1. Brefs prolégomènes à la littératie numérique en IA générative
Les nouvelles technologies ont toujours accompagné l’apprentissage des langues, des laboratoires de langue à l’IA générative comme ChatGPT1. Pourtant, elles n’ont pas profondément modifié la conception didactique des cours, qui reste guidée par des paradigmes linguistiques et pédagogiques (Puren, 1988). L’IA est aujourd’hui utilisée principalement par les enseignant·es pour aider les étudiant·es à acquérir des compétences langagières (Huang & coll., 2023) et la formation à la littératie numérique se concentre souvent sur le développement d’une meilleure préparation des cours par les enseignant·es (DNE-TN2, 2024).
Or, cette approche limite l’autonomie des apprenant·es dans l’usage de l’IA générative. Une véritable littératie numérique en IA implique à la fois une maitrise technique des outils et une capacité critique à évaluer leur fonctionnement, leurs biais et leurs limites. Les apprenant·es doivent savoir formuler des requêtes pertinentes (prompting) et utiliser ces outils de manière réflexive et créative afin de construire leur propre processus et itinéraire d’apprentissage et éviter une dépendance passive.
Dans cette perspective, nous avons mis en place une expérimentation en pédagogie active (Schlemminger, 2016), sous forme d’une recherche-action auprès d’un groupe d’une dizaine d’adultes de niveau A1-, demandeur·euses d’asile, dans un centre LGBTQIA+. Nous montrerons comment les apprenant·es développent leur propre littératie numérique en IA générative grâce à ChatGPT avec le soutien de l’outil du traitement automatique des langues FLElex (Centre de traitement automatique du langage, 2014-2021 ; voir aussi François, 2014 ; Pintard & François, 2020). Notre objectif est d’observer et d’analyser leurs pratiques pour identifier les stratégies favorisant l’apprentissage autonome.
L’expérimentation suit un processus itératif combinant observation, ajustements pédagogiques et évaluation des acquis. Un accent particulier est mis sur l’évolution des compétences des participant·es dans la formulation de prompts – essentielle comme le soulignent Hwang et coll. (2023) – et leur capacité à exploiter les productions générées. L’étude s’intéresse également aux supports multimodaux créés par les apprenant·es, en tenant compte des exigences didactiques et pédagogiques actuelles.
2. Le cadre pédagogique
Pour des raisons pédagogiques (Freinet, 1964 ; Schlemminger, 2022) et des raisons propres à l’enseignement du français en contexte migratoire2, nous n’utilisons pas de manuel. En coopération avec les étudiant·es, nous produisons nous-mêmes nos supports d’apprentissage, à partir du « Quoi de neuf ? », moment d’accueil en début du cours (Schlemminger, 2023) et la technique de la visualisation picturographique simultanée (Schlemminger, 2023).
Au Conseil, lieu de prises de décision (Dubois, Geffard & Schlemminger, 2023 chap. 5), nous avons convenu de travailler sur le champ lexical des vêtements. Après la phase de fixation et d’entrainement (exercices d’extension lexicale et syntaxique sur l’axe paradigmatique puis sur l’axe syntagmatique, voir Bichon et Schlemminger, 2022), nous avons voulu produire notre premier texte suivant les techniques Freinet du texte libre (Freinet, 1960 ; Clanché, 1988). Dans cette perspective, nous nous sommes interrogés sur les compétences nécessaires à l’entrée en écriture. Celle-ci va au-delà d’une simple acquisition d’un code alphabétique. Nous comprenons la (pluri-) littératie « comme un ensemble de techniques inscrites dans des pratiques de lecture-écriture communicationnelles et culturelles, socialisées dans le groupe-classe » (Schlemminger & Bichon, 2022, p.223).
Or, nos étudiant·es ne maîtrisent pas encore l’utilisation des marqueurs d’intratextualité, comme les reprises anaphoriques, les connecteurs logiques, les références internes explicites, ainsi que les marqueurs d’intertextualité, comme les références implicites et les références intertextuelles directes. Ces marqueurs jouent pourtant un rôle essentiel car ils établissent des liens respectivement à l’intérieur d’un même texte ou entre différents textes.
Pour pallier ces déficits, il existe une technique traditionnelle et répondue dans le milieu de l’alphabétisation, la dictée à l’adulte. Il s’agit d’une interaction entre un·e apprenant·e et un.e enseignant.e où le/la premier·ère dicte un énoncé à l’enseignant qui le note. La dictée à l’adulte conduit les un·e apprenant·es à produire un texte écrit alors qu’ils sont dans l’incapacité de le faire seuls.
Il existe aussi des outils d’intelligence artificielle générative comme ChatGPT qui peuvent soutenir la production de textes.
3. L’art d’écrire des prompts pour ChatGPT
En début d’année, les formulations usuelles de la classe (consignes, organisation et gestion du temps, interaction et communication, formules sociales courantes en classe, etc.) ne sont pas encore maitrisées. Je propose alors aux étudiant·es le tout premier prompt en langue anglaise. Les apprenant·es sont libres d’adapter la liste de termes appartenant au champ lexical des vêtements en fonction de leurs préférences et du vocabulaire déjà étudié. Lika, une étudiante géorgienne de 22 ans, a sélectionné, parmi la quarantaine de mots travaillés, ceux qui correspondent à ses vêtements favoris.
PROMPT de Lika : Please write me a text in french with 100 words, language level A1, about my dressing style. Use the following words: un chapeau, une casquette, un pantalon, des basquets, une robe, une jupe, des chaussures, une chemise, une ceinture, une bague, un manteau, un anorak, un collier, une écharpe, un pull, un soutien-gorge ; mettre : je mets / porter : je porte. Write a liste of the new words.
ChatGPT lui a proposé le texte suivant :
Mon style vestimentaire
J’aime les vêtements confortables. En été, je mets une robe ou une jupe avec des chaussures légères.
Parfois, je porte une casquette et un collier. En hiver, je mets un pantalon, un pull et un manteau chaud.
Quand il fait très froid, je porte un anorak et une écharpe. J’aime les baskets parce qu’elles sont pratiques.
Pour les occasions spéciales, je mets une chemise, une ceinture et une bague. Parfois, je porte un chapeau.
Tous les jours, je mets un soutien-gorge sous mes vêtements. Mon style est simple et confortable.
Liste de vocabulaire A1
Français Anglais Géorgien (ქართული)
Un chapeau A hat ქუდი (kudi)
Une casquette A cap კეპი (kepi)
[…]
(OpenAI. 2024. ChatGPT du 11/03/2025 ; 90 mots)
L’étudiant Koffiwood utilise le même prompt que Lika. ChatGPT lui propose le texte suivant :
Mon style de vêtement
J’aime m’habiller selon la saison. En été, je mets une robe légère ou une jupe avec une chemise. Je porte aussi des chaussures ou des baskets. Parfois, je mets une casquette ou un chapeau. En hiver, je porte un pull, un manteau ou un anorak pour avoir chaud. Je mets aussi une écharpe. Je porte toujours un pantalon confortable. J’aime porter une ceinture avec ma tenue. Je mets une bague à la main et un collier autour du cou. Et bien sûr, je mets un soutien-gorge. Mon style est simple, mais j’aime me sentir bien dans mes vêtements.
(OpenAI. 2024. ChatGPT du 11/03/2025 ; 98 mots)
Lorsqu’il lit son texte en prétendant qu’il porte un soutien-gorge, tout le monde rit. Il a oublié d’adapter le vocabulaire à ses vêtements d’homme.
Un autre étudiant ne limite pas le nombre de mots et le texte produit est beaucoup trop long. L’écriture du premier prompt, en anglais, s’avère complexe et peut produire des résultats non désirés. Ensuite, je propose un modèle pour rédiger les prompts en langue française :
Écris-moi un texte avec le niveau de langue A1 avec 100 mots. Le sujet est « …………………… ». Utilise les mots suivants : …………………… Ajoute une liste des mots nouveaux avec la traduction en anglais [ou la langue dominante du locuteur / de la locutrice].
Comme ChatGPT propose parfois des mots du champ lexical que nous n’avons pas utilisés dans la phase d’entrainement, la demande d’une liste de mots peut être utile.
L’outil FLElex, qui analyse le niveau de langue des mots d’un texte, s’adresse plutôt aux enseignant·es. Mais nous la présentons également aux étudiant·es afin qu’ils et elles prennent conscience des différents niveaux. Pour le texte de Lika (fig. 1), les mots « anorak » et « soutien-gorge », en rouge, ne font pas partie du corpus de FLElex. « Collier » et « casquette », en jaune foncé, relèvent du niveau B2, etc. La terminologie employée nous parait moins problématique dans la mesure où elle correspond aux préférences vestimentaires exprimées par les apprenant·es au moment d’un choix concret : nous disposons au Centre LGBTQIA+ d’un dépôt d’habits permettant à chacun·e de s’habiller à sa façon. Nous sommes davantage critiques quant à la syntaxe et aux connecteurs argumentatifs du texte de Lika (soulignés dans l’exemple plus haut) comme l’adverbe de temps « parfois » et complément circonstanciel de but « pour les occasions spéciales ». J’indique aux étudiant·es que ces structures ne relèvent pas de leur niveau et je ne m’attends pas à ce qu’ils et elles les maitrisent de façon active.
Fig. 1 : Texte « Mon style de vêtement » de Lika/ChatGPT.
© 2014-2021 Centre de traitement automatique du langage (CENTAL, 2014-2021).
4. Exercices
ChatGPT permet d’écouter les textes créés. Pour celui de de Lika / ChatGPT, l’enregistrement puis la lecture par l’autrice permet de travailler le phonème [y] que la langue géorgienne ne connait (voir fig. 1) en opposition au phonème [u] :
-
lettre u ⇒ [y] : une jupe
-
lettre ou : ⇒ [u] l’amour, pour, la tour Eiffel, le jour
ChatGPT donne aussi la possibilité de créer des exercices avec les corrections attendues comme l’exemple le montre :
Exercice – Complète les phrases avec les bons mots :
Mots à utiliser : une ceinture – un chapeau – des baskets – une robe – un manteau – une bague – un anorak – un soutien-gorge
Je porte __________ quand il fait froid.
Je mets __________ ou une casquette sur la tête.
Je porte __________ aux pieds avec mon pantalon.
Je mets __________ rouge pour une fête.
J’ai __________ à la main, elle est en or.
En hiver, je porte __________ ou __________.
Sous ma chemise, je mets __________.
Mon pantalon est trop grand, je mets __________.
(OpenAI. 2024. ChatGPT du 11/03/2025)
Si l’exercice est techniquement bien réalisé et immédiatement utilisable, il reste néanmoins d’un intérêt pédagogique limité. Il s’appuie sur le modèle classique des textes lacunaires, développés dans les années 1960, dont l’impact cognitif est souvent restreint. En effet, ce type d’exercice sollicite principalement la réactivation lexicale de mots isolés, sans réelle contextualisation ni mobilisation de compétences discursives ou pragmatiques plus complexes. Du point de vue de l’apprentissage, cela revient à exercer la mémoire lexicale déclarative, sans encourager l’ancrage sémantique profond ni l’intégration du vocabulaire dans des situations de communication authentiques. Ainsi, si l’outil montre une capacité certaine à produire des exercices de forme, il appartient à l’enseignant·e d’enrichir ces propositions par des activités complémentaires favorisant la construction du sens, l’appropriation active du lexique et son transfert en production.
La dimension heuristique de ChatGPT (découverte, exploration) ouvre la voie à de nouvelles tâches. Pour une activité de préparation à l’oral, je donne aux étudiant·es le prompt suivant :
PROMPT : Écris un dialogue en français de niveau A1. Il se passe dans un magasin de vêtements. Il y a une vendeuse et un client. Le client cherche un vêtement. La vendeuse pose des questions. Le client donne ses préférences (taille, couleur, prix). La vendeuse propose un vêtement. Le client pose une question. Le client achète ou n’achète pas. Écris 10 répliques.
Le dialogue obtenu est le suivant :
Dans un magasin de vêtements
– Bonjour, je peux vous aider ?
– Bonjour, je cherche un pantalon, s’il vous plaît.
– Quelle taille faites-vous ?
– Je fais du 38.
– Vous avez une couleur préférée ?
– J’aimerais un pantalon noir.
– Voici un pantalon noir, taille 38. Il coûte 40 euros.
– Est-ce qu’il existe en bleu ?
– Oui, voici le même en bleu.
– Merci, je prends le pantalon bleu.
(OpenAI, 2024. ChatGPT du 11/03/2025)
Le texte est grammaticalement correct, fonctionnel, compréhensible, bien structuré et directement utilisable pour l’apprentissage. En outre, il s’agit d’un dialogue que les étudiant·es peuvent apprendre par cœur, jouer, rejouer, adapter et complexifier. L’intérêt pédagogique du prompt tient à sa structure très directive. Il définit une tâche langagière contextualisée, des rôles, un enjeu communicatif clair, un cadre thématique, une structure séquentielle et un volume attendu. De cette façon, il fournit à l’intelligence artificielle suffisamment de contraintes pour produire un texte à la fois court, clair, adapté au niveau, et réexploitable. On peut comparer cette production à un prompt plus vague, tel que :
PROMPT : Écris un dialogue de niveau A1 dans un magasin de vêtements.
La version produite par ChatGPT avec ce prompt vague est nettement plus confuse, hors de propos et difficile à comprendre :
Dialogue
Client : Bonjour. Je veux acheter des vêtements.
Vendeur : Bonjour ! Quel type de vêtements cherchez-vous ?
Client : J’aime les t-shirts. Vous avez des t-shirts rouges ?
Vendeur : Oui, nous avons des t-shirts rouges. Quelle taille ?
Client : Grande taille.
Vendeur : Voici un t-shirt rouge taille L.
Client : Merci. Combien ça coûte ?
Vendeur : 20 euros.
Client : Ok. Je veux aussi un pantalon bleu.
Vendeur : Voici un pantalon bleu.
Client : Merci. Je paie maintenant.
Vendeur : Bonne journée !
(OpenAI, 2024. ChatGPT du 11/03/2025)
La compréhension est rendue difficile par la surcharge lexicale (« vêtements », « t-shirts », « pantalon »), l’absence de structure claire et d’intention définie. On retrouve cette tendance à l’accumulation dans de nombreuses productions de ChatGPT, notamment dans les dialogues quand la consigne ne fixe pas de contrainte de structure ou de progression.
5. L’utilisation d’autres outils d’intelligence artificielle générative
Il nous semble pertinent d’élargir la réflexion à d’autres outils d’intelligence artificielle générative, au-delà de la production de textes. Ces technologies, de plus en plus accessibles, permettent aujourd’hui de créer automatiquement des images, de la musique ou encore des vidéos. Nous présenterons ici deux exemples emblématiques.
5.1. La génération automatisée d’images
Nous avons conseillé Lika de copier son texte de ChatGPT comme prompt dans l’outil de génération automatisée d’images Crayion (voir : https://www.craiyon.com/) en demandant de créer une photo (fig. 2). Même si la ressemblance avec le texte reste sujette à discussion, la photo permet d’exprimer son avis à ce propos. Elle est l’occasion de fixer le vocabulaire utilisé.
Fig. 2 : Photo « Mon style de vêtement ».
© 2025 Crayion.
5.2. La génération automatisée de musique
Nous avons intégré, pour l’étudiante Lika, son texte « Mon style de vêtement » dans le générateur de musique IA Make Best Music (voir : https://makebestmusic.com). Collectivement, nous avons effectué les choix suivants : genre musical : pop ; type de voix : soprano féminine ; tempo : lent. Le résultat obtenu est remarquable (voir : https://makebestmusic.com/fr/shared-music-new/94b9bcd3-bf66-4b4a-a3ba-2a0c5afc21a9). Le recours à l’IA générative permet de valoriser le travail de production écrite des apprenant·es en le prolongeant par une mise en voix créative, émotionnellement engageante et technologiquement innovante. Toutefois, la question des droits d’auteur liés à la base de données utilisée demeure ouverte : quelle est l’identité de la chanteuse et du pianiste à l’origine de cette interprétation ?
6. Prolongements : « Rectum Crocodile » de Marvin M’toumo
Notre centre LGBTQIA+ est affilié au réseau culturel et solidaire « Tôt ou t’art » en Alsace, ce qui nous permet d’obtenir des places de représentation à tarif réduit (trois euros). Dans ce cadre, le Théâtre national de Strasbourg a proposé le spectacle « Rectum Crocodile » de Marvin M’toumo4. Créateur pluridisciplinaire français, M’toumo se distingue en tant que metteur en scène, designer de mode, performeur et plasticien. Son œuvre, qui se déroule dans le contexte d’une plantation coloniale, met en scène une procession de personnages humains, animaux et végétaux défilant en costumes somptueux et extravagants, tout en déclamant poèmes et incantations. Cette performance s’apparente à un procès symbolique, interrogeant les questions de l’esclavagisme, du colonialisme et des formes persistantes de domination.
Dans le cadre de cette représentation, les paroles dépassent largement le niveau linguistique des étudiant·es, ce qui a constitué un défi. En amont de la performance, nous avons préparé les étudiant·es en abordant la thématique des costumes, en lien avec le vocabulaire associé aux « vêtements ».
Après la représentation, une discussion enrichissante a eu lieu sur l’époque coloniale, notamment grâce à l’apport d’un étudiant africain qui nous a aidés à comprendre certaines scènes et leurs symboliques. Lors de la séance suivante, nous avons approfondi notre analyse par un exposé en distinguant les stratégies de dénonciation des stratégies de déconstruction, comme le montre le tableau 1. Nous avons examiné la manière dont les personnages humains et végétaux sont déconstruits, en lien avec les symboles traditionnels qu’ils incarnent, comme illustré dans le tableau 2.
Tableau 1 : Dénonciation et déconstruction
| Stratégies de dénonciation | Stratégies de déconstruction (d’après Derrida, Foucault) |
|
– accusation des violences coloniales et esclavagistes |
Le spectacle travaille sur : |
Tableau 2 : Déconstruction des personnages humains et végétaux
| Personnages humains et végétaux | Symboles traditionnels | Déconstruction |
| La panthère |
– animal exotique |
– la panthère parle |
| La diablesse |
– folklore antillais, |
– elle est vengeance et la subversion face à l’histoire coloniale |
| Le cocotier |
– arbre exotique |
– il parle, |
En conclusion, cette expérience a non seulement enrichi notre cours de langue, mais elle a également permis d’élargir la réflexion sur les héritages coloniaux à travers un prisme artistique. Elle a offert aux étudiant·es l’opportunité de développer une analyse critique des enjeux sociaux et historiques tout en renforçant leurs compétences linguistiques dans un contexte réel et engagé. Ce type d’activité favorise un dialogue constructif entre des personnes issues de diverses origines, en encourageant l’échange sur des thématiques sensibles tout en facilitant l’acquisition de vocabulaire spécifique. Pour le travail sur le champ lexical « les vêtements », j’ai utilisé de façon active l’intelligence générative de texte (ChatGPT), d’image et de musique, ce qui a permis d’enrichir l’expérience pédagogique en intégrant des supports numériques interactifs. Enfin, cette expérience illustre comment l’art, dans ses diverses formes, peut être un outil précieux pour la déconstruction des stéréotypes et des idées reçues, tout en servant de vecteur de sensibilisation dans le cadre de l’enseignement du FLE.
7. Vers une didactique augmentée : l’IA générative en classe de FLE
L’expérimentation que nous avons menée illustre comment l’introduction raisonnée de l’IA générative peut renforcer l’autonomie des apprenant·es, même à un niveau débutant, en contexte migratoire. En articulant étroitement pédagogie active, littératie numérique et accompagnement réflexif, nous avons observé une évolution significative des compétences des participant·es dans la formulation de prompts, leur capacité à exploiter les réponses de ChatGPT, mais aussi leur aptitude à construire des supports multimodaux adaptés à leurs besoins.
Le processus itératif d’observation, d’ajustement et d’évaluation continue a permis non seulement d’affiner les outils et les pratiques pédagogiques, mais aussi de révéler les potentialités créatives et critiques des apprenant·es. Ces derniers ont su détourner les productions générées pour les adapter à leur univers, aux enjeux de genre et aux représentations culturelles qui les traversent, tout en développant une conscience linguistique accrue.
L’expérience collective autour du spectacle de théâtre « Rectum crocodile », nourrie de textes générés avec l’IA, a constitué un moment fort de cette expérimentation. Elle a permis de mettre en scène les tensions entre normativité linguistique et expression personnelle, entre récit individuel et narration collective, tout en ancrant les apprentissages dans une pratique artistique transgressive, émancipatrice et profondément signifiante pour les participant·es.
Dans une perspective didactique, cette expérimentation plaide pour une intégration plus systématique et critique de l’IA générative dans l’enseignement du français langue étrangère, à condition que l’usage de ces outils ne se limite pas à une externalisation des tâches langagières, mais favorise au contraire l’appropriation et la co-construction du savoir. Il s’agit moins de confier l’apprentissage à la machine que de se servir de celle-ci comme levier pour renforcer les compétences langagières, numériques et critiques des apprenant·es.
Ainsi, cette recherche ouvre des pistes pour une réflexion plus large sur les conditions d’une véritable littératie en IA générative, pensée comme une compétence transversale, émancipatrice, et profondément ancrée dans les pratiques sociales et éducatives contemporaines.


