins en mouvement. Il n’y a pas de déplacements au plateau.

Raoul : J’ai commencé à le faire, mais à 51, même en parlant très fort, en un exercice, pfff… hier, je l’ai fait, mais ça se disperse trop. Il y a trop de choses à voir.

Alice : L’échauffement assis, ils étaient tellement plus concentrés après !

Raoul : dès qu’ils sortent du cercle, il y a tellement d’informations…

Ce fonctionnement a créé des rivalités entre les différents groupes et des jalousies au sein des classes, contredisant le processus inclusif :

Ceux de ma classe disent « ouais, tu casses l’amitié, tu ne veux pas jouer avec nous. Tu veux jouer avec des autres et tout ». J’ai le droit de jouer avec des nouveaux amis, parce que ma classe, moi, je la vois presque tous les jours et même je vais les revoir. Alors que là, il nous reste encore deux jours et j’aurais pas encore rencontré des autres
(Zafir, CM1, SRC, 29 mars 2023).

Ces tensions prennent une telle ampleur qu’en juin, les trois groupes débattent de leurs conflits lors de la SRC consacrée au bilan de l’expérience. L’absence du faire ensemble au plateau a fragilisé le vivre ensemble.

L’évolution des représentation sociales

En 2022, lors du 1er projet, le fait de faire ensemble a modifié les représentations sociales des enfants : ceux du CM1 ont compris que ceux inscrits en Ulis ne se réduisaient pas à leur handicap, savaient faire des choses et se montrer propositionnels ; les élèves inscrits en Ulis ont montré leurs potentialités et rencontré les élèves du milieu ordinaire.

C’est juste que tout le monde est différent de chaque personne. Personne ne se ressemble. Et c’est pour ça… Du coup, eux, ils [les élèves accompagnés par l’Ulis] viennent pour apprendre plus de choses et, nous, parfois, on travaille avec eux pour apprendre plus de choses. C’est comme ça qu’on s’aide
(Kenza, CM1, SRC, 13 mai 2022).

Les enfants voient la progression et les résultats du travail collectif. « Ça m’a fait plaisir de rencontrer tout le monde dans mon groupe et d’avoir travaillé en équipe, parce que maintenant, je les connais ; on a bien bossé, on a fait un bon travail d’équipe » (Lola, CM1, SRC 29 mars 2023). Les enfants ont montré un enthousiasme qui ne s’est jamais démenti. « Au théâtre, on a fait la danse. Oui, ça me plaît. » (Merwann, Ulis, SRC 29 mars 2023) À la fin du séjour de 2022, les enfants ont proposé ces définitions de l’inclusion :

SRC, 14 juin 2023

Mahir (CM 1) : L’inclusion, c’est quand on invite un élève à être notre ami, on refuse qu’on le rejette.

Clara (CM 1) : L’inclusion, c’est quand on accepte une personne quelle qu’elle soit, ben… que ce soit une question de religion ou de couleur de peau ou qu’elle bégaie. L’inclusion, c’est quand on accepte une personne comme elle est.

Moudrik (CM 1) : Pour moi, l’inclusion, c’est quand on partage des choses ensemble.

Les enseignantes ont découvert différemment leurs élèves et mesuré l’apport d’un tel projet, des points de vue artistique et inclusif.

On peut voir aussi des enfants qu’on ne soupçonnait pas forcément prendre… proposer des choses superbes alors qu’on ne les attendait pas forcément là non plus. Il y a… Oui, ça s’est… Ça m’a surprise… Il y a eu une part de leur univers qui s’exprime, alors, qu’il ne peut pas forcément s’exprimer dans le reste du temps. Ça, c’est chouette.
(Clémence, enseignante, CM 1, entretien collectif, 28 mars 2023).

L’évolution de Camille, la coordinatrice de l’Ulis est prégnante.

Journal de recherche, vendredi 13 mai 2022

Lors de l’entretien, Camille s’interroge sur le projet inclusif parce que nous avons considéré l’Ulis comme une classe et non un dispositif. La critique est juste (considération de la classe), mais incorrecte : l’inclusion est réelle ici. Elle parle d’Élise [une élève] qui n’a rien à faire dans ce groupe du fait de son âge. Mais Élise est parfaitement incluse dans le groupe et conclut d’ailleurs la SRC par « Alors, moi, je suis contente d’avoir des nouveaux copains et nouvelles copines et, en plus, je suis contente. »

Au mois de juin, Camille revient sur cette posture :

Pour moi, c’est positif pour les enfants qui sont présents, en particulier pour Élise et Mourad [élèves inscrits en Ulis]. J’avais très peur, comme ils sont plus petits, qu’ils ne trouvent pas leur place. Je trouve qu’ils sont bien dans le groupe, ils participent
(Camille entretien individuel, 16 juin 2022).

Au-delà de l’activité théâtrale, il faut souligner ici l’importance de la vie en collectivité, énoncée par tous. « Il y a plusieurs écoles mélangées, c’est mieux parce que s’il n’y avait qu’une école, on se connaîtrait déjà tous et ça serait moins bien » (Charlène, CM1 SRC, 29 mars 2023).

En 2022/2023, la mise en relation des enfants des différentes écoles en amont des séjours à l’Aria, par la transmission de panneaux synthétisant collectivement les productions de chaque classe, a créé du lien entre les élèves et rendu concrète la participation de plusieurs classes au projet.

Moi, ce que je recherchais dans ce spectacle, c’est par rapport à un faible effectif de ma classe, c’est-à-dire de sociabiliser mes propres élèves qui, parfois, justement, vivent un peu aussi ici comme dans un cocon et qui, en arrivant dans un collège à 100, 200, 300, 400 élèves, peuvent être complètement perdus
(Marie, enseignante, classe unique, entretien collectif, 28 mars 2023).

De ce point de vue, le séjour est une réussite et les élèves d’Olmi ont particulièrement apprécié de travailler avec d’autres classes.

Cependant, l’interconnaissance des élèves des différents CM1 s’est faite au détriment de ceux inscrits en Ulis qui sont restés entre eux, surtout ceux de Calenzana. Cela constitue aussi un analyseur des écueils de la multiprofessionnalité.

Les écueils de la multiprofessionnalité

En 2022, lors du 1er projet, la connaissance qu’avait Camille de Max, un élève, a entravé le processus inclusif. La mère de Max l’accompagnait aussi.

Journal de recherche, vendredi 13 mai 2022

La mère de Max et Camille sont encore très présentes autour de lui et finalement obtiennent l’effet inverse de celui voulu. En fait, quand Max est livré à lui-même, il est beaucoup plus attentif aux consignes et il reste présent au groupe, à sa manière : tourner autour de lui… Les autres enfants le prennent alors spontanément en charge, ne serait-ce que ponctuellement (Clara pour l’aider à descendre des gradins), mais cela suffit : il lui est signifié qu’il fait partie du groupe. La proximité physique de sa mère ou Camille, qui le touchent constamment, voire l’enlacent (l’entravent ?) marque une frontière physique entre lui et les autres ; Max s’allonge alors souvent sur le sol, à l’extrémité de la scène, se replie sur lui, répond à la frontière dressée par une auto-exclusion…

L’engagement des élèves dans le travail artistique et dans le processus inclusif nécessite une clarification des rôles de chacun dans la conduite du projet et l’accompagnement des élèves, sans occulter l’expertise de chacun. Ici les interventions de Camille au plateau entravent le travail des artistes auprès de Max et les possibilités de Max d’agir par lui-même.

En 2023, les chorégraphies ont été faites à partir du choix d’une carte par chaque enfant. Cela signifiait qu’ils devaient mémoriser et enchaîner une douzaine de mouvements. Beaucoup n’y sont pas parvenus.

Ils sont en difficulté eux-mêmes. Ils ne connaissent pas bien la danse. Donc ils ne peuvent pas aider les autres puisqu’eux-mêmes, ils sont en train de chercher leurs mouvements
(Camille, coordinatrice Ulis, restitution, 1er juin 2023).

Ici, les artistes n’ont pas entendu les mises en garde des enseignantes concernant les difficultés des enfants à exécuter la danse, ne considérant que l’aspect artistique de leur proposition.

Oui, regarde, là, la danse, Max, se mettre par terre, se relever… on aurait dû partir de cette base-là, en fait, des élèves en difficulté. Là, Max, la danse, il la fera jamais
(Anaïs, coordinatrice Ulis, restitution, 1er juin 2023).

Ces tensions sont difficiles à résoudre et demandent des négociations permanentes pour lever les malentendus. Les textes produits dans l’atelier d’écriture, que les enfants avaient particulièrement apprécié, n’ont pas été retenus dans la présentation finale. « Par rapport aux textes qu’Anna nous a renvoyés, on trouvait que c’était bien réécrit, mais c’était plus vraiment… Un peu trop bien réécrit » (Raoul, entretien artistes, juin 2023). Or, Anna n’a pas réécrit le texte et, lors de sa lecture, les enfants avaient manifesté leur satisfaction :

Journal de recherche, jeudi 30 mars 2023

Les enfants reconnaissent leurs productions et font le lien avec le thème du spectacle : c’est la 1ère fois que je les vois aussi réactifs et attentifs. […] Je crois que les enseignantes ne s’attendaient pas à cette qualité d’écrit. À la fin, Clémence et Flavie [enseignantes CM1] vont voir Anna, enchantées, et la félicitent pour le travail accompli.

Ce malentendu sur les auteurs des textes traduit un manque de communication entre les différents intervenants.

En 2023, Raoul (danseur) a voulu mettre les enseignantes sur scène. Cependant, cette « expérience esthétique partagée » (Kerlan et Lemonchois, 2017) s’est faite sans concertation préalable et a déstabilisé adultes et élèves. La proposition artistique s’est heurtée à la posture pédagogique des artistes qui n’explicitaient pas leurs propositions et n’ont pas co-construit le spectacle avec les enfants. Ils l’ont créé lors du séjour de juin, en situation car, en contradiction avec la charte de l’Aria – une restitution publique de tout projet créé – et le désir des enseignantes, « le spectacle, ce n’est pas la finalité du projet. Ce n’est pas ça le cœur du projet. Le cœur du projet, c’est la rencontre, la conclusion qu’il se passe quelque chose » (Raoul, danseur, entretien artistes, juin 2023). De ce fait, les artistes ont distribué le texte deux jours avant la représentation, créant des inquiétudes chez les enfants : « On ne sait pas si on va y arriver, ça fait peur » (Julie, CM1, SRC 1er juin 2023). Ils ont eu du mal à entrer dans la répétition du spectacle, n’en comprenant pas le sens.

Mais au-delà de la posture des artistes intervenants, on peut questionner la responsabilité politique de ces écueils.

Une responsabilité politique

Habituellement, le premier séjour dure 4 jours. En 2022, Les réticences des parents des élèves du dispositif Ulis à laisser dormir leur enfant hors du toit familial ont contraint à réduire le premier à une nuit et 3 élèves n’y ont pas participé. Une organisation hybride du deuxième séjour a alors été proposée : les enfants du CM1 sont restés sur place tandis que ceux inscrits dans le dispositif Ulis montaient uniquement la journée et ne sont pas venus le mercredi. Cette organisation a produit des effets : leur absence le mercredi a conduit à une inégalité dans la distribution des rôles, ces enfants ne pouvant pas répéter avec leurs camarades. Elle a aussi déséquilibré les temps de travail, les artistes ayant dû reprendre avec eux le travail fait le mercredi. Malgré ces arrangements, 4 élèves n’ont pas participé au spectacle.

En 2023, seuls 4 élèves inscrits dans l’Ulis de Calenzana ont participé au projet alors que tous ceux d’Île Rousse s’y sont engagés. On peut y voir l’effet du renouvellement du projet : les parents ont assisté à la représentation l’année précédente et ont vu la qualité du résultat mais aussi l’enthousiasme des enfants. Ce point montre la pertinence de construire un projet avec les mêmes élèves sur plusieurs années.

Plusieurs élèves de CM1 ont également fait défection chaque année, pour un séjour ou les deux, essentiellement parce que les parents ne supportaient pas la séparation. En socioclinique institutionnelle, l’analyseur argent est important. Ces réticences ne sont pas financières, car les séjours sont gratuits pour les parents, financés par des aides de la Collectivité de Corse et des subventions octroyées par la Fondation de France. L’engagement des enseignantes auprès des parents n’a pas suffi à tous les convaincre de l’intérêt pédagogique de ces projets. Les parents sont les oubliés de la collaboration pluri catégorielle. L’absence de participation de tous les élèves peut aussi être considérée comme un analyseur d’un engagement politique insuffisant. Carasso (2016) le rappelle : la demande d’une éducation par l’art reste limitée et les parents considèrent ici le projet comme secondaire. Si l’État affirme sa volonté de développer l’EAC à l’école, cette volonté ne se traduit pas concrètement sur le terrain.

Conclusion

Les enfants participant aux projets scolaires orchestrés par l’Aria bénéficient d’une formation théâtrale de qualité, dans des conditions professionnelles. L’Aria contribue ainsi à l’éducation à l’art par l’action conjointe de différents acteurs. Elle participe aussi à l’éducation par l’art, ici, l’éducation inclusive. Cependant cette éducation à l’art et par l’art peut rester inaboutie du fait des écueils de la multiprofessionnalité dont les parents sont les grands absents. La recherche met en exergue l’importance de la négociation permanente, dans une écoute réciproque et un respect des places de chacun. La posture artistique ne peut occulter la posture pédagogique des artistes intervenants. Les projets présentés ici montrent que la pratique théâtrale a une « vertu éducative ». Mais pour que celle-ci soit aboutie, l’État doit davantage s’engager dans l’EAC qu’elle prétend soutenir depuis des années, notamment par une politique d’information et d’explicitation auprès des familles et de valorisation de l’EAC dans les programmes scolaires.

Bibliography

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Notes

1 Ces projets ont bénéficié d’une subvention de la Fondation de France. Return to text

2 Les mots sont indiqués en gras dans la circulaire. Return to text

References

Electronic reference

Claire de Saint Martin, « Inclure par la pratique théâtrale : analyse d’un projet éduquant à l’art et par l’art », La Pensée d’Ailleurs [Online], 6 | 2024, Online since 28 octobre 2024, connection on 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=863

Author

Claire de Saint Martin

Maître de conférences HDR en sciences de l’éducation et de la formation, laboratoire EMA (école, mutations, apprentissages), Inspé, CY Cergy-Paris Université. Chercheuse associée au Centre national pour la création adaptée (CNCA).

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