Le thème qui avait été convenu dans le cadre du séminaire permanent de Normes & Valeurs, « Éthique et pratiques », pourrait nous placer dans une posture délicate vis-à-vis des professionnels de l’éducation, notamment des enseignants, car il rappelle quasiment mot pour mot une épreuve qui fut introduite à partir de 2007 dans les concours de recrutement de ces derniers. Il s’agissait de l’épreuve censée évaluer la compétence : « Agir en fonctionnaire de l’État de manière éthique et responsable ». Cette épreuve avait pour fonction d’évaluer si les candidats pourraient témoigner ou faire preuve d’une attitude responsable et s’ils pourraient être animés par un souci ou une réflexion éthique dans le cadre de leurs pratiques futures. L’introduction de l’évaluation de cette compétence avait suscité de vives réactions chez les représentants des enseignants. Ils percevaient dans cette nouveauté la mise en place d’une modalité de contrôle supplémentaire de leur profession, modalité venue d’en haut, à l’instar de toutes les compétences qu’ils devaient maîtriser, et qui étaient construites, selon eux, sans qu’ils ne soient véritablement consultés. Ils estimaient également que cette épreuve s’inscrivait dans un long processus de déprofessionnalisation qui détournait les enseignants du cœur de ce qui fonde leur identité professionnelle et leur légitimité : la maîtrise des savoirs disciplinaires qu’ils ont à enseigner.
Il convient d’apporter quelque éclairage historique et sociologique sur la nature de cet événement pour tenter d’expliquer et de comprendre ce qui a pu provoquer une telle réaction de la part des enseignants. Comment peut-on refuser qu’une certaine éthique figure au rang des critères qui permettent de recruter les enseignants ? S’agit-il d’un malentendu entre le ministère de l’Éducation nationale et les enseignants ? Ou les enseignants sont-ils tout simplement réticents à l’idée d’une formation à – et d’une sélection par – l’éthique ? Probablement ce regard sur ce passé récent nous aidera-t-il à répondre à ces questions et finalement à mettre en lumière ce que pourraient être les conditions d’une acceptation par les enseignants d’une formation à cette éthique.
Après avoir rappelé ce que fût le contexte de l’apparition de l’épreuve (1), et décrit les oppositions qu’elle suscita (2), de même que les soutiens qu’elle rencontra (3), nous proposerons d’inventorier et d’examiner quelques-unes des conditions qui feraient d’une formation à l’éthique une entreprise libératrice bien plus qu’une aide au contrôle d’une profession (4).
D’une compétence quasi anodine à une épreuve contestée
En 2006 apparaît la liste des dix compétences que devront maîtriser les enseignants dès leur entrée dans le métier (MEN, 2006). Parmi ces compétences, il en est une qui, malgré le fait qu’elle soit la première des dix, passe plutôt inaperçue. Elle ne suscite pas en tous cas de réactions particulières. Il s’agit de la compétence : « Agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable ».
Elle ne fait pas encore l’objet d’une épreuve aux concours de recrutement. Mais dès 2007, pour certains concours, notamment ceux des professeurs des écoles, des professeurs d’histoire géographie ou de sciences économiques, une épreuve obligatoire de validation de cette compétence N° 1 : « agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable » est instaurée. Puis, l’épreuve est généralisée, à partir de 2009, à tous les concours de recrutement : CAPES, CAPET, CAPLP, Agrégation, concours de CPE (MEN, 2009). Elle sera notée dans le cadre de la deuxième épreuve d’admission du concours : un quart du temps de cette épreuve y sera consacré et elle sera évaluée sur 6 points pour les CAPES et 5 ou 4 points pour les concours de l’agrégation.
Cette épreuve s’inscrit dans un mouvement de professionnalisation des enseignants, engagé depuis le début des années 1990. Ce mouvement vise un adossement plus conséquent de la formation à la recherche et un ancrage toujours plus fort de cette formation sur le terrain où le métier s’exerce (Lapostolle, Genelot, 2012). Cette épreuve est alors censée reposer sur une solide connaissance du système éducatif, du fonctionnement des établissements scolaires, des politiques éducatives mais aussi de la dimension citoyenne au sens large du métier de professeur (connaissance des institutions et des valeurs de la République, de la déontologie du métier…), elle doit aussi préparer le futur professionnel à faire face aux situations qu’il rencontrera.
Il s’agit non seulement de rappeler les attitudes et capacités attendues pour l’enseignant – « l’éthique et la responsabilité du professeur fondent son exemplarité et son autorité dans la classe et dans l’établissement » – mais aussi de faire en sorte que chaque professeur contribue à « la formation sociale et civique des élèves ». La définition de la compétence fait référence à la « maîtrise de connaissances » : les valeurs de la République, les institutions et les grands principes du droit de la fonction publique, les politiques éducatives, le système éducatif, l’organisation et les règles de fonctionnement… Mais cette compétence ne se limite pas à la maîtrise de connaissances, elle suppose l’acquisition de « capacités et d’attitudes ». Ceci est d’autant plus vrai ici que le titre de la compétence débute par le verbe « agir ». Il s’agit pour l’enseignant de montrer comment il mobilisera des ressources pour « agir de manière éthique et responsable ».
Cependant, cette épreuve, si elle s’inscrit dans une logique et une visée qui a priori pourraient faire consensus, n’en est pas moins contestée. Il faut noter qu’elle voit le jour dans un contexte qui lui est peu favorable, marqué notamment par le démantèlement des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres). Un climat de suspicion règne. Formateurs et bénéficiaires de la formation voient dans les réformes en cours – qui sont en fait au nombre de trois : intégration des IUFM à l’université, masterisation et réforme des concours – une détérioration de la formation professionnelle des enseignants. Qui plus est, cette épreuve est mise en place par la droite et de nombreuses voix de gauche s’élèvent pour dire qu’il s’agit là de « formater » les enseignants plutôt que de les former. Probablement est-ce d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la gauche, qui arrivera au pouvoir en 2012, voudra témoigner aux enseignants qu’elle a su les entendre : l’épreuve disparaitra en 2013 dans tous les arrêtés définissant les modalités des concours. Cette disparition se fera sans commentaire. Il n’y sera tout simplement plus fait référence (MEN, 2013a).
Certes, une telle analyse, qui repose sur l’opposition traditionnelle entre droite et gauche, relève d’une interprétation un peu rapide. Elle a néanmoins la vertu de rappeler que les symboles pèsent toujours un peu sur les décisions prises. Cependant, elle ne saurait nous conduire à passer sous silence quelques-uns des faits qui ont marqué la mise en place de cette épreuve. Il convient de revenir sur quelques-unes des réactions qui ont accompagné la mise en place de cette épreuve.
Les oppositions
Sans revendiquer explicitement une quelconque appartenance à un parti politique, quelques regroupements d’acteurs constitués pour l’occasion ou quelques organisations existantes vont publiquement manifester leur opposition à cette épreuve. Des philosophes, un syndicat, mais également une association d’universitaires vont tenir des propos qui illustrent et expliquent leur réaction hostile.
Dans une tribune parue dans le journal Libération1, les professeurs de philosophie des jurys du CAPES et de l’agrégation s’opposent publiquement à l’épreuve :
Membres du jury de l’agrégation externe de philosophie, nous n’accepterions pas d’être reconduits dans cette fonction si n’était pas supprimée la nouvelle épreuve, intitulée « Agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable », introduite par arrêté ministériel pour la session 2011 dans les Capes et les agrégations de toutes les disciplines.
L’argumentation développée repose sur le risque que les membres du jury jugent les valeurs et dispositions morales candidats :
Selon les exemples de sujets publiés sur le site du ministère, les candidats seront interrogés sur des situations pratiques de la vie scolaire et devront se prononcer sur le comportement correct à adopter. Dans certains cas, il s’agit simplement de connaître les lois et les règlements, le fonctionnement de l’institution : cela n’a rien de choquant. Mais, de quelque façon qu’on la prenne, cette épreuve ne se réduira pas à la vérification de telles connaissances factuelles […] Tout montre qu’il s’agira bien, dans de très nombreux cas, de juger des valeurs et des dispositions morales des candidats, voire de leurs convictions politiques.
Les philosophes développent par ailleurs le principe selon lequel tout « examen éthique » ne peut légitimement reposer que sur la « décision en conscience » de chaque individu. Or celle-ci ne peut être l’objet d’aucune pression :
Fondamentalement, il s’agit de décisions personnelles et intimes, qui relèvent d’un examen de conscience. En effet, la seule modalité légitime d’un « examen éthique » est la décision en conscience, qui prend appui sur une expérience et une démarche personnelle. Or devant la conscience s’arrête tout pouvoir qu’un individu prétend exercer sur un autre. Ce serait une prétention absolument exorbitante, de la part des examinateurs, que de se prévaloir de leur position pour juger les réponses du candidat ; donc de décider de son avenir professionnel en se fondant sur leurs propres convictions personnelles – à supposer qu’ils soient d’accord entre eux.
Ce qui inquiète les philosophes, ce n’est pas seulement le caractère aléatoire de l’épreuve, c’est aussi son caractère potentiellement discrétionnaire :
Le ministère a indiqué dans des textes officiels, avec les suggestions de sujets (dits « sujets zéro »), les « pistes de réponses attendues ». Ainsi, pour ces questions, il existerait des réponses correctes. Si tel est l’esprit de l’épreuve, il ne sera certes pas techniquement impossible de la faire passer. Mais elle sera tout à la fois indigne et désastreuse dans ses effets. Le candidat sera soumis à l’obligation de fournir la réponse éthiquement correcte…
Une tribune du SNES relève du même registre :
Si certains professeurs des écoles, pour ne prendre que cet exemple, décident de désobéir aux ordres du ministère et ne pas faire passer à leurs élèves les évaluations nationales, qu’ils aient tort ou raison, la raison se trouve dans leur intime conviction du caractère éthique de leur résistance : ils ont appris à obéir, non seulement à la loi qu’on leur impose mais aussi à celle qu’on « s’impose à soi-même » – selon la formule par laquelle Rousseau définissait la véritable et profonde liberté. Or, la modélisation normative des « situations de la vie moderne » (ou encore celle des comportements professionnels normalisés) nécessaire à l’évaluation des « compétences » de chacun interdit profondément de reconnaître cette dimension. Cette modélisation des comportements propres à caractériser une performance est bien plutôt l’un des principaux instruments de transformation de l’homme dit moderne en ce que Musil appelait un homme sans qualités. Autrement dit, un homme ne devant être par lui-même rien ni personne, n’avoir ni qualités ni affinités électives, ni aptitudes ni sens moral propres, mais « apprendre à être », à faire et à oublier pour mieux apprendre, afin d’être en permanence adaptable à une société présentée comme un horizon indépassable2.
Les arguments en faveur d’une formation à l’éthique
Quelques soutiens à cette épreuve doivent cependant être mentionnés. À titre illustratif, nous en citerons deux. Un de ces soutiens est contemporain à la polémique, l’autre vient a posteriori justifier de ses effets.
Le premier soutien est celui de Luc Cédelle, journaliste spécialiste des questions d’éducation. Dès mars 2010, il affirmait que cette épreuve
est une façon d’insister sur le fait que l’Éducation nationale est une institution de la République, que la tâche des professeurs est une mission de service public et qu’elle ne saurait donc se réduire, comme le veulent les libéraux, à la délivrance de prestations d’enseignement dans le cadre d’une industrie de services. C’est aussi une façon de souligner qu’un professeur n’exerce pas dans un cadre individuel privé mais dans le respect des règles de l’institution3.
Plus tard, quelques observateurs, parmi lesquels Jean-Pierre Véran (2013), inspecteur d’académie, rappellent la nécessité pour
ceux qui se destinent aux métiers du professorat de réfléchir, à partir d’études de cas concrets, sur les principes de la fonction publique, les objectifs de l’État en matière d’éducation, la mise en œuvre de principes comme celui de laïcité ou d’égalité des chances, d’égalité entre filles et garçons, ou encore sur ce que pourraient être une déontologie et une éthique enseignante.
Il convient, avant d’entrer dans le métier, que ces professionnels s’interrogent au sujet de « la mise en œuvre des valeurs de la République dans une modernité, voire une post-modernité, marquées, selon Max Weber, par le polythéisme des valeurs ».
Bien qu’elle ait été supprimée, cette épreuve a suscité des débats qui n’ont pas été vains. Elle a
sans aucun doute permis aux futurs enseignants de s’interroger sur le sens de leur futur métier et leur a donné l’occasion d’exercer leur esprit critique sur les droits et obligations des fonctionnaires comme sur le Code de l’éducation, d’anticiper l’analyse de situations professionnelles concrètes où est en jeu l’exemplarité attendue d’un personnel de l’éducation nationale, de prendre la mesure d’une mission qui n’est pas seulement une mission de transmission de connaissance
(Véran, op. cit.).
Le fait qu’une épreuve soit évaluée au concours conforte nécessairement sa légitimité aux yeux des étudiants. Chaque formateur sait bien que les étudiants qui préparent les concours accordent une grande importance aux contenus susceptibles de les aider dans la réussite aux épreuves de ces concours. Et si cette épreuve a disparu des concours, les contenus d’enseignement qu’elle avait contribué à construire sont restés en grande partie dans les curricula. Il ne fait pas de doute que cette épreuve, malgré les vives oppositions qu’elle a rencontrées, a contribué à une reconnaissance, et même une institutionnalisation pourrions-nous dire, de ces contenus portant sur l’éthique.
Plus près de nous, les travaux des ateliers, menés dans le cadre de la concertation sur la « Refondation de l’École », qui préparent la loi Peillon (MEN, 2013b), donnent une nette orientation morale aux propositions : la « bienveillance », l’« hospitalité », une « école inclusive » soucieuse du bien-être des élèves sont au cœur du programme. Ils rappellent la nécessité d’une formation à l’éthique des enseignants. Et le ministre Peillon, philosophe de formation, qui fut lui aussi formateur d’enseignants en Bourgogne, ne restera pas sourd à ces propositions. Elles figureront explicitement dans la loi. Probablement peut-on voir dans cette évolution de la loi, la rencontre entre un assez large mouvement de fond propice à une formation à l’éthique et un ministre dont la formation l’inclinait à y être favorable.
Sur le site Sauvons l’université !4, non sans une certaine ironie, on proposait d’aller jusqu’au bout de la démarche :
On s’étonne que le ministère de l’Éducation nationale n’ait pas pensé à des procédés plus simples pour s’assurer de la « soumission » de ses futurs fonctionnaires. Il aurait pu étudier la solution économique du serment public, sur le modèle déjà éprouvé du serment de fidélité des fonctionnaires à Napoléon III. Toutefois, cela ne mettrait pas la nation à l’abri des faux serments. Il y a alors un moyen incomparablement plus sûr : une enquête de police confiée aux Renseignements Généraux et portant sur la moralité et les convictions politiques des candidats.
En fait, quel que soit le ton employé, ce que craignent l’ensemble des opposants à cette épreuve, c’est une « soumission hiérarchique » qui porterait atteinte à « l’autonomie pédagogique » des enseignants. Si l’obéissance à la loi et le respect des textes officiels sont reconnus comme nécessaires, ils ne sauraient se confondre avec une « soumission à la hiérarchie ».
Quelques conditions à l’acceptabilité d’une formation à l’éthique
Ce n’est cependant pas parce qu’une formation est inscrite dans la loi ou dans un référentiel de formation (MEN, 2013c), qu’elle peut y faire sa place, qu’elle emporte l’adhésion de toute une profession. Dans un contexte dans lequel les membres d’une profession se sentent mis en difficulté, toute transformation, même minime, peine à être acceptée. Or bon nombre d’analystes défendent, depuis plus de vingt ans, cette idée selon laquelle les enseignants sont en voie de déprofessionnalisation. Et peut-être leurs analyses pourraient-elles nous informer quant aux conditions qui rendraient acceptables une formation à l’éthique ?
Perrenoud (1996), il y a plus de vingt ans, évoquait la situation suivante :
Les enseignants se trouvent progressivement dépossédés de leur métier au profit ce que Chevallard a ironiquement nommé la « noosphère », la sphère des idées, autrement dit l’ensemble des gens qui pensent la pratique pédagogique sans l’exercer, qui conçoivent et réalisent les programmes, les démarches didactiques, les moyens d’enseignement et d’évaluation, les technologies éducatives et qui prétendent livrer aux maîtres des modèles efficaces d’enseignement ; c’est la voie de la « déprofessionnalisation »….
Plus près de nous, Maroy (2013), évoque lui aussi une certaine « déprofessionnalisation » liée à une multiplication et une diversification des tâches qui s’ajoutent à celle d’enseigner et Meirieu (2019), dans une récente « Lettre à un jeune professeur », continue à dénoncer une « prolétarisation » en cours.
En fait, ce qui est fondamentalement en jeu est parfaitement décrit par la sociologie des professions. Dubar, Tripier et Boussard (2015) expliquent qu’une profession est d’autant plus reconnue comme telle qu’elle maîtrise les savoirs qui la fondent. Champy (2014), s’interrogeant sur les transformations du métier d’enseignant, mentionne que la professionnalisation est « un processus de conquête d’autonomie ou de délégation par la puissance publique de cette autonomie aux membres d’un métier ». Pour l’auteur, le danger est moins à chercher dans la
maîtrise des savoirs qui ne suffit plus à la préservation de l’autonomie professionnelle, que dans les conditions de la conduite du travail ou dans les tentatives de contrôle par le management, de plus en plus offensif, et la multiplication des injonctions problématiques pour les professionnels, que ce soit à la performance, à la satisfaction des attentes des usagers ou encore au respect de normes édictées hors de la profession.
Champy (op. cit.) comme de nombreux observateurs de la profession enseignante met en évidence un processus de « déprofessionnalisation » : « Les caractéristiques du nouveau professionnalisme et du nouveau management public dessinent donc un objet qui a une réelle unité, mais qui définit seulement en creux la déprofessionnalisation ». Ce constat largement partagé conduit alors à interroger les conditions d’acceptabilité d’une formation à l’éthique.
Que pourrait être une formation à l’éthique soucieuse de cette analyse proposée par les sociologues des professions ? De quelle nature pourrait être le contenu de cette éthique ? Quelles pourraient être les modalités de construction de ces contenus ?
Compte tenu des critiques émises par les spécialistes de la formation des enseignants et des sociologues des professions, il serait prétentieux de répondre dans le cadre de cette brève présentation à cette question, sans la présence des acteurs concernés, notamment des enseignants. Mais il n’est pas inutile d’y réfléchir. Et de ce point de vue, il semble qu’une déontologie, telle que la définit Prairat (2016) pourrait se présenter comme un rempart à cette perte de contrôle d’une profession sur elle-même. Quelques arguments peuvent de ce fait être évoqués et être soumis à la discussion, en commençant par l’idée que la déontologie se construit en dehors de l’injonction :
Elle inventorie des recommandations à l’initiative des professionnels et s’appuie sur une première question qui est celle de l’identité professionnelle : qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui, dans l’école de la république, dans une société de la connaissance ? Elle guide l’action, facilite la prise de décision, donne à la profession des points de repère dans un contexte de travail difficile.
Enfin, la déontologie va instaurer des normes morales en lien avec l’éthique, distinguant les pratiques douteuses, inacceptables des pratiques recommandables. Il y a dans la déontologie, quelque chose de l’ordre du minimal, qui puisse être partagé.
Le nombre de règles est restreint, on est dans une sobriété normative. Il n’y a pas d’obligations extravagantes afin d’assurer une stabilité professionnelle, un sens suffisant de la morale dans l’exercice de la tâche. Enfin, il n’y a pas de « maître idéal » parce que l’excellence se décline de plusieurs manières.
Dans chacune de ces propositions apparaissent des conditions qui ne sont pas des moindres au regard du souci majeur de la profession, celle de son autonomie, du choix de ses propres règles de fonctionnement et modalités de régulation. Les références à « l’initiative des professionnels », à « ce qui peut être partagé », à « une sobriété normative » et à « une diversité de déclinaisons de l’excellence » semblent ouvrir des réflexions qui peuvent permettre à une profession de mettre en place des éléments de résistance à des contrôles de plus en plus construits en dehors d’elle.
Conclusion
Le rappel de ce moment de crise, du refus d’une épreuve portant sur l’éthique des enseignants à un concours, a été un prétexte pour saisir ce qui est en jeu dans la question de l’éthique enseignante, notamment de la formation des enseignants à l’éthique. Si l’on perçoit aisément les enjeux de cette formation, ce moment de crise a fait apparaître de manière assez nette qu’une profession qui est déstabilisée, notamment en raison d’un certain type de management qu’elle doit subir, reste méfiante à l’égard de propositions qui seraient susceptibles de la mettre davantage sous contrôle. La question de la formation à l’éthique a pu alors apparaître comme une de ces modalités de contrôle que la profession rejetait.
Il apparaît de ce fait nécessaire de montrer ou de rappeler que les travaux des philosophes de l’éducation qui portent sur l’éthique ouvrent un ensemble de réflexions qui, attentifs à ne pas verser dans une perspective prescriptive, font bien plus que de proposer des contenus positifs pour cette formation à l’éthique. Ils entendent être une opportunité pour une profession, celle des enseignants, de se réapproprier quelques-uns des instruments de son contrôle, quelques-unes des conditions son devenir.