Cet élégant petit livre de poche 21/15 de 246 pages, et, de plus, d’une lecture très agréable et accessible, met à la disposition du public la recherche pluridisciplinaire sur l’évaluation des classes immersives de l’association ABCM-Zweisprachigkeit. ABCM (Association pour le bilinguisme dès la classe de maternelle), qui s’était lancée dans la pratique de l’immersion en allemand dès 2011, avait introduit six à sept ans après, dans certaines de ses classes, la langue vernaculaire de l’Alsace aux côtés de l’allemand standard. Mais il ne lui a fallu qu’un laps de temps équivalent pour disposer d’un ouvrage qui publie l’évaluation de cette expérimentation, en conceptualise, en confirme et en consolide la pratique. Un temps très court en fin de compte, grâce à la présente publication. Celle-ci, dont certaines explorations nous étaient déjà connues (Geiger-Jaillet & Schlemminger 2023), offre à ses lecteurs un appareil scientifique complet, composé des supports et des protocoles d’évaluation ainsi que des premières pistes didactiques. Loin de freiner les ambitions d’ABCM-Zweisprachigkeit en exigeant en 2018 une évaluation de l’enseignement immersif, les autorités académiques rectorales l’ont incitée en fait à valider son projet. La relance conceptuelle du projet plurilingue alsacien doit tout à l’université et à l’Inspé de l’académie de Strasbourg.
Avec l’aide une équipe interdisciplinaire, Anémone Geiger-Jaillet et Gérald Schlemminger resituent l’émergence du projet immersif dans la perspective historique de la didactique des langues de l’Alsace et dans les différents moments de la politique linguistique alsacienne et son évolution progressive vers l’immersion, avant de présenter, dans un deuxième temps, les outils et protocoles de l’évaluation. Toujours mis en rapport avec l’état actuel de la recherche, les résultats obtenus discréditent la notion d’apprentissages langagiers cloisonnés, valident la place de la langue vernaculaire aux côtés de l’allemand standard et la reconnaissent pleinement comme langue d’enseignement. L’interaction des langues ne constitue pas une nouveauté, mais, dans les classes immersives, les élèves en donnent une image nouvelle sinon révolutionnaire en s’appropriant librement toutes leurs langues, y compris le français : « Les analyses le montrent : les enfants sont presque constamment en mode bi-plurilingue. […] ; [ils] savent mobiliser des stratégies translangagières […] et des stratégies de coopération. » (Geiger-Jaillet & Schlemminger, 2024, p. 160).
Ces constats ouvrent un nouveau champ à la didactique : de bilingue, celle-ci devient ipso facto plurilingue et donne matière à de nouvelles concertations entre les chercheurs et formateurs européens des langues régionales et des enseignements bi- et plurilingues. Le projet éditorial de l’équipe « alsacienne » annonce aussi deux autres publications, dont une sur les stratégies de communications et pédagogiques plurilingues. En somme, un ouvrage dense et indispensable.