Introduction
Dans l’apprentissage du français langue étrangère et seconde (FLES), l’orthographe joue un rôle central, allant bien au-delà de la simple correction d’erreurs. Elle est fondamentale non seulement pour la communication écrite, mais aussi pour le développement global des compétences linguistiques des apprenants. L’orthographe sert de vecteur d’intégration culturelle et d’expression personnelle, contribuant à une communication claire et efficace entre locuteurs de diverses origines. Cependant, pour les apprenants issus de contextes plurilingues, l’orthographe française représente souvent un défi majeur en raison de ses spécificités historiques, morphologiques, phonétiques et de ses nombreuses irrégularités.
La complexité de l’orthographe française devient particulièrement problématique pour les apprenants de FLES, dont la langue maternelle peut être structurée de manière très différente. Cette situation peut entrainer des sentiments d’insécurité linguistique et de frustration chez les apprenants, qui doivent naviguer dans un système orthographique aux règles souvent éloignées de celles qu’ils connaissent. Cette complexité, qui résulte notamment de l’évolution historique et des influences linguistiques variées sur le français, rend l’apprentissage de l’orthographe difficile pour les non-natifs.
Face à ce constat, l’approche plurisystémique de l’orthographe, développée par Catach (1980, p.16), nous parait constituer une réponse particulièrement adaptée pour l’enseignement du FLES. Catach propose de diviser l’orthographe française en quatre zones distinctes mais complémentaires : la zone phonogrammique (transcription des sons en lettres), la zone morphogrammique (marques grammaticales et accords), la zone logogrammique (distinctions orthographiques entre homophones) et la zone étymologique et historique (héritage des anciennes formes de la langue et lettres muettes). Cette approche permet de structurer l’enseignement de l’orthographe de manière méthodique et adaptée aux besoins des apprenants, en tenant compte des différentes logiques qui sous-tendent le système orthographique français. En s’appuyant sur des recherches récentes en didactique des langues et en psychologie de l’apprentissage, cet article démontre comment cette approche plurisystémique peut non seulement faciliter l’acquisition de compétences écrites solides, mais aussi renforcer l’autonomie des apprenants dans l’usage de l’orthographe française, tout en valorisant la diversité linguistique et culturelle.
1. Cadre théorique
1.1. Les quatre zones du plurisystème graphique en orthographe française
1.1.1. La zone phonogrammique
La zone phonogrammique, première des quatre composantes du système orthographique selon Catach (1978, p.63), concerne les correspondances entre les phonèmes (sons de la langue) et les graphèmes (lettres ou groupes de lettres qui représentent ces sons à l’écrit). Elle constitue un point de départ fondamental dans l’apprentissage de l’orthographe, notamment pour les apprenants de FLES. Le système phonogrammique est souvent perçu comme plus intuitif pour ces derniers, car il repose sur une relation directe et logique entre la prononciation et la transcription écrite des sons. Autrement dit, en théorie, chaque son devrait correspondre à une ou plusieurs lettres spécifiques. Cela permet aux apprenants de développer une conscience phonologique, un processus cognitif essentiel qui les aide à identifier, à distinguer et à manipuler les sons de la langue, ce qui est primordial pour une orthographe correcte.
Cependant, la réalité du français écrit est bien plus complexe que ne le laisse supposer cette relation apparemment simple entre sons et lettres. En effet, la langue française, contrairement à d’autres langues comme l’italien ou l’espagnol, ne suit pas une orthographe strictement phonétique. Le français présente de nombreuses exceptions et irrégularités dans son système phonogrammique, ce qui peut rendre son apprentissage ardu, notamment pour les apprenants allophones. Par exemple, la présence fréquente de digraphes (comme « ou », « ch », « au », « ei ») et de trigraphes (comme « eau », « eille ») ajoute une couche de difficulté supplémentaire. Ces groupes de lettres peuvent représenter un seul son et il n’existe pas toujours de règles systématiques pour déterminer leur usage. De plus, certaines lettres ou combinaisons de lettres peuvent correspondre à plusieurs sons différents (comme le « c » qui se prononce /s/ dans « ce » mais /k/ dans « car »), ou certains sons peuvent être représentés par différents graphèmes (comme le son /o/ qui peut s’écrire « o », « au », ou « eau »).
Les apprenants de FLES, surtout ceux dont la langue maternelle utilise un système d’écriture moins complexe ou plus phonétique, peuvent éprouver des difficultés à comprendre ces variations. Selon Fayol et Jaffré (2008, p. 127-139), il est primordial de mettre en place un enseignement explicite et structuré des correspondances phonème-graphème dès les premières étapes de l’apprentissage de l’orthographe. Cette approche permet aux apprenants de ne pas se sentir désorientés par les nombreuses irrégularités de l’orthographe française. L’enseignement explicite inclut des exercices visant à entrainer la capacité des apprenants à associer correctement les sons aux lettres, à identifier les digraphes et trigraphes, ainsi qu’à mémoriser les exceptions les plus fréquentes.
Un autre point à souligner est que la conscience phonologique ne se développe pas uniquement à travers la théorie. Les activités pratiques telles que les dictées phonétiques, les exercices de transcription et la lecture à haute voix sont des outils particulièrement efficaces pour renforcer cette compétence. Ces exercices aident les apprenants à intégrer les correspondances entre sons et lettres, tout en leur offrant des occasions de découvrir les exceptions de manière progressive et contextualisée.
Par ailleurs, l’apprentissage des correspondances phonogrammiques joue également un rôle dans le développement d’autres compétences linguistiques. En effet, une maitrise solide des correspondances phonèmes-graphèmes contribue à améliorer la fluidité de lecture et la compréhension écrite, car elle permet aux apprenants de décoder plus rapidement et plus efficacement les mots nouveaux. Comme le soulignent Fayol et Jaffré (2008, p. 127-139), plus un apprenant est capable de reconnaitre rapidement les associations entre sons et lettres, plus il sera en mesure d’automatiser le processus de lecture et d’orthographe, ce qui facilitera l’acquisition de compétences plus complexes, comme la maitrise des zones morphogrammique et logogrammique.
En outre, il est essentiel de rappeler que la complexité phonologique du français est exacerbée par la variation régionale et sociale de la prononciation. Ainsi, un enseignement efficace de la zonephonogrammique doit également prendre en compte ces variations, en exposant les apprenants à différentes façons de prononcer certains sons, tout en leur fournissant des outils pour les transcrire correctement. En s’appuyant sur une pédagogie différenciée et adaptée aux besoins de chaque apprenant, il devient possible de contourner les difficultés liées à la diversité phonétique et d’encourager une meilleure maitrise de l’orthographe.
La zone phonogrammique constitue une entrée primordiale pour l’apprentissage de l’orthographe en FLES. Cependant, la complexité du système phonographique du français exige un enseignement structuré et explicite, accompagné de nombreuses activités pratiques pour permettre aux apprenants de maitriser non seulement les règles générales, mais aussi les nombreuses exceptions qui caractérisent l’orthographe française. Les recherches de Fayol et Jaffré (2008, p. 127-139) montrent que ce travail d’ancrage phonologique est un prérequis fondamental pour la réussite des apprenants dans la maitrise globale de la langue écrite.
1.1.2. La zone morphogrammique
La zone morphogrammique, qui concerne les marques grammaticales dans l’orthographe, représente une dimension complexe de l’apprentissage du français, en particulier pour les apprenants de FLES (français langue étrangère et seconde).
Cette dimension se focalise sur les morphogrammes, c’est-à-dire les éléments graphiques qui marquent des informations grammaticales, telles que les accords en genre (masculin/féminin) et en nombre (singulier/pluriel). Ces marques sont souvent non prononcées à l’oral, ce qui représente une source de confusion pour les apprenants non natifs. Contrairement à la zone phonogrammique où il existe une correspondance directe entre sons et lettres, les morphogrammes introduisent un niveau de complexité supplémentaire, car ils sont visuellement présents mais souvent absents de la prononciation.
L’un des principaux défis pour les apprenants étrangers réside dans le fait que les accords grammaticaux en français doivent être marqués à l’écrit même lorsqu’ils ne sont pas audibles. Par exemple, dans la phrase « les filles sont belles », le « s » de « filles » et de « belles » marque le pluriel, mais ces « s » ne se prononcent pas. De même, dans des contextes comme « il est parti » et « elle est partie », la différence de genre entre « il » et « elle » est indiquée par l’ajout d’un « e » final à « partie » dans le cas féminin, même si cette distinction n’est pas audible à l’oral. Pour les apprenants, cette dissociation entre l’oral et l’écrit crée souvent une insécurité, d’autant plus que dans certaines langues maternelles des apprenants, les distinctions grammaticales de genre ou de nombre peuvent être moins marquées ou tout simplement inexistantes. Selon Jaffré et Fayol (2006), la zone morphogrammique est déterminante dans l’acquisition de l’orthographe française car elle structure des distinctions grammaticales et syntaxiques fondamentales pour la langue. En effet, une bonne maitrise de ces marques grammaticales contribue à la compréhension précise des phrases, en clarifiant les relations entre les mots et leur fonction dans la phrase. Par exemple, l’accord en genre et en nombre des adjectifs, des participes passés, ou des pronoms est un élément essentiel qui peut changer le sens d’une phrase. Un défaut d’accord ou une confusion entre les morphogrammes peut entrainer des malentendus ou des ambiguïtés dans l’écrit, rendant le texte plus difficile à interpréter. L’importance de cette dimension est encore plus évidente dans les systèmes verbaux français, où les conjugaisons verbales peuvent être marquées par des morphogrammes silencieux. Par exemple, la différence entre « ils parlent » (3e personne du pluriel, présent) et « ils parleront » (futur) repose sur des terminaisons morphologiques qui ne sont pas toutes prononcées mais qui influencent fortement la lecture et la compréhension du texte. Cette distinction demande un effort supplémentaire de mémorisation et de compréhension des règles grammaticales.
Luzzati (2011) souligne l’origine linguistique des difficultés liées à l’orthographe française, en mettant l’accent sur la relation entre les sons et leur transcription écrite, la présence de signes auxiliaires, ainsi que les spécificités de l’orthographe grammaticale. Ce tour d’horizon permet de mieux comprendre l’écart significatif entre la langue écrite et orale, ainsi que ses répercussions sur la maitrise de l’écrit pour les usagers de la langue. En effet, l’apprentissage de l’orthographe morphogrammique exige une attention particulière à la structure grammaticale de la phrase. Cela nécessite non seulement de mémoriser les règles d’accord, mais aussi d’acquérir une certaine conscience syntaxique qui permet de comprendre comment les éléments d’une phrase interagissent entre eux. Les apprenants doivent développer une conscience aiguë des relations grammaticales entre les sujets, les verbes et les adjectifs, et être capables de les transposer correctement dans l’écrit. Cette démarche nécessite une approche explicite et structurée pour apprendre à repérer les situations où l’accord est requis, même en l’absence d’indices auditifs.
Les apprenants de FLES peuvent également rencontrer des difficultés liées à l’interférence de leur langue maternelle. Par exemple, dans certaines langues, les distinctions de genre grammatical peuvent être absentes ou marquées différemment. Dans d’autres, l’accord en nombre est peu marqué à l’écrit. Cette diversité des systèmes grammaticaux rend l’apprentissage de l’orthographe morphogrammique particulièrement complexe pour les allophones. Il est donc nécessaire d’adopter des approches pédagogiques différenciées et adaptées aux besoins spécifiques des apprenants. Par exemple, des activités axées sur la conjugaison, les accords adjectivaux, ou encore les accords participiaux peuvent aider à renforcer la compréhension des structures grammaticales qui sous-tendent l’orthographe morphogrammique.
En outre, pour faciliter l’acquisition de cette compétence, les enseignants peuvent recourir à des activités interactives et contextualisées qui permettent de visualiser et de manipuler ces accords à travers des exercices de reformulation, des dictées ciblées ou des activités de reconnaissance d’erreurs. Ces pratiques permettent d’ancrer les marques morphogrammiques dans la conscience des apprenants, tout en renforçant leur maitrise des structures grammaticales. Il est par ailleurs important de noter que la maitrise des morphogrammes contribue non seulement à une meilleure compétence en production écrite, mais aussi à une amélioration de la compréhension écrite. Une fois que les apprenants ont internalisé les règles morphogrammiques, ils deviennent plus à même de décoder rapidement et efficacement des textes en français, car ils comprennent mieux les relations syntaxiques et les nuances grammaticales que ces marques représentent. La zone morphogrammique est un élément central de l’orthographe française, notamment dans l’enseignement aux apprenants de FLES. Bien que les morphogrammes soient souvent invisibles à l’oral, leur présence à l’écrit est déterminante pour marquer des distinctions grammaticales fondamentales. L’enseignement explicite et ciblé des règles morphogrammiques, associé à des activités pratiques et des approches contextualisées, est essentiel pour aider les apprenants à surmonter les défis de cette dimension et à développer une compétence orthographique solide et fonctionnelle.
1.1.3. La zone logogrammique
La zone logogrammique de l’orthographe française regroupe des distinctions lexicales qui ne sont marquées qu’à l’écrit et ne sont pas perceptibles à l’oral. Ces distinctions concernent principalement les homophones, c’est-à-dire des mots qui se prononcent de manière identique mais s’écrivent différemment et ont des significations distinctes. Cette dimension pose des difficultés spécifiques pour les apprenants de français langue étrangère et seconde (FLES), car elle repose sur des conventions purement orthographiques, ce qui complexifie leur apprentissage. Des exemples courants incluent des paires comme « est » (verbe être) et « et » (conjonction de coordination), ou encore « a » (verbe avoir) et « à » (préposition). Ces distinctions ne peuvent être apprises uniquement par l’écoute : elles nécessitent une mémorisation contextuelle ainsi qu’une compréhension précise des structures syntaxiques.
Pour un apprenant de FLES, cette dimension représente un défi supplémentaire dans l’acquisition de l’orthographe. Fayol & Jaffré (2008, p. 127-139) soulignent que, contrairement à la zone phonogrammique, où les correspondances entre phonèmes et graphèmes sont (plus ou moins) régulières et peuvent être apprises à travers des exercices de phonétique et de transcription, les distinctions logogrammiques ne sont pas liées à la prononciation. Cela complique leur apprentissage, d’autant plus que la zone logogrammique exige une capacité de contextualisation importante, car c’est uniquement à travers le contexte de la phrase que les apprenants peuvent correctement choisir le bon logogramme.
Paul a résolument opté pour une démarche d’encodage là où auparavant il mobilisait des savoirs logographiques : le mot papa et sa suite faisaient assurément partie d’un lexique orthographique mémorisé visuellement et était alors restitué sans erreur. Ce n’est plus le cas. Apparemment le principe d’encodage phonogrammique qu’il vient d’acquérir lui semble plus opératoire, et surtout plus légitime que la simple reproduction segmentée de ces mots, pourtant accessibles dans la classe. (Chiss, 2011, p.141)
Par exemple, dans la phrase « Il est venu », « est » est un verbe, tandis que dans « Il mange et boit », « et » est une conjonction. Ces différences, bien qu’évidentes pour un locuteur natif, peuvent entraîner des confusions chez des apprenants non natifs qui ne disposent pas encore d’une maitrise suffisante du système grammatical français.
L’un des aspects centraux de cette dimension est donc la mémorisation, qui est souvent facilitée par des exercices pratiques et des activités permettant aux apprenants de répéter et d’appliquer ces distinctions dans divers contextes. La mémorisation de ces homophones ne peut se faire que par l’exposition répétée à ces formes dans des contextes variés. Luzzati (2011) recommande, par exemple, l’utilisation d’exercices ciblés tels que des phrases à trous, des dictées ou encore des jeux de correspondances qui encouragent les apprenants à identifier le bon logogramme en fonction de la structure syntaxique et du sens général de la phrase.
En plus des exercices pratiques, il est essentiel de combiner ces activités avec une explication grammaticale explicite qui mette en lumière les différences entre les homophones. Cette approche permet non seulement de clarifier les rôles syntaxiques que jouent ces formes dans les phrases, mais aussi de renforcer la compréhension générale des structures grammaticales du français. Par exemple, en enseignant la distinction entre « a » (verbe avoir) et « à » (préposition), l’enseignant peut non seulement illustrer la différence fonctionnelle entre les deux mais aussi mettre en évidence l’importance de l’accord du verbe avec le sujet dans la première forme et de la relation spatiale ou temporelle dans la seconde. Les jeux d’homophones et les analyses de phrases contextualisées sont particulièrement utiles pour aider les apprenants à maitriser ces distinctions. Ces exercices permettent de mettre en situation les apprenants et de les confronter à des choix orthographiques basés sur le sens de la phrase. Par exemple, dans un exercice de phrase à compléter, les apprenants pourraient devoir choisir entre « a » et « à » en fonction du sens de la phrase : « Il… un chien » ou « Il va… la maison ». Ce type d’exercice oblige les apprenants à réfléchir non seulement à la forme écrite mais aussi à la fonction grammaticale des mots dans la phrase, ce qui contribue à une meilleure compréhension systémique.
Un autre aspect de la zone logogrammique est la présence de marques morphologiques invisibles à l’oral. Par exemple, les homophones « son » (déterminant possessif) et « sont » (verbe être au pluriel) illustrent une distinction qui repose uniquement sur l’analyse syntaxique et la connaissance des accords grammaticaux. Fayol et Jaffré (2008) notent que cette zone demande une attention particulière à la grammaire et à la structure syntaxique des phrases pour identifier correctement les logogrammes en fonction du rôle qu’ils jouent dans la phrase. Cette distinction repose non seulement sur la mémorisation des formes mais également sur une compréhension approfondie du fonctionnement de la langue, notamment des règles d’accord et de conjugaison.
Il convient par ailleurs de souligner que la zone logogrammique est particulièrement importante dans l’enseignement du FLES, car elle permet d’améliorer non seulement la compétence orthographique des apprenants, mais aussi leur compétence grammaticale et syntaxique globale, car la maitrise des logogrammes contribue à éviter des erreurs qui, bien que mineures d’un point de vue phonologique, peuvent entraîner des incompréhensions à l’écrit. En d’autres termes, les distinctions logogrammiques sont essentielles à une communication écrite précise et efficace en français.
1.1.4. La zone étymologique et historique
La zone étymologique et historique de l’orthographe française joue un rôle non négligeable dans la compréhension et la maitrise du système orthographique, car elle englobe des lettres et des graphèmes qui ont été conservés au fil du temps pour des raisons étymologiques, même si leur prononciation a disparu ou évolué. Cette zone inclut des lettres muettes comme le « p » de « compter » ou le « s » de « île » consigné dans l’accent circonflexe, qui rappellent des formes plus anciennes du mot ou des origines latines, grecques, ou d’autres langues qui ont influencé le français au cours des siècles. La zone étymologique n’est donc pas simplement un vestige du passé, mais un marqueur de l’histoire linguistique du français, qui ajoute de la richesse et de la profondeur à la langue.
Pour les apprenants allophones, cette dimension étymologique peut cependant représenter un obstacle significatif. Par exemple, lorsque des lettres muettes et les graphèmes historiques n’ont pas de correspondance phonétique évidente, leur apprentissage devient particulièrement déroutant. Contrairement aux zones phonogrammique ou morphogrammique, où les apprenants peuvent se fier à des règles ou à des correspondances phonétiques plus ou moins régulières, la zone étymologique exige une mémorisation plus poussée et une compréhension des raisons historiques et linguistiques qui expliquent la présence de certaines lettres dans les mots. Cette complexité peut parfois devenir une source de frustration pour les apprenants, car ils peuvent être amenés à percevoir ces éléments comme des anomalies ou des irrégularités sans logique apparente. Néanmoins, au-delà de cette complexité, selon Brissaud, Jaffré et Pellat (2008),
Les lettres étymologiques permettent de distinguer des homophones d’origine différente, comme sale/salle, sein / sain / seing, taon / tant / temps [et…] sont utilisées pour distinguer des homophones de même origine ; dans ce cas, un des mots garde une graphie étymologique que l’autre a perdue, comme compte/conte (latin pop. computum, de computare, « calculer »), penser/panser (latin pensare, « peser, évaluer », fréquentatif de pendere ; la graphie panser est due sans doute à l’influence de panse : cf. « panser un cheval », où panser signifie d’abord « s’occuper de, nourrir ») ou dessin/dessein (dessin vient de des(s)igner, avec influence de l’italien disegno, dessein est formé sur l’ancienne forme desseigner). (p. 20)
En outre, Candelier (2003), Auger (2005), Besse et coll. (2010) proposent une approche didactique qui vise à enseigner l’orthographe étymologique pour atténuer les difficultés des apprenants, en établissant des comparaisons entre le français et leurs langues d’origine. Par exemple, dans le cadre de l’éveil aux langues, il peut être demandé aux apprenants d’utiliser de manière adéquate un dictionnaire étymologique de la (ou des) langue(s) enseignée(s) à l’école pour rechercher l’origine d’un mot emprunté. Cette activité peut s’avérer particulièrement efficace lorsque les langues partagent des racines communes avec le français, comme c’est le cas pour les langues romanes telles que l’espagnol, l’italien ou le portugais. En montrant comment certains mots en français ont évolué à partir de leurs formes latines ou gréco-latines, de manière similaire à des mots dans ces autres langues, les enseignants sont à même d’aider les apprenants à comprendre les raisons derrière certaines conventions orthographiques françaises. Par exemple, le mot français « hôpital » partage une origine commune avec l’espagnol « hospital » et l’italien « ospedale », ce qui permet de voir la continuité étymologique malgré les différences orthographiques actuelles.
Cette approche comparative permet également d’exploiter les connaissances préexistantes des apprenants et de créer des ponts linguistiques qui facilitent l’apprentissage. Lorsqu’un apprenant hispanophone réalise que le « h » initial dans « hôpital » correspond à une lettre présente dans « hospital » en espagnol, même si elle n’est pas prononcée, il devient plus facile de mémoriser cette lettre comme un élément significatif de l’orthographe française, plutôt que comme une aberration à mémoriser isolément. Cette méthode s’avère particulièrement utile pour les apprenants dont la langue maternelle possède une orthographe également influencée par des critères étymologiques, permettant ainsi de faire des parallèles qui enrichissent leur compréhension de l’orthographe française.
Cette dimension étymologique et historique peut, par ailleurs, être utilisée pour renforcer la connaissance interculturelle et linguistique des apprenants, en ce que le fait de comprendre l’étymologie des mots français aide non seulement à maitriser l’orthographe, mais aussi à saisir l’évolution culturelle et historique qui a influencé la langue. Par exemple, expliquer pourquoi le mot « homme » conserve un « h » muet peut conduire à une discussion sur l’origine latine du mot « homo » et sur les transformations phonétiques et graphiques qui ont eu lieu au fil des siècles. Cette approche permet de donner du sens aux éléments de l’orthographe qui pourraient autrement sembler arbitraires, tout en enrichissant la compréhension générale des apprenants sur la langue et son histoire.
Cependant, l’enseignement de l’orthographe étymologique doit être couplé à des exercices pratiques et à une explication claire des liens entre les différentes zones du système orthographique : cela peut inclure des exercices de reconnaissance de mots étymologiquement liés, des activités de comparaison entre les langues, et des discussions sur l’évolution des langues. Les enseignants peuvent fournir aux apprenants une vision d’ensemble plus cohérente et plus riche de l’orthographe française, en combinant l’étude des racines étymologiques avec des stratégies d’apprentissage qui englobent la phonétique, la morphologie, et la sémantique.
Enfin, la zone étymologique et historique est un rappel important que l’orthographe n’est pas seulement une question de règles et de correctitude, mais aussi une fenêtre sur l’histoire et la culture d’une langue. En aidant les apprenants à comprendre les raisons historiques et culturelles qui sous-tendent l’orthographe française, il s’agit de transformer ce qui pourrait être perçu comme un obstacle en une opportunité d’apprendre non seulement une langue, mais aussi l’histoire et les interactions culturelles qui l’ont façonnée.
Ainsi, la zone étymologique et historique de l’orthographe française offre également une opportunité d’enrichir la compréhension linguistique et culturelle des apprenants de FLES, par des approches pédagogiques qui mettent éventuellement en relation l’orthographe française avec les langues maternelles, et, par l’explication des racines historiques de ces graphèmes, il est possible d’enrichir davantage le processus d’apprentissage.
2. Méthodologie
L’enseignement de l’orthographe dans le cadre du FLES requiert des stratégies pédagogiques adaptées pour aborder les quatre zones du plurisystème graphique définies par Catach (1980, p. 15). Ces stratégies permettent de répondre aux besoins spécifiques des apprenants, qui proviennent souvent de systèmes linguistiques très différents. L’approche plurisystémique s’articule ainsi autour de l’enseignement des zones phonogrammique, morphogrammique, logogrammique et étymologique-historique.
2.1. Enseignement de la zone phonogrammique
2.1.1. Exercices de dictée phonétique
Les dictées phonétiques constituent l’une des principales méthodes pédagogiques pour enseigner la zone phonogrammique. Elles consistent à faire écouter aux apprenants des phrases ou des mots simples, qu’ils doivent ensuite transcrire en respectant les relations phonèmes-graphèmes. Au départ, les exercices se concentrent sur des mots simples, comme des verbes réguliers ou des noms courants, avant de s’étendre à des phrases plus complexes au fur et à mesure que les apprenants progressent. Fayol et Jaffré (2014) soulignent l’importance de la répétition pour ancrer ces relations dans la mémoire à long terme. Les répétitions régulières, alliées à des activités de transcription quotidienne, permettent aux apprenants de surmonter les irrégularités du système phonogrammique du français, telles que les digraphes (« ch », « ou », etc.) et les trigraphes.
2.1.2. Discrimination auditive
En complément des dictées, des exercices de discrimination auditive sont également proposés. Ces exercices consistent à présenter des sons similaires (par exemple, /e/ et /ɛ/, /s/ et /z/) et à demander aux apprenants de les distinguer en les transcrivant correctement. Cela améliore la précision des apprenants dans la transcription des phonèmes et leur capacité à distinguer des sons parfois difficiles à différencier dans une langue non native. Cette méthode est déterminante pour développer une conscience phonologique solide, indispensable à la maitrise de l’orthographe.
2.2. Enseignement de la zone morphogrammique
La zone morphogrammique traite des marques grammaticales et des accords, notamment les accords en genre et en nombre. Les morphogrammes ne sont pas toujours prononcés et rendent l’apprentissage difficile pour les apprenants de FLES. Cependant, des activités pédagogiques spécifiques peuvent aider à surmonter cet obstacle.
2.2.1. Exercices d’accords grammaticaux
Les exercices d’accords grammaticaux consistent à demander aux apprenants de modifier des phrases en fonction du genre ou du nombre. Par exemple, les apprenants peuvent devoir transformer une phrase du singulier au pluriel ou ajuster des adjectifs en fonction du genre d’un nom. Ces exercices permettent aux apprenants de comprendre que même si certaines marques morphogrammiques ne sont pas prononcées, elles restent essentielles pour la structure et la cohérence des phrases écrites en français. Selon Luzzati (2011), ces exercices sont particulièrement efficaces lorsqu’ils sont contextualisés dans des situations réelles d’écriture.
2.2.2. Contextualisation des accords
L’approche contextuelle permet de rendre l’apprentissage plus intuitif. Par exemple, des textes descriptifs ou narratifs peuvent être utilisés pour amener les apprenants à ajuster les accords en fonction des personnages ou des objets. Cette méthode renforce la compréhension morphologique en montrant comment les accords influencent la structure grammaticale d’un texte. Luzzati (2011) note également que la répétition des activités d’accord, dans divers contextes, contribue à rendre ces notions plus accessibles et naturelles pour les apprenants non natifs.
2.3. Enseignement de la zone logogrammique
La zone logogrammique concerne les homophones et les distinctions lexicales qui ne sont pas marquées phonétiquement mais uniquement orthographiquement. Cette dimension représente un défi particulier, car elle repose sur la capacité des apprenants à différencier des mots qui se prononcent de la même manière, comme « et » et « est », « son » et « sont ».
2.3.1. Jeux d’homophones
Les jeux d’homophones sont une méthode ludique et efficace pour aider les apprenants à distinguer ces logogrammes. Ces jeux peuvent inclure des activités telles que des textes à trous où les apprenants doivent choisir l’homophone correct en fonction du contexte de la phrase. Ces exercices permettent de clarifier les distinctions sémantiques entre des homophones qui sont phonétiquement identiques mais qui, sur le plan orthographique, ont des significations très différentes.
2.3.2. Analyse contextuelle
L’analyse de phrases contextuelles est une autre méthode pédagogique employée pour enseigner cette zone. Les enseignants peuvent proposer des phrases où plusieurs homophones apparaissent dans des contextes différents, obligeant les apprenants à déterminer quel logogramme est approprié en fonction du sens global de la phrase, afin d’aider les apprenants à renforcer leur compréhension des logiques syntaxiques et sémantiques de la langue française.
2.3.3. Stratégies visuelles
L’utilisation de stratégies visuelles, comme l’association d’homophones à des images ou à des symboles, constitue un autre outil efficace. Par exemple, associer le mot « est » à un symbole représentant le verbe « être » et « et » à un signe « plus » permet de mieux ancrer ces distinctions dans la mémoire des apprenants. Cela offre un support mnémotechnique précieux pour différencier des homophones qui, autrement, pourraient sembler arbitraires aux yeux des apprenants.
2.4. Enseignement de la zone étymologique et historique
La zone étymologique et historique concerne les lettres muettes et les graphèmes hérités de formes anciennes du français ou d’autres langues. Cette dimension est souvent perçue comme la plus difficile pour les apprenants de FLES car elle implique une compréhension historique et étymologique de la langue.
2.4.1. Exploration étymologique
Pour enseigner cette zone, il est essentiel de sensibiliser les apprenants à l’origine des mots. Par exemple, les enseignants peuvent organiser des activités qui explorent les racines latines ou grecques de certains mots français, montrant comment les lettres muettes ou certains graphèmes ont été conservés pour des raisons historiques. Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, cette approche permet de contextualiser les particularités orthographiques en les inscrivant dans une logique historique et de rendre leur apprentissage plus accessible.
2.4.2. Comparaison linguistique
En outre, des comparaisons linguistiques peuvent être utiles pour certains apprenants, notamment ceux dont la langue maternelle partage des racines communes avec le français, comme l’espagnol ou l’italien. En mettant en lumière des similitudes entre le français et ces langues, les enseignants peuvent aider les apprenants à établir des ponts linguistiques, facilitant ainsi l’apprentissage des lettres muettes et des graphèmes hérités. Cela permet de montrer aux apprenants que ces particularités ne sont pas des exceptions isolées mais le résultat d’une évolution linguistique partagée.
2.4.3. Activités de découverte étymologique
Des activités de découverte étymologique peuvent également être proposées pour aider les apprenants à explorer eux-mêmes les origines des mots et comprendre pourquoi certaines lettres muettes ont été conservées dans l’orthographe moderne. Cette exploration historique permet de transformer des irrégularités orthographiques en objets d’apprentissage, offrant aux apprenants une perspective plus enrichissante et motivante sur la langue française.
L’approche plurisystémique de l’orthographe proposée par Catach (1980), en décomposant l’orthographe française en quatre zones distinctes, permet de structurer et d’adapter l’enseignement du FLES en fonction des besoins spécifiques des apprenants. En combinant des méthodes pédagogiques variées, allant des dictées phonétiques à l’exploration étymologique, cette approche offre une vision holistique de l’apprentissage orthographique, tout en facilitant l’intégration progressive des règles de l’orthographe française dans la pratique écrite des apprenants.
3. L’enjeu pour la formation des enseignants
3.1. Compréhension des systèmes orthographiques et phonologiques des apprenants
L’un des aspects fondamentaux de la formation des enseignants, comme le souligne Adami (2015, p. 45-49), est la compréhension des systèmes orthographiques et phonologiques des langues maternelles des apprenants. Cette compétence permet aux enseignants d’identifier les sources potentielles d’erreurs et de difficultés, en fonction des divergences et similarités entre la langue cible (le français) et les langues premières des élèves. Par exemple, un enseignant formé à la reconnaissance des particularités phonologiques d’une langue comme l’arabe ou le chinois sera mieux à même d’anticiper les confusions orthographiques possibles (comme l’omission ou la mauvaise transcription de sons inexistants dans ces langues).
De plus, cette compréhension des systèmes linguistiques des apprenants permet une approche contrastive de l’enseignement de l’orthographe, où les différences entre les langues sont exploitées pour expliquer les règles et exceptions de l’orthographe française. Des outils sont notamment mis à disposition sur le site « Langues et Grammaires du Monde dans l’Espace Francophone »1, afin d’aider les enseignants dans cette démarche, qui aide non seulement à mieux accompagner les apprenants dans leur processus d’acquisition, mais qui renforce également leur conscience métalinguistique, en favorisant une réflexion active sur les différences entre les langues, ce qui constitue un aspect clé dans l’apprentissage d’une langue étrangère.
3.2. L’intégration de l’approche plurisystémique dans la formation initiale
Dans la formation initiale des enseignants de FLES, il nous semble ainsi judicieux d’inclure un volet dédié à l’enseignement des aspects graphiques du français, en mettant un accent particulier sur les quatre zones du plurisystème orthographique. En effet, de nombreux enseignants débutants sont souvent formés à l’enseignement de la grammaire et du lexique, mais l’orthographe, pourtant essentielle pour la maitrise de l’écrit, est parfois reléguée au second plan. Une intégration explicite de cette approche plurisystémique dans les programmes de formation garantirait que les enseignants abordent l’orthographe de manière structurée et progressive, et adaptée aux niveaux des apprenants.
Dans cette perspective, il est essentiel que les futurs enseignants soient familiarisés non seulement avec les règles orthographiques du français, mais aussi avec les mécanismes d’acquisition de l’orthographe par les apprenants étrangers, afin de comprendre les processus cognitifs en jeu dans l’apprentissage de l’orthographe, ainsi que les difficultés spécifiques rencontrées par les apprenants de FLES, mais aussi d’adapter leurs pratiques pédagogiques de manière plus éclairée et plus efficace.
3.3. La formation continue : un besoin d’actualisation des pratiques pédagogiques
Outre la formation initiale, la formation continue des enseignants de FLES joue un rôle déterminant pour maintenir et actualiser leurs compétences. La langue évolue, de même que les méthodologies d’enseignement. L’orthographe française, bien qu’elle soit largement codifiée, connait elle aussi des ajustements, avec des réformes orthographiques occasionnelles et des évolutions dans les normes d’usage. Par conséquent, il est important que les enseignants aient accès à des formations continues qui leur permettent de mettre à jour leurs connaissances orthographiques et de réfléchir à de nouvelles pratiques pédagogiques adaptées aux besoins changeants des apprenants.
Par exemple, la zone étymologique et historique de l’orthographe, souvent perçue comme une barrière pour les apprenants allophones, mériterait une formation spécifique, car l’enseignement de l’étymologie, lorsqu’il est bien intégré dans les cours de FLES, peut devenir un atout pour les apprenants, en particulier ceux issus de langues romanes qui partagent des racines communes avec le français. En approfondissant leur compréhension des liens historiques entre les langues, les enseignants seront en mesure d’utiliser des approches comparatives pour faciliter l’apprentissage des formes orthographiques complexes. Chaque apprenant ayant des besoins différents selon son niveau de compétence, son parcours linguistique et ses difficultés particulières, les enseignants doivent être capables d’adapter leurs stratégies d’enseignement en fonction des publics qu’ils rencontrent.
3.4. La prise en compte du public plurilingue et pluriculturel
Enfin, dans le contexte actuel de mobilité accrue, les classes de FLES sont souvent composées d’apprenants provenant d’horizons linguistiques et culturels variés. Cela impose aux enseignants d’être non seulement conscients des particularités linguistiques de leurs apprenants, mais aussi de leurs référents culturels et de leur connaissance variable des pratiques orthographiques. Il est nécessaire que la formation des enseignants inclue des éléments de compétence interculturelle, afin de leur permettre de gérer cette diversité en classe et d’adapter leurs méthodes à des publics plurilingues.
Il est également crucial de former les enseignants à l’usage des technologies éducatives qui facilitent l’enseignement de l’orthographe. Par exemple, l’intégration d’outils numériques, tels que des logiciels de correction orthographique ou des applications mobiles d’apprentissage, peut offrir aux apprenants des moyens supplémentaires d’interagir avec l’orthographe française en dehors des cours traditionnels. Or, ces outils, lorsqu’ils sont bien utilisés, peuvent compléter l’enseignement et renforcer l’autonomie des apprenants dans leur apprentissage orthographique.
Conclusion
L’approche plurisystémique de l’orthographe française, telle que développée par Catach (1980), contrairement aux méthodes classiques focalisées sur la correction des erreurs, propose une vision globale et intégrée de l’orthographe, où chaque composante joue un rôle déterminant dans la maitrise de la langue écrite. L’un des principaux atouts de cette approche réside dans sa flexibilité, qui permet aux enseignants d’adapter leur pédagogie en fonction des niveaux et des origines linguistiques des apprenants. Dans les classes de FLES, la diversité des profils, souvent influencée par les systèmes d’écriture des langues maternelles des apprenants, requiert une approche différenciée. Les élèves issus de systèmes alphabétiques phonétiques, comme ceux de l’anglais ou de l’espagnol, trouvent généralement la zone phonogrammique plus intuitive, tandis que ceux provenant de langues non alphabétiques, comme l’arabe ou le chinois, ont besoin d’une attention particulière sur cette zone pour développer une conscience phonologique adéquate. Ainsi, l’approche plurisystémique permet aux enseignants de structurer leur enseignement de manière à répondre aux difficultés spécifiques de chaque apprenant.
Cette approche ne se limite pas à une simple adaptation pédagogique, elle favorise également une meilleure compréhension des logiques qui sous-tendent l’orthographe française. Les travaux de Fayol et Jaffré (2014) ont démontré l’importance de la répétition pour ancrer les correspondances phonèmes-graphèmes dans la mémoire des apprenants, notamment dans une langue complexe comme le français, ou les exceptions sont fréquentes. En abordant chaque zone du plurisystème graphique de manière progressive et contextualisée, les enseignants peuvent guider les apprenants vers une maitrise plus fluide de l’orthographe. Par exemple, l’enseignement de la zone logogrammique permet aux apprenants de distinguer les homophones en fonction du contexte syntaxique, tandis que la zone étymologique et historique leur offre des clés pour comprendre certaines « anomalies » apparentes de l’orthographe française, et la dimension historique permet d’enrichir l’apprentissage en montrant aux apprenants les liens entre les racines des mots français et leur évolution culturelle.
Selon Adami (2015), l’orthographe n’est pas seulement une compétence technique à maitriser, mais un élément central de la culture française. En aidant les apprenants à comprendre l’origine des mots et les particularités du système orthographique français, les enseignants peuvent ainsi favoriser une intégration linguistique et culturelle plus complète.
Il s’agit donc de dépasser la simple correction d’erreurs pour proposer un processus constructif, où les erreurs sont perçues comme des opportunités d’apprentissage. Aussi, plutôt que de considérer l’orthographe comme un obstacle, les apprenants ont besoin d’être encouragés à en comprendre les règles sous-jacentes et à les appliquer de manière autonome. Par exemple, une erreur dans l’accord des adjectifs peut devenir une occasion de revoir les règles morphogrammiques et d’enrichir la réflexion sur la structuration grammaticale du français.
Pour les futurs travaux de recherche sur l’orthographe en FLES, il serait pertinent d’explorer davantage les implications de l’approche plurisystémique dans des contextes d’apprentissage variés. Par exemple, il serait intéressant d’étudier comment l’approche plurisystémique pourrait être appliquée dans des contextes éducatifs spécifiques tels que les classes de FLES regroupant des apprenants plurilingues, issus de systèmes d’écriture très différents (alphabétiques, syllabiques ou logographiques). Ces recherches pourraient également explorer l’impact de cette approche sur des compétences comme la production écrite ou la compréhension des variations orthographiques dans des environnements professionnels ou académiques. Par ailleurs, une analyse comparée de son efficacité selon les profils d’apprenants (adolescents, adultes, primo-arrivants) enrichirait notre compréhension de ses potentialités et de ses limites. Des études sur l’impact de cette méthode dans des environnements plurilingues et sur la manière dont elle peut être intégrée dans les programmes de formation linguistique permettraient d’approfondir la compréhension de son efficacité, et la façon dont cette approche peut être davantage optimisée pour renforcer l’autonomie des apprenants dans la production écrite en français.