Introduction
Cette contribution cherche à proposer des pistes de réflexion autour de la notion de travail collaboratif entre l’enseignant de FLE (que l’on appellera enseignant de matière) et l’enseignant de soutien pédagogique (que l’on appellera enseignant spécialisé) dans le système scolaire italien. Il s’agit d’une étude construite autour des résultats provisoires d’une recherche commencée en janvier 2024 et encore en cours. L’objectif consiste à montrer la complexité des paramètres à prendre en considération dans ce processus de collaboration et les types d’approche et de méthodologies pédagogiques et didactiques qui pourraient être adoptés pour l’inclusion des publics à besoins particuliers. En effet, le système scolaire italien est orienté vers une éducation inclusive1, c’est-à-dire une éducation qui prévoit l’accès et la participation aux cours de la quasi-totalité des élèves certifiés H (en situation de handicap), DSA2 (avec troubles spécifiques d’apprentissage), BES (besoins éducatifs spéciaux). Dans ce système, l’enseignant spécialisé, formellement assigné à l’élève en situation de handicap, est également enseignant à part entière de l’ensemble du groupe d’apprenants et présent au sein de la salle de classe en coprésence avec l’enseignant de matière.
Toutefois, comme l’affirment Daloiso et Rodriguez (2016, p. 126), l’inclusion ne peut pas se réduire à la simple présence de ces élèves au sein du groupe classe, mais doit se traduire par une politique éducative visant à maximiser leur participation active aux activités didactiques, indépendamment de leurs habiletés cognitives, ou indépendamment de leurs difficultés linguistiques, de leur origine ethnique ou de leur milieu socio-économique de départ. « Inclusion » signifie également promotion d’une intégration globale, impliquant les deux figures professionnelles de référence, puisque la présence d’élèves certifiés dans la classe rend nécessaire le partage de compétences, d’approches et de méthodologies de deux enseignants (Stevens & Marsh 2005).
Dans ce principe de collaboration, selon Caldin (2015, p. 97), les personnes effectuant un travail de soins doivent faire preuve d’une grande clarté à l’égard d’elles-mêmes : le travail avec des publics à besoins particuliers conduit à identifier ses propres limites et difficultés. Par conséquent, les personnes qui rencontrent ces adolescents doivent posséder une bonne maturité psychologique qui les aide à accepter leurs propres imperfections, une capacité suffisante à lire leur propre soi qui leur permette de demander et d’offrir de l’aide (Caldin, 2015, p. 97-98), des compétences et des stratégies diffuses et transversales pour réaliser des actions spécifiques, transformer les contextes, pénétrer la normalité dans tous ses aspects, sans s’enfermer dans des niches séparées (Ianes, 2014a, p. 144). En effet, comme le souligne Springer (2018, p. 8), l’équilibrage et la complémentarité des relations sociales, ainsi que le dialogisme inhérent à ces relations, jouent un rôle essentiel pour l’enseignement/apprentissage collaboratif.
Cependant, il arrive souvent que, entre ces deux figures professionnelles, des situations d’asymétrie apparaissent en raison de la diversité des rôles, des formations, des points de vue, des compétences, voire de la gestion des espaces (le professeur de matière est généralement assis à son bureau, tandis que l’enseignant de soutien pédagogique se trouve normalement parmi les apprenants, à côté de l’élève H). De ces divergences, des tensions, des incompréhensions, des compétitions peuvent parfois naître.
Comment articuler la collaboration entre ces deux figures afin d’organiser une intervention efficace dans ce contexte ? Comment gérer l’hétérogénéité des élèves afin de faire face aux besoins (socio)linguistiques, didactiques et personnels de chacun ? En partant d’une description de l’approche méthodologique adoptée dans la recherche en objet et de l’illustration du contexte d’intervention, la présente contribution vise à analyser les rôles, les perceptions et les complexités des deux agents en question, les stratégies didactiques adoptées en collaboration et les expériences concrètes d’intervention.
1. Méthodologie de l’enquête et contextes d’intervention
1.1. Méthodologie qualitative et implication du chercheur
L’approche méthodologique adoptée dans cette étude se base sur une enquête qualitative menée auprès d’un échantillon composé de 22 enseignants de FLE, dont 45,5 % opérant auprès d’instituts d’enseignement secondaire de premier degré et 54,5 % auprès d’instituts d’enseignement secondaire de second degré (certains enseignants ont indiqué les deux types d’école). Les enseignants questionnés viennent de toute l’Italie et ont été contactés par l’intermédiaire d’organismes de formation en didactique du FLE (Francophonia) et de promotion de la langue française (Alliance française de Rimini).
L’enquête se base sur des questionnaires semi-structurés composés de 29 questions à choix multiple et de 8 questions ouvertes. Les 29 questions portent sur la formation des enseignants, leurs contextes d’intervention, les méthodologies didactiques adoptées, le rôle de chaque enseignant (de matière et spécialisé), leur collaboration mutuelle dans l’organisation et la réalisation des activités didactiques. Les questions ouvertes visent à approfondir ces thématiques à travers des réflexions, des opinions et des représentations concernant les rôles, les difficultés et les expériences de réussite par rapport à cette collaboration. Il s’agit donc d’éléments déclaratifs.
Cependant, la recherche en objet peut être définie, à ce stade de notre étude, comme encore partielle, car elle ne se base que sur le point de vue des enseignants de FLE, alors que les enseignants de soutien pédagogique, qui seront à leur tour appelés à répondre à un questionnaire « miroir », similaire mais complémentaire à celui que nous avons présenté aux collègues de matière, n’ont pas encore été questionnés. L’objectif est d’obtenir une analyse croisée des données qui nous permettra d’observer notre sujet de recherche dans une double perspective. En effet, connaitre les deux points de vue contribuera à comprendre l’expérience d’enseignement/apprentissage et constituera une condition essentielle de réflexion sur les rôles, les difficultés, les complexités que comporte la coprésence des deux enseignants dans la même salle de classe.
À ce propos, l’expérience formative et professionnelle ‒ actuelle et préalable ‒ du chercheur, ancien enseignant de FLE et actuel enseignant de soutien pédagogique auprès des écoles secondaires de premier et second degré, a été tout aussi importante dans la connaissance des dynamiques de collaboration en coprésence et, par conséquent, dans la construction de la recherche elle-même.
L’expérience d’enseignement dans le soutien pédagogique, en particulier, permet une observation (participative) constante des dynamiques de classe : du point de vue méthodologique, elle consent de comparer différents approches et styles d’enseignement, d’en observer l’efficacité et les retombées en termes d’inclusion et de succès formatif ; du point de vue expérientiel, elle permet de vivre l’expérience de l’enseignement dans une perspective différente.
1.2. Contextes d’intervention didactique : premières données
D’après les premiers résultats de notre enquête, le contexte d’enseignement/apprentissage relevé est caractérisé par des classes constituées en moyenne de 20-25 élèves (60,9 % des réponses). Dans 67,3 % des cas, on remarque la présence d’au moins 1 élève H par classe, dans 15,1 % des cas, on se trouve en présence de deux élèves H et dans 4,3 % des cas on arrive jusqu’à trois élèves H par classe (dans 13 % des cas, tous concernant des écoles de second dégrée, à savoir des lycées, aucune présence d’élèves H n’a été relevée). De plus, 34,6 % des classes comptent la présence de deux élèves BES. Dans 26,1 % des cas, le nombre correspond à une seule unité par classe ; dans 17,4 % des cas le nombre peut atteindre les 3 unités par classe (dans les pourcentages restants, qui représentent, dans l’ensemble, 12,9 % des cas, le nombre augmente jusqu’à atteindre un maximum de 7 unités par classe).
La situation s’accentue lorsque l’on examine la situation des élèves DSA, dont la présence correspond à 2 élèves par classe dans 45,6 % des cas, 3 élèves par classe dans 26,1 % des cas, et un élève par classe dans 15,2 % des cas (dans 8,6 % des cas le nombre augmente jusqu’à 5 élèves par classe). Enfin, on remarque une ample présence d’élèves issus de la migration, lesquels sont souvent comptés parmi les élèves BES. Parmi eux, 67,3 % est originaire du Maghreb, 49,9 % de l’Europe de l’est, 43,5 % d’Asie, 17,4 % d’Amérique du Sud et des pays européens non francophones. Dans 47,8 % des cas, le nombre d’élèves étrangers varie d’une à deux unités par classe ; de 3 à 4 élèves par classe dans 28,2 % des cas ; de 5 à 6 élèves dans 15,2 % des cas, jusqu’à atteindre un maximum de 8 unités par classe. L’italien est la langue maternelle pour 15,2 % d’eux, tandis que 15,1 % atteignent le niveau C1-C2 ; 32,6 % le niveau B1-B2 ; 36,9 % le niveau A1-A2.
Face à un contexte si complexe, la Commission européenne parle de « paradoxe glottodidactique » : depuis des décennies, la didactique des langues a posé comme paradigmes théoriques et méthodologiques les notions de « flexibilité », d’« adaptabilité », de « valorisation des styles d’apprentissage » et de « différenciation ». Cependant, lorsque l’on se réfère aux étudiants BES, H, DSA, sans exclure les étudiants étrangers de première et deuxième génération, ces notions ont du mal à être appliquées (Daloiso & Rodriguez, 2016, p. 127). En effet, les études sur ce sujet, bien que de plus en plus répandues, ont souvent peu de liens avec la réalité que les enseignants et les élèves vivent au quotidien. De plus, lorsqu’il s’agit de traiter et d’intervenir dans une telle hétérogénéité ethnosociolinguistique, culturelle et personnelle, l’aspect (glotto)didactique passe au second plan, au profit de l’aspect pédagogique.
D’abord, l’école italienne dispose de toute une série d’outils tels que le document PDP (Piano Didattico Personalizzato) pour les élèves BES et DSA et le document PEI (Piano Educativo Individualizzato) pour les élèves H, visant à planifier une didactique spécifique (individualisation) dans un contexte éducatif standardisé (personnalisation). Afin, par exemple, pour encourager l’apprentissage des langues étrangères par ces élèves, les enseignants sont invités à suivre des directives nationales précises, en particulier la loi 170 de 2010 pour les élèves DSA, la loi 53 de 2003 et la directive ministérielle du 27 décembre 2012 pour les élèves BES et la loi 104/92 pour les élèves H. Comme cela est indiqué dans ces documents, les élèves BES et DSA peuvent bénéficier d’outils de compensation (qui permettent de compenser les difficultés liées aux troubles spécifiques, en favorisant, notamment en matière de langues étrangères, l’utilisation de technologies qui limitent la lecture traditionnelle en privilégiant la visualisation, l’écoute et la communication verbale – cartes conceptuelles, schémas, tableaux, etc. synthèse vocale – et qui assurent des rythmes progressifs d’apprentissage) ainsi que des mesures dispensatoires, qui permettent de « dispenser » l’élève de certaines performances (ex. lecture à haute voix, prise de notes traditionnelle), d’avoir des temps personnalisés plus longs pour les activités requises, d’obtenir une réduction de la charge de travail et de s’appuyer sur des critères d’évaluation diversifiés.
En ce qui concerne l’inclusion scolaire des élèves en situation d’handicap, le Ministère prévoit la désignation d’un enseignant spécialisé qui accompagne l’élève en question dans ses processus d’apprentissage et d’inclusion. Le Ministère propose également un enseignement différencié pour les élèves en situation de « dyshabilité » plus grave et simplifié pour les cas les plus légers. Cependant, tous ces documents – nécessaires du point de vue des mesures et des indications à adopter – n’offrent aucun modèle didactique/pédagogique obligatoire, laissant ainsi chaque enseignant expérimenter sa propre méthodologie didactique et de valoriser ses compétences (Guaraldi & Genovese, 2014, p. 41). C’est pourquoi, la collaboration des enseignants est particulièrement précieuse pour la formation et l’inclusion de tous les élèves.
2. Enseignants de FLE et enseignants de soutien pédagogique : rôles, perceptions, complexités
Lorsqu’un professeur de soutien pédagogique est présent dans la salle de classe, les collègues de matière sont placés face à des sentiments d’ambivalence. D’une part, cette présence apporte plus de sécurité dans la gestion des processus d’enseignement/apprentissage et dans la création d’un climat de classe prosocial et favorable : le sentiment rassurant de ne pas être seul face aux difficultés, d’avoir quelqu’un avec qui comparer et se confronter sur ce qui se passe dans la salle de classe, avec qui planifier des activités et organiser du matériel. D’autre part, la présence d’un collègue pendant les activités en classe peut déterminer des sentiments d’anxiété et d’« exposition » par rapport à son propre travail : l’inconfort de se sentir observé, de devoir se mettre en jeu et, peut-être (bien que ce ne soit pas le rôle de l’enseignant spécialisé), aussi d’être évalué et jugé (Ianes, 2014d, p. 118).
En effet, l’enseignant spécialisé assume également une fonction d’observateur externe, qui, grâce à la possibilité de participer à différentes approches didactiques et méthodologiques, peut fournir des feed-back compétents avec du recul, n’étant pas directement impliqué dans la gestion des activités. Si, d’une part, cela peut améliorer les pratiques professionnelles de l’enseignant de matière en surveillant, en donnant un retour d’information et en aidant l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des stratégies de formation et d’éducation adoptées, d’autre part, cela peut engendrer des situations d’incompréhension et de compétition, déclencher des mécanismes d’« autodéfense » où chacun s’enferme dans son propre rôle (Ianes, 2014d, p. 116). Il n’est pas rare, par exemple, que les enseignants de soutien pédagogique se sentent peu impliqués dans les décisions qui concernent le reste de la classe, ou que l’enseignant de matière suive son propre programme de classe tout en déléguant à l’enseignant spécialisé l’intervention auprès des enfants à besoins particuliers. Cela provoque des sentiments d’exclusion (Treellle & coll., 2011, p. 146-147) et une perception négative de son rôle et de son travail. De la même manière, il est tout aussi courant que les enseignants de matière ne trouvent pas de collaboration de la part des enseignants spécialisés, lesquels, concentrés sur leurs cas spécifiques, excluent de leur intervention les autres élèves de la classe, certains qu’il appartient à leur collègue de s’en occuper.
Ces argumentations ont été confirmées par nos données. Parmi les questions ouvertes, nous avons demandé quelles sont les actions que chaque enseignant devrait accomplir afin d’accroître l’efficacité de son intervention au profit d’une collaboration mutuelle et quels sont les principales difficultés rencontrées dans la réalisation de cette collaboration. Dans la plupart des réponses obtenues, des mécanismes de délégation et d’isolement/séparation ont été mis en évidence. Les réponses indiquant la formation, la gestion de la classe, l’organisation des activités et le manque de compétence linguistique en français de la part des enseignants spécialisées ont été tout aussi fréquentes :
Tableau 1 : Actions des enseignants spécialisés.
« Selon vous, que devrait faire l’enseignant de soutien pédagogique pour accroître l’efficacité de son intervention (et de votre collaboration) ? » |
« Il/elle doit se rappeler qu’il/elle est un prof de soutien d’une classe entière où est inscrit un élève en situation d’handicap. Il n’est pas un prof privé d’un seul élève ». « Être disponible à travailler ensemble ». « Savoir gérer la classe ». « Avoir des compétences de la matière ». « Avoir des compétences en langue étrangère au moins au niveau A1 ». « Augmenter l’échange d’opinion avec le professeur de français ». « Cela dépend des cas et des enseignants. Quelques-uns font le travail de l’élève à sa place, quelques autres ne le suivent pas assez ». « Il devrait avoir intérêt à chercher de ne pas s’isoler et à acquérir plus de compétences linguistiques ». « Participer à la programmation des cours et se sentir libre d’intervenir en classe ». « Il devrait s’occuper de tous les élèves en difficulté ». « Continuer son travail de contrôle des activités réalisées par les élèves en difficultés, les aider dans la réalisation des cartes mentales ou des schémas, leur demander de faire les devoirs régulièrement et de ne pas hésiter à demander des explications aux professeurs quand ils rencontrent des choses trop difficiles ». « Avoir suivi un parcours universitaire spécifique (parfois en tant que professeur de soutien on a des personnes extérieures au cadre scolaire qui n’ont pas les compétences nécessaires pour suivre les élèves) ». |
Tableau 2 : Actions des enseignants de FLE.
« Que pourriez-vous faire pour améliorer l’efficacité de votre collaboration ? » |
« Tenir davantage compte de cette figure professionnelle. L’implique davantage, même si cela est souvent difficile car on est trop occupés à gérer la classe et à réaliser le programme ». « Prévoir des moments de mise en commun pour prévoir une action pédagogique partagée ». « Je pourrais avoir une interaction plus fréquente et acquérir plus de compétences pédagogiques spécifiques ». « Écouter son feedback sur mes cours ». « Trouver des outils et des techniques pour maintenir la motivation et l’ordre en classe et mieux gérer les dynamiques négatives qui se créent inéluctablement dans la classe parmi les élèves ». « Être plus fréquemment en contact ». « Préparer les cours à l’avance pour que l’enseignant sache ce que je fais ». « Inclure plus l’enseignant de soutien dans mon projet didactique ». « Rester toujours en contact et parler de toutes les choses remarquées pendant le travail en classe et dehors ». « Me mettre à son écoute ». « Interagir plus souvent avec l’élève H ». « Programmer des activités didactiques ensemble ». « Décider ensemble de l’organisation des cours ». « Rester moins dans son coin et prendre part au cours d’une manière plus active ». |
Bien que les répondants aient fait preuve d’une capacité d’(auto)analyse plutôt objective, dans une des réponses à la deuxième question ‒ portant sur soi-même et sur ses propres actions didactiques ‒ l’un des enseignants interrogés a mis en évidence un aspect qui caractérise son collègue spécialisé, à savoir sa faible participation aux activités du groupe classe : « Rester moins dans son coin et prendre part au cours d’une manière plus active ».
Cette même dynamique d’attribution externe a été constatée beaucoup plus fréquemment dans les réponses obtenues à la troisième question, concernant les difficultés rencontrées dans le cadre de la collaboration entre les deux enseignants (donc une question portant sur le travail d’équipe, et non pas sur l’action spécifique de l’un des deux enseignants). Dans la plupart de ces énoncés, l’objet des réponses concerne les omissions du collègue de soutien pédagogique, alors que le nombre de réponses examinant les difficultés réelles d’un travail collaboratif est moins nombreux :
Tableau 3 : Difficultés dans le travail en collaboration
« D’après votre expérience, quels sont les principales difficultés rencontrées dans le cadre de la collaboration avec l’enseignant de soutien pédagogique ? » |
« Ils préfèrent sortir de la classe » « Les enseignants de soutien ne connaissent pas bien le FLE » « Souvent il s’agit de personnes démotivées » « Le manque de connaissance, le manque de volonté de travailler » « Manque de temps pour organiser des interventions en commun, manque d’intérêt de la part de certains enseignants fainéants ». « Je n’ai pas eu beaucoup d’occasion de collaboration mais je pense que souvent on ne considère pas l’enseignant de soutien comme un enseignant de la classe. Du coup la collaboration est minime ». « Il faudrait essayer de parler à voix un peu plus basse avec les élèves avec BES, sinon on n’entend pas toujours les autres s’exprimer. Certains profs de soutien devraient également comprendre que certains élèves avec BES ont besoin de sortir un peu de la classe, qu’ils ne peuvent pas rester pendant 5, 6 heures de suite assis dans une même pièce ». |
« Les rythmes de travail ne sont pas les mêmes » « La façon différente d’enseigner » « On travaille souvent séparément » « Le problème principal est la connaissance limitée de la langue française » « Le manque d’humilité » « Manque d’écoute » |
« Je n’ai jamais rencontré de difficultés avec l’enseignant de soutien. » « Je n’en ai rencontré aucune. » « Aucune. » « Aucun problème rencontré. » |
Dans la majorité des affirmations, il résulte que la collaboration entre les deux enseignants s’avère attribuée à un manque de motivation et de connaissance du français (ou plus généralement de la matière en objet) de la part des enseignants spécialisés et d’une perception infériorisante de leur fonction. D’autres réponses ont mis en évidence les différents espaces et rythmes de travail, les différentes approches pédagogiques adoptées, le manque d’humilité et d’écoute (dont la figure professionnelle n’a pas été spécifiée). Parmi les réponses restantes, aucune difficulté n’a été déclarée.
Comme le montrent ces données, au nom du droit des enfants à besoins particuliers à bénéficier d’interventions spécifiques, des dynamiques de séparation et/ou d’(auto)ségrégation peuvent donc se déclencher. Cette perspective séparatrice, écrit Ianes (2014a, p. 144), s’avère erronée dans la mesure où elle consolide, dans les termes, la division entre « enseignant normal » et « enseignant spécialisé », et, dans la réalité, le clivage qui s’instaure est difficile à combler, car favorisant des mécanismes de délégation qui, trop souvent, conduisent à des micro-exclusions à l’intérieur et à l’extérieur de la salle de classe. De plus, cette séparation engendre des conséquences et des perceptions trompeuses chez les apprenants. En effet, avoir l’enseignant spécialisé « collé » sur eux accentue souvent l’(auto)perception de leur diversité et renforce des stéréotypes et/ou des préjugés. Cela déclenche des situations où ces élèves refusent la présence de l’enseignant de soutien pédagogique en tant qu’agent de stigmatisation, ce qui nuit à l’inclusion scolaire de l’ensemble du groupe-classe.
C’est pourquoi, compte tenu des témoignages recueillis, on peut se demander si des problèmes de perception, de formation, d’expérience préalable et de compétences individuelles ne sont pas à l’origine de ces mécanismes de séparation. Il n’est pas rare, comme nous l’avons vu, que les enseignants spécialisés soient considérés comme des « enseignants de seconde zone » (Ianes 2014a, p. 80), ou qui ne possèdent pas de compétences linguistiques nécessaires dans la langue cible ou, plus généralement, dans les matières d’enseignement, ce qui constitue certainement un obstacle à une action didactique efficace. En même temps, il est tout aussi légitime de se demander si, derrière ces mécanismes de séparation, il n’y a pas une formation inadéquate ou partielle de la part de certains enseignants de matière, de même qu’un parcours professionnel et personnel n’ayant comporté aucune expérience directe en matière de handicap.
Parmi les enseignants interrogés, par exemple, 26,1 % est titulaire d’un diplôme de spécialisation en éducation et pédagogie spécialisées3, tandis que moins de la moitié (45,5 %) a effectué une expérience en tant qu’enseignant de soutien pédagogique d’une durée d’au moins un an. Comme il en ressort des recherches sur le terrain, et comme il en résulte de notre enquête, un manque de formation spécifique a un certain impact sur les représentations et les différentes perceptions concernant ces profils professionnels (et, comme nous le verrons, sur les approches méthodologiques adoptées). En effet, d’après nos résultats, il ressort que parmi les enseignants de matière non spécialisés (16 sur 22), près d’un tiers (31,5 %) jugent cette formation superflue/non nécessaire pour sa carrière, tandis que tous les enseignants spécialisés en reconnaissent l’importance et l’utilité. Il en va de même en ce qui concerne l’expérience d’enseignement dans le cadre du soutien pédagogique : tous les enseignants ayant exercé ce métier (10 personnes sur 22) reconnaissent l’importance de cette expérience pour leur profession d’enseignant de matière. Parmi ceux qui n’ont jamais exercé ce rôle (12 personnes sur 22), la moitié (6 personnes sur 12) estime cette expérience inutile pour sa carrière d’enseignant de matière.
Compte tenu de ces résultats, dans cette tension constante entre les exigences de l’éducation et celles de l’inclusion, où les différences et les antagonismes sont constitutifs d’une cohabitation complexe, la stratégie souhaitée par les sciences sociales et de l’éducation se produirait dans la co-responsabilisation et une émancipation de tous les acteurs impliqués dans les processus éducatifs (Ianes 2015, p. 205), par la mise en commun des compétences et des ressources pour la création de nouvelles solutions, « non seulement pour aboutir à la réalisation de l’œuvre mais aussi et surtout pour aboutir à une convergence et à une vision partagée, à une culture partagée » (Springer 2018, p. 16-17). Ces tensions, en effet, se situant dans le cadre de l’expérientiel et de l’interdisciplinarité, peuvent nourrir en quelque sorte les dynamiques créatives. Le premier avantage sera la réalisation d’un nombre croissant de situations dites de « normalité spéciale » (Ianes, 2006), lesquelles, selon le concept « morinien », sont en mesure de réaliser une « unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent et se combattent » (Morin, 1986, p. 98). Les objectifs ne se limiteront donc pas à l’apprentissage, mais s’étendront aux domaines des « activités personnelles » (autonomies personnelles et sociales, communication et langages différents, compétences et interactions sociales), aux domaines psychoaffectifs et comportementaux (Ianes, 2014a, p. 18) et aux domaines reliés à l’identité et à l’estime de soi (Arcuri, 1995, p. 25). Le deuxième avantage, sera celui de permettre à chaque enseignant d’aider son collègue à faire face à d’éventuelles difficultés d’ordre linguistique et/ou méthodologique. Pour aboutir à cet état des choses, affirme Morin (2015, p. 131), il est nécessaire d’abandonner l’idée des savoirs séparés qui négligent l’urgence et l’essentiel (élimination des barrières entre les savoirs), de faire l’effort de concevoir des solidarités entre les éléments d’un tout (tendance à une conscience de solidarité), de s’appuyer sur la connaissance des contextes et reconnaitre la complexité des situations dans lesquelles nous devons agir. De plus, selon l’auteur, il importe de comprendre qu’il existe une « écologie de l’action » qui peut souvent détourner nos actions de la direction souhaitée et les orienter dans la direction opposée, de sorte que nos intentions morales pourraient conduire à des résultats immoraux.
3. « Normalité spéciale » et approches collaboratives : l’espace de la didactique, entre individualisation et personnalisation
3.1. « Normalité spéciale » : quelles conditions pour une classe inclusive ?
Pour les élèves à besoins particuliers et/ou en situation de handicap, ainsi que pour les élèves issus de la migration, la véritable intégration consiste dans la pleine participation à la « normalité » de la scolarité dans un groupe de pairs « normal », dans une école « normale », avec des activités « normales », c’est-à-dire de tous (Ianes, 2014a, p. 15). L’énoncé « Je veux faire comme les autres », synthèse écrite par un élève H d’une école secondaire et citée par l’auteur dans ses travaux, contient les multiples valeurs de cette « normalité ». En participant à des activités « normales » avec le groupe « normal » de pairs, l’élève vit l’expérience du « droit d’être là » (Breviglieri, 2001, p. 37), reconnait sa propre valeur, accroit son estime de soi et son sentiment d’appartenance, ce qui constitue des besoins humains fondamentaux (Maslow, 1943) de chaque individu. Ces objectifs sont réalisables, d’une part, à travers la gestion des espaces d’intervention didactique en mesure de permettre une plus grande équité et une pleine participation des élèves en difficulté aux activités de la classe ; d’autre part, à travers une approche collaborative entre les enseignants spécialisés et les enseignants de matière, laquelle, comme le montre une étude de cas de Kummer Wiss (2007), a pour fonction de créer les conditions optimales d’intervention. À ce propos, l’emploi des méthodologies didactiques collaboratives, qui combinent un enseignement personnalisé, visant à produire des parcours d’enseignement avec des objectifs atteignables et souhaitables pour l’ensemble du groupe-classe, et un enseignement individualisé, où l’attention de l’enseignant est concentrée sur l’apprenant, s’avère essentiel (Guaraldi & Genovese, 2014, p. 47-48). Citons par exemple l’apprentissage coopératif, où des adaptations d’objectifs, de rôles, de stratégies aboutissent à une plus grande participation de tous les acteurs impliqués, où chacun développe un sentiment d’appartenance, de confiance réciproque, d’inclusion de sa subjectivité (Cristol, 2017, p. 31) ; le peer tutoring où l’on exploite la ressource inestimable des camarades de classe, de quelqu’un qui met son temps, ses compétences au service des camarades en difficultés (Canevaro, 2015, p. 173) ; ou encore les enseignements en laboratoire et par projets. Il s’agit d’actions éducatives didactiques caractérisées par une généralisation de la différenciation, c’est-à-dire par une méthodologie qui s’applique à tous les élèves de la classe et non pas aux seuls sujets porteurs de handicap (Canevaro & coll., 2015, p. 168).
Toutes ces actions, se situant dans la zone de développement proximal de nombreux enseignants, en favorisent un travail en coparticipation et une plus grande implication de leur part (Ianes, 2014d, p. 116). En effet, comme nous le verrons, une collaboration efficace entre enseignants est étroitement liée aux approches pédagogiques adoptées. Toutefois, lorsqu’on perçoit des lacunes en matière de compétences pédagogiques spécialisées et/ou d’un manque de confiance dans leur application, ces activités ne parviennent que très peu à être exploitées (Ghedin & coll., 2013). Un résultat très important à cet égard, bien que limité à un petit nombre d’unités de notre corpus, concerne les enseignants qui, manquant d’expérience formative et professionnelle dans le domaine de l’éducation spécialisée, ressentent la nécessité d’apprendre des méthodologies spécifiques d’enseignement/apprentissage avec les élèves à besoins particuliers :
- Je ne comprends pas pourquoi les universités qui préparent les étudiants à un avenir dans l’enseignement proposent encore de façon marginale de réfléchir aux défis liés au soutien pédagogique. Le professeur qui entre en classe est souvent dépourvu des stratégies nécessaires pour guider les étudiants !
- Même l’enseignant de matière a besoin de méthodologies spécifiques pour approcher et enseigner aux élèves ayant des besoins particuliers.
- On a besoin d’acquérir des méthodologies et des techniques d’enseignement diversifiées. Les classes sont composées par des élèves qui ont, tous, des caractéristiques d’apprentissage différentes et quelques-uns d’eux des besoins particuliers et des difficultés d’ordre physique.
Comme le montrent les études sur le terrain (Castoldi, 2009 ; Beillerot & Mosconi, 2006 ; Dionne & Rousseau, 2006 ; Bazzanella & Buzzi, 2009), il s’ensuit que les méthodes pédagogiques les plus utilisées sont encore traditionnelles, transmissibles, standardisées, centrées principalement sur l’enseignant, égales pour tous les élèves, basées sur le manuel, individualistes, fondées sur l’explication-étude-vérification, etc. Ces données ont également été confirmées par des recherches plus récentes (Canevaro & coll, 2011 ; Ianes & coll., 2010, 2013), selon lesquelles les méthodologies les plus fréquemment utilisées dans l’enseignement ordinaire sont données par la leçon magistrale et les fiches pédagogiques. Cela est particulièrement évident dans les classes où l’élève H/BES/DSA est partiellement ou totalement en dehors de la salle de classe avec l’enseignant spécialisé (Ianes, 2014c, p. 45).
La qualité de l’inclusion scolaire, comme l’affirme Cottini (2017), est déterminée par un certain nombre d’indicateurs, tels que les liens entre les programmes individualisés et les programmes de classe, la généralisation de l’apprentissage, le temps que l’élève passe dans la classe et l’implication des pairs dans l’intégration. C’est pourquoi, une collaboration égalitaire et une plus grande coresponsabilité entre les deux enseignants permettrait d’atteindre une meilleure équité parmi les élèves et de réduire les difficultés linguistiques et/ou méthodologiques des enseignants eux-mêmes. Cela entraînerait également une diminution des mécanismes de délégation et de désengagement et un développement des compétences en matière d’individualisation et de personnalisation. En effet, comme l’affirme Ianes (2014c, p. 38), les collègues de matière sont les acteurs les plus importants des processus d’inclusion. S’il n’y a pas d’implication de la part de ces enseignants, aucun nombre d’heures de soutien pédagogique n’aura d’importance.
3.2. Individualisation/Personnalisation : espaces d’enseignement et approches collaboratives
En analysant l’emploi de l’espace dans la réalisation d’une action didactique inclusive, nous sommes partis de cette question : « Combien “valent” dix heures de présence en classe par rapport à dix heures de “dedans-dehors” réservées uniquement aux élèves en difficulté ? » (Ianes, 2014c, p. 47). Selon Canevaro (2015, p. 167), existe le risque d’un possible dommage lorsque l’ensemble des activités d’un sujet H, BES ou DSA est déconnecté du groupe classe auquel il fait référence. Il s’agit d’un indicateur qui se manifeste lorsqu’on se trouve en face d’un manque de contact entre l’individu en question et le groupe-classe. D’une part, cette absence se produit au niveau de l’espace physique (absence du groupe-classe pendant une longue période) et d’autre part, à travers les modalités d’imbrication des programmes. Dans certaines situations, l’absence est due à des besoins de force majeure liés, par exemple, à un état physique et/ou psychique d’un élève qui empêche sa présence dans le même endroit que ses camarades. Cependant, il arrive souvent que des élèves en situation d’handicap et/ou de difficultés d’apprentissage légers, exercent une bonne partie de leurs activités en dehors de la salle de classe. Les données que nous avons recueillies, bien qu’elles ne puissent pas nous fournir des informations sur les raisons à la base des choix éducatifs adoptés, confirment ces tendances :
Dans la plupart des cas, les activités didactiques des élèves en difficulté permanente sont effectuées dans la même salle de classe que leurs camarades, mais avec des tâches différentes et séparées (41 %). La seconde tendance la plus répandue est celle qui voit les deux enseignants opérer dans des contextes spatiaux différents (31 %). Dans les autres cas, le travail se fait en synergie dans la même salle de classe (28 %). D’après des recherches sur ce sujet (Canevaro & coll., 2011), il semble que la cause principale de la sortie de classe soit due au fait que « les méthodologies utilisées en classe ne permettent pas toujours une individualisation adéquate » (26,2 %). Cela vaut pour les élèves qui suivent un parcours mixte, en partie dans la salle de classe et en partie à l’extérieur. Toutefois, si nous examinons les données concernant les élèves qui sont toujours en dehors de la salle de classe (dans la recherche citée, cela correspond à 5,7 % des élèves H), nous constatons que la raison la plus fréquemment invoquée est la même pour 44,2 % des cas (Ianes, 2014c, p. 45). En même temps, des situations où, dans une classe donnée, l’enseignant spécialisé sort presque toujours l’élève H pendant ses heures de cours sont également documentées (Ianes, 2014a, p. 108). On peut donc se demander si, dans notre corpus également, ces tendances sont la conséquence des approches didactiques et des méthodologies adoptées. Des méthodes traditionnelles (leçon magistrale), par exemple, pourraient accentuer les difficultés des élèves les plus fragiles, mais aussi des enseignants de soutien pédagogique ne maîtrisant pas suffisamment le français. À ce propos, nous avons questionné les enseignants sur les principales activités pédagogiques employées avec les élèves à besoins particuliers :
D’après les données recueillies, il résulte que les activités les plus employées sont centrées principalement sur l’explication et la facilitation, l’adaptation et la diversification des matériels d’apprentissage (textes, fiches et objets numériques), par niveau et difficulté, mais aussi par la manière avec laquelle l’élève travaille et montre avoir acquis l’objectif : « simplification du contenu de la matière » (22 %), « construction des programmes personnalisés » (22 %). Parmi les activités collaboratives, le « peer tutoring » a obtenu un pourcentage tout aussi élevé (22 %). Dans 11 % des cas, tous les élèves suivent les mêmes programmes de classes ; dans 9 % des cas on organise des activités alternatives/laboratoires en dehors de la salle de classe ; dans 8 % des cas on recourt aux jeux de rôles et aux activités de groupe.
En ce qui concerne les principaux modes d’intervention méthodologique employés avec les élèves en difficulté, nous avons essayé de comprendre s’ils sont réalisés de manière collective ‒ avec tous les élèves de la classe et l’action simultanée des deux professeurs ‒ ou individuelle ‒ où chaque enseignant suit son propre programme avec son/ses élève(s) ‒ en termes d’espace physique et par rapport au programme du groupe-classe de référence.
À l’exception du « peer tutoring », les méthodologies éducatives collaboratives les plus fréquentes s’adressent notamment aux élèves en difficulté. Le principal écart entre les activités individuelles et les activités collectives se retrouve dans les « explications simplifiées » et les « exercices spécifiques ». Dans le cas du « peer tutoring », l’activité est évidemment réalisée de façon collective. Nous avons essayé également de sonder si et dans quelle mesure les activités incluant les élèves en difficulté se déroulent à l’intérieur et/ou à l’extérieur de la salle de classe :
À l’exception des activités d’« accompagnement individuel », les activités destinées exclusivement aux élèves en difficulté se déroulent pour la plupart en dehors de la salle de classe, tandis que le reste des activités (destiné à tous les élèves) se déroule pour la plupart au sein de celle-ci. Cependant, si l’on considère que ces activités collaboratives sont encore très peu utilisées et qu’elles constituent le pourcentage le plus faible de nos résultats, nous pouvons conclure qu’une éducation entièrement inclusive n’est pas encore complètement mise en œuvre.
Selon Bielaczyc et Collins (1999), pour une participation collective à l’apprentissage, des conditions particulières doivent être présentes :
- Un but commun de la communauté.
- Des activités d’apprentissage partagées.
- Des changements de rôles des participants selon leurs connaissances et habiletés.
- Les ressources : les membres eux-mêmes et la collectivité.
- Un langage commun co-élaboré au fur et à mesure des interactions entre les membres.
- Un rôle des enseignants concepteurs et animateurs d’un espace d’apprentissage.
Avec une coprésence plus grande et plus factuelle des deux enseignants, les méthodes pédagogiques ordinaires pourraient évoluer vers des formes structurellement plus inclusives. Cela permettrait, d’une part, de diviser plus facilement les élèves en groupes et sous-groupes et, par conséquent, d’être plus proches d’eux sur le plan didactique, psychologique et comportemental ; d’autre part, de briser les barrières de la salle de classe afin de conquérir des espaces différents à la didactique ordinaire (Ianes, 2014a, p. 108). De plus, ces méthodologies, basées sur des principes de la collaboration, de co-construction des savoirs et de partage des compétences, pourraient provoquer des occasions d’entraide et de médiation entre enseignants/élèves/enseignants et élèves, où chaque acteur pourrait mettre ses ressources au service de tous les membres de la communauté d’apprentissage.
En interrogeant nos enseignants à propos des expériences de collaboration les plus réussies, on a recueilli des affirmations qui témoignent du lien entre le succès en termes de formation et d’inclusion et l’emploi des méthodologies collaboratives. À l’exception des témoignages généralisés (comme par exemple « Quand l’élève réussit à obtenir même le résultat le plus petit », ou « Très souvent il arrive que les élèves soient bien préparées grâce au travail de leur enseignant de soutien ») les meilleures expériences de collaboration citées sont celles où des méthodes de collaboration ont été utilisées. Des réflexions sur l’importance de l’espace et de la proxémique ont été également mentionnées :
Tableau 4 : Expériences de collaboration réussies
Racontez une anecdote/expérience dans laquelle la collaboration avec l’enseignant de soutien pédagogique s’est avérée particulièrement fructueuse |
« Chaque fois que pendant le cours on dédie des espaces à la narration des expériences de vie de chacun par rapport à un certain sujet de vie quotidienne. C’est là que l’élève H, accompagné par l’enseignant de soutien pédagogique, trouve l’occasion pour être/se sentir/participer comme tous les autres. Pendant ces moments, […] c’est l’occasion de créer une situation de cohésion, de médiation, d’inclusion ». « On s’est échangé nos place… on a travaillé sur l’espace, la prossemica… ». « Pendant un jeu de rôle, moi et la prof de soutien pédagogique on a joué des rôles à côté des élèves. Les élèves étaient pleins d’enthousiasme concernant notre participation active ». « Tous les fois où son aide représente une aide fructueuse : soit pendant les jeux de rôle ou les activités d’écoute soit pendant les activités de contrôle ou de groupe ». « C’était ma première année, l’enseignant m’a appris beaucoup de choses à propos du fonctionnement de l’école et de la gestion de la classe ». « Une collègue qui alternait des activités en classe avec des activités en dehors de la classe. Elle avait de très bonnes capacités d’organisation, de réflexion, de collaboration et une grande sensibilité ». « Une enseignante m’a appris à insérer des dessins simplifiés extraits d’Internet dans les tests et on a développé un style de test très efficace ». « Cette année je collabore avec une enseignante de soutien et elle prend part à mes cours de français en aidant tous les élèves dans différentes tâches comme les productions orales et écrites ». « C’était l’année dernière, j’avais une troisième classe avec un élève H grave. L’enseignant et moi, nous avons travaillé en synergie et l’étudiant a bien réussi son brevet ». « Quand l’enseignante avait une bonne connaissance de la langue et était disponible à collaborer ». |
Comme il en ressort des discours, les méthodes pédagogiques collaboratives sont des moyens d’action au service de l’émancipation des individus qui contribuent à installer des formes relationnelles entre ces derniers. L’exposition à des méthodes pédagogiques où l’on apprend collectivement, au-delà d’un simple contenu à véhiculer, assure la promotion d’une vision du vivre ensemble et conduit à une transformation des rapports sociaux (Cristol, 2017, p. 15-16). En effet, dans l’apprentissage collaboratif, l’action pédagogique et didactique est fondée sur un contrat social entre les membres d’une communauté en devenir. La communauté lui permet ainsi de s’épanouir et de se développer (Springer, 2018, p. 7).
Selon Orellana (2002, p. 73), « le principe de base de la communauté d’apprentissage est de mettre en évidence l’importance de la mise en commun des efforts, des talents et des compétences de chacun et de valoriser les processus éducatifs qui intègrent les dimensions sociales, tout en étant appropriés aux besoins des personnes et des communautés et adaptés aux contextes divers et changeants ». Les activités collaboratives facilitent l’établissement d’un climat de confiance entre les personnes impliquées. Cela permet non seulement de faire émerger des compétences personnelles et professionnelles, subjectives et communes, mais aussi de les renforcer, comme par exemple la capacité à faire face à un conflit ou à une criticité, ou la capacité à répondre et à réagir de manière adéquate à l’imprévu, en déclenchant de nouvelles ressources et potentialités (Caldin, 2015, p. 97). Dans cette perspective, c’est la communauté, plutôt que l’apprenant, qui est au cœur du processus d’apprentissage (Cristol, 2017, p. 30), tout comme le processus collaboratif, plutôt que le résultat, qui devient le plus important dans la collaboration.
Conclusion
Une approche collaborative d’enseignement n’est pas une simple alternative méthodologique à l’apprentissage individuel et collectif. Elle implique au contraire une vision différente de l’éducation donnée par des conditions nécessaires telles qu’une communauté, un contrat social et une culture partagée (Dillenbourg, 1999), tout comme la pleine responsabilisation de tous les enseignants dans les processus d’intégration et d’inclusion. Les premiers résultats de notre étude ont montré qu’une collaboration efficace peut dépendre, d’une part, des représentations de chaque enseignant par rapport à son rôle et au rôle de son collègue et, d’autre part, du type d’approche employé dans le processus d’enseignement (il apparaît que l’utilisation d’approches collaboratives peut effectivement favoriser une plus grande collaboration entre les enseignants, encourager l’entraide et la mise en commun des compétences de chacun). Ces deux aspects sont liés, bien que différemment, à un parcours de formation adapté qui, en plus de fournir les outils pour répondre aux besoins d’un public caractérisé par de multiples besoins, permet une meilleure perception de chaque acteur impliqué dans le processus de formation et de construction d’une communauté d’apprentissage.
En 2012, l’Agence européenne pour le développement de l’éducation pour les élèves à besoins spécifiques a publié, parmi les documents de son projet sur la formation des enseignants, un « Profil du professeur inclusif », produit à partir d’une très large consultation menée dans différents pays et à tous les niveaux du monde de l’école et, plus généralement, de l’éducation. Ce profil, affirme Ianes (2014b, p. 211), peut remplir plusieurs fonctions dans l’Italie d’aujourd’hui : d’une part, une meilleure définition des compétences et des actions inclusives que l’on peut attendre des enseignants de matière, d’autre part, une intervention en perspective inclusive dans les processus de redéfinition et de correction des parcours de formation universitaire.
D’après notre enquête, la formation des enseignants est souvent lacunaire et/ou partielle, ainsi que réduite au fil des années. Cela a des conséquences sur les perceptions, les rôles, les approches didactiques et méthodologiques adoptées. C’est pourquoi, il est souhaitable que soit mise en place une formation initiale et in itinere des enseignants plus solide (Ianes, 2014a, p. 144-145), visant à la réalisation d’une « Normalité » et d’une « Spécialité », à la création des stratégies éducatives et didactiques appliquées par plusieurs personnes et dans plusieurs contextes afin de réduire toute forme d’exclusion et de sentiment de non-appartenance. Cela pourrait créer davantage d’opportunités, de comparaisons, de débats et de corrections réciproques entre les deux enseignants en question, ainsi que la possibilité pour eux de co-observer et d’évaluer les différents modes de co-enseignement.