Ce travail a été soutenu par le projet de recherche pour les talents de haut niveau (équipe) de l’université d’audit de Nanjing (référence KYPT270638).
1. Introduction
Les ateliers linguistiques organisés dans les années 1960 entre jeunes Français et Allemands sont à l’origine des apprentissages en tandem (Macaire, 2004 ; Jardin, 2017). Initialement fondé sur des rencontres en présentiel, le dispositif tandem traditionnel a progressivement intégré les technologies numériques et s’est transformé en e-tandem. L’e-tandem désigne une modalité d’échange linguistique en ligne entre deux locuteurs de langues maternelles différentes qui souhaitent apprendre la langue de l’autre. Les partenaires échangent sur des sujets personnels ou professionnels tout en s’entraidant dans l’apprentissage : le locuteur natif apporte son soutien en corrigeant les erreurs et en accompagnant son partenaire dans ses efforts d’expression (Little & Brammerts, 1996).
L’apprentissage en e-tandem correspond aux principes de l’apprentissage collaboratif tels que définis par Oxford (1997). Il s’inscrit dans une philosophie socio-constructiviste selon laquelle l’apprenant n’acquiert pas les savoirs de manière isolée, mais en participant activement à la communauté qui l’entoure. L’interaction avec des interlocuteurs plus compétents offre aux apprenants un input linguistique authentique, ajusté à leur niveau, ce qui constitue une condition favorable à l’activation de leur zone proximale de développement (Vygotsky, 1978).
L’apport du dispositif e-tandem dans l’apprentissage des langues a fait l’objet de nombreuses recherches, qui ont mis en évidence chez les apprenants le développement de la compétence orale (Canals, 2020 ; Rahimi & Fathi, 2022 ; Wang-Szilas & coll., 2013), de la compétence lexicale et grammaticale (Cappellini, 2016 ; Kabata & Edasawa, 2011), de la sensibilisation interculturelle (Cappellini & Mompean, 2013 ; Lewis & Qian, 2021; O’Dowd, 2003; Wang-Szilas & coll., 2013), de l’autonomie (Alvarado & coll., 2022 ; Ushioda, 2000 ; Vassallo & Telles, 2006) et de la motivation et de l’engagement dans l’interaction (Canals, 2020 ; Kobayashi, 2021 ; Pomino & Gil-Salom, 2016 ; Jauregi & coll., 2012 ; Shaver, 2012 ; Ware & Kessler, 2016).
Les résultats des études qui mettent en évidence l’effet positif du dispositif e-tandem sur les dimensions affectives de l’apprentissage, telles que la motivation, la confiance en soi et la volonté de communiquer, peuvent être interprétés à la lumière des principes fondamentaux du tandem, à savoir l’autonomie et la réciprocité (Brammerts, 2002). Grâce à l’alternance des rôles entre les partenaires, l’échange en tandem constitue un espace protégé dans lequel chacun ne risque pas de se ridiculiser (Eschenauer, 2013 ; Lewis, 2020). Le fait que ces échanges se déroulent en ligne offre aux apprenants une forme d’anonymat qui permet de réduire la pression sociale et de faciliter la prise de parole spontanée. La flexibilité du dispositif e-tandem permet aux partenaires de décider librement de ce qu’ils souhaitent apprendre, du moment, des modalités ainsi que de la durée des échanges (Brammerts, 2002). Cette liberté dans la prise de décision favorise un apprentissage intrinsèquement motivé où les apprenants s’engagent activement dans des tâches qui ont du sens pour eux et qui répondent à leurs intérêts propres.
Telles (2015) avance que l’activité préférée des apprenants lors des séances d’e-tandem est la conversation sur des thèmes qui émergent de manière spontanée. L’imposition des thèmes préétablis par les enseignants ou les encadrants risque d’entraver le développement de la pensée critique (Telles, 2015). Toutefois, à notre connaissance, la grande majorité des recherches sur l’e-tandem s’inscrivent dans un contexte institutionnel, généralement intégrés aux plans de cours, avec des niveaux variés d’interventions de la part des enseignants (Canals, 2020 ; Castillo-Scott, 2015 ; Lewis & Stickler, 2007 ; Pomino & Gil-Salom, 2016 ; Jauregi & coll., 2012 ; O’Dowd, 2007 ; Ushioda, 2000 ; Vassallo & Telles, 2006 ; Vinagre & Lera, 2005). Ce constat n’a rien de surprenant, dans la mesure où plusieurs chercheurs mettent en avant l’importance de disposer d’un cadre organisationnel et pédagogique clairement structuré pour garantir l’efficacité des échanges en tandem (Little & Ushioda, 1998 ; O’Dowd, 2007 ; Ushioda, 2000).
À la différence des travaux antérieurs portant sur des pratiques de l’e-tandem inscrites dans des dispositifs universitaires, notre étude explore une forme d’e-tandem indépendant, menée en dehors du cadre institutionnel, entre des partenaires librement choisis. Nous partons de l’idée que cette forme d’interaction, initiée et régulée par les apprenants eux-mêmes, incarne parfaitement les deux principes fondamentaux du tandem : l’autonomie et la réciprocité. L’autonomie désigne la capacité de l’apprenant à prendre en charge son propre apprentissage (Holec, 1981). Elle se manifeste notamment lorsque les apprenants sont confrontés à une situation de communication réelle dans laquelle ils doivent mobiliser leurs compétences langagières pour interagir avec leur partenaire, en l’absence d’un enseignant pouvant leur fournir immédiatement le vocabulaire ou les formulations nécessaires. La réciprocité, quant à elle, désigne un partenariat dans lequel chaque participant apporte des compétences et des savoirs que l’autre souhaite acquérir. Dans un cadre institutionnel, la réciprocité peut parfois se voir conditionnée par des programmes pédagogiques conçus à l’avance, ce qui limite l’espace de négociation entre partenaires alors que dans le cadre de l’e-tandem indépendant, la réciprocité est progressivement construite. Elle repose sur une implication volontaire et égalitaire des deux partenaires qui définissent ensemble les modalités de l’interaction en fonction de leurs besoins et intérêts, telles que la gestion du temps de parole, les thématiques traitées et les stratégies de correction. La prise de décision autonome favorise une co-construction des savoirs pertinents et bénéfiques pour les deux partenaires.
Dans les recherches menées en contexte institutionnel, les échanges en e-tandem sont souvent médiatisés par plusieurs outils du Web 2.0, combinés selon les objectifs pédagogiques des chercheurs (Canals, 2020 ; Pomino & Gil-Salom, 2016 ; Jaime & coll., 2013 ; Hauck & Youngs, 2008). Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi d’utiliser l’application Tandem (https://tandem.net), une plateforme d’échange linguistique intuitive qui intègre plusieurs fonctions généralement réparties sur différents outils numériques. Cette application permet aux apprenants de trouver des partenaires linguistiques avec qui ils partagent des centres d’intérêt ou des profils similaires. Ils peuvent ensuite mener des discussions autour des thématiques qui les intéressent à travers des messages écrits, des appels audio, des enregistrements vocaux et des appels vidéo. L’ensemble des échanges est enregistré sur l’application, offrant aux apprenants la possibilité de revoir leurs conversations et de suivre leur progression. Ces éléments font de l’application Tandem un outil particulièrement adapté aux tandems indépendants, un mode d’échange qui repose sur l’autonomie et l’initiative des apprenants.
2. Méthodologie
2.1. Questions de recherche
Plusieurs études ont examiné les effets de l’apprentissage en e-tandem sur la motivation, l’anxiété relative à la prise de parole et la volonté de communiquer chez les apprenants de langues étrangères (Appel & Cristòfol Garcia, 2020 ; Canals, 2020 ; Jauregi & coll., 2012 ; Kobayashi, 2021 ; Pomino & Gil-Salom, 2016 ; Rahimi & Fathi, 2022 ; Ushioda, 2000 ; Ware & Kessler, 2016). Ushioda (2000) met en évidence une relation étroite entre les perceptions motivationnelles des apprenants et les deux principes fondamentaux du tandem, l’autonomie et la réciprocité. Dans le prolongement de ces travaux, notre étude explore la dimension affective de l’apprentissage en e-tandem à travers l’expérience d’apprenants sinophones de FLE utilisant l’application Tandem. Elle se distingue des recherches précédentes par le choix d’un contexte d’apprentissage en e-tandem indépendant, sans encadrement institutionnel, et par l’usage d’une application mobile dédiée. Plus précisément, notre étude essaie de répondre à deux questions principales :
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Dans quelle mesure l’utilisation de l’application Tandem contribue-t-elle à réduire l’anxiété et à renforcer la motivation chez les apprenants sinophones de FLE ?
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Dans quelle mesure les apprenants sinophones de FLE mettent-ils en pratique les principes d’autonomie et de réciprocité dans leurs échanges sur l’application Tandem ?
2.2. Méthode
Afin de répondre à notre question de recherche, nous adoptons une méthode mixte séquentielle de type explicatif (Creswell & Plano Clark, 2007) : nous avons collecté et analysé dans un premier temps les données quantitatives issues du questionnaire avant de recueillir des données qualitatives au moyen d’entretiens semi-directifs. Compte tenu de la taille de l’échantillon, les données quantitatives font l’objet d’un traitement statistique descriptif dans une visée exploratoire. Les données qualitatives sont interprétées en s’appuyant sur le cadre de l’analyse thématique (Boyatzis, 1998 ; Braun & Clarke, 2006).
2.2.1. Participant
Un total de 19 apprenants sinophones ayant utilisé l’application Tandem ont participé à l’enquête en remplissant un questionnaire en ligne, diffusé via les réseaux sociaux personnels de l’auteure. Les participants présentent des profils variés en termes de sexe (13 femmes, 6 hommes), d’âge (majoritairement entre 21 et 25 ans), de durée d’apprentissage du français (allant de moins de 6 mois à plus de 3 ans), et de niveau de français (du niveau A1 à C1+), comme l’illustre la Figure 1. Parmi ces 19 répondants, 7 ont été sélectionnés en fonction de leur disponibilité et de leur implication dans l’utilisation de l’application Tandem pour participer à des entretiens semi-directifs.
Figure 1 : Profils démographiques et linguistiques des participants
2.2.2 Questionnaire
Le questionnaire a été conçu sur la plateforme Wenjuanxing (https://www.wjx.cn/), qui a automatiquement généré un lien URL et un code QR. Les participants pouvaient accéder au questionnaire à tout moment en cliquant sur le lien ou en scannant le code. Le questionnaire est composé de 8 parties :
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Informations personnelles
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Parcours d’apprentissage du français
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Expérience d’utilisation de l’application Tandem
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Anxiété ressentie lors des échanges sur Tandem
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Motivation à apprendre le français à travers Tandem
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Satisfaction liée à l’utilisation de Tandem
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Capacité d’autonomie dans l’apprentissage du français via Tandem
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Réciprocité dans les échanges sur Tandem
Les sections 4 à 8 du questionnaire sont composées d’affirmations formulées à la première personne, telles que « Je modifie mon plan d’apprentissage en fonction des retours reçus sur Tandem ». Ces affirmations ont été évaluées à l’aide d’une échelle de Likert à 5 points, allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord). L’ensemble des items utilisés dans le questionnaire est présenté en Annexe 1.
En ce qui concerne la fiabilité du questionnaire, les coefficients alpha de Cronbach calculés pour les différentes dimensions (anxiété, motivation, satisfaction, autonomie, réciprocité) indiquent une cohérence interne satisfaisante, comme le démontre le Tableau 1. Les valeurs acceptables varient généralement de 0,70 à 0,95 (Tavakol & Dennick, 2011). Les calculs ont été réalisés à l’aide du logiciel R.
Tableau 1 : Indices de cohérence interne selon les dimensions du questionnaire
| Dimensions | Alpha de Cronbach |
| Anxiété | 0,70 |
| Motivation | 0,84 |
| Satisfaction | 0,83 |
| Autonomie | 0,77 |
| Réciprocité | 0,75 |
2.2.3. Entretien
Une entrevue semi-structurée a été menée à distance via la plateforme Tencent Meeting (https://meeting.tencent.com/). Chaque entretien a duré environ 45 minutes et a suivi un guide préétabli (voir Annexe 2). La langue maternelle des participants a été utilisée lors des entrevues pour qu’ils puissent comprendre les questions posées et fournir toutes les informations requises. L’ensemble des entretiens a été enregistré, transcrit, puis traduit en français à des fins d’analyse. Afin de garantir la crédibilité des données, les questions ont été clarifiées auprès des participants pendant les séances. De plus, les transcriptions des entretiens leur ont été renvoyées pour qu’ils puissent en vérifier l’exactitude et apporter des modifications si nécessaire (Creswell, 2007 ; Rahimi & Fathi, 2022). Les codes P1 à P7 ont été utilisés pour désigner les apprenants en vue de protéger leur identité.
2.2.4. Procédure
Nous avons d’abord envoyé le lien du questionnaire aux 19 participants. Après avoir complété le questionnaire, sept d’entre eux ont été conviés à un entretien réalisé en visioconférence via Tencent Meeting. Les participants pouvaient choisir d’activer ou non leur caméra, alors que celle de la chercheuse est restée activée durant toute la séance. Le consentement éclairé des participants, concernant l’enregistrement et l’utilisation des données à des fins de recherche, a été obtenu. À l’issue de chaque entretien, la chercheuse a remercié les participants pour leur contribution et les a informés qu’ils pourraient être recontactés si des précisions supplémentaires étaient nécessaires.
2.3. Analyse des données
2.3.1. Analyse quantitative
Nous avons d’abord effectué une analyse descriptive des réponses fournies par les 19 participants afin de dresser un panorama général de leur profil : les informations personnelles (âge, sexe), les parcours en français (durée d’apprentissage et niveau langagier), l’utilisation de l’application Tandem (durée, fréquence, temps hebdomadaire et la langue la plus utilisée), les objectifs d’apprentissage ainsi que les types d’activités réalisés sur Tandem.
Le questionnaire comporte trois items relatifs à l’anxiété, sept à la motivation, sept à l’autonomie, onze à la réciprocité et deux à la satisfaction (voir la section 2 de l’annexe 1). Les items formulés de manière négative ont été recodés à l’aide de la formule « 6 - score initial » conformément à l’échelle de Likert à 5 points. Ce recodage permet d’assurer une lecture cohérente des résultats : plus un score est élevé, plus la dimension est ressentie. Les scores finaux ont été obtenus en calculant la moyenne des items correspondant à chaque dimension.
En raison de la taille limitée de l’échantillon, l’analyse a été menée dans une perspective exploratoire, visant à mettre en lumière les dynamiques émotionnelles et motivationnelles associées à l’usage de l’application Tandem.
2.3.2. Analyse qualitative
Pour analyser les entretiens transcrits, nous avons combiné une approche inductive (Frith & Gleeson, 2004) avec une approche théorique ou déductive (Boyatzis, 1998 ; Hayes, 1997). D’une part, nous nous sommes appuyée sur une liste de concepts clés issus de la revue de littérature, en lien avec nos questions de recherche. D’autre part, l’analyse thématique a été menée de manière à laisser émerger des aspects imprévus au fil du codage pour ne pas se limiter aux catégories préalablement définies.
Selon le protocole de Braun & Clarke (2006), notre analyse s’est déroulée en six étapes : (1) familiarisation avec l’ensemble des transcriptions par des lectures et relectures attentives ; (2) génération de codes initiaux à partir des segments de textes pertinents ; (3) regroupement des codes en thèmes potentiels ; (4) révision des thèmes formulés ; (5) définition et nomination précises de chaque thème ; (6) illustration des thèmes par des extraits de transcriptions et mise en relation avec nos questions de recherche.
Pour assurer la fiabilité de l’analyse, l’ensemble du processus de codage a été examiné par un expert en didactique du FLE. Toute divergence dans l’interprétation des extraits a fait l’objet d’une discussion approfondie visant à parvenir à un consensus.
3. Résultats
3.1. Résultats du questionnaire
D’après les résultats de notre analyse descriptive, la majorité des participants utilisent l’application Tandem de manière irrégulière et sur une courte période comme l’illustre la Figure 2 ci-dessous. Dix participants déclarent une durée d’utilisation inférieure à un mois. Douze répondants indiquent une fréquence d’utilisation irrégulière. En ce qui concerne le temps d’utilisation hebdomadaire, la plupart des apprenants (n = 11) l’utilisent moins d’une heure par semaine. En termes de langue la plus utilisée, les réponses se répartissent de manière relativement équilibrée entre le français (n = 7), le chinois (n = 5) et l’alternance entre les deux langues (n = 7).
Figure 2 : Habitudes d’utilisation de l’application Tandem
En ce qui concerne les types d’activités menées sur Tandem, la majorité des participants privilégient les discussions libres sur des sujets d’intérêt commun (17 sur 19), suivies par les échanges culturels (12 sur 19). Trois autres types d’activités sont également mentionnés : les demandes d’explication sur des questions grammaticales (8 sur 19), la pratique orale avec correction des erreurs de prononciation (8 sur 19), ainsi que les exercices de compréhension orale (6 sur 19). En revanche, les exercices de production écrite sont très peu représentés (1 sur 19). Ces résultats mettent en lumière une préférence des participants pour les activités orales et interactives sur Tandem.
Concernant les objectifs d’apprentissage, l’amélioration des compétences orales constitue l’objectif prioritaire pour une proportion significative des participants (18 sur 19). La découverte de la culture française ou francophone arrive en seconde position (12 sur 19), suivie par d’autres objectifs tels que l’élargissement du réseau social (11 sur 19), la préparation à des examens ou certifications (11 sur 19) et le développement des compétences interculturelles (10 sur 19). Pourtant, très peu de participants déclarent utiliser l’application dans le but d’aider leur partenaire à apprendre le chinois (2 sur 19). Ces résultats suggèrent que Tandem est avant tout perçu par les participants comme un outil personnel d’amélioration linguistique notamment en ce qui concerne les compétences de l’oral.
Pour chaque participant, un score moyen a été calculé pour chacune des cinq dimensions relatives à l’expérience d’apprentissage sur Tandem (l’anxiété, la motivation, la satisfaction, l’autonomie et la réciprocité). Nous commençons par présenter les résultats de l’anxiété. La plupart des participants (10 sur 19) présentent un score moyen inférieur ou égal à 2, ce qui indique un faible niveau d’anxiété lors de l’apprentissage sur Tandem. Certains participants (5 sur 19) affichent un score égal ou supérieur à 3. Le reste des participants (4 sur 19) ont un score entre 2 et 3. Il est important de mentionner que les scores égaux ou supérieurs à 3 ne correspondent pas à un niveau élevé d’anxiété. Certains apprenants avancés qui sont à l’aise quel que soit le mode d’interaction (en présentiel ou sur Tandem) ont rejeté des affirmations comme « Je ressens moins d’anxiété sur Tandem que dans les échanges en face-à-face » en sélectionnant les niveaux 1 (pas du tout d’accord) ou 2 (plutôt pas d’accord) sur l’échelle. Ces notes basses ont été transformées selon la formule « 6 – score initial » et ont donné lieu à des scores élevés, assurant ainsi une cohérence interprétative pour toutes les dimensions analysées. Cette précision est nécessaire dans le cas particulier de l’anxiété où un score élevé peut parfois masquer un haut niveau d’aisance linguistique.
Les tendances illustrées par la Figure 3 suggèrent que les échanges linguistiques sur Tandem génèrent relativement peu d’anxiété chez les participants.
Figure 3 : Distribution des scores d’anxiété lors des échanges sur Tandem
Les résultats relatifs à la motivation révèlent un haut niveau d’engagement de la part des participants. Plus de la moitié d’entre eux (10 sur 19) obtiennent un score moyen supérieur ou égal à 4, ce qui démontre une forte motivation dans l’apprentissage du français via Tandem. Les autres répondants affichent majoritairement des scores entre 3,5 et 4. Ces résultats témoignent d’une motivation globalement élevée des participants à apprendre le français sur Tandem comme le démontre la Figure 4.
Figure 4 : Répartition des scores de motivation pour l’apprentissage du français via Tandem
Concernant la dimension de l’autonomie, près de la moitié des répondants (9 sur 19) affichent un score moyen égal ou supérieur à 4. Le reste des participants (10 sur 19) présentent un score moyen supérieur à 3. L’ensemble des résultats laisse apparaître un profil d’apprenants autonomes dans leur apprentissage du français via Tandem comme le révèle la Figure 5.
Figure 5 : Distribution des scores d’autonomie dans l’apprentissage du français sur Tandem
Les résultats de la réciprocité démontrent que presque la moitié des participants (8 sur 19) ont un score moyen supérieur ou égal à 4, plus d’un tiers des répondants (7 sur 19) affichent un score moyen supérieur à 3,5, le reste des participants (4 sur 19) présentent un score supérieur à 3. Dans l’ensemble, les répondants tendent à percevoir les échanges sur Tandem comme réciproques, bien que les niveaux d’engagement perçus puissent varier d’un binôme à l’autre, comme nous pouvons l’observer dans la Figure 6.
Figure 6 : Perception de la réciprocité dans les interactions sur Tandem
En ce qui concerne le plaisir ressenti lors de l’utilisation de Tandem, une large majorité des participants (16 sur 19) obtient un score moyen supérieur ou égal à 4, le reste des répondants présentent un score supérieur à 3,5. De manière générale, l’expérience d’apprentissage sur Tandem est perçue par les participants comme agréable et satisfaisante comme l’indique la Figure 7.
Figure 7 : Niveau de satisfaction lié à l’expérience d’apprentissage sur Tandem
3.2 Résultats de l’entretien
Les entretiens semi-directifs ont été menés auprès de sept apprenants sinophones de FLE en vue de clarifier les tendances dégagées à partir des résultats du questionnaire. L’analyse des entretiens a mis en évidence plusieurs thèmes récurrents qui illustrent la manière dont les apprenants perçoivent leur apprentissage via l’application Tandem. Les extraits d’entretiens sont traduits du chinois vers le français par la chercheuse. Le premier thème identifié concerne le développement des compétences langagières et interculturelles.
3.2.1. Développement des compétences lexicales, grammaticales et interculturelles
Plusieurs apprenants considèrent que l’apprentissage en tandem offre un cadre idéal pour acquérir de nouvelles expressions à travers des interactions réelles du quotidien. C’est le cas d’une participante qui relate sa découverte du verbe pronominal s’entraider dans un échange réel :
P1 : « Je ne connaissais pas auparavant le verbe s’entraider. C’est lors d’un échange avec mon partenaire qu’il a produit la phrase : on peut s’entraider. En fonction du contexte, j’ai répondu : pourquoi pas, mais j’ai dû consulter le dictionnaire pour en connaître la signification après notre conversation ».
De la même manière, un autre participant évoque une découverte lexicale inattendue à l’occasion d’un échange avec son partenaire :
P5 : « J’ai demandé à mon partenaire : ça va, et il m’a répondu tranquille. Cette expression familière dans ce contexte signifie calme, tout va bien, un usage qui ne se trouve pas dans les manuels ».
Certains participants sont amenés à s’exposer à des expressions chargées de connotations culturelles, susceptibles de provoquer l’incompréhension, comme l’illustre le témoignage suivant :
P2 : « La première fois que j’ai entendu l’expression merde à toi, mon partenaire et moi étions en train de discuter des examens de fin de semestre. Je me suis étonné, puisque notre conversation se passait très bien. Je me suis demandé pourquoi il me disait merde. Je savais que c’est un gros mot. Plus tard, en cherchant cette expression sur Internet, j’ai découvert qu’il s’agissait en réalité d’une formule idiomatique utilisée pour souhaiter bonne chance, notamment avant un examen ».
Cet extrait démontre que l’apprentissage des expressions idiomatiques est intimement lié au développement des connaissances interculturelles. À titre d’exemple, c’est en partageant les spécialités culinaires de leurs pays respectifs que les interlocuteurs découvrent et apprennent des expressions authentiques autour de la gastronomie, comme en témoigne une participante :
P6 : « Mon partenaire m’envoie souvent des photos de ses repas en me précisant que tel plat est typiquement français. En retour, je lui partage mes repas chinois. Au fil de ces échanges, il m’apprend des expressions culinaires que je trouve particulièrement intéressantes ».
En plus de l’acquisition des expressions idiomatiques, les échanges en tandem contribuent également au développement des compétences grammaticales. Les interactions réelles offrent un contexte d’usage répété qui favorise l’appropriation des structures grammaticales jugées complexes par les apprenants de FLE en classe traditionnelle de langue. Comme l’explique une participante :
P1 : « L’apprentissage en tandem m’aide à mieux mémoriser certaines règles grammaticales, comme par exemple l’usage du subjonctif. Beaucoup d’apprenants de FLE trouve son emploi particulièrement difficile, mais à force de pratiquer ce mode grammatical dans des conversations réelles, je l’utilise désormais de manière naturelle et spontanée ».
La maîtrise des points grammaticaux complexes ne serait pas possible sans la médiation du partenaire. Ce rôle de médiateur se manifeste notamment à travers des rétroactions correctives qui permettent aux apprenants d’ajuster leurs formulations. Comme en témoigne la même participante :
P1 : « Au cours des échanges, il m’arrivait parfois de placer un pronom à un mauvais endroit ou d’omettre des éléments grammaticaux dans la production des phrases. Mon partenaire repérait systématiquement ces erreurs et me les signalait, tout comme les fautes de conjugaison et d’orthographe ».
Un participant exprime le plaisir ressenti lors de ce processus de correction et de reformulation :
P2 : « Quand mon partenaire corrige activement les expressions peu naturelles que j’utilise, je suis très content. Nous discutons ensuite du terme le plus approprié pour exprimer l’idée que je veux transmettre. Cela me donne un véritable sentiment d’accomplissement ».
L’apprentissage en tandem conduit non seulement au développement des compétences linguistiques et interculturelles mais aussi à l’amélioration de la confiance en soi chez les apprenants comme nous pouvons voir dans la section suivante.
3.2.2 Renforcement de la confiance en soi
L’application Tandem offre aux apprenants la possibilité d’interagir avec leurs partenaires de manière différée à travers des messages écrits. Cette fonctionnalité permet aux apprenants qui ne se sentent pas encore à l’aise dans les échanges oraux de prendre le temps nécessaire pour réfléchir et formuler leurs réponses. Comme le raconte un participant à propos de son expérience :
P5 : « Je communique principalement par écrit sur Tandem, comme la conversation ne se déroule pas en face-à-face, il y a donc moins de pression. Je peux prendre mon temps de consulter le dictionnaire, d’organiser mes idées et de formuler mes réponses. Tout cela me permet de gagner en confiance ».
Bien que certains apprenants préfèrent les échanges écrits pour gagner en aisance, d’autres parviennent à renforcer leur confiance grâce à des interactions orales intensives comme le démontre le témoignage suivant :
P1 : « Mon partenaire et moi, nous avons échangé de nombreux messages vocaux et passé beaucoup d’appels. Progressivement, j’ai commencé à intégrer la pratique du français dans mon quotidien, au point de vivre cette langue presque comme ma langue maternelle. Je suis désormais capable de communiquer en français de manière fluide, naturelle et confiante ».
Le renforcement de la confiance en soi s’explique également par le mode d’interaction en binôme qu’offre la plateforme Tandem. Comme en témoigne une participante :
P7 : « En classe de FLE, je me sens toujours un peu stressée quand je dois parler devant les enseignants et d’autres étudiants. En revanche, l’échange en tête-à-tête sur Tandem me permet d’être plus à l’aise et de me sentir plus confiante ».
Ce renforcement de la confiance en soi va souvent de pair avec une diminution de l’anxiété liée à l’usage du français comme le détaille la prochaine section.
3.2.3 Réduction de l’anxiété dans l’interaction langagière
Plusieurs participants soulignent que, comparée à la salle de classe traditionnelle souvent perçue comme rigide et formelle, la plateforme Tandem constitue un espace d’échange plus sécurisant et détendu. Comme l’attestent les témoignages suivants :
P4 : « Apprendre le français sur Tandem est bien plus détendu et amusant qu’en classe de langue, car on peut librement aborder tous les sujets que l’on souhaite ».
P3 : « En classe de langue, il y a souvent la présence de nombreux étudiants. Je ne suis pas la seule face à l’enseignant, ce qui génère un certain stress. Pour moi, l’enseignant représente une figure d’autorité, je ressens naturellement une distance entre nous. Lorsqu’il corrige mes erreurs devant tout le monde, je me sens très mal à l’aise. Mais quand c’est mon partenaire d’échange qui me signale une erreur, c’est différent. C’est plus comme entre amis, on se corrige mutuellement sur des petits détails, et cela ne me dérange pas du tout ».
P2 : « Tandem offre un environnement d’apprentissage détendu contrairement à la classe de langue en présentiel. En classe, quand l’enseignant pose une question, il arrive qu’on donne une mauvaise réponse à cause du stress ou par manque de temps. Mais si mon partenaire me pose une question que je ne comprends pas tout de suite, je ne suis pas obligée d’y répondre immédiatement. Je peux prendre le temps de consulter le dictionnaire. Et si je ne comprends toujours pas, je lui demande alors des explications. Pour moi, Tandem fonctionne un peu comme une application de rencontre amicale, avec une ambiance détendue, sans règles strictes ni pression ».
Cet environnement rassurant qu’offre la plateforme Tandem semble particulièrement bénéfique pour les apprenants de nature plutôt réservée. Comme en témoignent deux participants :
P6 : « Je pense que je suis une personne introvertie. Le fait que Tandem soit une plateforme en ligne me convient parfaitement. Chacun reste relativement anonyme sur cette plateforme. L’échange se déroule donc dans une ambiance relaxante. J’ai l’impression de discuter librement avec un inconnu sans pression ».
P4 : « Les apprenants chinois sont généralement un peu timides et ont peur de faire des erreurs. À mon avis, Tandem est une plateforme particulièrement adaptée dans ce cas. Nos partenaires sont en réalité des personnes qu’on ne connaît pas dans la vraie vie. Le fait d’échanger avec des inconnus réduit la pression. On ne se sent pas jugé et on peut s’exprimer librement sans trop réfléchir ».
L’apprentissage en tandem est considéré comme une forme d’apprentissage collaboratif où les deux partenaires s’entraident mutuellement dans l’acquisition de la langue cible. Ce caractère réciproque de l’apprentissage contribue à instaurer une ambiance plus détendue et tolérante dans laquelle les apprenants se sentent moins stressés et ont moins peur de faire des erreurs. Comme l’illustrent les témoignages suivants :
P5 : « Dans la vie réelle, les Français parlent très vite et ne font pas toujours attention à savoir si on les comprend ou non. Et quand ils ne comprennent pas ce qu’on dit, ils peuvent parfois se montrer impatients. En revanche, sur Tandem, le cadre d’échange réciproque favorise une attitude plus bienveillante, les partenaires sont plus tolérants face à un niveau de langue imparfait et certains adaptent leur manière de parler pour que je puisse les comprendre plus facilement ».
P4 : « Beaucoup de Français sur Tandem souhaitent apprendre le chinois mandarin. L’échange linguistique se fait donc dans les deux sens. Chacun travaille pour progresser dans la langue de l’autre. Grâce à cette réciprocité, la pression liée à l’apprentissage est beaucoup moins forte ».
Cette réciprocité dans l’apprentissage en tandem permet non seulement de réduire l’anxiété mais aussi de susciter la motivation des apprenants, comme l’illustre la section suivante.
3.2.4 Stimulation de la motivation pour l’apprentissage
L’apprentissage en tandem fondé sur le principe de réciprocité constitue un levier puissant de motivation pour certains apprenants. Lorsqu’ils observent leur partenaire s’engager activement dans l’apprentissage de leur propre langue, les apprenants se sentent motivés à s’impliquer à leur tour comme l’indiquent les témoignages suivants :
P1 : « Chaque fois que je voyais mon partenaire aussi motivé à apprendre le chinois, cela me donnait l’envie de continuer à apprendre le français ».
P2 : « Sur Tandem, mon partenaire et moi, on se motive l’un l’autre. Je me dis parfois : Tu vois, il apprend le chinois super vite, il progresse vraiment bien… alors moi, qu’est-ce qui m’empêche de faire pareil avec le français ? Ce genre de pensée me pousse à me perfectionner en français ».
Lors de l’échange en tandem, le fait d’être exposés à une variété de français perçue comme informelle et utile motive les apprenants à s’investir davantage dans leur apprentissage. Comme le démontrent les témoignages suivants :
P4 : « En discutant avec des personnes sur Tandem, je me suis rendu compte que le français que j’avais appris à l’université n’était pas tout à fait le même que celui parlé par les Français au quotidien. À ce moment-là, j’ai eu l’impression qu’une nouvelle porte s’ouvrait devant moi. C’est ce qui me donne encore plus envie d’apprendre cette langue ».
P5 : « Les tournures que j’apprends sur Tandem sont réellement utilisables dans la vie quotidienne. Le fait de pouvoir communiquer directement avec des locuteurs natifs me procure un vrai plaisir et me motive à apprendre encore davantage d’expressions utiles ».
Certains échanges sur Tandem se caractérisent par une dimension personnelle et affective qui va bien au-delà de la simple pratique linguistique. La relation amicale qu’entretiennent les partenaires contribue à renforcer leur motivation à apprendre la langue de l’autre. Comme le rapporte une participante :
P6 : « Une fois que toi et ton partenaire êtes devenus amis, tu as naturellement envie de dire quelques mots dans sa langue maternelle, tout simplement pour lui faire plaisir, pour lui montrer que tu tiens à cette relation ».
De la même manière, une autre participante partage sa rencontre marquante vécue sur Tandem :
P1 : « Grâce à Tandem, j’ai fait la connaissance d’une Française qui me ressemble à bien des égards. Malgré le fait que nous ne nous étions jamais rencontrés en personne, un sentiment de proximité s’est rapidement crée entre nous. L’idée de savoir que quelqu’un à l’autre bout du monde partage des expériences si similaires est merveilleuse. Cette belle rencontre a renforcé ma motivation à comprendre sa langue et sa culture ».
En plus du renforcement de la motivation des apprenants, les échanges en tandem favorisent également le développement de leur autonomie. Les apprenants de notre étude font preuve d’une grande autonomie au cours des échanges linguistiques sur Tandem comme nous pouvons remarquer dans la prochaine section.
3.2.5 Développement de l’autonomie dans l’apprentissage
Holec (1981) définit l’autonomie comme la capacité de l’apprenant à assumer la responsabilité des décisions liées à son apprentissage, qu’il s’agisse de la définition des objectifs, du choix des contenus et des méthodes, du rythme, du lieu ou encore de l’évaluation de ses acquis.
Dans le cadre des échanges sur Tandem, les apprenants sont en mesure d’orienter l’apprentissage en fonction de leurs objectifs personnels. Comme l’exprime un participant :
P5 : « Vu que mon objectif est de pouvoir lire la littérature et la philosophie française, j’accorde une attention particulière au développement de ma compétence en compréhension écrite ».
Certains apprenants mettent en avant l’expérience immersive que génèrent les échanges sur Tandem. Sans médiation de l’enseignant, ils sont amenés à mobiliser leurs ressources linguistiques, à hésiter entre différentes formulations possibles et à faire des choix pertinents en fonction du contexte. Comme l’illustre le témoignage d’un participant :
P2 : « Lors des échanges sur Tandem, des fois, tu es obligé d’improviser sur-le-champ pour formuler ce que tu veux dire. Par exemple, mon partenaire m’a dit qu’il avait un chien et un chat. Je voulais savoir si la cohabitation se passait bien entre eux, alors j’ai dû chercher dans ma tête plusieurs manières de poser la question. Finalement, d’un coup, la phrase Est-ce qu’ils s’entendent ? m’est venue à l’esprit. Cette phrase était simple, précise et elle exprimait parfaitement ce que je voulais dire ».
Les interactions réelles avec les locuteurs natifs sur Tandem offrent l’occasion d’une réflexion métalinguistique comme en témoigne un participant :
P2 : « Lorsque je discute avec un locuteur natif, je réfléchis souvent à ses choix de mots et à la manière dont il construit ses phrases. J’essaie d’explorer sa façon de penser et d’apprendre les expressions qu’il a utilisées. Cela m’aide à mieux comprendre le fonctionnement de la langue française ».
P2 : « Je reviens souvent sur mes échanges avec mon partenaire Tandem pour voir comment j’aurais pu formuler certaines phrases pour être mieux compris. Ce travail de recul aide à rendre mon usage du français plus naturel ».
Les contenus incompris lors des échanges sur Tandem incitent les apprenants à faire des recherches par eux-mêmes, ce qui favorise une meilleure mémorisation et une assimilation plus profonde des connaissances comme l’indique une participante dans son témoignage :
P7 : « Quand je vois un mot ou une phrase que je ne comprends pas, je vais souvent en chercher la signification. Le fait de le découvrir par moi-même dans un contexte réel d’utilisation me permet de mieux le retenir ».
Les expressions langagières nouvellement apprises font l’objet d’une réutilisation dans les échanges ultérieurs comme en témoignent deux participants :
P7 : « Quand j’apprends un mot avec un Français, j’essaie de le réutiliser avec un autre. De cette manière, je retiens facilement le mot ainsi que son contexte d’utilisation ».
P4 : « Sur Tandem, j’essaie de créer des occasions pour pouvoir réutiliser les mots ou les structures grammaticales que je viens d’apprendre. Mon objectif, c’est de les pratiquer jusqu’à pouvoir les utiliser de manière naturelle et spontanée ».
4. Discussion
Les résultats obtenus dans cette étude montrent que l’apprentissage du FLE via Tandem permet de réduire l’anxiété des apprenants moins avancés lors des prises de parole en français. Cette diminution peut s’expliquer par le caractère réciproque de l’apprentissage en tandem. Comme le soulignent Little et Brammerts (1996), le tandem repose sur une relation équilibrée où chacun occupe alternativement le rôle d’apprenant et de tuteur, ce qui contribue à lever certaines inhibitions liées à l’expression orale souvent présentes dans un cadre plus formel comme la salle de classe. L’anonymat qu’offre la plateforme Tandem facilite le développement de relations personnelles ouvertes. Même sans jamais s’être rencontrés en personne, les partenaires peuvent se sentir en sécurité pour s’exprimer de manière libre et spontanée (Little & Brammerts, 1996). Les recherches antérieures montrent que le niveau d’anxiété des apprenants tend à diminuer au fil des séances d’échanges en e-tandem (Appel & Cristòfol Garcia, 2020 ; Jauregi & Melchor-Couto, 2017 ; Melchor-Couto, 2017). Les témoignages de certains participants dans notre étude confirment cette évolution. Par exemple, l’un d’entre eux évoque un stress initial lié à la méconnaissance de l’autre et de sa culture. Cette anxiété s’atténue progressivement à mesure qu’il apprend à mieux connaître son partenaire.
Plusieurs participants de notre étude témoignent d’un renforcement progressif de leur confiance en soi au fil des échanges. Le fait de recevoir continuellement des retours positifs de la part des partenaires les motive à poursuivre l’apprentissage du français sur la plateforme.
La motivation des apprenants sur Tandem est liée à plusieurs facteurs tels que l’engagement mutuel des partenaires, le lien affectif qui se crée dans l’échange et l’exposition à une variété de français considérée comme authentique. Ce constat est corroboré par les travaux de Ushioda (2000) qui montrent que la motivation des apprenants est renforcée par l’accès à une langue perçue comme informelle et utile, ainsi que par la dimension personnelle des interactions.
L’apprentissage en e-tandem est fondé sur deux principes : l’autonomie et la réciprocité (Brammerts, 2002). Si le principe de réciprocité conduit à la réduction de l’anxiété et au renforcement de la motivation des apprenants, il convient d’examiner dans quelle mesure ce principe est mis en pratique dans les échanges linguistiques sur Tandem. Les résultats du questionnaire suggèrent que, pour une majorité des participants, les échanges sur Tandem sont perçus comme globalement réciproques. La plupart des répondants déclarent entretenir une relation égalitaire avec leur partenaire Tandem. Certains apprenants indiquent qu’ils corrigent activement les erreurs de leur partenaire et que celui-ci, en retour, leur consacre autant d’attention en les écoutant et en corrigeant les erreurs apparues. Plusieurs apprenants rapportent qu’ils négocient avec leur partenaire la fréquence, les modalités et les contenus de l’échange, et considèrent que leurs réussites sont interdépendantes. Ce n’est qu’en progressant ensemble que le tandem peut réellement réussir en tant que communauté d’apprentissage.
La plateforme Tandem procure aux apprenants un espace où ils peuvent développer et mettre en œuvre leur autonomie d’apprentissage. Plusieurs participants déclarent mener régulièrement des réflexions métalinguistiques à partir de leurs conversations passées en vue d’identifier leurs lacunes et de les combler. Certains affirment adapter leur plan d’apprentissage en fonction des retours de leur partenaire, tandis que d’autres prennent l’initiative de choisir les sujets de discussion en lien avec leurs besoins et intérêts. Il leur arrive aussi de réutiliser consciemment des mots ou structures nouvellement appris au cours des échanges afin de consolider leurs acquis. Enfin, nombre d’apprenants se fixent des objectifs précis pour l’utilisation de Tandem, tels que l’amélioration des compétences orales, et ils les communiquent clairement à leur partenaire.
En outre, les résultats de cette recherche confirment les études antérieures sur le développement des compétences lexicales, grammaticales et interculturelles dans le cadre de l’apprentissage en e-tandem (Cappellini & Mompean, 2013 ; Cappellini, 2016 ; Kabata & Edasawa, 2011 ; Lewis & Qian, 2021 ; O’Dowd, 2003 ; Wang-Szilas & coll., 2013). Dans notre étude, plusieurs participants soulignent que les échanges linguistiques sur Tandem constituent un environnement propice à l’enrichissement lexical et à l’appropriation des expressions utiles. Grâce à l’interaction authentique avec des locuteurs natifs, ils sont régulièrement confrontés à des tournures idiomatiques liées à des contextes culturels spécifiques, ce qui permet de développer à la fois leur répertoire linguistique et leur sensibilité interculturelle. Par ailleurs, l’exposition répétée à certaines constructions syntaxiques facilite une assimilation plus intuitive des règles grammaticales. Ces observations s’inscrivent dans l’approche socioconstructiviste de Vygotsky (1978) selon laquelle la zone proximale de développement des apprenants peut être atteinte au moyen d’interactions sociales et d’activités collaboratives (Rahimi & Fathi, 2022). Dans ce cadre, le partenaire Tandem joue un rôle de médiateur linguistique et culturel, il aide l’apprenant à dépasser son niveau actuel de compétence et à devenir progressivement un locuteur autonome et confiant en français.
La méthode mixte séquentielle de type explicatif adoptée dans cette étude s’est révélée appropriée pour répondre à nos questions de recherche, dans la mesure où elle offre d’abord une vision d’ensemble des perceptions des apprenants vis-à-vis de leur expérience sur Tandem, avant d’approfondir la compréhension des tendances observées à travers les entretiens qualitatifs. Néanmoins, une limite de cette étude réside dans la taille relativement restreinte de l’échantillon du questionnaire, ce qui ne permet pas d’en tirer des conclusions généralisables. Il serait pertinent d’envisager dans les recherches futures l’administration du questionnaire à un plus grand nombre de participants ayant des profils variés afin d’examiner plus finement les variations possibles dans la manière dont l’apprentissage sur Tandem est perçu et vécu.
5. Conclusion
Les résultats de cette étude mettent en évidence plusieurs apports significatifs de l’apprentissage du français via l’application Tandem. D’abord, les échanges linguistiques en binôme, fondés sur le principe de réciprocité, contribuent à une diminution de l’anxiété langagière chez les apprenants sinophones de FLE. Ensuite, l’expérience d’interaction sur Tandem favorise un renforcement de la motivation des apprenants grâce aux retours positifs des partenaires et à l’exposition à un français authentique. Enfin, les échanges sur Tandem soutiennent non seulement le développement des compétences linguistiques et interculturelles mais aussi celui de l’autonomie des apprenants.
Cette étude, menée dans un cadre d’e-tandem indépendant, apporte un éclairage complémentaire aux travaux réalisés en contexte institutionnel. Elle souligne l’intérêt d’examiner les pratiques d’apprentissage non formel sur Tandem, initiées et régulées par les apprenants eux-mêmes. Néanmoins, la taille restreinte de l’échantillon limite la généralisation des résultats. Les futures recherches pourraient s’appuyer sur un nombre plus important de participants et intégrer une analyse longitudinale des interactions ou des journaux de bord d’apprentissage afin de mieux comprendre l’évolution des dimensions affectives et des pratiques d’autonomie et de réciprocité dans le temps.







