Hongrie (1956), Asie du Sud-Est (1975-1985), Chili (1973-1989), Kosovo (1999), Érythrée (2015), Irak (2015), Syrie (2015), Libye (2015), Afghanistan (2021), Ukraine (2022)… Les vagues se succèdent et ne se ressemblent pas. Partout les régimes autoritaires, les dictatures, les régimes intégristes, les changements climatiques et maintenant les crises sanitaires provoquent des mouvements violents de population accueillie de façon plus ou moins planifiée par les pays hôtes voisins ou plus lointains.
Dans ces contextes, la formation linguistique à la langue du pays d’accueil est très rapidement sollicitée au même titre que le droit au logement, l’accès aux soins, l’aide alimentaire, l’autorisation d’exercer une activité professionnelle ou la scolarisation des enfants mineurs. Cependant, la didactique de l’urgence (Béacco, 2012) semble encore peu conceptualisée.
Il existe certes des dispositifs d’accueil pour les enfants allophones scolarisés au sein des ministères de l’éducation ou accueillis dans des structures spécifiques (mineurs non-accompagnés). Toutefois, l’accompagnement reste de durée limitée et les volumes horaires faibles (Béacco, 2012 ; Cherqui & Peutot, 2015). Il semblerait que l’« Urgence pour les enfants en détresse scolaire dont tous les observateurs soulignent l’origine langagière de la difficulté à tirer partir de la scolarisation » (Verdelhan-Bourgade, 2002) ne soit toujours pas prise en compte au risque de provoquer des retards et des décrochages scolaires.
Pour les adultes, les dispositifs de formation linguistique sont souvent de nature hétéroclite : insertion civique subventionnée par les gouvernements, stages intensifs pour l’insertion professionnelle, diplôme universitaire comme passerelle vers des études dans le supérieur ou accompagnement linguistique dans des structures associatives. De nouveau, l’urgence et la particularité d’un public violemment déraciné avec un parcours migratoire qui a pu être chaotique semblent échapper au cadre institutionnel.
Or, les enseignants en formation linguistique remarquent rapidement que leurs élèves ou leurs apprenants demandent une attention particulière et soutenue (Constant, 2017). De plus, les nombreuses ressources (par exemple : Conseil de l’Europe, 2017 ; Eduscol, 2022) mises à la disposition des formateurs ne suffisent pas. En effet, ces dernières sont souvent présentées comme des listes d’injonction : « valoriser les langues premières ou passerelles, ne pas parler du parcours migratoire, répondre de manière appropriée aux différences culturelles … ») qui, présentées de manière parfois caricaturale, laissent peu de place à l’apprenant et sa singularité. Elles témoignent aussi d’un état d’impréparation chronique (gestion de la pénurie) qui mobilisent régulièrement des bénévoles sans formation didactique pour assurer des cours de français. C’est donc sans surprise qu’on lira la récente tribune publiée sur FranceInfo (26/05/2022) par un collectif d’associations et de chercheurs qui appelle à ce que « l’accueil digne des migrants soit la règle, pas l’exception » avec plus précisément, dans le cadre de l’accueil des réfugiés, un droit gratuit à des cours de français.
Alors, comment sortir de notre état de sidération et organiser une didactique de la catastrophe, à savoir une réponse à un état d’urgence où il existe une inadéquation entre les ressources et la demande exceptionnelle, pour reprendre des termes de la médecine de guerre/de catastrophe (Julien, 2013) ? Comment conceptualiser cette didactique de la catastrophe pour la formation linguistique en français? Quels dispositifs transitoires et professionnels imaginer ? Le formateur linguistique peut-il travailler seul ou doit-il s’entourer de médiateurs, de professionnels de l’accompagnement social et médical ? Quels risques pour une prise en charge inadaptée (attente trop longue, formation trop courte, violences institutionnelles, intervention de professionnels non-formés) ? Comment créer/maintenir l’envie d’apprendre une langue autre alors que les trajectoires professionnelles et personnelles sont difficilement imaginables ? Faut-il penser une période de repos/de convalescence avant les apprentissages linguistiques ou au contraire maintenir/renouer avec des attaches scolaires/de formation? Les contenus linguistiques doivent-ils être réduits ou fonctionnalisés au maximum (Adami, 2020) ? Quels rôles pour la créativité ou l’expressivité ? Que peut-imposer, proposer alors que les urgences vitales (logement, santé, finance) mobilisent de nombreuses ressources cognitives ? Quelles places pour l’interculturel, le co-culturel, le transculturel, la médiation, l’interprétariat dans les formations linguistiques (ANR Liminal, 2019)? Comment (re)penser l’articulation entre le linguistique et les institutions démocratiques alors que les déplacés vivent une sorte d’anomie ? Combien de temps doivent durer les formations linguistiques inscrites dans un accueil de la catastrophe ? Doivent-elles rester étanches par rapport à des dispositifs plus traditionnels ? Quels rôles de la population locale pour soutenir les apprentissages linguistiques ? Quelles formations pour les enseignants volontaires qui souhaiterait accompagner des populations déplacées dans des dispositifs transitoires ? …
Ce numéro thématique accueille de manière large et trans/co-disciplinaire les propositions de recherche, de pratique, de retour d’expérience, de point de vue sur l’accueil de groupe de migrants (enfants et adultes) dans les territoires francophones suite à des catastrophes politiques (déclenchement d’une guerre, arrivée au pouvoir de personnalités autocratiques, restrictions soudaines de droits fondamentaux, attaques terroristes…), environnementales ou sanitaires.
La date limite de soumission est le 15 octobre 2022
pour une publication en décembre 2022.
Les propositions sont à envoyer à
asso.rhenane.enseignants.fle@gmail.com.
La feuille de style se trouve en annexe de cette page
et des normes éditoriales.