Publié en 2001 et conçu par la division des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, le Cadre européen commun de références pour les langues (CECRL) a marqué la didactique des langues et sert désormais de référence pour les manuels et méthodes de langue. Il est mobilisé pour la construction de l’approche dite actionnelle, c’est-à-dire orientée vers des tâches et vers une meilleure prise en compte des activités orales. La possibilité de certification des niveaux est un autre objectif principal du Cadre.
Le triptyque « Apprendre, enseigner, évaluer » organise le document qui propose une approche centrée sur les besoins de l’apprenant, un enseignement fondé sur le développement de compétences consignées dans des descripteurs et une évaluation multiforme enregistrée dans un passeport des langues. Confrontés à un texte opaque par son organisation non-linéaire et par l’ambivalence assumée de certains repères (Coste, 2006), les formateurs d’enseignants et les experts auprès du Conseil de l’Europe se sont alors mobilisés pour transcrire les axes forts du CECRL dans des ouvrages pédagogiques (Tagliante, 2005 ; Lallement & Pierret, 2007 ; Bourguigon, 2010 ; Rosen & Reinhardt, 2010 ; Robert & Rosen, 2010 ; RelEx & coll., 2011).
Dans le domaine français, il s’est agi, dans un premier temps, de faire une lecture du CECRL comme un ouvrage qui propose un renouvellement méthodologique autour de la perspective actionnelle (Richer, 2005 ; Bourguignon, 2008) : la compétence communicative langagière s’inscrit dans le cadre plus large des compétences générales qui permettent à l’apprenant d’interagir dans un contexte social défini. L’apprenant n’est donc plus un sujet mais un acteur à part entière qui peut mobiliser toutes les ressources dont il dispose — y compris langagières — afin d’accomplir des actions en langue cible. Un second axe de lecture se centre sur le développement des compétences plurilingues et pluriculturelles consignées dans un porfolio européen des langues afin de valoriser les compétences (qui peuvent être partielles) de tout locuteur (Castellotti & Moore, 2005 ; Little, 2011). Ce profilage pourrait permettre en zone frontalière, dans le cadre de langues voisines ou d’enfants issus de l’immigration de moduler le curriculum pour prendre en compte les compétences déjà développées par les apprenants (Goullier, 2008).
Dans le contexte européen, nul ne peut contester l’importance du CECRL concernant l’harmonisation des niveaux de compétences de l’utilisateur élémentaire (A) à l’utilisateur expérimenté (C) en passant par l’utilisateur indépendant (B). Traduit dans toutes les langues européennes, le CECRL a aussi séduit d’autres pays qui cherchaient un référentiel pour attester de niveaux de langues (Nishiyama, 2009 ; Rong, 2010) ou un document susceptible de renouveler des pratiques pédagogiques (Béacco, 2008).
Toutefois, dès la parution du CECRL en 2001, des voix se sont élevées afin de pointer certaines dérives. Dès 2002, lors d’un colloque à Giessen (Allemagne), des didacticiens germanophones (Delouis, 2008) ont noté l’absence de réflexion didactique du CECRL qui s’appuient sur des notions parfois contradictoires ou dont les origines restent opaques. Le paradigme de référence s’éloigne du plurilinguisme avancé alors que la plupart des sources sont issues du milieu de la recherche anglophone et plus particulièrement des écrits des auteurs du Cadre (auto-citations). L’esthétique et la création semblent oubliées et certains descripteurs problématiques. Au final, on reproche au CECRL un certain éclectisme qui ne permet pas aux enseignants de s’emparer facilement du référentiel avec des risques de glissements contestables vers l’évaluation tous azimuts. Pour Puren (2006), le CECRL est un document inachevé où les propositions méthodologiques font cruellement défaut même si la perspective actionnelle pourrait être une piste de réflexion moyennant quelques aménagements (cf. aussi Maurer, 2011). Frath (2008) remarque que la perspective actionnelle n’est aucunement le cœur du document alors que les ouvrages français de vulgarisation du CECRL développent exagérément cet aspect méthodologique. Silva (2011) pointe aussi les écarts linguistiques entre les différentes traductions du CECRL rendant compliqué la construction d’un métalangage partagé entre différents pays européens.
Alors que les attentes étaient fortes concernant la parution d’un Volume complémentaire en 2018 qui aurait pu préciser certaines orientations théoriques ou méthodologiques du CECRL (Martinez, 2020), pour certaines critiques le divorce est consommé (Huver, 2017 ; Maurer et Puren, 2021) alors que pour d’autres, les pages introductives au Volume permettent de confirmer des axes majeurs (Goullier, 2019) ou d’entrevoir de nouvelles orientations méthodologiques autour de notions de médiation et collaboration (Longuet & Springer, 2021).
Face à l’ambivalence qui accompagne la réception du CECRL depuis de nombreuses années, le numéro thématique « Le CECRL : 20 ans après » réunit des propositions qui éclaircissent la manière dont le document est utilisé par différentes acteurs dans le domaine du Français Langue Étrangère.
Elena Berthemet (Centre de linguistique en Sorbonne, France) s’attache à démontrer comment la nouvelle phraséodidactique, centrée sur l’enseignement d’expressions et de formules, peut aider les apprenants dès le niveau A1 à développer leur compétence communicative. Elle s’appuie sur des exemples tirés de deux manuels de FLE récents et montrent comment l’interaction, au centre des préconisations du CECRL, peut accompagner la construction d’un sens intersubjectif.
Maria Dollander (Université de Götebourg, Suède) s’intéresse à l’aspect interculturel tel qu’il est préconisé dans le CECRL et son intégration dans les formations des enseignants de français en Suède et en Suisse en analysant les programmes d’études respectifs à partir de descripteurs qu’elle a développé à cet effet. Dans cette comparaison, l’auteur met à jour les différences institutionnelles quant à la prise en compte de la formation à l’interculturel pour les professeurs de Français langue étrangère/seconde.
Shengjia Zou (Université de Franche-Comté, France) se pose la question — très pertinente — de savoir si le CECRL est adapté et/ou adaptable pour la préparation à la certification DELF B2 en français pour des étudiants chinois suivant un enseignement partiellement en ligne. Elle développe une approche didactique qui permet de tenir compte des particularités de la situation d’enseignement-apprentissage en Chine.
Gérald Schlemminger (Pädagogische Hochschule Karlsruhe, Allemagne) interroge un aspect particulier du CECRL, le portfolio de langue et son utilisation dans des classes de FLE à l’école primaire en Allemagne. Il élargit le concept du portfolio en intégrant des outils de l’Éducation nouvelle. Cette démarche l’amène à réfléchir avec ses étudiants sur leurs propres compétences langagières et à une autoévaluation selon le schéma du CECRL.
Alfredo Segura Tornero (Universidad de Castilla-La Mancha, Espagne) présente la plateforme d’apprentissage en ligne PARKUR, gérée par l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse et proposant un apprentissage autonome et interactif à l’aide d’un tutorat personnalisé pour des jeunes adultes préparant un stage, un volontariat, un travail en Allemagne ou en France. L’auteur montre comment ce dispositif répond à l’utilisation sociale et professionnelle du langage préconisée par le CECRL.
La partie thématique s’achève par deux points de vue opposés sur le CECRL et son Volume Complémentaire, l’un écrit par Rose-Marie Volle (Université Paul-Valéry Montpellier III, France) et l’autre par Jean-Claude Béacco (Université Sorbonne nouvelle, France), expert pour le Conseil de l’Europe et (co)-auteur de nombreux documents officiels autour du CECRL.
La revue accueille aussi des propositions Varia. Najoua Maafi (Université Ibn Tofail, Maroc) fait état des réformes successives concernant l’enseignement du français dans les établissements supérieurs au Maroc en soulignant la progressive adaptation des cours aux besoins spécifiques des étudiants marocains. Nathalie Gettliffe (Université de Strasbourg, France) nous livre un compte-rendu de l’ouvrage de Chane-Davin et Cuq (2021) Enseigner la francophonie, principes et usages.