« Là où l’âme prétend s’unifier, là où le Moi s’invente une identité ou une cohérence, le généalogiste part à la recherche du commencement des commencements innombrables qui laissent ce soupçon de couleur, cette marque presque effacée qui ne saurait tromper un œil un peu historique ; l’analyse de la provenance permet de dissocier le Moi et de faire pulluler, aux lieux et places de sa synthèse vide, mille événements maintenant perdus » (Foucault, 1971, p. 141).
Introduction
L’objet de cet article n’a pas valeur de démonstration. Mais bel et bien de mise en réflexion de quelques notions : fabrique d’identités victimaires aux prises avec la production de la subjectivité et constitutive du sujet « victime »1 posé en bouc-émissaire (Girard, 1992) et/ou de la production des subjectivités qu’elles fussent celles des « victimes », des bourreaux et/ou celles de ceux qui prennent connaissance, reconnaissance et acte par le care du sujet « victime » (toutes sphères confondues : familiale, amicale, éducative, pédagogique, juridique, médicale, associative etc.). Plus précisément, les réflexions s’arriment à une question centrale que j’inscris dans les sciences humaines en empruntant les chemins scientifiques d’auteurs en sciences de l’éducation, en philosophie, en anthropologie sociale, en sociologie, en ethnométhodologie etc. Comment le sujet (dit) victime entre-t-il dans les jeux de vérité d’une pratique du soi victimaire ?
Il ne s’agit pas d’embrasser toutes les explications, il s’agit de soulever une amorce d’interrogations par de petites entrées réflexives.
L’idée est de détricoter un axe réflexif traversant la Vis du « victimaire »2 qui participe à la construction identitaire de la posture victimaire. Je m’intéresse cette fois-ci non pas à l’état d’être de la victime la renvoyant à sa décorporéité, à l’état de désolation3 et à sa désocialisation (Garnier, 2016), ni aux mécanismes rituels et sacrificiels du victimaire (Girard, 2003, p. 82) mais à la figure de la formation du sujet victimaire. Ce que je souhaite mettre en réflexion découle de ces points généraux : Comment la « victime » se constitue-t-elle en sujet victimaire ? Quelles représentations a-t-elle de sa relation personnelle et sociale avec sa posture victimaire ? Autrement dit, quelles représentations a-t-elle de sa pratique victimaire ? Je me permets d’évoquer un parallèle avec les démonstrations de Foucault sur les jeux de vérité. Non, sans vouloir m’appuyer sur cet axiome et sur l’auteur comme fondement de mes interrogations, mais, en m’intéressant à la figure de la formation du sujet victimaire dans la représentation qu’il entretient avec sa réalité victimaire, je renvoie aux concepts de vérité du sujet avec dans son historicité des discontinuités et des continuités. Je préciserai des sujets constitués de/ou (en) strates de sujets polymorphes. Zarka (2002, p. 259) parle de « sujet mobile, divers et multiple ». Si pour Foucault le chemin de la vérité emprunté par le sujet pluriel renvoie en bout de parcours à la pratique de la spiritualité, je ferai une « traduction » comme un parallèle avec la victime en phase avec sa vérité victimaire s’interrogeant sur le fait que :
La vérité n’est ni un droit, ni un donné. Le sujet n’est pas doté d’une capacité directe d’accès à la vérité. Si le sujet n’est pas d’emblée capable de vérité, il peut le devenir en opérant une conversion ou une transformation sur soi par laquelle il s’arrache à sa condition actuelle. En se transformant soi-même pour accéder à la vérité, le sujet ne devient pas seulement plus instruit par la connaissance du vrai mais illuminé par elle : « la vérité lui donne accès à la béatitude ».
(Zarka. 2002, p. 261).
Et de fait à une pratique – théorisée donc réflexive…
Car, ce qui m’intéresse dans cette construction de la formation du sujet victimaire c’est d’appréhender sensiblement la fabrique de l’identité victimaire comme pratique victimaire. C’est donc de regarder le sujet victimaire dans sa pluralité et sa multiplicité. C’est aussi lui accorder un avant, avant de devenir victimaire, un pendant expression d’un corps éprouvant l’identité victimaire, et un après espoir d’une reconquête du sujet sur lui-même et sur les autres comme sujet allant vers un mieux ethos… C’est aussi lui accorder une possibilité d’intervenir sur lui-même dans ces trois dimensions par la pratique réflexive4. Pour poser les bases d’une réflexion en mouvement et aux prises avec les discours scientifiques utilisés et les mises en distanciation d’une analyse expérientielle, je concentre et réduis volontairement le prisme réflexif aux notions suivantes.
Je m’attacherai rapidement à aborder les notions par leurs définitions. Elles sont éclairées par quelques auteurs clés issus de la pluri et transdisplinarité des champs des sciences humaines que je souligne au fur et à mesure des chapitres. Certains penseurs, scientifiques se sont parfois opposés sur quelques concepts et parfois furent les éclaireurs des uns comme des autres, voire si on s’accorde une approche globale, projective et innovante : complémentaires. C’est donc dans cette logique réflexive que je convoque quelques auteurs dont toutes les notions traitées font écho au sujet réfléchi. Ainsi leurs pensées contextualisées font boomerang à mes profondes interrogations comme pour tracer, dans cet article, un axe précis, choisi et pas un autre, du moins là, ici et maintenant en miroir aussi avec ma propre expérience et sa mise en distanciation analytique. La tentation explicative et réflexive est grande, la tâche vers la compréhension est infinie, l’objet traité est complexe et le sujet duquel on traite est multiple et polymorphe. Il me faut donc contenir l’objet traité et le sujet qui le pense et qui le met en écriture. Cet article est donc une mise en réflexion parallèle théorique et expérientielle. Il n’est en aucun cas une mise en confrontation des auteurs dont les pensées sont opposées. Il s’agit ici de m’appuyer sur des notions plurielles qui traduisent ma pensée du moment en miroir à celles d’autres penseurs et qui jaillit de mon expérience. Je questionne. Je n’ai aucune prétention démonstrative ni même résolutive, juste celle de tirer des fils d’un sujet que je « porte » en moi avec respect…
Dans un premier temps, pour tenter d’accéder à la vérité du sujet comme victimaire mais aussi pour comprendre la formation de la pratique victimaire, je traite de la reconnaissance d’une pensée de la subjectivité ou des pratiques de la ou des subjectivités. Ici, je concentre la réflexion sur l’idée que la posture victimaire est (hypothèse non exclusive) construite sur la conscience du soi et sur un assujettissement fabriqué d’une déconstruction possible de celle-ci. La posture victimaire est rendue aussi à la pratique, à l’exercice des subjectivités, et de la désubjectivation, ainsi ce dernier point se pose alors comme possible tiers désassujettissant, et dans le cas de la conscience, la liberté d’être ce que suis à être confère à l’autonomie un possible désassujettissant.
Dans un second temps, rebondissant sur cet étirement réflexif de la désubjectivation comme tiers désassujettissant, je m’enquière de comprendre comment le sujet « désaliéné » des « autrui » et de lui-même se rencontre, parfois de nouveau, fait connaissance avec lui-même et se reconnaît (?). Pour traiter cet aspect, j’aborde une notion empruntée en sciences de l’éducation et en philosophie, celle du soi, plus exactement celle de la pratique de soi. Je décide et m’en explique de dire de la pratique « du » soi comme une mise en distanciation de soi en permanence nécessaire à la déconstruction de la figure victimaire et de fait de la figure de l’emprise. Ainsi, pour ne plus se perdre, quand le sujet a fait l’expérience de disparaitre un jour, un temps de lui-même, il trouve en la pratique du soi une pratique de la médiation entre ses sujets multiples le singularisant dans son identité du moment. Le « du », tel que posé ici, sera le ruban de Moebius sécuritaire et absolue condition d’un état d’être inscrit dans une vérité du moment, dans laquelle s’exerce un soi retrouvé. En amont du soi retrouvé, il faut au victimaire disparaître du soi, puis chemin arpenté avoir le souci du soi dans une pratique du soi vers une reconnaissance des sujets traversants ces pratiques existentielles et vers une connaissance du tout du soi, lui-même multiple des plusieurs sois. Cette idée-là ouvre à l’ipséité de Ricœur, autrement dit le soi (1990, p. 12).
L’article ne peut se conclure car il est en lui-même et part lui-même une amorce réflexive sur l’herméneutique du victimaire, mais il peut tout du moins envisager une sorte d’ouverture vers une vérité de celui — ci face à sa pratique comme tiers réparateur. Envisager également que la désubjectivation puisse faire médiation, en désassujettissant la victime des possibles du soi fabriqué. Et même si je ne traite pas ici de ce point, en filigrane l’article dit de ce qui est au dépassement du soi comme logique éducative du sacré et du sacrificiel (Hocart, 2005), expliquant avec intérêt le lien mythico-magique de Girard (1972), (Martinez, 2004-2005) vers un besoin mythico-éducatif (Durkheim, 1916 ; Reboul, 1992 ; Eliachef, 1997). Je dirai mythico-préventif, comme incorporation d’un appris des corps multiples du sujet, protecteur et alertant parce qu’expérientiel.
Le prisme interrogatif que je souhaite aborder et ouvrant aux chapitres se traduit en ces questions : quelles formes de connaissance(s) a le sujet de sa posture victimaire comme construit identitaire d’un soi victimaire social et incorporé ? De quelles « strates » du soi cette figure de la formation du sujet victimaire rend compte d’une pratique du soi, comme auto-vérité de soi, pour un soi retrouvé ?
Reconnaissance d’une pensée de la subjectivité ou des pratiques de la subjectivité ? De la posture victimaire à la pratique du victimaire
Les en(je)/enjeux de vérité de la posture victimaire ?
Elle s’élabore de la pratique victimaire. Pour aborder cette assertion je pars des jeux de réalité de ce qui constitue l’être victimaire, comme Foucault ou Zarka (2002) je regarde du côté du sujet victimaire dans sa construction bio-historique comme « mobile, divers et multiple » et transcendantale. Mais je cherche aussi du côté de l’immanence du victimaire. Ma position est celle-ci, si les deux axes sont opposés, ils ne peuvent se rejoindre que si et seulement si je regarde le sujet comme étant un tout des deux : existant et réfléchissant ou « le particulier » et « l’universel » (Wievorka, 1997). Je mobilise, cependant, des auteurs traitant de la subjectivité en opposition parfois car je pars à la quête d’une compréhension profonde bien au-delà des concepts, il me faut donc en convoquer certains, quitte à ce qu’ils soient contraires pour interroger ce qu’ils bougent, touchent, ébranlent dans la réalité de la pratique victimaire, au-delà du concept le vécu incorporé du concept. Je ne confronte pas les auteurs, j’éprouve ce qu’ils disent d’une vérité à être du victimaire, même à leurs arguments détournés. Je prends cette liberté. Je vais donc m’intéresser à quelques notions de la conscience du soi et à ce que la pensée de Sartre (1943) sur « l’avoir à être » me renvoie à la pratique du victimaire, ainsi qu’à l’idée que sa subjectivité est entretenue, parfois déroutée, voire pervertie par les subjectivités fabrique d’une désubjectivation. De fait, c’est sous forme de strates identitaires formant un tout que je regarde la victime autant dans ses possibles d’autorégulation, que comme étant sous emprise des dominations sociales l’assujettissant.
De la pratique de l’être comme conscience de la conscience de soi ?
Mais, si, pour être victime il ne faut pas nécessairement se reconnaître comme victime, l’acte violent porté au sujet est en soit une accroche définitionnelle, « statutaire », le processus intrasubjectif dont traite Sartre in l’existence est un humanisme (1946) permet au sujet d’accéder à son propre univers, ici son univers victimaire. En découle, que s’il accède à cette strate victimaire qui le constitue, il est en capacité libre de ne pas y adhérer. À toute chose son contraire. Il est donc libre aussi en tant que sujet formant sa posture du victimaire d’accéder à ses pratiques ou non, de les reconnaitre ou non en tant que telles. Le « procédé » d’Ek-sistere, dans la pensée Sartrienne signifie se projeter hors de soi. Il permettrait cette pratique de la subjectivité. Il n’existe pas une prédéfinition de l’homme, l’homme devient ce qu’il a décidé d’être. Le victimaire deviendrait, par cette logique, victimaire parce qu’il a choisi de l’être. Je dirai d’accéder à cette strate-là de son être. Sartre poursuit en avançant que l’homme crée son existence en se choisissant. Cette pensée est intéressante et à questionner dans l’exercice de ce qui fabrique le victimaire comme emprise sociale aliénante. Car, on ne peut faire l’économie, au défendant plein d’espoir de l’existentialisme proposant aux victimes un autre monde que la pratique victimaire, que certaines victimes soient aux prises avec leurs subjectivités aliénantes, elles-mêmes fabriquent des subjectivations sociales et de la domination sociale. Comment donc, échapper à cette condition d’être et de formation de la pratique à être, si ce n’est qu’en refusant d’y accéder ? Par quel procédé ? La figure de l’emprise est tout autant constituante et constitutive de l’existence du victimaire et des pratiques victimaires que la figure du dépassement de sa condition. Cette assertion est de fait par définition tout aussi enfermante que libératrice, elle est ce que le sujet en fait… Mais, comment le sujet par exemple agressé est ce qu’il est : sujet victimaire ou ne l’est pas ? Par quelles pratiques ?
Comment un sujet réellement victime, c’est-à-dire au sens factuel du terme, incorpore la posture de la victime et s’inscrit dans une pratique du victimaire ? J’explique rapidement les termes, ils sont importants.
Posture vient du latin positura, dérivé de positum, participe passé de ponere : placer, poser. In Le Larousse, posture est une attitude particulière du corps adaptée à une situation donnée ; au sens figuré c’est une attitude adoptée pour donner une certaine image de soi comme une position tactique. Ladsus (2007, p. 77) précise que les « vieilles éditions traduisent d’une recherche qui rend commode une situation qui pourrait être compliquée ». Il y a donc une véritable intention de l’acte de posture à rendre compte à autrui de son image… Dans la posture victimaire, je me demande alors, sans juger de la réalité in facto, comment est rendue compte à la victime cette posture du victimaire ? Car si l’intention d’aller vers autrui passe par l’attitude rendant compte d’une identité dite victimaire, il y a bien au fondement du soi victimaire, une reconnaissance de sa posture ?
Par la « pratique » (du grec praxis qui veut dire l’action), j’entends la pratique de l’activité. Si la pratique de l’activité du victimaire est posée comme actionnelle, je présuppose qu’elle est consciente ? De fait, elle serait volontaire et aurait pour but de modifier concrètement une réalité. De quelle réalité de la pratique victimaire est-il question ? De quelle réalité de la posture victimaire est-il question ? Ici, rapidement interrogé, si je pars du concept du victimaire qui conscientise donc par définition sa condition à être une victime et ses possibles actionnels dans la pratique du victimaire, je me demande à quel point il ne fabrique pas lui-même une pratique-théorique de la pratique victimaire ? Cette interrogation ouvre de logique à la réflexivité qui de fait permettrait un dépassement de la posture. La pratique-théorique serait alors une activité consciente qui change la vision du monde de celui qui la vit, ou de ceux qui s’engagent dans cette pratique. J’entends également par pratique l’idée qu’elle se pratique donc qu’elle est pratiquée dans un contexte large précis renvoyant aux facticités dont je fais mention plus bas, transversales et mutantes en fonction des époques, des contextes, etc. La pratique est guidée même de manière inconsciente ou floue par l’idée de projet, pour le victimaire par exemple c’est de construire une revendication à être considérée comme tel. Car c’est de son expérience d’être absolu pour certains, de savoirs et de savoirs faire pour d’autres ou les deux : existants et réfléchissants.
Pour Sartre la solution se trouve au cœur des consciences, chaque conscience exigeant de l’autre d’être reconnue comme conscience, libre. Le parallèle est tentant, mais à mettre en réflexion : en effet, je souligne (Garnier, 2006) m’intéresser à la facticité des victimes et à leur ustensilité. Sartre établit six facticités auxquelles l’homme ne peut échapper, elles font écho à cette existence du victimaire : il est né dans une société et époque données ; le fait d’avoir un corps ; le fait d’avoir un passé ; le fait d’exister dans un monde qui nous préexiste ; le fait d’exister parmi d’autres sujets ; la finitude. Néanmoins, le victimaire aux prises avec ses/ces facticités se fabrique en tant que sujet polymorphe. Toujours dans cette logique il accède à la conscience de soi, et comme nous l’avons vu le sujet est plusieurs : il peut ou non accéder à la conscience de ses multiples, faisant un tout, ou bien de quelques-uns. Se reconnaître du victimaire quand on a été victimisé ne répond pas aux facticités déterminantes pour la condition de l’homme, est-ce à dire que de fait, le sujet peut échapper à ce concept du victimaire ? Le parallèle réside en ces multiples, en la reconnaissance « pour soi » de ses multiples, en la reconnaissance des consciences multiples et libres. Mais le sujet victimaire même traversé de ses multiples est seul dans cet acte vers la reconnaissance pour soi de la conscience du soi. Or l’expérience victimaire montre à quel point, il ne suffit guère de choisir un mode d’existence pour en définir le trajet et le cheminer sans encombre, il faut que cette voie empruntée soit révélée, le terme convient. En effet, le victimaire ne peut se reconnaître comme tel pour lui-même que si l’autre le reconnaît comme tel. Même si le victimaire peut parfois s’en défendre, cette reconnaissance de l’autre est fondamentale dans la pratique de cet exercice, en étant reconnu de l’autre, le victimaire reconnaît qu’il est reconnu et : est. Parallèlement, je dis même symbiotiquement s’opère une « révélation » celle de l’autre et du soi.
Il est à préciser que pour Sartre la conscience est de fait conscience de soi. Elle est un absolu. Elle serait même non réflexive. En effet dans cette analyse, la conscience n’est pas la connaissance de soi, mais pour éclairer la question des pratiques du soi victimaire, l’idée reprise qui consiste à penser que l’être est le mode d’être de la conscience, semble une approche à ne pas négliger. La conscience vient se substituer au concept de sujet. « L’en soi est en acte » (Sartre, 1943, p. 142). L’avoir à être est éclairant tant cette porte d’entrée ouvre aux possibles, il se conceptualise aussi comme une intériorisation, une totalité.
Dans leur préface Kail et Kirchmayrpose (1965, p. 14) expliquent que « l’intériorité est une condition (…) que le tout à être (…) est toujours en cours de totalisation, y compris lorsqu’il s’agit d’un tout organique ». Ils reconnaissent :
dans l’intériorité un « conditionnant-conditionné ». Un conditionné parce que le tout qui n’est pas donné ne peut perdurer que s’il est animé d’une tendance qui ne fait qu’un avec la construction du tout : le tout est, en réalité, une loi d’intériorisation et de réorganisation perpétuelle ; autant dire que l’organisme est d’abord une totalisation, plutôt qu’un tout ; le tout ne peut être qu’une sorte d’autorégulation qui entraîne perpétuellement cette intériorisation. La totalisation se fait par l’intégration de l’extérieur qui trouble.
Je reviens sur l’idée du sujet victimaire composé de ses multiples et des possibles de sortir de sa pratique victimaire par le choix qu’il fera de l’être ce qu’il a à être ou de ne pas l’être ce qu’il n’a pas à être, renvoyant à la « mienneté » chez Heidegger (1927), cette question de la totalisation comme autorégulation, me paraît fondamentale, dans ce qu’elle est une base essentielle (nécessaire, mais que je juge pour ma part insuffisante) à la connaissance et reconnaissance de la pratique victimaire pour un dépassement de celle-ci. De fait, l’autorégulation est un absolu nécessaire en-je/enjeux de médiation. Ici, dans ce raisonnement, la notion de subjectivité serait à comprendre comme un non-savoir :
Ce qui n’ouvre, ajoute Sartre, que sur deux possibilités : l’une consiste à être son être matériel, comme dans le cas (limite) du système matériel pur, le déficit étant là tout simplement, l’autre s’attachant à modifier l’ensemble en vue d’assurer son maintien, comme dans le cas de la praxis. Entre les deux, il y a la condition d’intériorité au sens où le tout n’est pas quelque chose de donné qu’il s’agirait de préserver quand il est menacé, mais quelque chose qu’il convient toujours de préserver, parce qu’il n’est jamais définitivement donné
(Kail & Kirchmayrpose 1965, p. 13).
Benoist (1996, p. 86) explique aussi la notion de « mienneté » liée à celle de totalisation. Là encore un éclairage vient rendre compte de la possibilité ou non qu’à le sujet d’être ce qu’il est ou de ne pas l’être. L’autonomie devient un enjeux/en-je libérateur. On parle alors ipséité comme « liberté » signifiant « ouverture à/de l’être » :
Cette « ipséité », au-delà de la subjectivité, et permettant son sens d’être « sien », implique ontologiquement le possible être entier. (…) Cet horizon d’advenue du Soi à lui-même possibilise ce que nous avons appelé sa « mise enjeu » constitutive, qui le définit comme Soi, loin de n’en être qu’une « propriété » extrinsèque. La fondation du Soi comme mise enjeu de soi (donc du « souci » comme intrinsèquement souci de soi) dans le possible être-entier du Soi, qui paraît donc le constituer même comme Soi, se manifeste comme telle dans le phénomène de l’« autonomie ». (…) Le fait d’être un « Tout », ou tout au moins une totalisation, la réflexivité (déjouée comme inspectio sui, regard sur soi, mais libérée comme pure « mise en jeu », rapport du Soi à soi comme essentiel au Soi.
(id.)
La victime tant qu’elle n’accède pas à son entièreté ne peut accéder à l’autonomie et peut décider de ne plus être ce qu’elle est. Ici, je ne traite pas des protocoles d’aide, je reste sur des questionnements et sur ce primat médiateur aussi : l’accession à sa mienneté comme liberté d’autonomie et d’en-je de vérité ?
En revanche, pour Foucault les objectivations font parties des jeux de vérité. Les subjectivations, elles préparent :
les changements dans la perception et donnent lieu à l’application d’un savoir dans un domaine de connaissances précis. De sorte que ce n’est pas seulement la subjectivation ou le devenir-sujet qui se pose comme le problème fondamental, c’est également l’objet qui se trouve concerné et intimement lié aux conditions de toute subjectivation.
(Vihalem, 2011, p. 93).
Se questionne donc le sens du rapport à l’objet ou du devenir objet, faisant miroir au devenir du victimaire. À quel moment peut-on parler d’une objectivation du victimaire et des pratiques victimaires ? Et pour quoi en faire ? Est-ce en faire une problématisation qui peut porter à résolution ? Là aussi le parallèle est tentant si par les jeux et enjeux de domination, le victimaire posé souvent comme bouc-émissaire est l’objet des assujettissements sociaux, parce qu’il est catégorisé, stigmatisé, et de fait traité, dépoli, dé-personnifié, puis exclu parce qu’a-normé, alors il peut être rendu à ce que les subjectivations sociales veulent le rendre : un objet malléable, gouvernable, facilement critiquable et utile comme catharsis aux horreurs attributives que la domination porte en elle. Pour Foucault « un devenir-objet détermine un devenir-sujet, une objectivation se combine avec une subjectivation et modifie sa spécificité » (in : Vihalem, 2001, p. 93). De fait, dans cette logique :
Les conditions la configuration particulière du sujet (c’est-à-dire le caractère de sa subjectivation) impose un objet propre à elle (tout au moins un cadre dans lequel cet objet se rapporte au sujet) tout comme la configuration précise de l’objet impose ou donne lieu à un sujet plus ou moins apte à saisir l’objet concerné
(id).
Pour Vihalem (2011, p. 91) la subjectivation est un « processus par lequel se produit la constitution d’un sujet et de sa soi-disant subjectivité ». Parlant de Foucault il dit :
Il entend le terme subjectivation « dans le sens d’un rapport à l’ensemble des problèmes posés conjointement par la formation des savoirs et par l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire dans le sens où la subjectivation devient complémentaire des objectivations et dans lesquelles le sujet ne cesse de se présenter comme objet d’un savoir et d’un pouvoir. Si les subjectivations, passant par le savoir, ne présupposent pas un sujet constitué, c’est parce qu’elles impliquent la constitution du sujet dans l’histoire. Toute histoire « vraie » peut se ramener ainsi à une généalogie, à une observation ayant pour objet la constitution non seulement des sujets, mais également d’un savoir et d’un pouvoir censés procurer le cadre potentiel de ces subjectivations.
Dans l’historicité du victimaire, comment par un exemple trouver écho avec ce que Foucault appelle la « “formalisation” de l’individuel à l’intérieur de relations de pouvoir. » (Foucault, 1975, p. 222) ? Car pour Foucault :
L’« individu », c’est sans doute l’atome fictif d’une représentation « idéologique » de la société ; mais il est aussi une réalité fabriquée par cette technologie spécifique de pouvoir qu’on appelle la « discipline ». (…) En fait le pouvoir produit ; il produit du réel ; il produit des domaines d’objets et des rituels de vérité. L’individu et la connaissance qu’on peut en prendre relèvent de cette production
(Foucault, 1975, pp. 224-227).
Faisant un parallèle avec les stratégies extérieures de domination du corps victimaire et un pont avec l’essence du soi, ce qui paraît intéressant à comprendre c’est comment elles agissent sur le sujet, et comment celui-ci peut décider de ne pas être un être dominé ? Pour Boucher, Pleyers et Rebughini (2017 pp. 13-23) :
Être acteur, être capable de subjectivation, être sujet, ne se traduit pas dans un rapport intimiste avec soi-même, dans la pure introspection et dans la recherche de l’auto-transparence. Au contraire, renouer avec la notion de sujet-citoyen signifie faire interagir le processus de subjectivation avec le contexte sociohistorique dans lequel ce processus se produit.
Des subjectivités à la désubjectivation : une pratique-théorique du soi ?
Je pose un concept de réflexivité du soi et de l’action, afin qu’un pont entre la reconnaissance d’une pensée de la subjectivité ou des pratiques de la subjectivité par les auteurs cités puissent, avec les notions qui s’en déconstruisent sur la désubjectivation comme pratique théorisée du soi victimaire, trouver une issue médiatrice. Issue médiatrice aidant et/ou sortant le victimaire de sa posture de déréliction parfois, de souffrance, de tentative de reconstruction. Issue médiatrice aussi, vue simplement comme rédemptrice, réparatrice d’un être en capacité de s’être (re)trouvé en expérience avec la conscience des connaissances qu’il a de lui-même et des autres, conjuguée à celles de ses savoirs, de ses savoirs mis en pratiques et des savoirs des « autrui ».
La notion de réflexivité renvoie à un rapport à soi qui est fondée sur l’introspection. Mais aussi sur :
L’explicitation existentielle de l’implicite dans l’action de l’agent. C’est ce que Schön (1996) nomme la réflexion-en-cours-et-sur-l’action ; l’agent efficace explicitera cette réflexion, la modélisera pour en faire émerger positivement le savoir pratique inscrit dans son action. La réflexivité est alors considérée comme l’expérience discursive d’explicitation de l’implicite, d’expression du tacite
(Couturier, 2011, p. 19).
Si pour Eraly (1994) elle renvoie au tacite (plan irréfléchi), au discursif, à la pensée sur un objet (plan réfléchi) et sur l’objet de la réflexion qui devient expérience de soi (plan réflexif, pour Foucault, le « mode d’être du sujet » (2001, p. 132) renvoie au souci de soi. Concept des plus réflexif :
le sujet lui-même, tel qu’il s’est constitué par la forme de réflexivité propre à tel ou tel type de souci de soi, va se modifier. Par conséquent, il ne faut pas constituer une histoire continue du (souci de soi) qui aurait pour postulat, implicite ou explicite, une théorie générale et universelle du sujet, mais je crois qu’il faut commencer par une analytique des formes de la réflexivité, en tant que ce sont les formes de la réflexivité qui constituent le sujet comme tel
(2001, p. 444).
Giddens (1987) nomme cela : la modernité réflexive.
Boltanski et Thévenot parlent d’une « pragmatique de la réflexion » (1991, p. 425). Je souscris pleinement à cet axe. Il me semble patent sur un sujet comme celui du victimaire d’appeler les scientifiques à accepter comme compétence : la pensée réflexive des sujets participant de cela à la compréhension de leur action et pouvant de fait créer des médias (re)constructifs de leur action. Pour ma part, et en écho profond au sujet traité du victimaire, la place de l’ethnométhode comme pratique réflexive me semble plus qu’essentielle et complémentaire (Garnier, 2017).
De la désubjectivation à la pratique du soi à la pratique du soi
Reconnaissance de la désubjectivation
En première réflexion à la désubjectivation, retour sur la subjectivation, son opposé pour Wievorka, (2004) c’est :
la possibilité de se construire comme individu, comme être singulier capable de formuler ses choix et donc de résister aux logiques dominantes, qu’elles soient économiques, communautaires, technologiques ou autres (…). C’est d’abord la possibilité de se constituer soi-même comme principe de sens, de se poser en être libre et de produire sa propre trajectoire.
La désubjectivation ne serait-elle pas une première fondation vers la figure de la reconnaissance sociale du victimaire, de la reconnaissance intrapsychique du soi victimaire ? Amenant de toute logique vers un soi (re)trouvé comme logique réparatrice médiatrice ? Un soi (re)connu qui se poserai comme une acceptation et une validation de ce qui fut, est, et deviendra voire adviendra ? Un soi vrai comme tiers médiateur réparant le soi victimaire ?
Dans cette notion de désubjectivation, j’inscris le victimaire dans une posture aliénante, qui le rend à sa perdition, à sa déréliction. Rejoignant en cela le courant de pensée des travaux de Wievorka sur la violence.
Lorsque victimisé le sujet se perd face aux traumatismes et qu’il se trouve être dans l’incapacité de s’en sortir, la réflexion sur le sujet de sa subjectivation est patente. De fait la désubjectivation est une révélation de la déconstruction de soi et à prendre en compte tout autant, dans ce qu’elle fait traces dans l’expérience psychique et physique du corps du victimaire. Le corps victimaire est celui rendu à son objéïfication car souvent sacrifié, misé au placard, stigmatisé, moqué et attribué dans de nouvelles normes (que beaucoup incorporent et restituent dans leurs nouvelles pratiques identitaires), enfermé dans son dedans comme dans son « au-dehors » sous emprise d’aliénations contre émancipatrices et productrices de ressort, de sursaut. Dans la posture victimaire, et dans ce cas précis, tel que dépeint, le victimaire ne peut sortir de ce qui le terrasse, il ne peut être en face et en phase avec une vraie réalité. Il n’est pas rare que la question de l’aliénation intrapsychique se confonde dans son éprouve avec celle de la fabrique d’une domination des pouvoirs extérieurs. La souffrance peut marier les deux avec délectation et double aliénation. Est-ce que dans cette posture-là, la pratique victimaire joue de cette aliénation et renforce le trait ? Oui, si le sujet victimaire se joue de sa posture et de sa pratique pour la retourner contre autrui, la perversité du jeu participe de la désubjectivation apparente. Certains diront de cette part : de déshumanisation rendue à une animalisation. J’ai envie de voir en chaque sujet au cœur de sa subjectivation ou de sa désubjectivation : un être, un être « mutable » et de fonder en lui (sans lyrisme) l’espoir d’un être homéostasique qui sort de cette pratique victimaire.
Je garde l’idée que dans cette désubjectivation l’être peut disparaitre de soi (Le Breton, 2015), mais je garde l’idée forte que l’être donné à son abstraction peut revenir en son être en devenir/à devenir. Car ce qui s’abstrait ne disparait pas. C’est une modification du prisme de la perception, des représentations et de l’acception du sujet par lequel il faut convenir de penser. Je ne crois pas en mon être intérieur, que le victimaire disparaisse totalement de soi, même inexorablement attiré dans sa finitude. Pour ma part cette axiome est essentiel et porteur d’espace de travail sur la désubjectivation, non pas comme une fin en soi, mais comme un renouveau possible, en tout cas comme la possibilité d’un dépassement du soi reconnu victimaire. Wievorka (2005) quant à lui parle d’un sujet « flottant ». Pour « flottant » je dis surtout ballotant, dérivant. Le sujet de la désubjectivation renvoie à des formes d’un « anti-sujet » annihilant autrui, ou de « non-sujet », en tant qu’il n’est pas responsable de ce qu’il fait, le poussant à la « destruction », à l’« auto-destruction » (Wievorka, 2017, p. 6). Pour ma part je considère que le sujet de la désubjectivation reste polymorphe et « démultiple » sujet en redéfinition de lui-même face au social contextualisé qu’il soit victime ou bourreau ou les deux. Car comment même, repenser, par exemple, à travailler avec ceux et celles qui ont commis les pires infamies ? Comment repenser le travail vers la déradicalisation, vers la resocialisation, vers l’intégration etc. ? La question du victimaire embrasse in facto celle de la victime en tant que telle et celle du bourreau et parfois dans des logiques de boomerang les deux en interdépendance.
Les concepts de subjectivation et de désubjectivation offrent la possibilité d’une alliance avec une pensée globale tout en respectant et liant ce qui est propre et commun au victimaire les processus d’appropriation de l’expérience ou de perte du sens.
Le souci du soi comme désassujettissement du victimaire ?
J’aborde ce dernier point par le prisme du souci du soi et tente de percevoir si le sujet victimaire après la désubjectivation dont-il peut faire existence est en capacité par le souci du soi de ne plus être assujetti. Peut-il dépasser sa condition du victimaire par la pratique du soi ?
Pour avoir le souci de lui-même, le sujet victimaire doit dans son être total fait de ses multiples être en capacité d’extériorité de lui-même. Comme une mise en distanciation de lui, c’est-à-dire de ce qu’il est se connaissant comme tel et aussi des pratiques de figure victimaire qu’il a mis en place auto-construisant, auto-révélant sa posture à être du victimaire.
Dans l’expérience du victimaire il est à se demander si l’anticipation du soi d’Heidegger, peut être saisie comme une pratique du souci de préventive ? Afin que par la pratique du souci du soi, la question de la désubjectivation ne soit plus l’affaire du victimaire ?
Le souci du soi étant advenue du soi, une porte réflexive s’ouvre sur les pratiques offrant un travail sur le soi. Pour Benoist (1996) l’advenue du soi est en soi, le soi lui-même.
Sans tomber dans les modes (spirituelles, sportives, de pleine conscience etc.) qui traversent nos esprits et nos corps, se soucier du soi c’est convoquer une part du soi et c’est en quelque sorte le mettre en jeux face aux résistances psychiques et physiques, individuelles et sociales. C’est donc mettre en jeu son existence et c’est aussi remettre en-je son soi.
Foucault éclaire cet aspect par le terme « culture de soi », il explique que cela demande une profonde conversion à soi. Cette conversion à soi, me semble-t-il ne peut advenir pour le victimaire que si la conscience des strates de son sujet multiple est atteinte. En quelque sorte il est indispensable que le victimaire face le tour de lui-même et de ses pratiques. Une introspection en quelque sorte, mais pas uniquement, une observation également de ses conduites et interactions au monde, des interdépendances qui en découlent et des effets en retour qui en résultent. Alors peut-être que cette conversion à soi lui permettra de s’alléger de l’habit, statut, fonction et tâche du victimaire ?
Se soucier de soi renvoie à la notion de soin et prendre soin de soi est un pas vers la pratique du soi retrouvé. Prendre soin du soi c’est prendre mesure de ses compétences à être ou plus exactement de sa capabilité. Une dimension éthique du care doit me semble-t-il être convoquée dans cette pratique du souci du soi. Car comme dit plus en amont, il est nécessaire d’accéder à la conscience du soi et d’être dans la reconnaissance de l’autre rendu à son être pour se dire du victimaire, donc dans l’idée d’un dépassement des désubjectivations vers un désajutessiment des pratiques victimaires, il est de fait important de considérer la dimension d’interdépendance dans l’approche du care. Ainsi, dans la pratique du souci du soi par la pratique du care, on traite de l’éthique de la pratique du care. C’est fondamental pour comprendre et pour apprendre à sortir du soi victimaire. De fait de la pratique découlent des techniques et les techniques font entrevoir des solutions, des autres possibles, des « exercices permanent du soin de soi-même » comme pratiques personnelles certes mais sociales (politiques). (Foucault, 1984, p. 63). Mozere (2007, p. 9) parle de L’epemeleia comme :
une activité essentiellement sociale, c’est un « service d’âme » qui signe une interdépendance manifestant, en fin de compte, la fragilité de chacun-e. Car cette interdépendance invite à se reconnaître comme malade ou menacé par la maladie. Elle renvoie à l’agencement entre la personne « se souciant de » et la personne (ou l’objet quelconque) dont on se soucie. Le care concernant chacun-e de nous, mieux, nous étant nécessaire à tout moment, ne cesse d’ouvrir, transversalement aux institutions et aux pouvoirs instituants, des pratiques, des expérimentations, d’où peuvent émerger de nouvelles attentes, de nouvelles aspirations dont il conviendra de se soucier.
Le souci du soi se retrouve inscrit dans cette pratique du souci du soi, puis dans le souci de l’autre, et du souci de la pratique de l’autre. Là aussi sur le chemin qui tend à réparer les âmes blessées, les sujets errants abstraits d’eux-mêmes un temps, cette notion éthique du care est foncièrement réparatrice et semble se poser comme un primat à tous les pas engagés vers la refondation du soi par le soin du soi.
Par définition je suis l’« autrui » dépendant (pour) d’autres « autrui », et c’est cette reconnaissance, l’accès à cette dimension politique qui fait société — une société fondée sur le souci de soi et de l’autre. En ce sens, l’éthique du care propose une nouvelle forme de « problématisation » du souci.
(id.).
Une ouverture en conclusion
Puisque de la reconnaissance d’une pensée de la subjectivité du victimaire et de ses pratiques, en passant par la désubjectivation de celui-ci et de ses pratiques ; le dernier point soulevé porte en lui l’espoir d’un possible dépassement de sa condition victimaire vers d’autres pratiques, celle du care, cet article, sans se conclure, peut s’ouvrir peut-être en parallèle aux pratiques bienveillantes du care, aux pratiques d’autoformation du soin dont se saisissent beaucoup de sujets pour réguler leurs maux, leurs blessures, leurs traumatismes etc.
Est-ce que cette ouverture vers, par exemple la méditation, s’inscrit dans l’autoformation du sujet à sa pratique du care ? Est-ce que cette démarche d’une pratique d’autoformation est une anticipation sur la pratique du victimaire ? Si oui, elle se pose comme un préexistant à ce qui n’est pas encore : la reconnaissance du victimaire. Mais de fait s’autoformer ne déplace-t-il pas les enjeux et en-je de vérité, traités ? Car en mettant en pratique des technè de ce qui ne pourra pas s’advenir, peut être advenir mais pas à soi, c’est poser sur soi une gouvernance permanente du soi sur lui-même. N’est-ce pas alors fabriquer de nouveau une pratique d’un soi aliéné et donc victime ? Cette notion ouvre à la pratique de la liberté, plus encore à l’éthique de la liberté.
Lécuyer, P. (1997). L’invention de la gestion. Histoire et pratique. Paris : L’Harmattan,(135-159).