1. Introduction
L’enseignement à distance, imposé par la crise de la COVID-19 en France et à l’Université de Caen, a représenté un changement des pratiques et des routines pour les enseignants et pour les étudiants à la fois. En continuité pédagogique tout d’abord et en distanciel intégral par la suite, l’enseignement en distanciel a concerné l’ensemble des cours et a marqué la communauté universitaire à la fois par une surcharge de travail inhérente à la diversité et la multiplicité des tâches (Descamps et al., 2020) et par la découverte de nouvelles ressources techniques, éducatives et humaines.
La pédagogie universitaire et l’utilisation des ressources numériques, ainsi que le développement des cours à distance et celui des plateformes permettant de les accueillir, questionnent depuis plusieurs années l’enseignement supérieur, sur les plans scientifique, institutionnel et politique (Massou et al., 2017). Selon Endrizzi : « Avec les technologies numériques, ce sont les opportunités d’apprendre qui se démultiplient » (2012 , p.11), le numérique étant un vecteur innovateur d’enseignement et d’apprentissage. Malgré différents projets d’enseignement à distance développés au niveau institutionnel et national depuis les années 2000 (Endrizzi, 2012), la crise de la COVID-19 et le passage massif à distance dans les universités françaises depuis mars 2020 ont constitué un grand défi pour la communauté universitaire.
Cet article présente les expériences de deux cours en ligne, l’un portant sur la didactique du FLE pour des étudiants francophones de 2ème année de Licence, l’autre étant un cours de FLE pour des étudiants norvégiens de première année.
Notre réflexion portera, sur les différences constatées, d’une part dans les stratégies mises en place et les ressentis des enseignantes/coordinatrices de ces cours lors du passage à distance dû à la COVID-19, et d’autre part, dans les réactions de la part des étudiants, saisies à travers divers moyens d’expression.
Nous organiserons l’analyse de ces expériences en suivant trois catégories d’interventions tutorales principales repérées par Quintin (2008) : la catégorie pédagogique (essentiellement en termes de scénarisation du contenu pédagogique), la catégorie organisationnelle (qui concerne les modalités de suivi et de planification des tâches, la gestion du temps) et la catégorie socioaffective (autour de la dynamique motivationnelle et des liens enseignant/étudiants ou entre pairs). Dans sa thèse de doctorat, l’auteur distingue cinq modalités d’intervention tutorale (des MiT) sur l’apprentissage en groupes restreints : socioaffective, pédagogique, organisationnelle, réactive et proactive. Les deux dernières envisagent le soutien apporté de manière classique et sont considérées comme étant secondaires pour l’enseignement à distance. En revanche, trois fonctions principales ont été retenues par l’auteur et construisent « des modalités d’interventions ciblées : socioaffective, pédagogique et organisationnelle » (Quintin, 2008, p.200-201). La MiT socioaffective envisage le maintien d’un climat relationnel qui favorise le travail en équipe, la valorisation du travail individuel et collectif ainsi que le soutien des étudiants dans l’effort. La MiT organisationnelle relève du travail à réaliser en équipe et de la répartition des tâches ainsi que de leur planification. Elle concerne également l’utilisation efficace des moyens d’échange, la structuration des discussions et les réflexions sur l’organisation de l’équipe d’apprenants. Enfin, la MiT pédagogique est relative aux objectifs d’apprentissage. Elle intervient par étayage et suscite des rétroactions pédagogiques. Relevant d’un soutien méthodologique, elle implique une réflexion métacognitive et explicite les critères d’évaluation.
Dans cet article, nous tenterons ainsi d’identifier les leviers et les freins à la réussite d’un cours en ligne en comparant nos expériences selon les trois catégories d’interventions tutorales retenues.
2. Analyse des deux expériences du cours de didactique du FLE
Ce cours de didactique du FLE est un cours optionnel à destination des étudiants de 2ème année de licence LLCER de l’Université de Caen. Nous rapportons ici l’expérience de son passage intégral à distance dû aux conditions sanitaires du 1er semestre 2020-2021, du point de vue de deux de ses enseignantes (responsables de deux groupes d’étudiants chacune), et dans la mesure du possible, du point de vue des étudiants de ces groupes, tous initialement inscrits en présentiel. Chacune des deux enseignantes a vécu différemment cette situation et nous avons distingué deux cas : celui de l’adaptation anticipée de l’une des enseignantes et celui où l’adaptation a dû s’effectuer de façon simultanée au passage à distance.
Le point de vue des enseignantes
Une adaptation anticipée
Le choix de l’enseignante a été d’organiser d’avance son cours pour qu’il puisse être donné à distance dès la rentrée. L’objectif était de ne pas introduire de rupture en cours de semestre (que ce soit pour l’enseignante ou pour ses étudiants), d’avoir le temps (durant les vacances d’été) de préparer des documents spécifiquement adaptés à l’enseignement à distance et de mettre en œuvre un ensemble d’éléments d’étayage pour l’accompagnement des étudiants, que nous présentons ici selon les trois principales catégories tutorales identifiées par Quintin (2008). Restera à voir ce qui a pu fonctionner et ce qui s’est avéré constituer un frein à la réussite.
Point de vue pédagogique
Du point de vue pédagogique, les aménagements spécifiques pour le caractère à distance du cours se sont centrés sur la scénarisation du contenu (Nissen, 2004 ; Mangenot, 2008).
Le déroulement du cours (dans la chronologie de présentation des différents documents de travail, des activités demandées et des échanges) a été conçu d’avance par l’enseignante (cf. aussi la catégorie organisationnelle). La quantité importante d’informations présentes sur l’espace-cours de la plateforme Moodle dès le début du semestre (même si la mise à disposition effective des documents suivait un calendrier progressif) rendait nécessaire la mise en place de différentes aides pour permettre aux étudiants de s’approprier cet espace :
- une aide visuelle à la structuration par l’utilisation des éléments de présentation proposés par Moodle, comme le choix du format « vue en images » (avec une image cliquable renvoyant à chacune des sections du cours), ou l’utilisation d’étiquettes signalant le type de documents (telles que « Textes pour introduire ce chapitre », « Document de cours », « Pour aller plus loin »…),
- une aide didactique par le biais d’un syllabus détaillé annonçant les contenus et les objectifs du cours,
- un séquencement marqué de chaque chapitre, chacun étant finalisé par un quiz devant permettre de faire ressortir les points importants.
Nous aimerions signaler, à la suite de Soubrié (2020, 15, paragr. 43-44 et tableau 3 paragr. 63), que la matérialité elle-même du numérique est à prendre en compte et que les propriétés spécifiques des outils utilisés (outils de la plateforme Moodle : format visuel du cours, jalons, tests ; quiz du site Quizizz.com, outil H5P pour didactiser des vidéos, Etherpad, etc.) ont naturellement influé sur les interactions au sein de l’environnement numérique proposé. Les outils ne sont pas neutres, mais la position de l’enseignante a ici été de tester ces outils numériques dans le but d’« enrichir, faciliter, soutenir les apprentissages et diversifier les pratiques d'enseignement ».
Nous mettrons de ce fait également dans la catégorie pédagogique l’effort dans la mise à disposition de types de documents plus adaptés à un apprentissage en autonomie :
- des diaporamas commentés (avec commentaires oraux),
- des vidéos avec diverses questions interactives en cours de visionnage et signets pour permettre de mieux s’y retrouver,
- un surlignage des documents PDF déposés pour mieux mettre en valeur les éléments importants (comme cela aurait pu être fait oralement en présentiel),
- des activités collaboratives pour tenter de créer/maintenir le lien entre pairs,
- deux moments synchrones pour nourrir le lien entre pairs et avec l’enseignante.
C’est le mode (majoritairement) asynchrone qui a été choisi ici comme mode d’enseignement/apprentissage car la pédagogie mise en œuvre en présentiel était déjà de type « classe inversée » et pédagogie active. Ce mode asynchrone a été mis en place avec une échelle de temps hebdomadaire.
Selon Mangenot (2008, p.19) : « La modalité asynchrone présente bien sûr l’avantage qu’elle laisse les apprenants travailler au moment qui leur convient et qu’elle leur donne tout loisir d’approfondir leurs idées avant de les exprimer ; mais elle exige en retour une plus grande discipline (il faut se connecter régulièrement) et par là une plus grande autonomie. ». Nissen (2019, p.99, p.214) note par ailleurs que l’imposition d’un rythme de travail reste largement appréciée par les apprenants. Il faudra donc s’interroger sur la façon dont les étudiants se sont saisis ici de ce cadrage hebdomadaire.
Point de vue organisationnel
Du point de vue organisationnel, les aménagements spécifiques pour le caractère à distance du cours se sont centrés sur un cadrage étoffé :
- un calendrier prévisionnel du contenu global de chaque semaine, disponible dès la rentrée,
- une structure globale du cours visible sur l’espace-cours Moodle (documents, activités avec dates de remise/de disponibilité) dès le début du semestre,
- des précisions fournies dans le syllabus concernant la méthodologie de travail à distance proposée,
- des activités régulières à effectuer pour les étudiants de façon à aider leur progression, et éviter le décrochage,
- un appareillage technique spécifique (lié à la plateforme Moodle) :
- la barre de progression dans les divers documents/activités de l’espace-cours pour chaque étudiant
- des « jalons » Moodle (documents/activités, repérés par un petit logo spécifique, correspondant à des étapes pédagogiques importantes de la formation. Ces jalons constituent une aide pour les étudiants pour repérer clairement les éléments faisant l’objet d’une évaluation (sous forme de note ou simplement d’un suivi particulier de la part de l’enseignante), et une aide visuelle pour tout le monde pour structurer l’espace-cours.). Cet effort de clarification rejoint les remarques de Nissen (2019, p.48, p.60, p.112-115) sur l’importance d’indiquer aux apprenants ce qui est obligatoire ou optionnel.
- un forum « Travail Maison » où les consignes de travail étaient déposées chaque semaine.
Point de vue socioaffectif
Un autre forum (« Forum pour vos questions ») a également été mis à disposition des étudiants pour qu’ils puissent poser des questions de tout ordre (de contenu, sur les consignes, problèmes techniques, etc.), auxquelles chacun avait la possibilité de répondre (dont l’enseignante, mais pas seulement). L’idée était que ce forum participe à la création du lien socioaffectif, à la fois entre pairs et entre l’enseignante et les étudiants.
Le syllabus était associé à une courte présentation vidéo de la part de l’enseignante pour compenser dans une certaine mesure l’absence de séance synchrone en début de semestre.
Le reste de cet aspect a consisté à fournir un retour individualisé pour chaque activité proposée, une réponse rapide à chaque courriel envoyé individuellement par les étudiants, et des messages sur le forum « Travail Maison » (en plus des messages hebdomadaires) pour rappeler, encourager et féliciter la participation aux diverses activités (ce qui participe également aux catégories pédagogique et organisationnelle).
Ressenti personnel de l’enseignante
Le ressenti de l’enseignante face à ce passage à distance anticipé présente une double facette : la satisfaction d’avoir eu l’occasion de repenser l’aspect pédagogique du cours et une certaine déception (au vu du temps passé à l’adaptation de ces modalités) face à un démarrage difficile (les étudiants ne semblant pas beaucoup consulter l’espace-cours dédié durant les premières semaines).
Une adaptation simultanée au passage à distance
En ce qui concerne le deuxième cas (concernant la deuxième enseignante et ses deux groupes d’étudiants), le passage intégral à distance et aux modalités asynchrones décidé en début de l’année universitaire a imposé une adaptation rapide et progressive du cours. Des questions inévitables ont ressurgi et il a été nécessaire d’y répondre dans l’urgence : comment attirer ce nouveau public (car début d’année universitaire), comment adapter le contenu alors que le cours de didactique était conçu comme un cours interactif et collaboratif (TD et non pas CM) ? Quelles modalités de travail et quel format de cours prévoir d’une semaine à l’autre afin d’atteindre les objectifs du cours et ne pas alourdir le programme déjà chargé des étudiants ? Comment faire face aux questions de l’inégalité sociale et numérique des étudiants (Wagnon, 2020), des problèmes que l’on ne connait pas de façon directe mais que l’on suppose ?
Point de vue pédagogique
Afin d’assurer une organisation et une adaptation rapide, l’enseignante a ainsi choisi de rédiger les parties théoriques du cours et de transformer les activités pratiques. Initialement, ce cours était prévu comme un travail pratique et il s’organisait sous la forme d’échanges à partir de documents authentiques. Il y avait ainsi une réelle co-construction du cours, autour des thématiques concernant l’évolution de la discipline et ses liens avec d’autres disciplines, les outils de référence en FLE, le CECRL, l’approche communicative et la perspective actionnelle. Pour ce premier semestre intégralement asynchrone, l’option a donc été de réorganiser le contenu théorique et de rédiger les cours plutôt que de déposer sur la plateforme Moodle les diaporamas plus succincts utilisés auparavant. Au niveau du contenu, l’enseignante a essayé de présenter ce qu’elle a considéré comme étant nécessaire pour une meilleure compréhension de l’objet et des objectifs de la didactique du FLE, dans une perspective d’efficacité : transmettre et expliquer l’essentiel, de façon synthétique et adaptée au contexte et en ciblant les besoins de formation des étudiants. À titre d’exemple, la partie de cours dédiée à l’historique de la discipline en rapport avec la pédagogie a été réduite pour mieux expliquer la typologie des publics FLE et les différents contextes et perspectives d’enseignement-apprentissage permettant ainsi aux étudiants de transposer dans d’autres contextes d’enseignement-apprentissage (pour l’anglais langue étrangère par exemple) les informations reçues. Tout cela dans un souci de précision et d’efficacité du contenu transmis, que la modalité asynchrone a induit dès la première semaine de cours. L’absence de feed-back direct, tel que vécu habituellement dans la salle de cours, a été l’un des éléments les plus difficiles à intégrer, d’où le besoin constant d’anticipation que l’enseignante a ressenti ainsi qu’une organisation transparente et bien explicitée, d’une semaine à l’autre.
Point de vue organisationnel
Les aménagements spécifiques du cours pour ces deux groupes recouvrent dans les grandes lignes les modalités déjà décrites pour les deux groupes d’étudiants dans le cas de l’adaptation anticipée : un calendrier et une organisation du semestre présentés aux étudiants dès la première semaine de cours ; des forums et des chats hebdomadaires (hébergés par la plateforme Moodle de l’université) ; des activités hebdomadaires ; un cadrage des activités facultatives et des activités obligatoires ; des consignes de travail précises.
Point de vue socioaffectif
Le passage intégral à distance et en modalité asynchrone implique pour les étudiants une brusque « perturbation des repères » (Denny, 2020) et un changement quasi intégral des routines, pour l’enseignant et les étudiants à la fois. La prise en compte de la dimension socioaffective a été ressentie comme étant extrêmement importante. Par conséquent des forums, des chats, des réponses personnelles par courriel ont été organisés de façon hebdomadaire ainsi qu’un feed-back individuel pour les différentes activités ou devoirs.
Le point de vue des étudiants
L’impression (forcément parcellaire) qu’il a été possible de se faire sur l’investissement ou le ressenti des étudiants s’est construite tout-au-long du semestre par le biais du suivi possible sur la plateforme Moodle, par les courriels échangés et en fin de semestre, grâce au questionnaire anonyme proposé sur l’espace-cours.
Du fait de son caractère quantitatif limité, nous mentionnons ici certains résultats du questionnaire d’un point de vue essentiellement qualitatif-interprétatif, en ce qu’ils peuvent aider à mieux comprendre ce qui semble avoir marché ou non pour ceux qui ont répondu (28 étudiants sur 39 pour deux groupes). Ce questionnaire proposait 28 items (portant sur le caractère à distance du cours, mais également sur d’autres aspects) : 4 items correspondaient à des questions facultatives ouvertes, 2 à des estimations de leur part (durée du travail investi de façon hebdomadaire, et qualité du cours dans son ensemble), les 22 autres (obligatoires pour avancer dans le questionnaire) se présentaient sous forme d’une échelle de Likert (affirmations qui devaient être qualifiées sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord), avec une case NSP1 possible).
Point de vue pédagogique
L’effort de structuration du cours et le document de présentation (objectifs, contenus, méthodologie) ont été assez bien perçus (86% de « tout-à-fait d’accord » et « plutôt d’accord » pour ces deux aspects, avec un commentaire négatif dans une question ouverte : «la division de la page e campus de votre cours en sous dossiers reste pour moi une source de confusion, je m'y perd [sic]2 régulièrement » et un autre positif : « Les cours étaient bien organisés et structurés. Très agréable d'un point de vue visuel pour retrouver les cours sur ecampus. »).
Les quiz en ligne de fin de chapitre ont été particulièrement bien accueillis (90% de « tout-à-fait d’accord » et « plutôt d’accord ». On peut également citer ce commentaire : « J'ai particulièrement apprécié les quiz à chaque fin de chapitre car cela m'a permis de faire un point entre ce que j'ai réussi, pas réussi et de ce que j'ai vraiment compris. »).
L’effort d’adaptation des supports a été très apprécié (96% de « tout-à-fait d’accord » et « plutôt d’accord », et des commentaires, tels que : « J’ai trouvé que vous aviez fait beaucoup d’effort pour nous proposer des activités différentes […]. », « j'ai trouvé que le cours était très bien organisé, avec plusieurs types de documents, plusieurs manières d'être évalué, c'était très agréable. ».
En ce qui concerne le choix synchrone/asynchrone, deux étudiants ont exprimé leur regret de ne pas avoir eu cours en visioconférence de temps en temps.
La séance synchrone qui devait initialement se tenir en visioconférence (activité en petits groupes sur une analyse de méthode de FLE) s’est faite à l’écrit de façon synchrone (par le biais d’un etherpad intégré dans l’espace-cours), mais sans visio car l’enseignante ne se sentait pas prête techniquement à gérer de petits groupes de travail avec cet outil. L’impact de cette décision a été clairement négatif, à la fois pour l’enseignante (du fait de la difficulté à intervenir en direct à l’écrit dans la zone de clavardage), comme pour les étudiants, au vu du peu d’enthousiasme suscité (57% de « pas vraiment d’accord » et « pas du tout d’accord » concernant l’affirmation « J'ai apprécié l'activité synchrone sur l'analyse d'une méthode de FLE »).
Il ressort ici clairement pour l’enseignante qu’il aurait été profitable d’intégrer quelques séances synchrones, en particulier en début de semestre.
Point de vue organisationnel
Si l’on revient sur le choix de la modalité asynchrone par rapport aux deux aspects qui lui semblent liés : liberté d’organisation d’une part, et nécessité d’une plus grande autonomie d’autre part, les commentaires recueillis semblent souligner tout particulièrement le premier point (quatre commentaires soulignent en effet l’avantage organisationnel).
Mais la nécessaire autonomisation dans son organisation de travail reste une pierre d’achoppement pour certains étudiants : « C'était parfois difficile de se souvenir qu'il y avait cours. » et « Juste parfois on ne pensais pas trop au FLE, du coup on se retrouve a tout faire au dernier moment […]. ».
En ce qui concerne plus précisément les outils organisationnels disponibles, le fait de disposer d'un calendrier prévisionnel et que la structure du cours soit visible dès le début du semestre (avec les dates de mises à disposition des documents et activités) a obtenu 100% d’accord de la part des étudiants (71% « tout-à-fait d’accord » et 29% « plutôt d’accord »), et s’est retrouvé dans les commentaires des questions ouvertes (cf. par exemple : « Le fait que […] vous nous ayez clairement donné le planning dès le début du semestre était très très important et je vous remercie de l’avoir fait […]. »).
Point de vue socioaffectif
De ce point de vue, la perception de la disponibilité enseignante a bien fonctionné puisque 100% des réponses sont positives (79% « tout-à-fait d’accord » et 21% « plutôt d’accord » et 4 NSP). On peut également citer le commentaire suivant (formulé en réponse à la question facultative ouverte portant sur ce qui avait été particulièrement apprécié) : « La disponibilité de l'enseignante. Le caractère "humain", j'entends par là que je n'avais pas l'impression de n'être qu'un résultat de quizz, mais une vraie personne ». Les échanges par courriel individuel ont également révélé l’aspect plutôt positif du point de vue socioaffectif car certains étudiants n’ont pas hésité à exprimer leurs remerciements.
Cependant, cet aspect positif ne peut être assimilé au fait de se sentir bien encadré (37% « tout-à-fait d’accord », 48% « plutôt d’accord », 11% « pas vraiment d’accord », et 4% « pas du tout d’accord » + 1 NSP).
Ce dernier point peut être mis en relation avec l’appréciation du fait que le cours soit à distance dès le début du semestre, où les avis étaient partagés (contrairement aux prévisions de l’enseignante) : 57% « tout-à-fait d’accord », 14% « plutôt d’accord », 14% « pas vraiment d’accord », et 14% « pas du tout d’accord »3. Voici également quelques commentaires : « nouveau cours, difficile d'être directement tout seul pour cela », « […] Les cours à distance à mes yeux sont démotivants et ne permettent pas de recevoir un enseignement complet. Rien ne nous pousse a l'effort et se retrouver seul face à son écran », « le fait qu'au début du semestre c'était déjà à distance ma complètement pénalisé et je n'arrivait déjà plus a suivre étant donné que je n'avait pas de présence physique en cours, a aucun moment. » et « Pour ce qui est des points négatifs, je dirais que j’ai eu du mal à accrocher au tout début du semestre ».
Le sentiment d’un manque qui apparaît à ce niveau aurait sans doute pu être évité par la mise en place d’une ou deux séances synchrones en début de semestre, demande qui a été soulignée précédemment.
On pourra remarquer, pour conclure sur l’aspect socioaffectif, que les étudiants n’ont pas saisi la disponibilité du « Forum pour vos questions » pour solliciter l’enseignante, s’entraider et créer du lien. Ceci peut peut-être être compris à la lumière de l’un des commentaires formulés : « je trouve que les cours à distance sont beaucoup moins bien par rapport aux cours en présentiel, cela motive moins, incite moins à poser des questions ».
Bilan des deux expériences
La continuité pédagogique pour ce cours universitaire ne s’est pas toujours révélée facile pour les étudiants, comme le soulignent certains de leurs commentaires déjà mentionnés et les premiers courriels reçus en début de semestre qui portaient sur le fait qu’ils avaient eu du mal à s’y mettre et demandaient un délai pour certaines activités à effectuer. Cependant, certains commentaires en fin de semestre présentaient un aspect positif du point de vue organisationnel.
On peut s’interroger sur l’estimation que ces étudiants ont faite du temps passé à travailler pour ce cours (qui leur aurait déjà pris 2h de leur temps en présentiel) : 4% seulement ont estimé avoir travaillé plus de 90 min. par semaine. Cette donnée ne me semble cependant pas pouvoir être analysée dans le cadre restreint de ce cours et devrait sans doute être mise en regard avec des cours proposés en synchrone4, en termes non seulement de temps effectif de travail, mais également en termes de (sur)charge cognitive.
Pour les enseignantes, c’est essentiellement l’investissement en temps et l’inquiétude face à des débuts difficiles qui ont marqué négativement ce semestre. Du point de vue étudiant, nous reviendrons ici sur l’aspect collaboratif de ce cours. L’appropriation plus avancée des outils proposés par la plateforme d’apprentissage qu’a permis cette période a été en partie investie pour maintenir la pédagogie active et les principes constructivistes mis en œuvre précédemment lors des séances de cours en présentiel (co-construction des connaissances et travail collaboratif). Malgré l’existence des outils numériques nécessaires, la collaboration étudiante a connu des débuts difficiles. Le fait que les étudiants ne se connaissaient généralement pas avant le début des cours a en effet créé une certaine réticence face à la demande de travail en groupes. Notons toutefois que les difficultés initiales surmontées, la collaboration semble ensuite s’être globalement bien passée. Nous ajouterons que le présentiel, s’il facilite l’établissement des relations entre pairs et renforce dans une certaine mesure la motivation individuelle, ne résout pas tous les problèmes liés au travail collaboratif ou à l’investissement personnel nécessaire.
Notons simplement pour finir que le second semestre5 semble montrer que les étudiants ont acquis une certaine expérience du travail à distance qui leur permet maintenant de mieux s’organiser et de mieux collaborer qu’au début du premier semestre.
3. Analyse des deux expériences du cours de français pour les étudiants norvégiens
Présentation du cours Årskurs
La formation annuelle en français et didactique s’adresse aux étudiants en première année de licence qui se destinent à l’enseignement du FLE dans les collèges et lycées norvégiens. La propriété de ce cours revient à l’Université de Trondheim, en Norvège, et la formation est délivrée à l’Université de Caen en France. Une enseignante-chercheuse employée par le département de langue et littérature de l’Université de Trondheim occupe les fonctions de coordinatrice de la formation et gère l’équipe enseignante issue de l’Université de Caen, suit la promotion d’étudiants et garantit les contenus du programme selon les standards universitaires définis par l’Université de Trondheim.
La plus-value du dispositif est de proposer un diplôme norvégien encadré par les institutions de tutelles nationales, dans lequel interviennent des enseignants natifs de la langue cible en contexte homoglotte. Ce cours a donc traditionnellement lieu à Caen et s’étend sur les deux semestres de l’année de formation.
Lors de la mise en place de ce programme d’enseignement initialement défini pour des cours en présentiel, nous souhaitions relever deux défis principaux :
- Faire accéder en dix mois (de septembre à juin) une promotion d’étudiants de niveaux initiaux variables (A1 à B1) au niveau B2 requis pour l’enseignement en collège ou lycée en Norvège. Ces niveaux définis par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues incluent des évaluations de compétences de compréhension et d’expression orales et écrites.
- Enseigner les contenus disciplinaires inhérents au programme de licence 1 de français en Norvège : histoire de la littérature française, analyse littéraire, initiation à l’histoire et aux institutions de la France, enseignement des rudiments de l’analyse syntaxique, de la morphologie et de la phonologie. Enfin, puisqu’il s’agit d’une formation de futurs enseignants, la compétence en langue française doit être doublée d’une compétence en didactique du FLE pour un public norvégien.
En raison des lourdes ambitions du programme et du temps restreint imparti aux enseignements – 28 semaines à raison de 20 heures de cours par semaine – sans perdre de vue les difficultés de parcours et les potentiels écueils qu’elles impliquent, nous avions, dans une période pré-COVID, dégagé des stratégies prioritaires d’enseignement.
En pratique, notre orientation relève des trois dimensions de Quintin (2008) et suppose des chassés-croisés permettant de conserver l’identité de chaque module mais invitant à définir leurs objets d’études comme des points de rencontres des disciplines, de leurs théories et de leurs méthodes. Au-delà de la porosité des disciplines, nous avons défendu une autre forme d’ouverture : celle qui consiste à prendre en compte le bagage culturel et linguistique de l’apprenant pour accéder enfin à une forme de dialogisme interculturel où l’identité de l’apprenant devient un atout au cours de son propre apprentissage mais également dans la situation de classe (Ferreira da Silva, 2013, p.99). Une telle forme d’enseignement suppose la mise en place de dispositifs favorisant la rencontre des cultures sources et cibles. Dans le contexte pré-COVID, l’équipe enseignante pouvait se contenter de faire état des situations d’input ou de provoquer des occasions de rencontres avec la société française. En outre, le cours en présentiel est un contexte où l’input dépasse l’enseignement prodigué. En est-il de même dans un contexte d’enseignement en distanciel ?
De 2015 à 2019, le programme a été assuré en présentiel par une équipe d’enseignants dédiés et équipés d’outils pédagogiques (supports correspondant aux objets du programme, que les enseignants sélectionnent et transmettent aux étudiants) et organisationnels (la plateforme blackboard diversement utilisée selon les enseignants, la boîte mail des étudiants) considérés alors appropriés tant à la transmission des compétences et contenus qu’aux paramètres sociopédagogiques de la formation. La crise sanitaire survenue en 2020 a bouleversé les processus mis en place. Plus précisément, en interdisant la simple présence physique en cours, elle a altéré les valeurs de calibrage des dimensions pédagogique, organisationnelle et socioaffective des dispositifs d’enseignement établis.
La présente étude s’attachera ainsi à identifier ces bouleversements en décrivant deux expériences en ligne de cours de ce même programme, inscrites dans des contextes significativement différents.
Analyse des deux expériences
Contexte et hypothèses
Dans le premier cas (mars-juin 2020) [dispositif 1], le confinement a imposé un brusque passage de l’intégralité des cours en ligne sans aucune planification organisationnelle, ni aucune préparation psychologique. Les étudiants et les enseignants se connaissaient depuis septembre 2019 et avaient été en présence physiquement à l’université. Les étudiants ont été brutalement contraints de rester chez eux et incités par leur université de tutelle à rentrer en Norvège. Dans le second cas, la situation sanitaire incertaine n’a pas permis d’organiser un enseignement en présentiel et les étudiants ont été avisés dès le dépôt des candidatures que le 1er semestre serait en ligne dans tous les cas. Ils ont donc fait le choix de suivre les cours de Norvège espérant pouvoir commencer le second semestre à Caen. Les enseignants ont conçu leur cours en sachant qu’il aurait lieu en ligne [dispositif 2].
Selon les trois principales catégories identifiées par Quintin (2008), les deux dispositifs présentent des points favorables à un enseignement à distance et des freins à sa réussite. Nous nous proposons d’examiner tour à tour les catégories pédagogique, organisationnelle et affective du point de vue de l’équipe enseignante sur la base d’un questionnaire et formulons déjà deux hypothèses :
- Le dispositif 1 a favorisé le développement de la dimension socioaffective
- Le dispositif 2 a permis une meilleure visibilité du plan organisationnel
La méthode d’analyse à laquelle nous soumettons nos résultats demeure exclusivement qualitative. L’examen des retours d’enquête de cinq enseignants (grammaire, didactique, littérature et pratique de la langue) s’étayera en deux temps. À un résumé des réponses correspondant à chacune des dimensions de Quintin et portant sur chacun des deux dispositifs succédera une première synthèse.
Analyse des données
Pour chacun des dispositifs étudiés l’impact de l’impératif des cours en distanciel sur la scénarisation des contenus pédagogiques n’est pas décrit en termes négatifs. Quand certains commentaires suggèrent une relative simplicité du processus – « un transfert », « un mode de planification similaire au présentiel » - d’autres évoquent le caractère complexe du travail, en soulignant le temps passé à créer des séquences de cours asynchrones et le besoin de suppléer l’enseignement par des activités de réinvestissement. Globalement, on perçoit un besoin des enseignants d’en faire plus que dans l’enseignement en présentiel. Il est question pour l’une de « davantage varier les activités » ; une autre partage ses questionnements : « il serait nécessaire d’alterner davantage encore les modalités synchrones/asynchrones ». On retient en bref que les enseignants ont tâtonné à la recherche de scénarios efficaces. Enfin, une enseignante du premier dispositif qualifie d’« épreuve » la mise en place des cours en ligne dans un climat d’urgence assorti de stress et de défis de connexion internet, un pis-aller contraignant à une révision à la baisse des ambitions pédagogiques. Par contraste, les enseignants du dispositif 2 disent avoir bénéficié des expériences du premier confinement en termes de conception. À ce niveau, la maîtrise acquise des outils (vidéos, quiz…) est exprimée comme une réelle satisfaction.
La dimension organisationnelle de l’enseignement à distance est retenue par chacun comme la plus chronophage. En dépit de quelques atouts mis en exergue – les échanges avec les étudiants peuvent être facilités par les différents outils de communication, la trace physique des enseignements accroît l’accès aux contenus pour les étudiants – et bien que les intervenants du dispositif 2 soulignent à nouveau bénéficier des expériences passées, avec leurs « succès » et leurs « erreurs », les mêmes commentaires reviennent, empreints d’insatisfaction. Tous convergent vers l’idée qu’un accompagnement étroit de l’étudiant s’impose. Un tel suivi se double de frustrations – « le pilotage des tâches » est décrit comme « problématique », de même que la « gestion du temps de cours ». On note toutefois ici une différence entre le ressenti des enseignantes en littérature et en grammaire. Si toutes admettent que le rythme de transmission est ralenti, seules les enseignantes en littérature évoquent la « difficulté de prise d’indices » des étudiants lors des exercices. Ceci pourrait tenir de la nature, de la forme et de la consistance des réponses attendues dans chacune des matières concernées.
Malgré quelques constantes, la dimension socioaffective a affecté de façon assez différente les enseignements des dispositifs 1 et 2. Faisant référence à l’urgence d’une délocalisation des enseignements de la salle de classe physique à la salle de classe virtuelle, les intervenantes du dispositif 2 laissent entendre qu’elles ont alors tablé sur les acquis et sur une relation socioaffective déjà bien installée afin de mener les étudiants jusqu’au terme de leur année d’études. Il est question de « stress », d’« angoisse », de « frustration » et de « volonté d’abandon ». Dans ce premier plan d’urgence, les enseignantes se définissaient déjà comme accompagnatrices et interlocutrices de leurs étudiants. On note avec intérêt que les enseignantes du dispositif 2 s’attardent moins sur cette dimension en privilégiant des commentaires d’ordre pédagogique et organisationnel. Il apparaît toutefois qu’elles ont mesuré l’importance d’un « accompagnement » : comment « continuer à motiver les étudiants pour que personne n’abandonne » et pallier leur « manque d’autonomie » ? L’une d’entre elles résume son ressenti en parlant d’« impossibilité d’établir le même relationnel avec les étudiants que lors des cours en présence » ; une autre pointe la difficulté accrue de l’acculturation, puisque les étudiants ne connaissant pas le contexte universitaire français « ont naturellement projeté leur représentation d’une culture éducative norvégienne sur les enseignants français, ce qui a créé quelques malentendus ».
Bilan des deux expériences
Nous tirons trois constats de cette courte analyse des résultats d’enquête :
L’exigence d’autonomie
Le dispositif en ligne favorise les traces physiques et oblige l’enseignant à être plus clair, plus précis, à expliciter toutes les intentions pédagogiques et à être transparent dans les consignes. On pourrait imaginer qu’une telle pratique va au bénéfice des étudiants ‘faibles’. Paradoxalement, s’ils ne sont pas brimés, ils doivent surtout faire preuve d’autonomie et de motivation interne pour tirer profit de l’enseignement. L’étudiant qui prend en charge son propre apprentissage s’inscrit idéalement dans le modèle constructiviste prescrit par Biggs (1996) avisé par les enseignants du dispositif 2 mais mis à l’épreuve dans la réalité des enseignements de ce dispositif.
L’interculturel mis en danger
Contrairement au dispositif 1, le dispositif 2 n’est pas un transfert pur et simple du physique vers le virtuel. Bénéficiant de leur expérience passée, de temps supplémentaire et de formations aux ressources digitales, les enseignants peuvent planifier les séquences de cours, mettre au point les séances d’évaluation et établir les garde-fous pour des enseignements appropriés aux objectifs de contenus et de compétences fixés par le programme. Dans le contrat du programme, les critères organisationnels et pédagogiques sur lesquels ils s’attardent dans leurs commentaires semblent alors remplis.
En revanche, ce même dispositif ne profite pas d’un terrain favorable à l’interculturel. Les étudiants ne connaissent pas la France. L’enseignement des contenus et compétences est mené sans que les étudiants aient le moindre point d’ancrage physique avec la société française. Tout en freinant l’acquisition de la langue, la difficulté à établir un dialogue interculturel ralentit la compréhension des contenus et risque de réduire la relation aux étudiants à un service aux clients. Une piste sur laquelle l’équipe FLE du département est en train de travailler réside en une alternative à l’immersion par l’acculturation à la langue-culture cible par le biais du cinéma contemporain. Le vecteur cinématographique est ici perçu comme un document authentique permettant d’acculturer l’étudiant contraint de rester en milieu hétéroglotte par une familiarisation à différents parlers, registres, situation et contextes participant de ce qu’est la France d’aujourd’hui.
La compartimentation des catégories
Parallèlement à la dimension interculturelle, le décloisonnement des disciplines et des pratiques a constitué un fer de lance idéologique du programme. Néanmoins, le passage à un enseignement en ligne pose question : tous les savoirs sont-ils également transmissibles en ligne ? Selon les disciplines, les sous-disciplines ? Il semblerait que les exigences en littérature soient plus difficiles à maintenir dans un enseignement en ligne qu’un enseignement de grammaire ; à l’intérieur-même des sous catégories grammaticales, la syntaxe semble plus aisée à enseigner en ligne que la sémantique. Ceci nous conduit à nous questionner sur la manière de repenser les savoirs transdisciplinaires et leur acquisition dans le cadre d’une formation intégralement en ligne.
4. Conclusion
Les trois points récapitulatifs de nos analyses soulignent tour à tour les forces et les failles de dispositifs en ligne contraints, dans le cadre d’un programme qui n’avait pas été initialement conçu pour ce format. On notera en priorité que les réticences originales des enseignants étaient associées aux défis technologiques. Ces défis sont finalement largement maîtrisés. Ils laissent place à des considérations plus fondamentales quant à la pratique enseignante devenue tributaire du degré d’autonomie et d’implication personnelle de l’étudiant. Comment combattre l’éloignement et le cloisonnement engendrés par l’enseignement à distance ?
Un ancrage méthodologique déjà brièvement mentionné et un retour sur nos expériences répertoriées dans cet article, nous permettront d’esquisser des pistes de réponses à ces questionnements.
Dans la lignée du positivisme, l’enseignant recherche traditionnellement à transmettre puis à mesurer une certaine quantité de connaissances acquises, indépendamment de la nature de ces connaissances et des publics impliqués. Dans une proposition inspirée du constructivisme de Piaget, Biggs (1996) préconise un « alignement constructif » de l’enseignement qui définit l’apprenant non plus comme récepteur de savoir, mais comme acteur de la pratique d’acquisition du savoir.
Nous avons ainsi pu remarquer, qu’au niveau pédagogique, l’enseignement à distance demande de nombreux aménagements pour soutenir les apprenants dans cette situation d’apprentissage spécifique. Nous en avons cité un certain nombre au fil de l’article : structuration visuelle des contenus sur la plateforme d’enseignement, présence d’un syllabus détaillé, mise à disposition de documents plus adaptés à un apprentissage en autonomie (diaporamas avec commentaires oraux, vidéos didactisées et rendues interactives, quiz, etc.). Il nous semble également important de souligner qu’enseignement/apprentissage à distance ne signifie pas automatiquement cours synchrones en visioconférence chaque semaine. Le choix du synchrone ou de l’asynchrone semble en effet une décision importante et dépend sans doute du type de cours proposés. Dans notre expérience, le caractère asynchrone des cours – qui permet aux étudiants de s’organiser – a été bien perçu, mais a sans doute favorisé ceux qui disposaient déjà d’une certaine autonomie dans leur travail. Cela a tout de même sans doute aussi permis de développer cette autonomisation dans la mesure où une progression a pu être observée à ce niveau (dans leur présence sur la plateforme en ligne, leur participation au fil du semestre, ainsi que dans leur réactivité améliorée au début du second semestre).
Au niveau organisationnel, un calendrier prévisionnel pour l’ensemble du semestre et une structure de cours visible dès le début du semestre semblent être très importants et appréciés des étudiants. Des activités suivies régulières sont importantes pour les aider dans leur progression. Des éléments sur la méthodologie du travail à distance seraient sans doute un point à développer au départ.
Au niveau socioaffectif, les étayages doivent également être nombreux et la disponibilité enseignante comptera beaucoup dans ce cadre.
Certains aspects du caractère à distance des cours peuvent être vus de façon transversale par rapport aux catégories de Quintin comme l’aspect collaboratif des cours, qui touche à la fois l’encadrement pédagogique, mais aussi le renforcement des liens socioaffectifs, en particulier entre pairs. On peut également ajouter, dans une stratégie majoritairement asynchrone, la présence de quelques séances synchrones en visioconférence, permettant de varier les types d’activités proposées, mais également, là aussi, d’aider à créer et maintenir le contact entre pairs et avec l’équipe enseignante.
Notre analyse a pu également mettre en évidence que les enseignants s’éloignaient consciemment du cours magistral foncièrement positiviste et mettaient en place des pratiques plus constructivistes référencées dans le modèle de Biggs. Le succès de telles modalités repose toutefois – comme on l’a dit - sur la capacité réelle d’engagement des étudiants, sur leur maturité académique et sur leur motivation, mise à l’épreuve par l’isolement physique du confinement. D’un point de vue socioaffectif, le rôle central de l’étudiant suggère qu’on optimise le dialogue interculturel en « [réorientant] la formation vers l’humain, le social, le changement, le pluriel, renonçant ainsi à un enseignement mythique, produit d’une série d’habitudes éducatives déterminées par un ancrage culturel fort. [...] » (Ferreira da Silva, 2013, p.87). Ce positionnement de l’apprenant semble aussi devenir un atout quand la technologie est mise au service des dispositifs d’enseignement. Le numérique peut en effet servir de « vecteur d’évolution des pratiques pédagogiques » (Grosbois, 2018).
Finalement, au-delà des considérations psychopédagogiques qu’elle a générées, notre étude comparative d’expériences de cours en ligne nous a permis d’identifier les difficultés propres au distanciel afin de mieux y faire face.
Le 100% numérique dans un contexte contraint entraîne bien entendu son lot de difficultés (aussi bien du côté enseignant (« tous les enseignants ne sont pas égaux face aux tâches numériques proposées » comme le rappelle Descamps et al., 2020) qu’étudiant), mais certains étayages peuvent être mis en place, en fonction des formations. On pourrait, entre autres, considérer le bien-fondé d’une concertation de l’ensemble de l’équipe enseignante en amont du semestre, de même qu’un webinaire inaugural réunissant toute l’équipe enseignante. Ceci permettrait la présentation d’objectifs et de modalités communs à tous les enseignements favorisant la création d’une communauté de pratiques (COP) dont les effets bénéfiques ont fait leur preuve (Wenger, 2003).