Introduction
L’ouverture de la Chine au monde et son rôle croissant dans l’économie mondiale accorde une place privilégiée à l’apprentissage des langues étrangères pour des échanges plus nombreux et des collaborations fructueuses en milieu professionnel. De fait, à partir des années 2000, le nombre de départements de français dans les universités chinoises a augmenté de 340 % en 15 ans, passant de 32 universités en 1999 à 143 universités en 2014. Cette évolution de l’apprentissage du français en Chine doit être mise en rapport avec la mobilité croissante vers la France des étudiants chinois qui étaient « d’environ 25000 par an entre 2010 et 2015 » (Campus France, 2018). Cet engouement pour l’apprentissage des langues étrangères et du français en particulier s’explique non seulement par le prestige de la langue française, mais également par l’intensification des relations économiques entre la France et la Chine, ainsi que par le rôle que joue la Chine sur le continent africain dont des pays francophones. Du point de vue de la didactique du Français Langue Étrangère (FLE), la « méthode (traditionnelle) chinoise » est souvent mentionnée comme ayant des bases solides et homogènes. Or, le terrain apporte une vision plus complexe puisque les acteurs ont des parcours et des conceptions didactiques variés, la culture d’enseignement-apprentissage n’est pas la même en fonction de la nationalité des enseignants, de leur formation et des environnements éducatifs. Entre « méthode (traditionnelle) chinoise » et méthodes perçues comme innovantes venues de l’étranger, entre le CECR comme référence de l’acquisition des niveaux de langue et le TFS4, examen national chinois, la centration sur l’apprenant reste tout de même une priorité comme le mentionne Rong (2012). Dans cet environnement complexe d’enseignement-apprentissage du FLE, l’approche neurolinguistique a été adoptée au département de français de l’Université Normale de Chine du Sud (UNCS) à un moment où l’enseignement, les orientations pédagogiques et les méthodes d’enseignement-apprentissage étaient interrogés dans une perspective d’amélioration des capacités à communiquer des apprenants chinois. Cette première implantation de l’approche neurolinguistique (ANL) hors du Canada pour un public adulte universitaire constituait une gageure pour tous les acteurs du terrain : les décideurs, les enseignants et les apprenants.
Problématique
Au Canada, le Français Intensif (FI) a été créé à la fin des années 90 par Joan Netten et Claude Germain, deux chercheurs canadiens qui souhaitaient trouver des solutions à l’échec de l’enseignement-apprentissage du français langue seconde avec le français de base pour de jeunes élèves anglophones. Le Français Intensif (FI) est un programme qui a vu le jour à Terre-Neuve et Labrador. Au Canada, l’expérimentation de ce qui deviendra le Français Intensif, puis l’approche neurolinguistique (ANL) a commencé en 1998 auprès d’enfants et adolescents de 10-11 ans pour ce qui est du FI et le Post-FI jusqu’à 17 ans. À partir de 1998, ce programme s’est répandu peu à peu à travers le Canada. Par la suite, le FI a passé les frontières du Canada en 2009 lors de la participation de Claude Germain à un colloque organisé à Guangzhou en Chine à l’invitation de David Bel, alors directeur du département de français de l’Université Normale de Chine du Sud (UNCS), sur le campus de Nanhai. Celui-ci avait été sensible aux principes de l’ANL pour « l’appropriation et l’enseignement d’une langue seconde ou étrangère visant à créer en salle de classe les conditions optimales pour une communication spontanée et une interaction sociale réussie » (Germain, 2017). Cette présentation des principales caractéristiques du FI/ANL devait avoir une répercussion importante puisque l’équipe enseignante alors en place au département de français, avec le soutien de la direction du département de français et du campus de Nanhai, décidait de tenter l’expérience de l’enseignement avec des stratégies du FI, qui deviendrait l’ANL lors de son implantation en Chine pour des apprenants adultes. En effet, en passant les frontières canadiennes pour s’implanter en Chine, le FI a nécessité des adaptations puisque le public, l’environnement d’enseignement-apprentissage et les contraintes institutionnelles changeaient. De plus, les apports théoriques continueraient d’être enrichis tout au long de cette implantation. Les pré-expérimentations et les expérimentations mises en place dès 2010 ont permis de démontrer que l’enseignement-apprentissage du FLE avec l’ANL apporte des résultats encourageants et cela malgré une « très grande différence de cultures d’apprentissage entre le milieu canadien et le milieu chinois » (Germain, Liang, Ricordel, 2015). Le défi de l’implantation de l’ANL dans ce nouveau milieu semble avoir porté ses fruits en raison d’un grand travail d’adaptation. Pourtant, cette première implantation hors du territoire canadien ayant servi de terrain expérimental prouve que le développement d’une méthodologie rigoureuse avec une formation approfondie et suivie, ainsi qu’une formation à la conception ou à l’adaptation des unités pédagogiques permettrait d’éviter certains écueils.
1. Implantation de l’approche neurolinguistique en Chine
Afin de mieux comprendre les changements qu’a entraînés l’implantation de l’ANL au département de français de l’UNCS, il s’agit de présenter les caractéristiques générales de l’enseignement supérieur en Chine, ainsi que les caractéristiques d’un département de français en milieu universitaire chinois mais également, les caractéristiques spécifiques au département de français de l’UNCS.
1.1 Les méthodes d’enseignement du FLE en Chine
Pour ce qui est de l’enseignement des langues étrangères et plus spécifiquement du FLE en Chine, il est souvent fait mention d’une « méthode traditionnelle chinoise » (MTC) qui octroie une grande importance au savoir, à l’écrit, aux examens et à la traduction, avec une forte centration autour du maître (le professeur) et encore plus sur le manuel, avec la préparation aux examens. Le confucianisme a fortement marqué l’enseignement avec le précepte de « xue xi » qui signifie « apprentissage » mais dont l’étymologie exacte correspond à « xue » : l’imitation et « xi » : la révision. Selon l’universitaire chinois Pu (2011), le « xue xi se centre sur les savoirs et fait appel à la pratique guidée par des exercices et à la mémorisation ». Or, depuis quelques années, l’apprentissage d’une langue étrangère est devenu un enjeu important pour les étudiants qui souhaitent travailler à l’étranger ou pour une entreprise étrangère implantée en Chine, c’est-à-dire dans une perspective professionnelle ou bien encore, dans la perspective de poursuivre des études dans un pays étranger. Cela concerne bien évidemment tout autant les étudiants chinois inscrits dans un cursus universitaire d’apprentissage du FLE. En fonction de cet éclairage, l’acquisition de la compétence de production orale et écrite revêt une grande importance puisqu’il est question de la langue comme outil de communication à l’oral comme à l’écrit. L’enseignement des langues vivantes à l’université, la formation des enseignants et les innovations pédagogiques sont donc des enjeux très discutés en Chine. Sous des abords homogènes, traditionnels et hiérarchisés, l’enseignement-apprentissage des langues étrangères vivantes, et plus particulièrement dans notre cas, le FLE, démontre que les praticiens-enseignants ont des formations et des parcours professionnels singuliers.
Cependant, des insuffisances sont signalées, en particulier à propos de l’acquisition de la compétence de production orale. L’enseignement actuellement en place en Chine apparaît plutôt comme un éclectisme entre méthode ancienne, souvent appelée « Méthode traditionnelle chinoise » et méthodes plus récentes. Il s’agit ainsi de concilier des approches présentées comme différentes mais complémentaires : la méthode chinoise et des approches venant d’ailleurs, plus récentes comme la méthode communicative ou actionnelle par exemple et parfois perçues comme innovantes.
C’est dans ce contexte très spécifique que l’ANL a été implantée au département de français de l’UNCS grâce à l’expertise de Claude Germain qui faisait régulièrement le déplacement en Chine et de Joan Netten à distance. Dans la perspective des neurosciences cognitives et de l’ANL, cela a permis aux enseignants de considérer la complexité de l’apprentissage du FLE et de faire le pari d’un bouleversement de leur pratique et du curriculum du département de français.
1.2 L’équipe pédagogique du département de français à l’UNCS
En 2010, une partie de l’équipe pédagogique a été renouvelée, ce qui a installé un équilibre entre enseignants chinois et enseignants français. Le directeur français du département de français, David Bel, était secondé par un responsable pédagogique également français, Thierry Gal-Bailly (ce qui était alors une situation unique en Chine puisque la direction est habituellement assurée par des responsables chinois). L’équipe des professeurs a par conséquent été composée à 50% d’enseignants français. Celle-ci est restée à peu près stable pendant 5 ans. Avec l’arrivée de ces nouveaux enseignants et après concertation, tous les enseignants ont accepté de mieux connaître l’approche, puis après une première formation complète, de la mettre en place pour l’ensemble des cours de français en 1e et 2e année. Une refonte du curriculum fut alors nécessaire puisque, avant la refonte, les cours étaient répartis en fonction des compétences (compréhension orale et écrite, expression orale et écrite) mais également, avec des cours de phonétique en début d’apprentissage, et des cours de grammaire. Les cours étaient organisés autour des savoirs linguistiques et des actes de parole sans liens contigus et directs entre eux. Par exemple, un professeur pouvait aborder le passé composé centré sur l’acte de parole : parler de ses vacances tandis qu’un collègue pouvait travailler ce point grammatical sur un autre sujet. À partir de la rentrée 2011, les cours n’ont plus été compartimentés ainsi. Au lieu de cela, des essais ont permis de mettre en place des binômes d’un enseignant chinois avec un enseignant français en charge d’une classe (le département accueillait alors une nouvelle classe de 25 – 30 étudiants par an), ce qui permet un lien direct et attenant entre les différentes compétences. Sans expliquer en détail la pédagogie de la littératie spécifique à la langue seconde, les compétences portent sur le même thème et l’ordre de la séquence est primordial. L’expression orale et la compréhension orale sont enseignées d’abord par le 1er enseignant du binôme. Puis la compréhension écrite est assurée par le 2e enseignant. L’expression écrite revient au 1er enseignant. Cette organisation permet une cohérence et une efficacité pédagogique. Pour assurer ce suivi efficace, les enseignants remplissaient des fiches de suivi pour garder des traces de ce qui avait été fait en cours, ce qui avait fonctionné et ce qui ne l’avait pas. Ce suivi pédagogique était conservé afin de réviser les unités au fur et à mesure de leur expérimentation en classe. Tout ce travail de révision et d’ajustement était effectué en étroite collaboration avec Claude Germain et Joan Netten puisque Liang Min Yi et Inès Ricordel avaient été désignées comme professeur-relais pour faire le lien entre l’équipe de Nanhai et les deux chercheurs canadiens.
1.3 Du point de vue des étudiants chinois
1.3.1 Le parcours universitaire
Par ailleurs, le cursus universitaire minimum dure 4 ans et permet l’obtention du diplôme national de 1e cycle : le Benke, qui équivaut au niveau licence en France (le département de français de l’UNCS à Nanhai propose ce diplôme de fin d’études). Lors de leur entrée à l’université, les étudiants ont rarement étudié le français auparavant. En revanche, ces étudiants ont étudié l’anglais dès l’école primaire jusqu’au lycée pendant une douzaine d’années. Ils poursuivront cet apprentissage de l’anglais comme 2e langue étrangère à l’université à raison de quelques heures par semaine pendant 3 ans, à moins d’être inscrit à un double cursus universitaire, pour l’obtention de deux diplômes de Benke et de choisir l’anglais comme 2e spécialité dans le cursus universitaire. Après l’obtention du diplôme national de Gaokao (examen national d’entrée à l’université passé en dernière année de lycée), permettant l’entrée dans telle ou telle université de niveau différent en fonction de leur résultat, les étudiants entreprennent 4 ans d’études avec une spécialisation comme le français des affaires par exemple. Les 2 premières années sont consacrées à l’apprentissage du français élémentaire (selon les critères du CECR, les apprenants devraient atteindre un niveau B2 en fin de 2e année aussi bien en compréhension et expression écrites qu’orales), les 2 années suivantes sont consacrées à la spécialisation au français des affaires pour le cas du département de français de l’UNCS. Les étudiants suivent alors des cours de management, comptabilité, mais également des cours de traduction, de littérature ou sur la francophonie, donnés pour la plupart en français.
1.3.2 Les objectifs du département de français
Les étudiants passent des examens à la fin de chaque semestre. À la fin de la 2e année, c’est-à-dire à la fin du 4e semestre, ils passent le TFS4 (examen national ou Test de Français de Spécialité de niveau 4 pour les étudiants de spécialité de français) en plus des examens internes. Plus tard, ils passeront également le TFS8 en fin de 4e année. Le 8e semestre sera également consacré à la rédaction d’un mémoire de 40-50 pages environ, rédigés en français (pour ce qui est du département de français à l’UNCS) accompagné d’une soutenance en français.
Tableau 1 : Répartition des objectifs des enseignements du 1e cycle1
Nom du cycle | Finalités | Contenu | Autres cours et activités | Tests de langue |
Cycle de base | « Donner aux apprenants une base solide dans les compétences linguistiques » | 12 à 14 heures par semaine : Phonétique, grammaire, lexique, rédaction, littérature |
Tronc commun à toutes les spécialités (cours d’éducation, politique, sport, informatique …) | TFS4 |
Cycle de perfectionnement | « Approfondir l’étude du français … | … dans la description linguistique, sa stylistique, la lecture de la presse écrite, la littérature classique et contemporaine française, la civilisation et la culture françaises et francophones, la traduction et l’interprétariat » | Apprentissage obligatoire d’une 2e langue étrangère (en général l’anglais) Autres cours à option à partir de la 3e année, proposés par l’université (Culture et société françaises, Francophonie, Lecture de la presse…) Stage et mémoire de fin d’études |
TFS8 |
Les objectifs généraux du département de français de l’UNCS sont de former des apprenants capables de s’exprimer en français, d’intégrer une entreprise française, de devenir traducteur, d’exercer dans le domaine culturel par exemple. Il s’agit de former « des médiateurs interculturels et multilingues dans le monde des affaires et notamment entre le monde sinophone et francophone ».
Après ce cursus de 4 ans qui leur délivre le Benke, certains étudiants entrent sur le marché du travail en Chine, d’autres poursuivent des études en France ou dans d’autres pays francophones et enfin, certains partent en mission comme traducteur interprète dans les pays africains francophones en travaillant pour des entreprises chinoises.
1.3.3 La passation du TFS4
Comme mentionné précédemment, les étudiants chinois en deuxième année d’université qui ont le français pour spécialité doivent passer un examen national : le TFS4. Cet examen est très important pour les étudiants puisqu’il peut les aider à trouver un emploi : son obtention ainsi que le résultat sont indiqués sur leur curriculum vitae et permet également de connaître le niveau de français des étudiants qui l’ont réussi. Cet examen est également très important pour le département de français et son équipe pédagogique puisqu’il est considéré comme un garant de la qualité des enseignements. Ce qui n’est pas sans effet significatif sur la réputation de l’établissement.
Depuis 2004, le TFS4 a lieu régulièrement tous les ans au mois de mai, soit après 720 à 1070 heures d’études du français et il dure 3 heures. Il est important de noter que l’expression orale n’est pas évaluée lors du TFS4.
Tableau 2 : Compétences et connaissances évaluées lors du TFS4
Parties | Nature de l’épreuve | Objectif de l’évaluation | Note |
Compréhension orale | Dictée Compréhension de petits dialogues Compréhension d’un long message ou d’une interview |
Évaluer la compétence de la compréhension orale ainsi que les compétences linguistiques | 20% |
Lexique | Choisir le synonyme du mot ou groupe de mots proposés Lire un texte et choisir le mot ou le groupe de mots qui conviennent |
Évaluer la connaissance lexicale | 15% |
Structure grammaticale | Exercices à trous Mettre les verbes au temps et au mode qui conviennent |
Évaluer la connaissance grammaticale | 30% |
Compréhension écrite | Lire 4 textes sur des sujets de société variés puis répondre aux questions | Évaluer la compétence de la compréhension écrite | 20% |
Expression écrite | Rédiger un article (150 mots environ) sur un sujet donné (à partir d’images ou de mots donnés) | Évaluer l’expression écrite | 15% |
Sous la pression de ce test national, beaucoup d’enseignants de français ainsi que les étudiants changent leurs stratégies d’enseignement/apprentissage pendant la deuxième année scolaire afin de s’adapter à ce test. Ceci est le cas dorénavant à Nanhai, puisque le dernier semestre avant la passation du TFS4 (semestre 4) est à présent centré sur la préparation à ce test majeur. Ceci n’était pas le cas de 2011 à 2016 puisque l’équipe enseignante avait élaboré des stratégies d’enseignement-apprentissage conformes aux principes de l’ANL comme adapter les unités canadiennes pour les rendre plus conformes aux objectifs généraux du département de français avec l’aide de Claude Germain et Joan Netten. Par la suite, des stratégies spécifiques d’enseignement-apprentissage pour préparer au test ont été élaborées avec l’aide de Claude Germain.
2. Les défis de l’adaptation de l’ANL au milieu universitaire chinois
Bien que beaucoup de différences soient notables entre les contextes canadiens et chinois aussi bien du point de vue des institutions, des publics et des objectifs, il n’en reste pas moins que la difficulté pédagogique reste la même : comment permettre aux apprenants d’améliorer leur habileté, leurs compétences à communiquer avec aisance et précision lors de leur apprentissage du FLE/FLS ?
2.1 Les contextes canadiens et chinois
Au Canada, depuis les années 1960, deux régimes d’apprentissage du français langue seconde (FLS) sont en place : le français de base et le français d’immersion. Pour ce qui est du français de base, il commence en cours de 4e année pour des élèves âgés de 10 ans. Ceux-ci ont 40 minutes de cours de français par jour, soit environ 95 heures par an. Claude Germain et Joan Netten (2005) concluent que, malgré 8 ou 12 ans d’apprentissage du français en langue seconde, « les élèves ne sont toujours pas en mesure de communiquer avec aisance ». Ce régime pédagogique peu intensif concerne 90% des élèves qui apprennent le français comme langue seconde.
En revanche, le français d’immersion, qui consiste à enseigner d’autres matières en français telles que les mathématiques, les sciences ou les sciences humaines par exemple, représente un très grand nombre d’heures d’exposition à la langue qu’il s’agisse d’immersion précoce totale (entre 6000 et 8000 heures) ou d’immersion tardive (3000 heures pour des élèves de 12 ans en 7e année). Le résultat est que les élèves communiquent dans la langue seconde avec aisance mais ils commettent beaucoup d’erreurs grammaticales puisque la préoccupation première des enseignants est la réussite dans la matière qu’ils enseignent. Seul 10% des élèves canadiens bénéficient de ce régime pédagogique. C’est dans ce contexte que le Français Intensif a vu le jour avec une expérimentation auprès de 600 élèves de 6e année (environ 11 ans) anglophones dans la province canadienne de Terre-Neuve et Labrador de 1998 à 2001 pour commencer. Ce troisième régime mis au point par Claude Germain et Joan Netten consistait à augmenter le nombre d’heures d’apprentissage de la langue seconde au cours de la première moitié de l’année scolaire tout en développant à la fois l’aisance à communiquer en langue seconde et la précision linguistique.
Il est important de noter qu’au Canada il n’y a pas un Ministère de l’Éducation national qui supervise l’application d’un programme national. Ceci signifie que dans les 10 provinces et 3 territoires canadiens, « les ministères de l’Éducation sont responsables de l’organisation, de la prestation et de l’évaluation de l’éducation primaire et secondaire, de la formation technique et professionnelle et de l’enseignement postsecondaire. » (Conseil des ministères de l’Éducation du Canada). Ce n’est pas le cas en Chine puisque le Ministère chinois de l’Éducation est central. Pour l’enseignement-apprentissage du français, l’Association chinoise des professeurs de français (ACPF), fondée en 1984, joue un rôle important puisqu’elle est proche de la commission du Ministère de l’Éducation pour le pilotage de l’enseignement du français. Elle est « un véritable organisme régulateur de l’enseignement du français de spécialité en Chine » selon Bel dans l’étude « L’enseignement du français en Chine » (2014).
Comme vu précédemment, l’apprentissage du français comme langue seconde au Canada concerne des élèves anglophones du secondaire, c’est-à-dire des élèves à partir de 10 ans jusqu’à 17 ans, tandis que l’apprentissage du français en Chine au niveau primaire ne l’est que de manière sporadique, plutôt envisagé comme une initiation à la langue et la culture françaises. Dans le secondaire, le français peut être choisi comme langue étrangère à la place de l’anglais. Ce choix est souvent fait afin de permettre à l’élève une mobilité pour des études en France dès la fin du secondaire. Cette situation reste rare. C’est l’anglais qui est la langue étrangère majoritairement la plus apprise avant l’université. Cet enseignement-apprentissage du FLE se développe peu. C’est au niveau universitaire que l’enseignement-apprentissage du FLE en Chine prend de l’importance.
Il est également important de comprendre que l’étudiant chinois choisit une université et son prestige plutôt qu’une spécialité de prédilection, contrairement à ce qui est le cas en France. En dernière année de lycée en Chine, l’objectif le plus important est « d’obtenir la meilleure note pour entrer dans la meilleure université possible » comme mentionné par Bel (2014). Intégrer une spécialité de français n’était donc pas à proprement parler le choix stratégique numéro un du lycéen chinois lorsqu’il était en dernière année de lycée et qu’il était en passe de passer le Gaokao.
Il est évident que beaucoup d’éléments diffèrent entre les contextes canadiens et chinois, cependant le principe fondamental commun est l’acquisition d’une habileté à communiquer avec spontanéité et précision. C’est cet aspect pédagogique essentiel qui a amené David Bel et toute l’équipe pédagogique à s’intéresser à l’ANL, à ses résultats au Canada et à ses apports possibles sur le terrain chinois.
2.2 Les principes théoriques de l’ANL : une réponse aux questionnements pédagogiques
En 2009-2010, le directeur du département de français David Bel avec l’ensemble de l’équipe pédagogique enseignaient avec cette question : pourquoi les étudiants chinois ne prennent pas la parole en cours ? En effet, prendre la parole en classe n’est pas dans les habitudes des apprenants, d’autant plus que cela peut entraîner une perte de face de l’étudiant en cas d’erreur. De plus, bien souvent, et selon la culture d’apprentissage en Chine, la compétence linguistique prime sur la compétence communicative puisque les examens sont principalement à l’écrit. Ils portent essentiellement sur des contenus linguistiques et socioculturels. La réussite aux examens est un critère capital tout au long du parcours scolaire. Toutefois, bien que ces idées restent ancrées, elles sont de plus en plus remises en cause par un système, des enseignants et des apprenants qui évoluent rapidement. C’est pourquoi la découverte de l’ANL et de ses principes théoriques a apporté des éléments de réponse.
2.2.1 L’acquisition d’une compétence implicite ou la grammaire interne
Dans ses travaux en neurolinguistique, Paradis (2009) démontre qu’il n’y a pas de connexion directe entre le savoir (ce qui est appris de manière explicite ; qui est du domaine du conscient) et l’habileté (ce qui est acquis de manière implicite, non-consciente), entre la mémoire déclarative (la mémoire des faits dont on est conscient) et la mémoire procédurale (ce qui est acquis par la pratique ; du domaine du non-conscient), ce qui peut expliquer ce que Claude Germain appelle le « paradoxe grammatical ». En effet, un adulte illettré installé dans un pays étranger peut parler la langue de ce pays d’accueil avec une certaine aisance sans en connaître les règles. C’est le cas parmi nos apprenants bilingues immigrants illettrés installés en France puisque certains ont tout d’abord acquis des habiletés à communiquer au contact de leur entourage professionnel ou des connaissances du quartier par exemple : ils ont acquis ces habiletés langagières de manière non-consciente. En revanche, certains apprenants scolarisés qui apprennent une langue étrangère de manière consciente, connaissent parfaitement les règles linguistiques de cette langue sans être capable de s’exprimer sans réfléchir, avec spontanéité et précision lorsqu’ils sont en situation de communication orale. La théorie neurolinguistique du bilinguisme de Paradis (2009) démontre que le savoir ne peut pas se transformer en habileté. Autrement dit, la connaissance des règles de grammaire ne peut pas se transformer en habileté à communiquer (Germain, 2017). Dans un premier temps, il est donc important de faire acquérir des habiletés à communiquer avec aisance et précision. Une habileté est constituée d’un réseau de connexions neuronales formées par l’utilisation fréquente des mêmes circuits ou parcours (Germain et Netten, 2014). La grammaire interne ou compétence implicite, qui relève principalement de l’oral, est acquise par l’utilisation et la réutilisation de la langue en situation authentique de communication. La pédagogie de la phrase complète est par conséquent majeure, en ce qu’elle permet l’acquisition des propriétés grammaticales implicites de la phrase, des structures spécifiques à la langue étrangère/seconde, et celle des propriétés inhérentes au lexique (comme le verbe « aller » accompagné de la préposition « à »). Celle-ci relève également de la lecture ou de l’écriture spontanées, lorsqu’elles s’apparentent à des mécanismes non-conscients. Le savoir explicite est vu en deuxième exploitation de la phase de lecture. Après avoir lu un texte pour en comprendre le sens et en apprendre des informations, il est à nouveau lu afin que l’apprenant fasse le rapport entre ce qu’il peut dire en phase orale et ce qu’il lit, entre un son et ses graphies tout d’abord et puis pour repérer des marques propres à l’écrit qui ne s’entendent pas à l’oral et qui nécessitent donc d’être explicitées. Cette deuxième exploitation de la phase de lecture est une préparation à la phase d’écriture, au passage à l’écriture par l’apprenant.
2.2.2 La littératie spécifique à la langue étrangère
Une autre caractéristique importante de l’ANL est celle de la littératie spécifique à la L2/LE. Il faut l’envisager selon la définition donnée par le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2004) : « c’est la capacité d’utiliser la langue orale et écrite ainsi que les images et la pensée critique, pour se représenter et interpréter le monde qui nous entoure ». Il est ici question d’une capacité d’utiliser la langue, donc d’une habileté, c’est-à-dire d’un processus évolutif de l’acquisition de la L2/LÉ. En effet, en langue maternelle, l’enfant acquiert sa langue maternelle à l’oral avant d’apprendre à lire et à écrire à l’école. Or, en L2/LÉ, la grammaire interne n’est pas développée chez l’apprenant. Il s’agit donc de faciliter une situation d’acquisition de la langue étrangère en salle de classe. Pour cela, une place importante sera tout d’abord accorder à l’oral pour l’acquisition d’habiletés à interagir en situation authentique de communication. Non seulement, le processus d’acquisition débutera par une phase orale, mais la phase de lecture qui suivra commencera également par une préparation de la lecture à l’oral. La phase de lecture comporte une étape de pré-lecture facilitant la compréhension du texte de lecture pour que la lecture soit un plaisir et/ou une source d’informations et afin que l’apprenant n’ait pas recours à la traduction mot à mot lors de la lecture. Puis, la phase d’écriture sera également précédée par une étape de pré-écriture à l’oral afin que les apprenants en L2/LÉ puissent formuler à voix haute ce qu’ils vont écrire, comme une personne formule dans sa tête ce qu’elle va écrire, et en vue d’être corrigé par l’enseignant si besoin.
Cet ordre des trois phases (oral, lecture et écriture) doit être respecté ainsi que l’importance accordée à l’oral en littératie spécifique de la LÉ/L2 car « la neurodidactique montre que l’apprentissage d’une langue étrangère doit privilégier l’oral, surtout s’il est associé à la mimique et à la gestuelle, en raison du rôle majeur de la prosodie […]. Les méthodes didactiques qui activent les mêmes aires que le langage spontané, en dehors de toute contrainte grammaticale ou écrite, sont donc probablement les plus efficaces » (Huc et Vincent Smith, 2008). De plus cette séquence (aussi appelée boucle de la littératie) porte sur le même thème présenté sous forme d'unité d'enseignement destinée à l'enseignant. Une unité comporte le plus souvent deux ou trois boucles qui regroupent chacune une ou des phases de l'oral, une phase de lecture, d'écriture, un ou des mini-projets, et se termine par la réalisation d'un projet final. Celui-ci reprend l'ensemble des contenus de l'unité et représente un défi cognitif lors de sa réalisation. Au cours de cette série de séquences, l'apprenant a acquis tous les outils linguistiques nécessaires pour ne pas être empêché lors de la réalisation du projet final; les mini-projets constituant des étapes nécessaires pour la réalisation de celui-ci.
2.2.3 L’implication et le désir de parler qui entraînent la motivation
Une autre grande idée issue des neurosciences qui accompagne l’enseignement-apprentissage selon les principes de l’ANL est que lorsque l’on a le désir de parler, de communiquer avec autrui, alors le système limbique dans le cerveau est activé, ce qui entraîne la motivation. La question est alors de savoir comment créer le désir de prendre la parole en classe de L2/LÉ ? C’est là que le principe d’authenticité intervient. L’authenticité est ici envisagée en tant que situation authentique de communication. Lors de la phase orale, l’enseignant modélise une structure langagière en l’adaptant à sa situation personnelle. En donnant ainsi un modèle (à savoir une structure et la question qui l’accompagne), l’enseignant apporte les outils langagiers nécessaires à l’apprenant afin qu’il réponde et reprenne à son tour cette structure tout en l’adaptant à sa situation personnelle (il ne s’agit donc pas de simplement répéter une structure mais de l’adapter pour la conformer à sa situation propre, ce qui du point de vue cognitif est plus exigeant). Pendant une phase orale, l’apprenant pratique aussi bien la compréhension et la production orales puisqu’il est très rapidement incité à interagir avec ses pairs. L’enseignant a pour rôle de donner le modèle de la structure et la question qui l’accompagne, de corriger les apprenants en reprenant ce qui a été dit par l’apprenant sous forme d’un énoncé correct et de l’inviter à reprendre son énoncé corrigé. En effet, l’input (l’exposition à la langue) n’est pas suffisant, l’output joue un rôle capital dans l’acquisition de la L2/LÉ. Par ailleurs, l’enseignant attache de l’importance à l’information que donne l’apprenant lorsqu’il prend la parole et réagit de manière naturelle à ces paroles car cela montre l’intérêt du premier à ce qui est dit par le second. L’enseignant est en situation, à son tour, d’apprendre des choses nouvelles comme cela peut-être le cas dans une conversation entre amis par exemple. Tout cela est source de motivation puisque ce qui importe est le message.
2.3 Les apports de l’ANL au contexte chinois
Ainsi, de 2010 à 2016, en présence de Claude Germain, l’équipe enseignante avec l’aide de celui-ci et de Joan Netten a été formée à enseigner avec les principes de l’ANL, à adapter les unités canadiennes destinées à l’enseignement-apprentissage pour un public jeune afin d’en faire un support de travail qui conviennent aux exigences universitaires chinoises destiné à un public adulte dont les objectifs sont variés mais régis par des objectifs de réussite aux TFS4 et TFS8, d’atteindre le niveau B2 / C1 en vue de travailler en français, avec des francophones ou de poursuivre des études dans un pays francophone et de rédiger un mémoire de fin d’études en français et de le soutenir également en français.
De plus, les trois principes qui ont été décrits ci-dessus vont presque tous à l’encontre de la culture d’apprentissage souvent répandue en Chine, à savoir la prédominance du savoir linguistique, peu de prise de parole de l’apprenant, une grande importance accordée à l’écrit entre autres. C’est pourquoi en début de semestre, l’équipe pédagogique de l’UNCS rencontre les nouveaux étudiants qui viennent d’intégrer le département de français pour leur expliquer en chinois le choix de l’ANL et ses applications en cours de français durant les deux premières années de leur cursus universitaire. Tout au long de l’année universitaire, des rendez-vous sont ainsi pris avec les étudiants pour échanger avec eux autour de la pédagogie adoptée par l’ensemble des enseignants du département de français.
Puis, toujours dans cette période, sous la supervision de Claude Germain, certains membres de l’équipe ont formé à leur tour les nouveaux enseignants intégrant le département de français de Nanhai, l’équipe enseignante du lycée expérimental de Nanhai en Chine, la responsable d’un département de français d’une université taïwanaise et des enseignants exerçant au Japon en 2015.
Bien évidemment, le travail de l’adaptation des unités a été réalisée par touches en s’appuyant sur les suivis rédigés par les enseignants à la fin de leurs cours et lors de réunions pédagogiques. Des questionnements autour de la préparation au TFS4 sont apparus, ainsi que sur la portée des défis cognitifs pour la réalisation des projets et des mini-projets pour un public adulte, ainsi que sur la variété des modèles oraux et leur didactisation en milieu exolingue (ce qui est particulièrement le cas au lycée expérimental de Nanhai où les élèves sont tous bruns avec des yeux noirs, portent un uniforme et mangent tous à la cantine entre autres). Ces questions importantes ont jalonné nos 6 années de travail. Mais rapidement, il a tout de même fallu arrêter un choix sur les unités à enseigner, le nombre d’unités nécessaires pour couvrir les 2 premières années d’enseignement-apprentissage avec l’ANL, décider si nous devions tout de même convenir d’une certaine progression grammaticale et lexicale, et enfin, choisir des textes de lecture conformes pour un public adulte. La question la plus délicate était de décider si la préparation à l’examen du TSF4 était intégrée aux cours avec l’ANL ou si elle devait être faite en dehors des heures de cours avec l’ANL. Ces grands défis étaient donc importants mais ils ont été pour la plupart accomplis et ont répondu dans l’ensemble aux objectifs et exigences suivants :
- Enseigner l'ANL à un public adulte en milieu universitaire pour un contexte intensif, autrement dit à raison de 9 - 10 heures de cours par semaine. Chaque semestre comporte 18 semaines de cours. Cependant, la première année, avant de commencer les cours, les étudiants suivent un programme d’entraînement militaire d’une durée de 3 semaines. De plus, les périodes d’examen ont une durée de 2 semaines.
Tableau 3 : Répartition des heures de cours ANL à l’UNCS
TOTAL | ||
Semestre 1 (1e année) | 14 périodes de cours de 40 minutes | 121 heures (9.3 x 13 semaines) |
Semestre 2 (1e année) | 16 périodes de cours de 40 minutes | 170 heures (16 semaines) |
1ere année = 291 heures | ||
Semestre 3 (2e année) | 16 périodes de cours de 40 minutes | 170 heures (16 semaines) |
Semestre 4 (2e année) | 16 périodes de cours de 40 minutes | 170 heures (16 semaines) |
2e année = 350 heures | ||
Total des deux 1eres années : 641h |
- Choisir des unités dont les thèmes conviennent au public visé : il s’agissait de choisir des unités dont le thème plairait à nos étudiants adultes chinois, de considérer les besoins linguistiques et l’évolution des difficultés langagières mais également de tenir compte de leur culture générale, leurs intérêts et connaissances dans la langue maternelle. Au niveau débutant, l’équipe pédagogique a retenu des unités qui privilégient l’acquisition d’habiletés pour parler de soi et de son entourage proche avec des sujets comme se présenter, présenter des amis et la famille, parler de sa vie quotidienne (les loisirs, l’alimentation, les vêtements, la musique). Puis, au niveau plus avancé, nous souhaitions orienter l’enseignement-apprentissage vers des sujets plus abstraits comme le mode de vie d’autrefois qui compare les moyens de transport, les tenues vestimentaires ou les modes de vie d’autrefois avec celles d’aujourd’hui ou une série de sujets autour des inventions, de la publicité, de la responsabilité sociale et enfin une unité qui porte sur la recherche d’emploi, la rédaction d’un CV et d’une lettre de motivation.
- L’une des difficultés majeures était l’absence des textes de lecture employés au Canada, qui, quoi qu’il en soit, n’auraient pas convenu au public adulte universitaire. Nous avons introduit la lecture de certains livrets utilisés au Canada de type personnel lors de l’enseignement de l’unité « mon alimentation » au 1e semestre de la 1e année, « la musique » au 2e semestre de la 1e année ou de type informatif lors de l’enseignement de l’unité « Le mode de vie d’autrefois » au 1e semestre de la 2e année. Pour le reste, l’équipe a rédigé certains textes de type personnel au niveau débutant ou a cherché et choisi des textes authentiques de type informatif ou argumentatif (partiellement modifiés). Cependant, la principale difficulté liée à ces ajustements était de garantir les liens étroits de la littératie pour chaque mini-projet jusqu’au projet final d’une unité tout en assurant un défi cognitif suffisamment fort de la phase de lecture pour ne pas être un simple équivalent écrit de la phase orale.
- De plus, il s’agissait d’adapter les unités pour que les différentes phases soient plus complexes et notamment la phase orale. Puis, il fallait orienter rapidement l’enseignement-apprentissage vers des phases de lecture de textes informatifs et argumentatifs. Enfin, il s’agissait d’adapter les unités pour faire écrire des textes argumentatifs lors des phases d'écriture dans la perspective de la rédaction du mémoire de fin d’études.
Par exemple, en termes de complexification des phases orales, dans l’unité « mon alimentation », la première phase orale de l’unité canadienne est la suivante :
Le professeur dit aux élèves ce qu’il mange habituellement le matin au (petit) déjeuner :
« Le matin, au (petit) déjeuner, je mange.... Et toi, qu’est-ce que tu manges le matin, au (petit) déjeuner ?
L’élève 1 peut répondre : « Le matin, au (petit) déjeuner, je mange....
Le professeur : Et toi, qu’est-ce que tu manges le matin, au (petit) déjeuner ?
L’élève 2 : Le matin, au (petit) déjeuner, je mange....
Tandis que dans l’unité chinoise (dans la version de juillet 2016), la phase orale équivalente est la suivante :
Le professeur dit aux apprenants ce qu’il prend habituellement le matin au petit déjeuner. « Le matin, au petit déjeuner, habituellement je prends... » [si possible, mentionner au moins trois choses, en n’oubliant pas de mentionner quelque chose à boire. Aussi ajouter au moins un exemple de ce que mange un ami ou un collègue, pour fournir aux apprenants plus de modèles langagiers].
Le professeur pose la question : Et toi, qu’est-ce que tu prends habituellement le matin, au petit déjeuner ?
L’étudiant 1 peut répondre : Le matin, au petit déjeuner, habituellement je prends...
Le professeur peut réagir ainsi : « Ah ! C’est bon pour la santé ! Et toi, qu’est-ce que tu manges habituellement le matin, au petit déjeuner ? »
L’étudiant 2 peut répondre : Le matin, au petit déjeuner, habituellement je prends...
Ces nombreuses contraintes ont été gérées au fur et à mesure de l’implantation de l’ANL et de la progression des enseignants dans leur perception de l’aspect systémique de l’ANL. Dans l’ensemble, nous avons atteint des objectifs satisfaisants puisque non seulement les résultats au TFS4 sont probants (Germain, Liang, Ricordel, 2015), mais aussi que l’apprentissage du FLE est très correct dans les 4 compétences avec un niveau de classe homogène. Par ailleurs, il serait intéressant de considérer le ressenti des étudiants et notamment ceux qui poursuivent des études de Master dans d’autres universités chinoises ou des études de Licence dans des pays francophones comme la France ou la Belgique car les quelques retours reçus témoignent d’un niveau linguistique très convenable, d’une méthodologie d’apprentissage solide et d’une confiance en soi très développée.
Conclusion
La mise en place de l’ANL au Canada a été régulièrement évaluée, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. La conception du Français Intensif est née du questionnement d’enseignements de FLS qui se demandaient :
- Quels changements pouvaient-être apportés au français de base afin d’aider les apprenants à communiquer spontanément en français à la fin du secondaire ?
- Y a-t-il quelque chose qui est fait en immersion qui pourrait être adopté en français de base et qui pourrait aider les apprenants à parler la langue avec une certaine spontanéité, afin d’améliorer les résultats en communication orale ? (Netten, 2018)
Quant à l’équipe pédagogique en Chine, elle se demandait comment susciter une atmosphère communicative et motivante dans la salle de classe. Au Canada, le projet de recherche a alors vu le jour en 1998 à Terre-Neuve-et-Labrador : Joan Netten et Claude Germain mettaient en place l’expérimentation d’un programme intensif pour le français. Il était également important de proposer une recherche permettant d’évaluer l’efficacité de l’approche en milieu universitaire chinois pour un public adulte. Une expérimentation a été mise en place pour tester les étudiants des promotions 2011 et 2012 : cette étude comparative a porté sur les étudiants de 2 universités chinoises comparables. L’analyse des résultats a été publiée dans 2 articles co-écrits par Liang Minyi, Claude Germain et Inès Ricordel dont la plus récente pour les actes du XIVe congrès mondial de la FIPF en 2016. Il est également possible de lire les résultats de la pré-expérimentation dans le mémoire de Master 2 de Thierry Gal-Bailly qui a été rédigé en 2010. Il était important d’évaluer l’impact de l’enseignement-apprentissage avec l’ANL sur les résultats à des examens nationaux tel que le TFS4, mais également le DELF, ce qui a donné lieu à la rédaction d’un article par l’équipe enseignante du lycée expérimental de Nanhai. Il serait également fructueux de mener une étude qualitative sur la perception qu’ont les étudiants chinois sur leur apprentissage du français en s’appuyant sur les principes fondamentaux de l’ANL comme l’acquisition de la compétence implicite ou grammaire interne, la littératie spécifique à la langue étrangère ou la motivation et l’estime de soi.
Bien que la culture d’apprentissage et les contextes canadiens et chinois présentent des différences notables, il n’en reste pas moins que les principes fondamentaux de l’ANL comme le développement de la compétence implicite, la littératie spécifique à la langue seconde et la motivation entre autres contribuent à un apprentissage solide du français langue étrangère ou seconde aussi bien pour un public jeune canadien que pour un public adulte universitaire en Chine.
Par ailleurs, le travail d’adaptation débuté en amont et poursuivi tout au long des années incite à s’interroger sur le processus même d’adaptation des unités canadiennes. Effectivement, la question du matériel reste une question ardue puisque beaucoup d’institutions et d’enseignants ont recours à des manuels FLE qui sont également à la disposition des apprenants. Or les créateurs de l’ANL préconisent l’utilisation d’unités destinées aux enseignants uniquement. Jusqu’à maintenant, les seules unités complètes sont les unités canadiennes et les unités adaptées par l’équipe de l’UNCS. Il est donc nécessaire d’entreprendre ce travail de rédaction et de diffusion d’unités adaptées aux publics adultes scolarisés d’une part et non scolarisés d’autre part afin de proposer des guides cohérents et détaillés aux enseignants qui font le choix de l’ANL dans leur salle de classe.