Introduction
En 2020, la situation sanitaire compliquée et la succession des protocoles imposant la limitation des brassages m’ont incitée à réfléchir à une manière différente de poursuivre le travail préalablement engagé avec les parents d’élèves dont les effets de l’implication dans la scolarité de leur enfant ne sont plus à démontrer. Goï (2008) précise : « Lorsque les familles sont arrivées il y a peu sur le sol français, à fortiori lorsqu’elles sont allophones, la construction du lien de collaboration nécessaire à la dynamique de réussite de leur enfant ne va pas de soi » (para.5). Il revient donc à l’enseignant d’UPE2A de mettre en place des actions favorisant le dialogue famille-école. Les rencontres en présentiel étant devenues impossibles, la webradio semblait pouvoir être une solution.
Comment, dans ce contexte, garder un lien sans pouvoir organiser de rencontres ? Comment créer un climat de confiance et leur permettre d’avoir un regard sur la scolarité de leur enfant ? Voilà comment est née l’idée d’une webradio.
1. Présentation du projet
Les élèves concernés par le projet ont entre 6 et 11 ans. Ils sont scolarisés à l’école Jean Wagner, dans un quartier REP+ de Mulhouse. Chaque élève est inscrit dans une classe de référence de l’école ou d’une autre école du réseau et bénéficie d’une aide en unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A) pour l’acquisition du FLS/FLSco.
Il s’agit pour eux de concevoir des émissions de radio à destination des parents et des autres élèves de l’école. Ils vont découvrir et comprendre les enjeux de leur école, découvrir leur environnement proche et ainsi investir leur nouveau pays d’accueil. Certaines émissions sont diffusées via un audioblog consultable sur https://audioblog.arteradio.com/blog/186143/radio-wagner-sans-frontieres.
2. Les acquisitions à l’oral et à l’écrit en FLS/FLSco
La webradio parait être un outil intéressant et pertinent pour développer la pratique de l’oral et de l’écrit autour des activités langagières préconisées par le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) puisqu’elle permet de mettre l’élève allophone en activité de compréhension orale et écrite, d’expression orale en interaction, d’expression orale en continu, d’expression écrite et de médiation.
Les élèves étant dans une démarche d’apprentissage du FLS/FLSco, les émissions réalisées seront donc axées sur des compétences scolaires déclinées dans les programmes officiels de l’école élémentaire (Ministère de l’Éducation nationale, 2020).
2.1. Les apprentissages à l’oral : comprendre et s’exprimer à l’oral
Le lancement d’une émission radio consiste à accueillir l’auditeur avec une phrase d’accroche qui est récurrente, tout comme la conclusion. Ainsi, l’élève débutant peut rapidement prendre part au projet et se sentir valorisé en répétant la formule simple « Bienvenue sur Radio Wagner sans frontière », qui est devenue un leitmotiv dans notre classe.
La présentation des différents sujets d’une émission ou le « chapô » est un discours permettant d’introduire un reportage. Il s’agit d’élaborer et de produire un discours simple et concis en continu, dans lequel l’élève annonce ce qu’il va faire. Dans l’émission 4, par exemple, les élèves ont réalisé ce chapô : « Bienvenue sur Radio Wagner sans frontière, bonne année ! Aujourd’hui, on va parler de la fête du nouvel an en France et dans les autres pays, puis on va parler de nos bonnes résolutions pour 2022. Pour finir, on va réciter une poésie ». Les élèves étaient en binôme pour construire ce texte, puis, on a procédé à une correction collective de chaque production avec validation ou non (utilisation correcte des temps, utilisation de connecteurs, compréhension et pertinence du message…).
L’interview constitue une activité propice à l’interaction. Cette activité s’adresse à des élèves ayant déjà un bagage linguistique plus élaboré. Il s’agit d’entrer en communication avec l’autre en lui posant des questions. Cela implique un travail en amont et des activités décrochées sur la phrase interrogative. L’étude de la langue prend ici tout son sens. Il s’agit non seulement de construire une phrase interrogative mais aussi de concevoir un message destiné à être entendu et compris par un interlocuteur ce qui est motivant.
Réaliser une émission de radio, c’est aussi se familiariser avec différents types de discours largement utilisés dans le cadre scolaire : narratif, descriptif, explicatif et argumentatif. Comme le souligne Vigner (2015) « l’oral de l’école est un oral d’un type particulier, oral élaboré, fondé sur la capacité à prendre la parole en public ou à développer un exposé pour rendre compte d’un travail individuel ou collectif » (p 71). Ainsi, pour chaque émission, l’on peut mettre en place des pratiques langagières qui permettent aux élèves de mobiliser les manières de parler les plus adéquates.
Par exemple, dans le cadre de l’émission 2, nous avons pu aborder deux types de discours :
- Le discours narratif avec le compte-rendu de la sortie grâce auquel les élèves se sont questionnés sur l’utilisation des verbes au passé composé et l’utilisation des adverbes de temps.
- Le discours descriptif avec le protocole expérimental : les élèves devaient décrire une expérience vécue au musée, celle de la cage de Faraday. À l’aide d’une vidéo réalisée lors de la sortie, et d’une fiche lexicale imagée, ils ont construit et structuré leur discours. L’activité leur a permis de découvrir le lexique lié aux sciences et de se familiariser avec le protocole expérimental.
Tableau 1 : Types de discours et compétences à l’oral travaillées dans quelques émissions en lien avec les actes de langage spécifiques à la communication scolaire (d’après Verdelhan-Bourgade, 2002, p 166)
Émission 1 | Émission 2 | Émission 3 | Émission 4 | |
Titre | Qui sommes-nous ? | Le musée Electropolis de Mulhouse | L’école Wagner et la journée de lutte contre le harcèlement | Bonne année 2022 |
Conduite discursive à dominante | ||||
Narrative | Raconter le début de l’histoire « C’est moi le plus fort » | – Raconter un événement vécu (la sortie au musée) – Réaliser un reportage dans le musée |
Raconter la fin de l’histoire « C’est moi le plus fort » | |
Descriptive | – Décrire l’expérience de la cage de Faraday – Décrire la « grande machine » |
Rendre compte du travail des élèves des autres classes | Rendre compte des différentes fêtes de nouvel an dans le monde | |
Explicative | Expliquer le dispositif UPE2A | Expliquer les dangers de l’électricité | Expliquer ce qu’est le harcèlement | |
Dialogale | – Interview de l’animatrice du musée – Interview d’un représentant de l’UNICEF |
– Interview du directeur de l’école – Interview d’une maitresse de l’école – Interview des élèves de l’école |
Interview des nouveaux élèves allophones arrivant dans le dispositif | |
Poétique et dramatique | Réciter un poème |
Toutes ces situations de communication permettent de prendre de la distance par rapport à l’acte de faire. Les élèves se posent des questions quant à la précision du message énoncé. Quels outils langagiers utiliser pour que le message soit pertinent et compréhensible ? Quel volume ? Quel rythme ? Quel débit utiliser pour rester audible Ils portent donc une attention particulière à l’articulation et à la prononciation. Au fil des enregistrements, les élèves se sont corrigés entre eux et ont pris conscience de l’importance de la prononciation et du débit.
L’outil webradio permet aussi d’insister particulièrement sur trois des six principaux actes de langage de scolarisation mis en avant par Verdelhan-Bourgade (2002, p.166), à savoir : les actes sociaux, les actes de demande et les actes de réponse.
2.2 Les apprentissages à l’écrit
2.2.1. Écrire
Pour préparer une émission, on a sans cesse recourt à l’écrit. On produit de l’écrit dans un but précis et comme le souligne Corny (2009) dans une conférence, les élèves allophones ont besoin de développer une compétence oralographique, c’est-à-dire qu’il faut une imbrication constante de l’oral et de l’écrit.
Ainsi, pour chaque émission, ils disposent d’une feuille de route, une trame, indiquant le titre, le thème de l’émission et le plan du déroulé qu’ils doivent compléter. Ceci permet de garder une mémoire lors des enregistrements. Certains élèves peu familiarisés avec l’écrit dans leur pays d’origine ont pu mesurer l’intérêt et l’importance de l’écrit pour garder une trace. Ils ont aussi pris conscience de l’importance d’une bonne maîtrise des gestes de l’écriture et de l’importance de la lisibilité. Pour les élèves non scripteurs, le recours à la dictée à l’adulte a été privilégié.
2.2.2. Lire
L’utilisation de la webradio suppose aussi la mise en place de lectures authentiques, par exemple dans le cadre de reportages ou de recherches.
L’émission 4 a été réalisée à partir de textes documentaires. Les élèves devaient lire et comprendre les textes afin d’en extraire les informations essentielles. Un document guide a été mis à leur disposition, avec une série de questions permettant de les aider à rédiger une synthèse.
Dans une autre émission, les élèves ont fait le choix de lire des albums aux parents. Ils avaient à leur disposition une grille de lecture leur permettant de s’évaluer (voir annexe). Les enregistrements leur ont permis de se réécouter donc de s’autoévaluer en vue d’améliorer leur lecture. Ils ont pris conscience des améliorations à apporter, mais ils ont aussi pu mesurer les progrès réalisés.
Si la webradio favorise l’entrée dans l’oral et dans l’écrit, la réalisation d’émissions fait aussi appel à d’autres compétences inhérentes à la pédagogie du projet.
3. Les apprentissages transversaux
Pour construire une émission, il faut définir un thème, des contenus, le rôle de chacun, s’organiser, planifier les étapes de réalisation et coopérer. Toutes ces étapes favorisent les échanges entre pairs et contribuent à faire progresser les élèves (Direction numérique pour l’éducation, 2021).
Ils ont pu acquérir des compétences psychosociales comme avoir conscience de soi, gérer ses émotions, et notamment le stress que peut engendrer un enregistrement et prendre des décisions ensemble.
Destinée au départ à être un lien avec les parents, la webradio a eu un impact positif sur le dispositif UPE2A.
4. Au service de l’inclusion scolaire
Un des enjeux majeurs du dispositif UPE2A est l’inclusion scolaire. La webradio est un outil de communication et d’ouverture sur le monde.
Lors de l’émission 3, les élèves allophones ont réalisé des reportages dans les classes de l’école pour recenser et valoriser les différentes actions menées sur le thème du harcèlement dans chaque classe. Les échanges entre élèves ont été riches et bienveillants lors de la phase d’investigation. Les élèves étaient les relais de cette journée, un rôle valorisant. Cette émission a contribué à changer le regard des autres élèves sur le dispositif UPE2A et à encourager les élèves allophones à aller vers les autres.
Conclusion
La webradio est un projet fédérateur et motivant. Elle permet de mettre en valeur des événements vécus par les élèves, l’intérêt pour l’élève allophone étant de réutiliser et de construire ses apprentissages avec du vocabulaire connu et utilisé en situation, le tout dans un cadre social authentique, ce qui donne du sens aux apprentissages.
Il convient néanmoins de soulever une difficulté relative à l’utilisation de la radio, à savoir, celle d’oraliser un discours écrit. Mais la pratique régulière du média et les entrainements ont permis d’habituer les élèves à opérer cette gymnastique.
Les thèmes des émissions sont multiples, les compétences scolaires travaillées nombreuses et les champs d’exploration vastes. Les retours positifs de la part des parents ont été nombreux lors des diffusions : la webradio a contribué à maintenir un lien avec les parents mais elle reste un outil insuffisant à l’égard des parents très éloignés du système scolaire. Ce constat me pousse à envisager la réalisation d’émissions avec les parents.