Introduction
Le français de scolarisation (ou son acronyme FLSco) est une notion désormais établie d’un point de vue universitaire, mais qu’en est-il dans les premier et second degrés ? Les enseignants se trouvent souvent explicitement confrontés à la complexité du français utilisé en contexte scolaire lors de l’accueil d’élèves allophones nouvellement arrivés en France. Les contours de la notion se précisent lorsqu’ils travaillent à l’inclusion scolaire de ces élèves. Pourtant, les difficultés liées à la maitrise du français de scolarisation sont partagées par tous les apprenants dont la langue de communication quotidienne diffère de la norme et des usages du français en contexte scolaire. Identifier clairement les spécificités du français de scolarisation pour être en capacité de les expliciter à tous les élèves est donc une compétence professionnelle essentielle à tout enseignant et tout étudiant qui se destine au métier de professeur. Mais quel est leur degré de sensibilité à l’égard des particularités du français en usage en milieu scolaire ? Quelles sont les caractéristiques du FLSco identifiées ? Et quels sont les aspects du français de scolarisation non abordés ?
Une étude a été menée auprès d’étudiants, inscrits en master 1 Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), 2nd degré et qui préparent le CAPES Lettres (M1). Ils ont été interrogés sur les particularités du français en milieu scolaire. L’objectif de cette enquête a été d’obtenir une photographie précise du regard que ces étudiants portent sur le français de scolarisation. Cette image de la réalité du terrain permet de voir quelles sont les spécificités du FLSco connues et de mettre en lumière les caractéristiques à la marge ou omises par les étudiants. Ces dernières nécessitent précisément d’être explicitées et renforcées afin de faciliter l’accès aux apprentissages des élèves, notamment des plus vulnérables, et ainsi de favoriser la réussite scolaire de tous.
1. Le regard des étudiants en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres sur les spécificités du français de scolarisation
1.1. Le concept de français de scolarisation déterminant pour la réussite scolaire
Le concept de langue de scolarisation est au cœur des travaux du Conseil de l’Europe depuis la Conférence intergouvernementale, consacrée aux « Langues de scolarisation : vers un Cadre pour l’Europe » (2006), et la mise en place d’un espace numérique, dédié au(x) langue(s) de scolarisation sur la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle (2009). Les documents mis en ligne par le Conseil de l’Europe sur la/les langue(s) de scolarisation, sont adossés à la recommandation CM/Rec (2014)5 sur « l’importance de compétences en langue(s) de scolarisation pour l’équité et la qualité en éducation et pour la réussite scolaire ». Cette recommandation européenne du Comité des ministres aux gouvernements des États membres a rejoint la réflexion nationale sur le français de scolarisation.
En France, le concept de français langue de scolarisation a émergé de la réflexion issue du français langue seconde (FLS) (Cuq, 1991, p. 5), et s’est développé début des années 2000 (Vigner, 1992, 2001 ; Verdelhan-Bourgade, 2002) pour progressivement s’en détacher (Cuq & Davin-Chnane, 2007, p. 13). Son émancipation est passée par de nombreuses hésitations, matérialisées notamment par les diverses formes prises par son sigle « FLSco » (Paul, 2022, p. 42-47). Or, il est primordial d’appréhender clairement le concept de langue de scolarisation et d’en définir précisément les contours car, si nous reprenons les propos de Camus (1944, p. 22), « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde ». Mal définir le français de scolarisation, c’est ajouter de la confusion à une langue vectrice d’apprentissages et dont la maitrise est déterminante pour la réussite scolaire. Relever, avec clarté et précision, les multiples formes que le français revêt en contexte scolaire est donc essentiel, notamment pour les élèves les plus vulnérables.
Le Conseil de l’Europe désigne comme vulnérables, les élèves allophones nouvellement arrivés en France, les apprenants de familles issues de l’immigration et qui utilisent une langue différente pour la communication quotidienne, ainsi que les natifs francophones venant de milieux socio-économiques défavorisés (Beacco & coll., 2016, p. 21). Quand bien même « entrer à l’école est un choc pour tout enfant » comme le note Wauters (2020, p. 29), certaines cultures familiales préparent davantage l’enfant à la culture scolaire. En effet, dans les milieux socioculturels favorisés, des activités de répétition scolaire, sous forme de jeux de lettres, de chiffres, etc. sont proposées aux enfants dès leur plus jeune âge (Lahire, 2019, p. 998). Ces familles plébiscitent l’apprentissage précoce des langues étrangères et les ouvrages de littérature de jeunesse font partie des objets et des rituels du quotidien comme le constate Lahire (2019). Pour pallier ces inégalités Wauters (2020) plaide pour une attention particulière des enseignants au développement de la « communication familière en contexte scolaire » (p. 33). Dès l’entrée à l’école maternelle, les élèves doivent être familiarisés au lexique lié au contexte scolaire, aux consignes de travail et aux usages spécifiques du français à l’école pour comprendre le langage académique que Dahm et coll. (2019) définissent comme « le type de langage nécessaire pour participer, comprendre et communiquer efficacement dans des activités exigeantes sur le plan cognitif et adaptées au contexte et à l’âge […] » (p. 4). Les autrices s’appuient sur les travaux de Cummins (1979, p. 198-205) qui distingue les « compétences de base en communication interpersonnelle » (BICS)1 ou « langage conversationnel » des « compétences linguistiques et cognitives académiques » (CALP)2 ou « langage académique ». Le langage académique est cognitivement exigeant car, il requiert non seulement l’usage d’un lexique et de structures propres à la communication dans une matière donnée, mais il nécessite également le maniement de concepts, de démarches et d’idées abstraites dans le but d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences disciplinaires. Par exemple, Beacco et coll. (2015) indiquent que le langage académique vise à :
Communiquer des faits, des contextes et des sujets complexes, permettre d’exprimer des réflexions de nature élaborée, des abstractions et la formation de concepts, établir de la cohérence entre les idées, éviter l’implication personnelle, faciliter la compréhension pour des destinataires lointains, fonder des arguments sur des données, offrir des nuances de sens, des modalisations par assertion ou non-certitude, etc. (p. 23).
La difficulté est, comme le rappellent Dahm et coll. (2019), que le langage académique « n’est généralement pas appris hors du cadre de la classe » (p. 4). En ce sens, elles rejoignent et complètent la définition du dictionnaire, dirigé par Cuq (2003) et qui indique que la langue de scolarisation est :
[…] une langue apprise et utilisée à l’école et par l’école. L’école véhicule une langue que l’enfant doit obligatoirement pratiquer dans le système scolaire dans lequel il se trouve, que cette langue soit sa langue maternelle ou pas. La langue de scolarisation joue, en Afrique francophone mais aussi en France pour les jeunes migrants, un rôle de médiation par rapport aux autres champs du savoir, à la différence du FLE pour lequel le français est une discipline comme une autre. Le niveau atteint dans la langue de scolarisation conditionne le plus souvent la réussite scolaire et l’insertion sociale de l’apprenant (p. 150).
Mais ces définitions n’apportent que peu d’éclairages sur les caractéristiques propres au français de scolarisation. En quoi cette langue est-elle « explicite, décontextualisée, complexe et cognitivement exigeante » comme la décrit Schleppegrell (2004, p. 5-20) dans son ouvrage Language of schooling ?
L’état de l’art effectué lors d’un travail de thèse a permis de dégager une quarantaine de caractéristiques du français de scolarisation (Paul, 2016, p. 252-254). L’établissement de cette liste qui ne se voulait guère exhaustive, avait pour objectif de montrer toute la complexité et la multiplicité des formes que le français revêt à l’école. La langue étant au service des apprentissages, le français prend les colorations suivantes en contexte scolaire :
- La première spécificité du FLSco est la communication scolaire, singulière dans ses interactions, la variété des discours utilisés et son étroite relation avec la langue écrite (Paul, 2016, p.186).
- Ensuite, comme Beacco et coll. (2009) le notent, la notion de « langue(s) de scolarisation » recouvre deux autres composantes : « la/les langue (s) comme matière » et « la/les langue(s) des autres matières » (p. 3). En effet, lorsque le français est une matière enseignée, donc inscrite en tant que telle dans l’emploi du temps : il est objet d’étude. Cette fonction nécessite de la part des élèves, de maitriser à la fois un lexique et un discours métalinguistiques, mais également d’adopter une posture réflexive et de mise à distance du langage, « objet étudiable en lui-même et pour lui-même » selon Lahire (2000, p. 84). Dans les créneaux dédiés au français, une place importante est faite à l’apprentissage de la langue écrite (lecture et écriture) (Paul, 2016, p. 225).
- Lorsque le français est la langue des autres matières enseignées, il est porteur d’un lexique et de formes discursives spécifiques, liés aux usages et normes propres à chaque discipline. Or, comme le souligne Beacco (2015, p. 153) « l’acquisition de ces formes d’expression ne s’effectue pas de manière spontanée alors que leur maitrise convenable est un élément qui détermine la réussite scolaire ». En tant que langue d’enseignement, le français véhicule non seulement les contenus disciplinaires, mais également les concepts et notions abstraites associés. Il est un instrument support de la pensée. Si le français est langue d’enseignement en contexte scolaire, il est également, d’après Chiss (2005, p. 60), une langue d’apprentissage, ce qui comprend toutes « les formes linguistiques et rhétoriques dans lesquelles les tâches scolaires sont codifiées », c.-à-d. les consignes, les énoncés, les explications, les évaluations… Un ensemble de savoir-faire méthodologiques est associé, comme être capable d’anticiper ou de planifier une tâche, effectuer un exercice dans un temps imparti, etc.
Au service des apprentissages scolaires, le français de scolarisation combine donc trois principaux aspects : une communication scolaire spécifique, un français objet d’apprentissage lorsqu’il est matière enseignée et un français vecteur des enseignements disciplinaires et des apprentissages scolaires en tant que langue des autres matières enseignées (Paul, 2016, p. 250). Il ne s’agit ici que d’un tableau succinct des multiples facettes que le français revêt en contexte scolaire. Ces particularités du français sont-elles identifiées par les étudiants, futurs professeurs ? Perçoivent-ils en quoi le français de scolarisation se distingue de la communication extrascolaire ? Que recouvre, selon eux, la langue de scolarisation ?
1.2. Contexte et méthodologie de l’enquête menée auprès des étudiants en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres
Pour répondre à ces questions, une étude a été menée auprès d’étudiants inscrits en master 1 Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF), 2nd degré, « Enseigner les lettres » de l’université de Strasbourg (M1). Les données ont été collectées sur deux années consécutives permettant d’interroger, 17 étudiants au cours du second semestre 2022 et 14 en 2023. L’enquête a donc été conduite auprès d’un total de 31 M1. La question ouverte Quelles sont, selon vous, les spécificités du français en usage en milieu scolaire ? leur a été soumise. La visée de cette question ouverte et unique était de ne pas orienter leurs propos, ni d’influencer la longueur des réponses.
2. Résultats de l’enquête menée auprès des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres sur les spécificités du français langue de scolarisation
2.1. Résultats (données brutes)
Les données recueillies auprès des M1 MEEF (2nd degré) Lettres ont fait l’objet d’une analyse manuelle qui a consisté à consigner chaque particularité du FLSco décrite par les étudiants dans un tableau et qui a ainsi fait apparaitre un total de 20 caractéristiques du français de scolarisation. Chacune des catégories constituées comptabilise un nombre d’occurrences différents. Les données brutes obtenues ont été traduites en pourcentages selon les représentations graphiques élaborées pour mettre en exergue la singularité du regard des M1 sur le FLSco. Le diagramme en barres ci-dessous présente, en ordonnée, les spécificités du français de scolarisation collectées, et en abscisse, le pourcentage d’étudiants qui ont mentionné chacune des particularités.
De ce recueil de données effectuées auprès des étudiants en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres, 4 types de réponses se dégagent :
- D’abord, les étudiants interrogés ont principalement parlé d’un français objet d’apprentissage en milieu scolaire. En effet, de manière explicite, 12,9 % de l’échantillon indique que le français est objet d’apprentissage en classe. 32,2 % indiquent qu’il y a un apprentissage et une forte utilisation de la langue écrite, même si l’apprentissage du français oral et écrit (19,3 %) est de mise en contexte scolaire. Les étudiants ont également souligné l’importance de l’apprentissage de la grammaire, de l’orthographe et de la conjugaison (25,8 %), et à la marge l’utilisation d’un métalangage (6,4 %) en milieu scolaire.
- Ensuite, les M1 échantillonnés ont évoqué un français normé en contexte scolaire. L’usage d’un registre de langue différent pour le français de scolarisation est présent à hauteur de 67,7 %, soit le pourcentage le plus élevé des caractéristiques recueillies. À cela s’ajoute, les propos de 12,9 % des étudiants qui indiquent que le FLSco est un français normé où la correction de la langue est importante. Pour 45,1 % d’entre eux, le français scolaire est différent du français extrascolaire, et 22,5 % insistent sur la complexité du français scolaire. 16,1 % des M1 notent l’importance du respect de la hiérarchie en contexte scolaire.
- Puis, les étudiants en lettres ont noté que le français est une langue de communication particulière en classe. 19,3 % des M1 ont parlé du français de scolarisation comme d’une langue de communication et 32,2 % d’un français en lien avec la vie scolaire avec une langue orale spécifique (35,4 %), un parler professionnel de l’enseignant (12,9 %), un lexique particulier (51,6 %) et des discours spécifiques (12,9 %) en classe.
- Enfin, l’enquête a permis de recueillir un ensemble de réponses relatives à la fonction du français de scolarisation comme vecteur d’apprentissages. 48,3 % des étudiants interrogés précisent que le français scolaire est vecteur des apprentissages disciplinaires. Certains ajoutent qu’il s’agit d’un français vecteur de réflexion et de méthodologie (12,9 %) ainsi que le véhicule d’une culture littéraire (6,4 %). Et pour finir, le français de scolarisation comporte des enjeux d’intégration dans la société (19,3 %).
Ces 4 ensembles de réponses reprennent les trois grandes spécificités du FLSco décrites dans la revue de la littérature tout en ajoutant à la langue de scolarisation un caractère normatif. Ces quatre principaux aspects dévolus au FLSco par les M1 ont été présentés dans le diagramme circulaire ci-dessous.
L’analyse descriptive effectuée jusqu’ici ne permet pas de savoir si les caractéristiques mentionnées sont véritablement représentatives des étudiants en master 1 MEEF de Lettres. Quel regard ces M1 portent-ils spécifiquement sur les caractéristiques du français de scolarisation ? Pour disposer d’une photographie précise, un traitement statistique des données recueillies a été effectué.
2.2. Résultats après traitement statistique
Pour connaitre les spécificités du français de scolarisation propres au profil des étudiants en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres, un traitement statistique des données a été effectué. Nous avons opté pour une analyse statistique par caractéristique, c’est-à-dire que nous avons relevé pour chaque caractéristique collectée, le nombre de fois où cette caractéristique a été évoquée par les M1. L’objectif était de comparer l’effectif observé pour chaque caractéristique à l’effectif attendu si le choix de cette caractéristique avait été fait au hasard. Ainsi, si l’effectif observé est significativement supérieur à l’effectif attendu (soit valeur de p < 0,05), alors cette caractéristique a été considérée comme ayant de l’importance aux yeux des étudiants.
Le test d’hypothèse appliqué aux données prélevées est un test exact de Fisher qui, à l’instar du test de khi-deux, permet de voir s’il existe une relation entre deux variables. Le test exact de Fisher a l’avantage de traiter les échantillons de petite taille, comme c’est le cas ici. Ce test effectué via des outils statistiques en ligne3, est donc utilisé pour déterminer s’il existe une relation entre les caractéristiques du français de scolarisation recueillies auprès des étudiants et le profil des personnes interrogées, à savoir des M1 MEEF (2nd degré), futurs professeurs de lettres.
Ainsi, sur la base des données collectées auprès d’un échantillon composé de 31 étudiants inscrits en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres, le test exact de Fisher indique que la valeur p de 7 caractéristiques du français de scolarisation mentionnées est inférieure au seuil de significativité de 5 %. Ces 7 spécificités décrivent un français de scolarisation disposant d’un registre de langue différent (67,7 %) et d’un lexique spécifique (51,6 %). Il est vecteur d’apprentissages disciplinaires (48,3 %) et différent de la langue extrascolaire (45,1 %). L’oral scolaire est spécifique (35,4 %) et la langue écrite fait l’objet d’un apprentissage et d’une fortement utilisation (32,2 %). Il s’agit d’un français spécifique lié à la vie scolaire (32,2 %). Ces 7 caractéristiques du FLSco, consignées dans le diagramme en barres ci-dessous, peuvent donc être considérées comme significatives de la parole des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres.
En quoi les caractéristiques du français de scolarisation représentatives des propos des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres se distinguent-elles d’autres étudiants ou d’enseignants ? Quelles sont les spécificités de la langue de scolarisation que les M1 partagent avec d’autres publics questionnés selon les mêmes modalités ?
2.3. Comparaison des résultats avec d’autres publics interrogés selon des modalités d’enquête identiques
La question des spécificités du français en contexte scolaire a été posée, selon des modalités de recueil des données identiques à celles des M1, dans le cadre d’un travail de thèse (Paul, 2016), à 166 étudiants en master 2 MEEF (1er degré) et 51 professeurs des écoles de classes ordinaires de l’académie de Strasbourg. Puis, 84 professeurs/coordonnateurs d’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A), issus du premier et du second degrés et de cette même académie, ont été interrogés (Paul, 2022). Ces différentes enquêtes ont montré des similitudes et des divergences avec celle menée auprès des étudiants de master 1 MEEF (Lettres). D’abord en termes quantitatifs, les réponses collectées auprès des M1 pour décrire le français en usage en contexte scolaire, ont varié de 14 à 130 mots avec une moyenne de 56 mots par réponse. La longueur des réponses est quasi équivalente à celle des étudiants de master 2 MEEF (1er degré) dont les productions allaient de 9 à 154 mots avec une moyenne égale à 53 mots par réponse. Les étudiants en master 1 sont plus loquaces que les professeurs des écoles de classes ordinaires (Paul, 2016), dont la moyenne est de 50 mots par réponse. En revanche, ils sont devancés par les professeurs/coordonnateurs d’UPE2A (1er et 2nd degrés) (Paul, 2022), dont les réponses variaient de 11 à 234 mots avec des réponses de 73 mots en moyenne.
Les données recueillies auprès de ces différents groupes ont été comparées afin, d’une part, de faire émerger les points communs, et d’autre part de mettre en exergue les réponses propres aux étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres.
2.3.1. Comparaison des réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres avec les étudiants de master 2 MEEF (1er degré)
Les étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres se rapprochent des étudiants de master 2 MEEF (1er degré) sur l’aspect normatif que revêt le français en contexte scolaire. En effet, les M2 (1er degré) ont attaché de l’importance à la correction de la langue (43,3 %) et à l’usage en classe d’une langue normée (27,1 %) (Paul, 2016, p. 315). De leur côté, plus d’un M1 (2nd degré) sur deux a insisté sur l’importance d’utiliser, en milieu scolaire, un registre de langue différent (67,7 %). Dans les écrits des M1 (2nd degré), cette réponse a été justifiée par le fait de privilégier l’emploi d’un registre courant, voire soutenu en classe.
2.3.2. Comparaison des réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres avec les professeurs des écoles de classe ordinaire
Les réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres rejoignent celles des professeurs des écoles de classe ordinaire sur l’usage d’un lexique scolaire spécifique en classe. 37,2 % des professeurs des écoles (Paul, 2016, p. 316) et 51,6 % des M1 interrogés ont évoqué cette caractéristique du français de scolarisation.
2.3.3. Comparaison des réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres avec les professeurs/coordonnateurs d’UPE2A (1er et 2nd degrés)
La spécificité du lexique scolaire est une réponse que les étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres ont également en commun avec les professeurs/coordonnateurs d’UPE2A, et notamment ceux qui exercent plus particulièrement dans le 2nd degré (Paul, 2022, p. 51). Les M1 (2nd degré) retrouvent les professeurs/coordonnateurs d’UPE2A (1er degré) sur le fait que le français scolaire soit différent de la langue extrascolaire (Paul, 2022, p. 51).
2.3.4. Singularité des réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres
Le traitement statistique des données recueillies auprès des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres a permis de dégager quatre caractéristiques du français de scolarisation qui ne sont communes avec aucun autre public interrogé. Il s’agit d’un français vecteur d’apprentissages disciplinaires (48,3 %) en contexte scolaire, d’un oral scolaire spécifique (35,4 %) et d’une langue écrite qui fait l’objet d’un apprentissage et qui est fortement utilisée (32,2 %) en classe. Enfin, il s’agit de manière plus générale, d’un français spécifique lié à la vie scolaire (32,2 %).
L’intitulé un français spécifique lié à la vie scolaire regroupe les réponses, faites tous azimuts, sur les codes scolaires, les consignes de travail, le vocabulaire administratif pour trouver une salle ou justifier une absence par exemple. Ces réponses montrent que les étudiants perçoivent que le contexte scolaire modifie les usages de la langue, mais elles n’en demeurent pas moins générales.
Des caractéristiques plus précises de la langue de scolarisation se dégagent des enquêtes lorsque la fonction de vecteur des apprentissages disciplinaires est abordée. La dimension transdisciplinaire du français de scolarisation ou « principal moyen de communication pour l’apprentissage de toutes les matières scolaires » (Simard & coll., 2010, p. 87) est soulignée par 48,3 % des M1 (soit près d’un étudiant interrogé sur deux). Cette réponse est d’autant plus intéressante à relever qu’elle est absente des propos recueillis, lors de précédentes enquêtes, auprès d’étudiants en master 2 MEEF (1er degré), de professeurs des écoles de classes ordinaires (Paul, 2016, p. 315-316) et de professeurs/coordonnateurs en UPE2A (1er et 2nd degrés) (Paul, 2022, p. 51). Les M1 (Lettres) ont donc conscience, plus que d’autres publics interrogés, de l’importance de la dimension langagière du FLSco dans l’enseignement des disciplines « dites non linguistiques » (Gajo, 2009, p. 15), comme les mathématiques, les sciences ou l’histoire (Mendonça Dias & Millon-Fauré, 2023).
Parmi les réponses statistiquement significatives des étudiants en master 1 figurent les réponses relatives à l’oral scolaire qui diffère des échanges conversationnels ordinaires. Sans détailler les particularités de cet oral, ils ont ajouté que le FLSco est étroitement lié à la langue écrite qui occupe une place importante en classe. Les M1 ont relevé le scripto-centrisme du FLSco (Le Ferrec, 2012, p. 41) ainsi que son caractère oralographique comme le décrivent Cherqui & Peutot (2015, p. 120), c.-à-d. une langue de scolarisation passant sans transition de consignes orales ou des interactions pédagogiques professeur/élèves à des supports écrits (tableau, cahier, fiche…).
Si ces aspects du FLSco sont statistiquement significatifs, d’autres n’ont pas été abordés par le groupe d’étudiants interrogés. Les dimensions de la langue de scolarisation négligées nécessiteraient d’être mises en exergue, et d’autant plus renforcées dans la formation initiale des enseignants.
3. Les dimensions du français de scolarisation à renforcer lors de la formation des étudiants (futurs professeurs)
3.1. La dimension discursive du français de scolarisation
Si la dimension lexicale est en bonne place dans notre enquête et apparait comme significative de la parole des M1 après traitement statistique (51,6 % des étudiants ont évoqué cette caractéristique, soit un étudiant sur deux), la dimension discursive n’est abordée que par 12,9 % des étudiants. En outre, l’analyse statistique révèle que cette caractéristique n’est guère représentative de la parole des M1. Or, les différents types de discours sont sans cesse mobilisés en classe. Qu’il s’agisse de la narration, la description, l’explication, etc., toutes les matières scolaires sont concernées (Verdelhan-Bourgade, 2002 ; Simard & coll., 2010 ; Vigner, 2015 ; Wauters, 2020 ; Mendonça Dias & Millon-Fauré, 2023). Il est donc primordial de familiariser les élèves à la pluralité des formes discursives en usage en milieu scolaire (Beacco & coll., 2016, p. 38). Ce travail fait partie de l’ensemble « des moyens linguistiques nécessaires à une entrée réussie dans les différents champs du savoir » selon Simard et coll. (2010) qui recommandent que :
[d]u point de vue de l’expression comme de la compréhension, l’étude transdisciplinaire de la langue devrait porter notamment sur les lexiques spécialisés, sur l’emploi des marqueurs de relation (à la faveur de, en revanche, naguère, pour autant que…), sur la structure générale des textes didactiques, laquelle peut être chronologique, descriptive, argumentative, etc. sur le mélange des structures textuelles (une description dans une démonstration), sur la distinction entre l’exposé de données et une interprétation ainsi que sur la relation texte-image et le fonctionnement des graphiques et des schémas (p. 89).
Cette préconisation relative à l’explicitation, dans toutes les disciplines, des différentes formes de discours, en compréhension comme en production, est commune à celle faite aux professeurs/coordonnateurs d’UPE2A (1er et 2nd degrés) (Paul, 2022, p. 57). La dimension discursive du FLSco n’est donc pas seulement absente des propos estudiantins.
Pour orienter la réflexion dans ce domaine, et ce dès la formation initiale des enseignants, des passerelles peuvent être établies avec l’enseignement bilingue. Pour sensibiliser les enseignants au français des disciplines non linguistiques (DNL), une analyse des textes propres à chaque matière est proposée par Duverger (2009). Cette dernière vise à relever dans un texte les particularités lexicales, syntaxiques et discursives pour mieux se les approprier (Duverger, 2009, p. 124). D’autres supports, à l’instar du Vadémécum pour l’enseignement des mathématiques (Acciari, 2021) proposent, au-delà du lexique mathématique nécessaire en cycle 3, des descripteurs accompagnés de fiches d’activités pour décrire, présenter des faits, rendre compte de quelque chose, résumer, expliquer ou présenter des arguments, prouver en mathématiques. L’entrée discursive permet de s’intéresser aux particularités de chaque discours selon la discipline, et d’engager, par exemple, un travail précis de repérage des marques temporelles ou spatiales privilégiées, d’emploi des temps (présent historique, passé simple…), de présence ou non de l’auteur, etc. L’appropriation des formes discursives propres à chaque matière favorise l’accès aux contenus disciplinaires.
3.2. Dimension culturelle et littéraire de la langue de scolarisation
Le français de scolarisation comme vecteur de culture littéraire est une particularité notée par les étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres. Mais la dimension culturelle et littéraire n’est que faiblement citée (à hauteur de 6,4 %) et cette dernière a été rejetée par le test statistique effectué. Ce résultat s’oppose donc à l’idée que ce public d’étudiants qui semble averti (M1 MEEF (2nd degré) Lettres), n’est pas davantage conscient de la spécificité de la langue de scolarisation comme vecteur de culture, et en France d’une culture éminemment littéraire, que ce soit en matière de littérature de jeunesse, particulièrement foisonnante, ou de littérature française classique. Selon Beacco (2015, p. 156), « La matière langue de scolarisation a aussi la responsabilité d’assurer l’accès à la littérature, le plus souvent aux œuvres du patrimoine culturel national ». Simard et coll. (2010) ajoutent que
[l]’école représente une institution irremplaçable pour faciliter l’accès du plus grand nombre possible à la culture littéraire ». […] [Elle] peut viser à former […] des personnes aptes à interpréter et apprécier des textes littéraires grâce aux notions de base, aux procédés d’analyse et aux pratiques qu’elle peut leur transmettre (p. 86).
Sur l’aspect culturel et littéraire du FLSco, les réponses des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres ne se démarquent pas de celles des master 2 MEEF (1er degré), des professeurs des écoles de classes ordinaires (Paul, 2016, p. 315-316) et des professeurs/coordonnateurs d’UPE2A (1er et 2nd degrés) (Paul, 2022, p. 51). Il s’avère donc nécessaire de renforcer ce trait du FLSco.
Pour aborder la dimension littéraire de la langue de scolarisation, pourquoi ne pas se tourner vers l’enseignement de la littérature tel qu’il est envisagé en FLE ? Particulièrement sensibles aux difficultés du texte littéraire, liées, à la fois, à la compréhension d’éléments linguistiques (complexité du vocabulaire, de la syntaxe, du style de l’auteur) et d’éléments contextuelles et référentiels, Defays et coll. (2014, p. 55-60) proposent d’encadrer chaque découverte de texte d’un glossaire, d’une notice biographique, d’un résumé de l’action précédente, d’une reformulation du contenu et d’une mise en lien avec une œuvre d’art issue du même mouvement artistique. Cet encadrement du texte littéraire pour en faciliter la compréhension a, par exemple, été mise en œuvre par Baraona (2005) qui a choisi d’accompagner, sur deux doubles pages, chaque extrait littéraire, d’une biographie de l’auteur et de son œuvre. Une partie, intitulée « explications », permet à l’autrice de décortiquer les différentes formes discursives employées dans le texte, telles l’argumentation, la formulation d’accusation, de défense… (Baraona, 2005, p. 111). Pour finir, différentes activités langagières, adossées au CECRL (Conseil de l’Europe, 2005, p. 18), sont proposées pour travailler la compréhension orale, l’expression orale, la compréhension écrite, l’expression écrite et la culture en lien avec le texte traité (Baraona, 2005, p. 112-113).
Pour renforcer la démarche de production écrite dans une perspective littéraire en FLSco, nous pouvons également nous orienter vers les propositions de Beaugrand & Lecocq (2018) qui ont élaboré des modules FLSco spécifiques afin, par exemple, de rédiger un portrait (Beaugrand & Lecocq, 2018, p. 132-134) ou écrire un conte en respectant le schéma quinaire (Beaugrand & Lecocq, 2018, p. 160-162). Comme les auteurs le soulignent, la démarche adoptée est une « approche éclectique pluriméthodologique qui emprunte à la didactique des langues mais aussi à la didactique des disciplines en sciences de l’éducation » (Beaugrand & Lecocq, 2018, p. 10).
Tout l’enjeu et les perspectives du FLSco résident probablement dans la nécessité de croiser différentes didactiques, qu’elles soient issues du FLM, du FLE ou du FLS.
3.3. La dimension cognitive de la langue de scolarisation.
9,6 % des étudiants de master 1 MEEF (2nd degré) Lettres échantillonnés ont décrit un français de scolarisation abstrait, vecteur de réflexion. La dimension cognitive de la langue de scolarisation semble, au premier abord, présente, mais cette dernière n’est pas corroborée par les résultats statistiques. On ne peut donc affirmer que ces étudiants sont plus sensibles que d’autres à la dimension cognitive du français de scolarisation. Or, être capable de verbaliser les démarches mentales nécessaires à l’appropriation des connaissances est une des caractéristiques importantes du FLSco. Selon Wauters (2020, p. 50), un apprentissage du « langage qui accompagne et rend possible le travail de la pensée » est nécessaire, et ce dès la maternelle. Pour ce faire, elle a listé dans un tableau, « les démarches mentales [telles que classer/catégoriser, ordonner, modéliser]… qui se déclinent en d’autres opérations cognitives… qui se traduisent en mots et en phrases » (Wauters, 2020, p. 55). Fournir aux élèves l’outillage linguistique nécessaire, pour être en capacité de verbaliser les opérations mentales mises en œuvre dans l’appropriation des connaissances, est fondamental pour leur réussite. À cela s’ajoutent les démarches mentales qui relèvent de l’évaluation et de la métacognition et qui sont constamment mobilisées en classe (Wauters, 2020, p. 57). Tout l’enjeu est de permettre aux élèves de décrire les mécanismes métacognitifs déployés, c.-à-d. « toutes les pratiques réflexives qui explicitent, en miroir, le fonctionnement intellectuel de l’individu, en particulier en situation d’apprentissage, et permettent ainsi au sujet de réguler cette activité dans ses différentes composantes » (Cuq, 2003, p. 164). Conscientiser les apprentissages et être en mesure de parler de ce qui a été fait, est à faire et comment le faire, est une des caractéristiques du FLSco nécessaire à travailler.
Le français de scolarisation recouvre des dimensions cognitives plurielles qui montrent toute l’urgence d’en clarifier les contours. Il s’agit de dépasser les constats de Le Ferrec (2012) qui regrette que « les modalités de transmission de ce français de scolarisation demeurent opaques : dans bien des cas, il n’est pas enseigné en tant que tel, ni traduit en termes d’objectifs d’apprentissage spécifiques, et les zones de difficultés restent difficiles à identifier » (p. 41). Il est donc important que les étudiants, futurs professeurs de lettres soient familiarisés à la dimension cognitive de la langue de scolarisation durant leur cursus universitaire qui les prépare au métier d’enseignant. Ce travail d’identification des pierres d’achoppement d’ordre cognitif n’est pas réservé aux futurs professeurs de lettres. Tous les enseignants, quelle que soit la discipline enseignée, devraient pourvoir s’interroger, durant leur parcours de formation, sur la coloration que le français prend dans leur matière. Quelles difficultés se poseront nécessairement aux élèves du fait de la polysémie terminologique, de la complexité des structures syntaxiques employées ou des types de discours privilégiés dans une discipline donnée, et qui freinent voire entravent l’accès aux savoirs ?
Conclusion
Les résultats issus de cette enquête, menée auprès d’étudiants en master 1 MEEF (2nd degré) Lettres, plaident en faveur de la nécessaire explicitation des particularités du français en usage en milieu scolaire durant leur cursus de formation afin de lever l’opacité qui persiste autour du FLSco. Sur la base des résultats de l’enquête, cette étude s’est attachée à mettre en exergue trois dimensions de la langue de scolarisation particulièrement négligées. Les dimensions discursives, littéraires et cognitives du français de scolarisation sont à renforcer dans la formation initiale des professeurs. Quelle que soit la discipline, les futurs enseignants doivent être sensibilisés aux spécificités du français de scolarisation afin d’identifier clairement ce qui le distingue du français ordinaire de communication et anticiper les difficultés qui se présenteront immanquablement aux élèves lors des apprentissages du français et en français. L’attention des professeurs portée aux particularités du français de scolarisation et les divers renforcements linguistiques à envisager visent à faciliter l’accès aux apprentissages des élèves, qu’il s’agisse de nouveaux arrivants allophones ou de natifs francophones dont la langue de communication quotidienne est éloignée de la norme du français en usage en milieu scolaire. Cette étude et les divers éclairages relatifs aux spécificités de la langue de scolarisation relèvent donc, comme le note Beacco (2015), « à l’évidence de la lutte contre l’échec scolaire » (p. 153). In fine, le concept de français langue de scolarisation ouvre un grand nombre de perspectives didactiques qui profitent à l’ensemble des élèves.