Coopérations transfrontalières (Allemagne, France, Suisse) au service de l’enseignement de la langue du voisin

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Gérard Schlemminger (dir.), Le français à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe (2000-2020) : coopération dans le Rhin supérieur. Édition De Bonne Heure. 2023.

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Introduction

L’ouvrage dirigé par Gérald Schlemminger et paru en 2023 sous le titre Le français à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe (2000-2020) : coopération dans le Rhin supérieur rassemble des écrits de chercheurs, d’enseignants, d’étudiants et de compagnons de route de ce dernier (37 au total) selon trois thématiques principales :

  • les pédagogies Freinet et institutionnelle appliquées à l’enseignement des langues et plus particulièrement au français langue du voisin,
  • la formation des enseignants de langues dans un contexte transfrontalier,
  • la coopération scientifique entre des institutions du Rhin supérieur (Allemagne, France, Suisse) afin de développer des propositions didactiques innovantes en lien avec le territoire.

Notons d’emblée que la structure de l’ouvrage associe témoignages, compte-rendus d’expérience et articles scientifiques, ce qui permet d’appréhender toutes les facettes d’une coopération fructueuse concernant la promotion du bilinguisme franco-allemand dans un espace peu souvent décrit (Springer, p. 10).

L’école supérieure de pédagogie de Karlsruhe et l’enseignement du français dans le Bade-Wurtemberg

Le Rhin supérieur, à savoir la région qui s’étire entre Bâle et Mayence en traversant la plaine d’Alsace/Forêt-Noire, est depuis très longtemps un espace de coopération entre des populations partageant des dialectes germaniques proches. Cependant, suite aux traités de Westphalie (1648) et de Ryswick (1697), l’Alsace passe sous administration française et change donc de langue de référence et de scolarisation. Dans le Bade-Wurtemberg, land voisin, le français était la langue de la cour du royaume de Wurtemberg et celle du grand-duché de Bade. Cependant, bien que langue de la bourgeoisie et de l’élite locales du Bade-Wurtemberg, le français devient petit à petit première puis deuxième langue étrangère pour la majorité des élèves après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme le précise Gérald Schlemminger, étant donné le substrat linguistique alémanique commun pour les populations locales de part et d’autre du Rhin, les échanges culturels et commerciaux se sont principalement déroulés dans les dialectes régionaux, laissant au français le statut de « valeur surajoutée » (p. 22).

La contribution de Daniel Morgen (p. 125-141) revient sur un des épisodes douloureux de l’histoire alsacienne avec le déplacement des instituteurs alsaciens dans la zone allemande afin de subir une reconversion professionnelle obligatoire dans les locaux de l’actuelle École de pédagogie supérieurs de Karlsruhe entre 1940 et 1943. Dans un chassé-croisé organisé, les instituteurs alsaciens reprenaient alors les postes des institueurs allemands envoyés enseigner en Alsace. Les témoignages sur lesquels s’appuient Daniel Morgen dans sa contribution ont été recueillis par des étudiantes allemandes inscrites entre 2006 et 2010 dans le cursus de formation à l’enseignement du français à Karlsruhe.

Aux niveaux institutionnel et politique, Gérald Schlemminger relève une forte volonté de la part du land du Bade-Wurtemberg d’imposer l’enseignement du français dans les écoles locales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors que la réconciliation allemande est actée en 1963 (Traité de l’Élysée), différents accords de coopération visent à rapprocher le land fédéral du Bade-Wurtemberg de la région Alsace en proposant notamment l’enseignement de la langue du voisin (Pelz, 1999). Gérald Schlemminger insiste ici sur le volontarisme des institutions du land qui impose un bilinguisme français-allemand aux populations allemandes en bordure du Rhin avec l’appui des écoles supérieures de pédagogie en charge de la formation des enseignants de la langue du voisin. Les initiatives pédagogiques sont soulignées : éveil à la langue du voisin en jardin d’enfants, enseignement précoce du français, enseignement du français interculturel, échanges entre les enseignants de langues voisines, classes bilingues, etc. La formation des enseignants est appuyée par des coopérations transfrontalières afin de favoriser le bilinguisme en situation trinationale. Chaque projet est évalué par des chercheurs des universités locales (Strasbourg, Mulhouse, Bâle, Koblenz-Landau, Freiburg, Heidelberg) et fait l’objet de publications, de mémoires ou de thèses de doctorat. Toutefois, la politique volontariste du Bade-Wurtemberg se heurte aux représentations des parents d’élèves et à de nombreux politiques qui ne voient pas l’intérêt du bi- ou du plurilinguisme dans un espace où les dialectes allemands circulent encore largement et où l’anglais supplante la langue du voisin. Gérald Schlemminger propose alors d’introduire le français comme L1 au primaire et l’anglais en seconde position (p. 36).

L’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe est un élément moteur dans les coopérations transfrontalières et on relèvera le nombre important de mémoires, de thèses et de publications produites par les étudiants de cette école (p. 43-62).

La formation des enseignants de langues1

Claudine Brohy (p. 65-71) reprend la genèse des rencontres intersites de l’enseignement bilingue qui se sont déroulées de 1994 à 2016 afin de favoriser le dialogue entre des équipes pédagogiques avec le soutien d’universitaires. En effet, à cette époque l’enseignement bilingue débutait dans de nombreux établissements et les rencontres étaient aussi une manière de procéder à des observations de classe. Au total, 8 rencontres ont rassemblé presque 300 personnes sur 7 lieux emblématiques (Bâle, Aoste, Luxembourg, Guebwiller, Freiburg, Lausanne, Saint-Maurice).

Christine Le Pape Racine décrit la coopération transfrontalière bi- et trinationale très intense avec la Pädagogische Hochschule Karlsruhe dans le domaine du pluri- et multilinguisme : le projet CLIL-LOTE-GO avec le Centre européen pour les langues vivantes du Conseil de l’Europe ainsi que des projets binationaux qui ont rapproché les enseignants et les formateurs d’enseignants de la Suisse et du Baden-Württemberg. Elle souligne les nombreux points communs entre elle et Gérald Schlemminger, en particulier leur souhait d’innover dans les cours de langues à l’école.

Anémone Geiger-Jaillet est l’une des collègues internationales avec qui Gérald Schlemminger a le plus collaboré ; elle partage le discours qu’elle a tenu avec son collègue au moment où ils ont reçu le prix Michel-Bréal de la ville de Landau pour leurs mérites dans la construction de ponts culturels et linguistiques entre la France et l’Allemagne. Ce discours est une description des points forts, mais aussi des problèmes rencontrés lors de ce travail dans le domaine de la recherche, de la formation des enseignants et de l’accompagnement des doctorants.

En tant que professeur de linguistique et de didactique du français à l’université de Koblenz-Landau, Heinz-Helmut Lüger a accompagné la création et la durée de vie du programme de formation COLINGUA, un master trinational. Il en montre les points forts et il explique les contraintes administratives qui ont finalement mené à la fermeture de ce programme, après quelques années de fonctionnement.

Le texte suivant de Mark Unbehend qui était coordinateur de COLINGUA entre 2008 et 2010 souligne les moments marquants, l’enthousiasme des étudiants et aussi les obstacles d’ordre administratif.

Le chapitre de Birte Egloff et de Gabriele Weigand ouvre la vue sur un nouveau pan d’activité de Gérald Schlemminger, son travail dans plusieurs projets de l’Office Franco-Allemand dans le domaine de la biographie interculturelle franco-allemande dans la vie privée et dans le contexte professionnel.

Les pédagogies Freinet et institutionnelle dans l’enseignement supérieur

La contribution de Martine Boncourt (p. 289-308) nous invite à revisiter certains fondamentaux de la pédagogie Freinet (méthode naturelle) appliquée à l’enseignement du français langue du voisin ou langue du pays hôte. En effet, alors que cette pédagogie visait à accompagner des enfants, ses principes peuvent être largement appliqués auprès d’un public adultes : environnement de classe sécurisant, apprentissage par tâtonnements, retours bienveillants, émancipation… Elle montre comment le Quoi de neuf et la Production libre restent au plus proche des préoccupations des adultes qu’elle accompagne en France sur le chemin de l’appropriation du français langue d’intégration. Des temps de travail individuel sont aussi inscrits en fin de séance afin de laisser aux adultes une certaine souplesse dans la construction de leur parcours linguistique. En comparant sa mise en application des principes de la pédagogie Freinet avec ceux mobilisés par Schlemminger, elle relève qu’elle ne mobilise pas la correspondance scolaire, pourtant pilier de cette approche. Pour elle, bien que cette activité réflexive permette l’ouverture vers l’autre, elle est plutôt redondante par rapport au Quoi de neuf où les échanges culturels se construisent à l’oral.

La pédagogie institutionnelle peut être mobilisée pour des objectifs langagiers très précis et c’est ainsi que de 2003 à 2006, Patrick Geffard, fondateur du groupe de pédagogie institutionnelle en Gironde a été sollicité par Gérald Schlemminger pour assurer un séminaire de littérature de jeunesse à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe auprès d’un groupe d’étudiants futurs enseignants de FLE (p. 83-96). Sur une période de 2 mois (en présentiel 3 jours et à distance), chaque groupe d’étudiants regroupé dans un atelier avait pour tâche de rédiger un document final en trois parties : résumé d’un ouvrage de littérature de jeunesse, analyse de l’ouvrage et didactisation. Une répartition des rôles et des séances de conseil permettaient aux étudiants de réfléchir selon des thèmes proposés et de produire des travaux qui ont été, pour certains, publiés dans une revue professionnelle.

Plus récemment, Claudine Bichon (p. 271-288) a repris la technique Carte-Mot-Dessin de Christelle Morisset-Dammam (p. 265-269) en l’inscrivant dans les pédagogies Freinet et institutionnelle. À cet effet, elle a mis en place un dispositif de formation pour les futurs enseignants de la langue du voisin à l’École de pédagogie supérieure de Karlsruhe. Il s’agit pour les étudiantes de co-construire, en mobilisant les techniques de coopération et d’auto-organisation des pédagogies Freinet et institutionnelle, des séquences pédagogiques qui s’appuient sur la technique de visualisation picturo-graphique simultanée (VPS) et qui seront ensuite mises en œuvre auprès d’enfants de la ville inscrits aux Ateliers de français – une école de langue immersive (apprentissage par l’entrée disciplinaire 3 heures par semaine). Des fiches d’auto-évaluation et les observations par les pairs permettent aux étudiantes de se positionner vis-à-vis des objectifs de la formation en didactique du français langue du voisin.

Dubois (p. 249-253) termine ces expérimentations des pédagogies Freinet et institutionnelle en retraçant les séquences d’écriture coopérative qui l’ont mené avec Gérald Schlemminger et Patrick Geffard à rédiger et publier un ouvrage en 2023 sur la pratique institutionnelle dans l’enseignement supérieur.

Innovations pédagogiques et productions de ressources

Gérald Schlemminger a initié ou soutenu plusieurs initiatives concernant la production de ressources adaptées au contexte local. On notera tout d’abord le travail de Mathieu Rietzler (p. 119-123) qui de 2005 à 2009 a didactisé avec une équipe de l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe et de l’IUFM d’Alsace quatre opéras proposés lors des saisons annuelles de l’opéra national du Rhin (Strasbourg). Silvere Besse (p. 189-194) revient sur le projet d’environnement virtuel et immersif créé pour soutenir l’apprentissage du français et de l’allemand. Organisé autour d’une quête, le scénario pédagogique se déroule au sein de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. De nombreux experts, chercheurs, praticiens et étudiants originaires de France, Suisse et Allemagne se sont mobilisés pour créer cet environnement unique mis à disposition de l’Éducation nationale pour l’apprentissage des langues. Deux thèses co-dirigées par Gérald Schlemminger ont permis de pointer comment les interactions développées dans ce nouvel environnement sensoriel pouvaient accompagner le développement linguistique des apprenants.

Du côté des innovations pédagogiques, on retrouvera aussi les ateliers d’écriture pour développer la fluidité en langue étrangère et notamment pour les étudiants allemands qui doivent rédiger des écrits longs sur des sujets disciplinaires pointus (Boulouh et Schlemminger, p. 209-229), mais aussi, le rallye lecture (Estelle Chapelet, p. 255-258) pour développer les compétences en français lu en classe bilingue.

Réflexions et conclusion

Les anciens étudiant.e.s de la formation ont répondu nombreux à l’appel pour témoigner et décrire leur temps d’études à Karlsruhe. Ils travaillent actuellement en France et en Allemagne, mais aussi en Autriche, dans des écoles et d’autres endroits de rayonnement culturel. Ils soulignent le professionnalisme de leur professeur, son enthousiasme, sa capacité à créer du lien social, mais aussi ses approches pédagogiques souvent innovantes et surprenantes.

Bibliography

Pelz, Manfred (1999). Spachbegegnung und Begegnungssprache zur experimentallen Uberprufung des Programs. Lerne die Sprache des Nachbarn. Lang.

Springer, C. (2023). Une synthèse entre la pédagogie Freinet et un bilinguisme optimiste (préface). Dans G. Schlemminger (dir.), Le français à l’École supérieure de pédagogie de Karlsruhe (2000-2020) : coopération dans le Rhin supérieur (p. 9-13). Édition De Bonne Heure.

Notes

1 Nous remercions Sabine Ehrhart de l’université du Luxembourg d’avoir rédigé les résumés des textes de Le Pape Racine, Geiger-Jaillet, Lüger, Unbehend, Egloff et Weigand écrits en allemand dans l’ouvrage de Schlemminger. Elle a aussi rédigé la conclusion. Return to text

References

Electronic reference

Nathalie Gettliffe, « Coopérations transfrontalières (Allemagne, France, Suisse) au service de l’enseignement de la langue du voisin », Didactique du FLES [Online], 3:2 | 2024, Online since 19 décembre 2024, connection on 09 février 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=1281

Author

Nathalie Gettliffe

UR 2310 Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication, université de Strasbourg, de Lorraine et de Haute-Alsace, France. Nathalie Gettliffe est maître de conférences à l’université de Strasbourg. Après une formation à la didactique du FLS en Colombie-Britannique (Canada), elle continue ses recherches dans le domaine des technologies numériques au sein du groupe de recherche Technologie et Communication (Tec et Co) du laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation (UR 2310 LISEC) des universités de Strasbourg, de Lorraine et de Haute-Alsace. Plus particulièrement, elle centre ses analyses sur la dynamique des interactions dans des dispositifs variés d’enseignement des langues (présentiel, hybride, distanciel).

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