L’orthographe française, tour d’horizon des connaissances

p. 259-267

Bibliographical reference

Jean-Christophe Pellat (2023). L’orthographe française. Histoire, description, enseignement. Ophrys.

Abstracts

Le texte qui suit se propose de rendre compte de l’ouvrage d’un des spécialistes de l’orthographe et de la grammaire françaises, le professeur Jean-Christophe Pellat : L’orthographe française. Histoire, description, enseignement (2023).
The following text aims to review the work of one of the specialists in French spelling and grammar, Professor Jean-Christophe Pellat: French Spelling. History, Description, Teaching (2023).

Outline

Text

Introduction

L’orthographe française. Histoire, description, enseignement, paru en 2023 et rédigé par le professeur Jean-Christophe Pellat, est un ouvrage de vulgarisation accessible à tous, spécialistes et non-spécialistes. Il offre une synthèse utile de tout ce qu’il convient de connaître dans la discipline. Rédigé suivant une approche pédagogique qui privilégie l’essentiel à l’exhaustif, l’ouvrage mêle explications diachroniques et synchroniques, agrémentées d’exemples parlants, et ce faisant permet même aux spécialistes de se nourrir de nouvelles connaissances.

L’introduction générale qui fait office de préambule annonce 8 chapitres regroupés en 3 parties : « Histoire de l’orthographe française » (chapitres 1-2), « Description de l’orthographe française » (chapitres 3-4), « Enseignement de l’orthographe française » (chapitres 5-8). La conclusion générale manquante, qui pourrait être ressentie comme un oubli de la part de l’auteur, susurre à l’oreille du lecteur que l’aventure orthographique française n’est guère achevée et que de nouveaux aboutissements sont susceptibles de voir le jour dans les années à venir.

L’ouvrage étant riche tant dans ses grandes idées que dans ses détails, il nous a paru difficile d’en proposer un compte rendu exhaustif. Nous avons opéré une sélection des points qui nous semblent dignes d’intérêt et espérons que cela donnera envie au lecteur de lire l’ouvrage.

1. Histoire de l’orthographe française

Les chapitres 1 et 2, qui sont dédiés à l’histoire de l’orthographe française, et les encarts diachroniques qui ponctuent les parties consacrées à la description et à l’enseignement de l’orthographe (Brève histoire du graphème, p.78 ; À la recherche de la pantoufle perdue, p. 96 ; Le niveau baisse ? p. 110-112 ; D’où vient l’accord du participe passé avec avoir ? p. 137-138 ; Qui a écrit la dictée de Mérimée ? p. 147-148) alimentent notre culture générale et nos connaissances encyclopédiques, en même temps qu’ils témoignent de l’appétence de leur auteur, Jean-Christophe Pellat, pour le versant diachronique de la langue.

On y apprend que l’ancien français n’était pas une langue unifiée, mais comportait plusieurs variétés qui n’étaient d’ailleurs parlées qu’au Nord et à l’Est de la France (langues d’oïl). Le premier texte écrit en français (ou lingua romana) figure dans les Serments de Strasbourg (842). Il est influencé par l’écriture latine : « Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament… si salvaraeio cist meon fradre Karlo… (Pour l’amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et le nôtre… je défendrai mon frère Charles…) ». Ce texte, qui a été rédigé à une époque où « la diglossie français parlé – latin écrit » était prégnante, a nourri l’idée que la langue écrite n’a guère de rapport avec la langue parlée. Ce qu’on observe en français écrit, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de lettres latines pour noter l’ensemble des sons vocaliques du français et que les sons consonantiques ne sont pas transcrits de manière précise et rigoureuse, leur notation étant soumise à des variations (p.19) : par exemple, on combine deux lettres pour noter les voyelles nasales (an, in, on) et on utilise tantôt « ll » ou « ill », tantôt « illi » pour noter le /l/ mouillé. L’écriture représente imparfaitement la langue orale, non seulement en raison des « insuffisances de l’alphabet latin », mais aussi à cause de « l’évolution différenciée de la prononciation » concomitante à la « fixité de l’écriture » (p.20). Pour illustrer la fixité de l’écriture nonobstant l’évolution de la prononciation, citons les digrammes utilisés pour les voyelles nasales an, in, un, on, qui ont été conservés dans l’écriture, même après la dénasalisation de ces voyelles. Ainsi, « on a gardé dans l’écriture de donner et de grammaire la double consonne, la première contribuant à noter la voyelle nasale, alors que la seconde notait la consonne » (p.20) : donner et grammaire qui se prononçaient /dɔ̃/ne/, /gʁɑ̃/mɛʁ/ se prononcent aujourd’hui /dɔ/ne/, /gʁa/mɛʁ/. De même, les consonnes qui ne se prononçaient plus en fin de syllabe se sont maintenues dans les graphies : subtil se prononçait /su/til/, augmenter /o/mɑ̃/te/. Puis, dans un mouvement inverse, l’orthographe a influencé la prononciation, de sorte qu’aujourd’hui, nous prononçons le b de subtil et le g d’augmenter.

Au fil du temps, des changements graphiques ont été opérés en vue d’une meilleure compréhension et d’une plus grande lisibilité des signes graphiques. Les copistes du Moyen-Âge employaient la consonne x pour abréger la combinaison u + s : les chevaus a été écrit les chevax. Puis, cette valeur n’étant plus perçue, on a ajouté un u devant x : les chevaux. Aujourd’hui, le x est une marque grammaticale du pluriel. Dans le même ordre d’idées, le digramme oi a été remplacé par ai (Français, venait), réduisant de cette façon le décalage entre graphie et prononciation.

Mais les changements phonétiques ont parfois été contrecarrés par des modifications étymologiques, historiques, morphologiques et sémantiques.

Le passage de la variation graphique (au Moyen-Âge) à une stabilisation de l’écriture (au xixe siècle) s’effectue au prix de fluctuations entre l’orthographe moderne et l’orthographe ancienne (qui débutent au xvie siècle). L’Académie française retient l’orthographe ancienne, laquelle « aide à faire connaître l’origine des mots » (p. 26) et à mieux identifier les mots français. Elle écarte l’orthographe moderne, plus phonologique, plus proche de l’oral. Pourtant, si l’on y réfléchit bien, le choix de l’Académie française est paradoxal : l’orthographe moderne, qu’elle a écartée, repose en réalité sur une tradition plus ancienne, qui est celle de la première écriture romane de l’ancien français, et qui était plus phonologique (p.29). L’orthographe ancienne, retenue par l’Académie, fait usage de lettres étymologiques et de lettres muettes placées à côté de la voyelle, qui aident à saisir la signification du mot : comme exemples de lettres adscrites, citons le d devant u dans aduis, qui indique que la lettre u se prononce /v/, et le h devant u dans huit, qui nous renseigne sur le fait que la lettre u se prononce /ɥ/. Les différents choix graphiques retenus au fil des siècles tiennent compte du niveau phonogrammique, mais aussi des niveaux morphogrammique (lettres muettes porteuses d’un sens grammatical ou lexical) et logogrammique (homophones qui se distinguent à l’écrit par une image graphique différente). Dans le tableau des variantes de l’orthographe ancienne vs moderne, on découvre que l’accent circonflexe a été retenu pour la notation des voyelles longues (au détriment du s (teste) et de la voyelle doublée (roole)), allant ainsi dans le sens de l’orthographe moderne (teste > tête, roole > rôle). En revanche, pour les finales plurielles en -ant, -ent + s, c’est l’orthographe ancienne qui a pris le dessus (p.33) : on écrit enfants, contents et non enfans, contens (qui était l’orthographe moderne). La modernisation de l’orthographe se développe au xvie siècle avec l’expansion de l’imprimerie, puis s’interrompt pendant 50 ans, par suite du recul de l’imprimerie, consécutif aux guerres de religion et à la crise économique subséquente. Elle reprend en 1640, au moment de la création de l’Imprimerie royale. On assiste alors à une seconde décision paradoxale de l’Académie : elle fait le choix de l’orthographe ancienne alors que celle-ci est en net recul dans les impressions.

En créant l’Académie française en 1634, le pouvoir royal ambitionne de réglementer la langue au moyen d’une orthographe d’État. L’orthographe ancienne a été choisie pour des raisons sociologiques : il s’agit de distinguer les « gents de lettres et qui ont estudié la langue d’avec les ignorants (et les simples femmes) » (p. 40). L’orthographe se transforme en instrument de distinction sociale avec ses traits étymologiques et ses complications graphiques. Néanmoins, malgré cette orientation étymologisante savante explicite, les usages continuent d’être diversifiés au xviiie, ils ne respectent pas toujours les directives de l’Académie (comme l’attestent le dictionnaire de Furetière et celui de Richelet).

Au xviiisiècle, les philosophes qui entrent à l’Académie modernisent l’orthographe officielle en la rapprochant de l’usage imprimé. Il faudra attendre le xixe siècle pour que se fixe la norme orthographique et pour que se diffuse un modèle unique, et ce, malgré les propositions de réforme qui voient le jour.

On retiendra qu’au cours de l’histoire, le flottement des graphies a été considérable : « plus d’un mot sur deux a, en France, changé au moins une fois d’orthographe depuis le xvie siècle, et parfois à plusieurs reprises » (p.51). Les dernières variations graphiques, entérinées par le gouvernement, datent de 1990 : elles portent le nom modeste de Rectifications et proposent de régulariser certaines zones floues. Parmi leurs suggestions figurent, entre autres,

  • l’ajout systématique d’un trait d’union entre chacun des mots composant le numéral (ex. deux-mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix)

  • la simplification du pluriel des mots composés (verbe-nom) : ils prennent un -s sur le second élément (ex. des tire-bouchons, des abat-jours)

  • la régularisation de certaines anomalies graphiques (ex. absout(e) au lieu d’absous / absoute, innommé au lieu d’innomé, ognon au lieu d’oignon, assoir au lieu d’asseoir, bonhommie au lieu de bonhomie, boursouffler au lieu de boursoufler, un relai au lieu d’un relais, un ventail au lieu d’un vantail).

« Ces variations contredisent l’illusion du fixisme de l’orthographe. Cependant, en s’efforçant de réduire les variations graphiques et en refusant les réformes, l’Académie renforce l’impression d’une orthographe unique » (p.52).

Dans le chapitre 2, l’auteur effectue une mise au point sur les notions d’écriture et d’orthographe. L’écriture est définie comme la réalisation écrite d’une langue, laquelle n’est pas hiérarchiquement inférieure à, mais complémentaire de la réalisation orale de celle-ci. Cette complémentarité n’empêche pas une relative indépendance de l’écrit par rapport à l’oral. En français, le décalage entre l’écrit et l’oral est plus grand que dans les autres langues romanes. Cela étant, comme toutes les écritures, l’écriture du français est un système mixte qui répond à deux principes : représenter des sons (c’est le principe phonographique) et représenter du sens (c’est le principe sémiographique). La notion d’orthographe est, quant à elle, intimement liée à celle de norme, l’orthographe étant l’écriture correcte d’une langue. En France, la référence en orthographe est prescrite par l’Académie. Toutefois cette dernière n’a pas de pouvoir décisionnel en matière de réforme orthographique. C’est le pouvoir politique qui décide, comme il l’a fait en 1990 pour les Rectifications.

Détail étymologique intéressant, la discipline qui s’intéresse à l’écriture correcte aurait dû s’appeler orthographie, comme la géographie, l’hydrographie. En 1245, le terme orthographie est attesté, mais il ne subsiste que trois siècles. En 1529, il cède la place à orthographe, qui s’est imposé jusqu’à nos jours. Le genre d’orthographe était masculin au xvie siècle, il est devenu féminin au XVIIe. Le mot orthographe correspond donc à un usage fautif d’orthographie, qui a été introduit dans la langue au xvie siècle (p. 65-66).

Ainsi, la fixité de la norme imposée par l’Académie donne la fausse impression d’une fixité dans l’usage. Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui encore, la variation graphique est avérée dans les productions quotidiennes spontanées des scripteurs, en particulier dans leurs productions électroniques. Notre époque est marquée par les néographies des SMS. Celles-ci répondent à un besoin de brièveté et d’expressivité et sont formées à partir de différents procédés, qui sont détaillés dans l’encart 9 (p.70) : des logogrammes (C pour c’est), des graphies phonétisantes (ke pour que), des squelettes consonantiques de mots (tjrs pour toujours), des étirements graphiques (booooooooof pour bof), etc. Avec l’apparition des néographies, « nous devenons polygraphes, choisissant notre écriture en fonction du support utilisé » (p.71).

2. Description de l’orthographe française

Dans la deuxième partie, les chapitres 3 et 4 décrivent le fonctionnement linguistique de l’orthographe française. Celle-ci repose sur « deux principes majeurs imbriqués, phonographique et sémiographique, qui font système », et sur « un principe historique », qui est hors système. La première fonction du graphème (lettre ou groupe de lettres formant une unité) est de représenter une unité sonore, ou phonème. En français, la correspondance graphèmes – phonèmes n’est pas toujours biunivoque : « a » ↔ /a/. Il arrive que d’autres lettres soient employées pour noter un son : « e » → /a/ dans femme, patiemment. Et à l’inverse, un même graphème peut correspondre à plusieurs phonèmes : « s » → /s/ ou /z/ (savon, maison). La seconde fonction des graphèmes est de représenter un sens. En français, certaines lettres quoique muettes véhiculent une signification. La présence d’une lettre finale muette (-s, -e, -x) dans les mots fois, foie, Foix, ou l’absence de lettre finale muette dans foi permettent de différencier quatre homophones par la graphie, en dehors de tout contexte. La présence du -t final dans trot permet de mettre en relation ce mot avec ses dérivés trotter, trotteur, en même temps qu’elle le distingue de l’homonyme trop. On voit que le graphème « t » est polyvalent. Il assure deux fonctions sémiographiques, ici : établir un lien avec la famille lexicale (trotter, trotteur) et différencier 2 homophones (trot vs trop). On relève aussi des graphèmes assurant un rôle à la fois phono- et sémiographique : le graphème « ain » de pain permet de noter le son /ɛ̃/ et met en relation ce mot avec sa famille (panifier, panade) (p.74). En marge des principes phono- et sémiographique subsiste le principe historique et étymologique, qui rappelle l’étymologie du mot ou son histoire : le « h » d’huile (< lat. oleum) est une lettre historique ; « p » et « s » de corps sont des lettres étymologiques ; « s » n’est pas motivé en synchronie, mais « p » l’est, puisque c’est une lettre dérivative (corporel) (p.75).

La complexité de l’orthographe française s’explique en outre par le fait que les 26 lettres qui composent son alphabet, auxquelles s’adjoignent les lettres accentuées et celles porteuses d’un signe auxiliaire (tréma ou cédille), soit au total 39 signes graphiques, servent à former 130 graphèmes. Parmi les lettres qui n’existaient pas en latin et qui ont été ajoutées en français, on relève j, v, w.

Catach (1980) classe les graphèmes du français selon le principe phonographique : elle élabore trois tableaux en tenant compte de la fréquence – très importante, modérée ou rare – de chaque graphème (p.83). Le tableau 1 comprend les 45 graphèmes de base. Le tableau 2, un peu plus étoffé, comprend 70 graphèmes. Le tableau 3 comprend 130 graphèmes (fréquents, moyennement fréquents ou rares). Quelques années auparavant (en 1974), Blanche-Benveniste et Chervel avaient spécifié la valeur de base, la valeur de position et la valeur auxiliaire de chaque graphème. Par exemple, « s » a comme valeur de base de représenter le son /s/ (savon). Sa valeur de position est de représenter le son /z/ lorsque le graphème est placé entre voyelles (maison). Sa valeur auxiliaire est de noter après « e » le son /e/ (des, les, mes). En s’inspirant de ces trois auteurs, Pellat élabore une liste détaillée des graphèmes du français. Il y présente les graphèmes de base, ainsi que les graphèmes secondaires, auxiliaires ou positionnels. Cette liste est fort utile aux enseignants de français souhaitant avoir, dans un seul et même document, un condensé suffisamment complet, et enrichi d’explications didactiques, des différentes valeurs des graphèmes français. On y apprend entre autres qu’il existe deux types de « y » : un « y » calligraphique (lys) et un « y » étymologique (hypothèse) (p. 87).

En sémiographie, différentes marques peuvent être relevées : les marques grammaticales (de genre, de nombre, de personne, etc.), les marques lexicales (lettres fixes dérivatives qui « établissent un lien visuel avec le féminin ou les dérivés du mot » (p.94)) et les homophones hétérographes, qui se distinguent graphiquement par une image visuelle d’ensemble différente.

Contrairement à l’espagnol, au finnois et au turc, qui ont une transparence phonographique élevée, le français se caractérise par une opacité phonographique. Et contrairement au coréen, qui a une sémiographie mineure, le français, tout comme l’anglais et le japonais, se caractérise par une sémiographie majeure.

3. Enseignement de l’orthographe française

Dans la troisième et dernière partie, consacrée à l’enseignement de cette orthographe complexe qu’est l’orthographe du français, l’auteur commence par poser quelques principes didactiques généraux : articuler la production écrite et la pratique orthographique, différencier les savoirs orthographiques des savoir-faire (on peut connaître une règle et être incapable de l’appliquer dans un texte), suivre une progression en spirale qui tienne compte des capacités cognitives des élèves et pratiquer une évaluation positive pour ne pas décourager les apprenants. À la suite de quoi, l’auteur inventorie les zones de fragilité orthographique : les éléments diacritiques (accents, cédilles, trémas, traits d’union), les homophones, les consonnes doubles, la morphologie flexionnelle (désinences des mots variables) et la ponctuation (chapitre 5).

Dans le chapitre 6, Pellat se penche sur la notion d’erreur qu’il préfère à celle de faute, connotée péjorativement. Il rappelle que l’erreur s’inscrit naturellement dans le processus d’apprentissage. Seuls ceux qui n’apprennent pas ne commettent pas d’erreurs, puisqu’ils ne prennent aucun risque. L’erreur « révèle une tentative qui a échoué et qui permet de progresser par sa rectification » (p.113). Comme le signalent Ducard & coll. (1995), « toute erreur est une erreur par défaut ou par excès de formalisation-conceptualisation » (p. 113). À titre d’exemple, lampe à derre (pour lampadaire) manifeste un défaut de formalisation ; ils arrives (pour ils arrivent) traduit un excès de formalisation, « dû à l’application trop puissante d’une règle » (p.113). Ensuite, l’auteur présente les quatre causes des erreurs, telles qu’elles ont été développées par Henri Frei dans La grammaire des fautes (1929) : est mentionné le besoin d’assimilation qui se fonde sur l’instinct d’imitation et qui se manifeste de deux façons (sous forme d’instinct analogique et sous forme de conformisme). Par exemple, on écrira le féminin *pécunière (au lieu de pécuniaire) sur le modèle de régulier, régulière. En deuxième lieu est évoqué le besoin de différenciation (ou clarté), qui conduit à distinguer des formes identiques à l’oral (ex. croit / croient → *ils croivent). En troisième lieu, Frei évoque le besoin d’économie (par la brièveté et l’invariabilité) : ex. *msieur, *mémo, *je vas… En quatrième lieu, l’erreur peut répondre à un besoin d’expressivité. Ces quatre besoins se manifestent en prononciation, en orthographe, en syntaxe, en morphologie et en vocabulaire. En orthographe, c’est le besoin d’assimilation qui explique un grand nombre d’erreurs.

Pour comprendre les erreurs des élèves, on peut recourir à des entretiens métagraphiques : l’élève y est interrogé sur les raisons qui l’ont conduit à opérer ces choix plutôt que d’autres. Parfois, on remarque que derrière une forme graphique correcte se dissimule un raisonnement erroné (p.116), ainsi que le note Cogis (2005, p. 147-148) : les graphies, justes ou erronées, sont tels des icebergs, dont la partie immergée correspond à un raisonnement préalable, juste ou erroné. Ceux qui souhaitent avoir une typologie linguistique des erreurs d’orthographe peuvent consulter avec profit la typologie de Catach (1980) (p. 117-118) ou celle proposée par Ducard pour les écoles (p.118) et simplifiée par Pellat dans son ouvrage.

Pour remédier aux erreurs d’orthographe, on peut mener des entretiens métagraphiques ou encourager les élèves à utiliser des correcteurs informatiques : ex. celui de Microsoft Word ou d’OpenOffice Writer, celui du dictionnaire Larousse ou du Robert, ou les correcteurs avancés ProLexis, Antidote, Cordial, Reverso, Scribens. Nous pourrions ajouter le recours à l’intelligence artificielle ChatGPT, testé plus récemment par Li (2025) et dont les résultats ont été présentés durant la journée d’étude « Orthographe et FLE » qui s’est tenue à Strasbourg le 28 mai 2025.

Les études en neuropsychologie ont mis en lumière deux voies de traitement des mots relevant d’orthographes alphabétiques : la voie directe, dite d’adressage ou lexicale, qui consiste à récupérer directement des mots stockés en mémoire dans un lexique orthographique, et la voie indirecte, dite d’assemblage ou phonologique, par laquelle les mots sont déchiffrés par segments. Ces deux stratégies coexistent chez les lecteurs-scripteurs. Les apprenants les plus compétents en orthographe sont ceux qui réussissent à « appliquer différentes stratégies à chaque situation particulière, en choisissant la mieux adaptée » (p.122). Parmi les stratégies orthographiques disponibles, on peut mentionner la remémoration de l’orthographe des mots, l’exploitation des correspondances phonèmes – graphèmes, l’analogie orthographique, le recours aux règles, l’utilisation du dictionnaire. Dans un contexte scolaire, Gey propose six clés orthographiques : la prononciation, la position, la substitution, la famille et la dérivation, l’analyse, la mémoire (p. 123-124). Ces six clés ont été consignées et mises en application dans le manuel scolaire Grammaire et expression 4e (1998).

Le chapitre 7 s’ouvre sur la distinction traditionnelle orthographe lexicale (ou d’usage) vs orthographe grammaticale (ou de règles), laquelle demeure pertinente, puisqu’elle convoque des manières d’apprendre différentes. Pour faciliter l’apprentissage de l’orthographe des mots lexicaux, il convient de travailler sur les régularités lexicales et sur les familles de mots. La consultation de listes de fréquence (Ters & coll., 1977 ; Catach, 1984 ; Pothier & Pothier, 2024) aidera à choisir les 1400 mots les plus fréquents de la langue pour bâtir une progression. L’orthographe grammaticale, quant à elle, sera enseignée à partir de règles. On insistera sur les chaines d’accord (déterminant – nom – adjectif ; sujet – verbe ; sujet – verbe – attribut du sujet ; groupe nominal – auxiliaire avoir + participe passé). On sensibilisera les élèves aux appositions et aux verbes antéposés à leur sujet qui requièrent un accord par anticipation, aux chaînes d’accord très longues qui demandent une vigilance accrue et à la présence de rupteurs distracteurs qui, lorsqu’ils sont intercalés dans la chaîne d’accord, agissent tels des écrans et induisent un accord erroné dans la chaîne : ex. *Effrayé par l’incendie [apposition],les animaux sortent de la forêt. *La nuit brille [verbe antéposé au sujet] les étoiles. *Les visages mêmes de ces jeunes filles était confondu [chaine d’accord très longue]. *Les jeunes filles régulièrement [rupteur distracteur] se promène en bord de mer. La position non linéaire de certains éléments dans la phrase, la longueur des chaînes d’accord et l’introduction d’un rupteur constituent des pièges pour les scripteurs peu expérimentés.

L’ouvrage s’achève sur le chapitre 8, qui insiste sur la difficulté du processus d’écriture au niveau cognitif. Accomplir simultanément plusieurs tâches (« planifier et organiser son texte, chercher les mots et les idées, construire ses phrases, choisir l’orthographe et la ponctuation », p. 141) sature la mémoire de travail des scripteurs jeunes ou peu expérimentés. Il est normal que le sens soit privilégié et que la grammaire et l’orthographe soient relayées au second plan. Avec l’entraînement, le « décalage entre le temps de la production et celui du contrôle des formes écrites » s’amenuise, ce qui améliore les performances scripturales. Le chapitre se clôt sur un inventaire des exercices d’orthographe que l’enseignant peut proposer : la dictée dans ses multiples variantes (autodictée, dictée préparée, phrase dictée du jour, dictée commentée, dictée de contrôle…), la cacographie (qui invite l’élève à repérer et corriger les erreurs d’un texte), la réécriture d’un texte (en changeant la personne du sujet, le temps verbal, le genre et le nombre du sujet…), les phrases à reconstituer (en remettant dans l’ordre les différents éléments), la transcription de SMS en langage ordinaire, la formation de mots dérivés par ajout d’un affixe (préfixe ou suffixe), la transformation de verbes en noms à l’aide d’un suffixe, le remplacement des anglicismes par leurs équivalents français, les ateliers de négociation graphique, initiés par l’Université de Bourgogne, qui stimulent l’activité métalinguistique des apprenants, les exercices à trous, les activités de classement (phonèmes – graphèmes…), les jeux (intrus, mots croisés…), la ponctuation d’un texte.

Conclusion

En somme, L’orthographe française. Histoire, description, enseignement de Jean-Christophe Pellat offre une synthèse utile de l’état des connaissances sur l’orthographe française au xxie siècle. Cette synthèse n’est pas exhaustive (quel ouvrage pourrait s’enorgueillir de l’être ?), elle a néanmoins le mérite d’être claire, pédagogique et accessible au plus grand nombre. La bibliographie en fin d’ouvrage permet à ceux qui désirent aller plus loin de poursuivre l’aventure orthographique.

Bibliography

Blanche-Benveniste, C., Chervel, A. (1974). L’orthographe. Maspéro [1969].

Catach, N. (1980). L’orthographe française. Traité théorique et pratique. Nathan.

Catach, N. (1984). Les listes orthographiques de base du français. Les mots les plus fréquents et leurs formes fléchies les plus fréquentes. Nathan.

Cogis, D. (2005). Pour enseigner et apprendre l’orthographe. Nouveaux enjeux – Pratiques nouvelles. École / Collège. Delagrave, 147-148.

de Cazanove, C., Gey, M., Pruvost, J., Sculfort, M.-F., avec la collaboration de Pellat, J.-C. (1998). Grammaire et expression. Français 4e. Nouveau programme 1998. Nathan, 9, 32-33, 68-69, 92-93, 124-125, 158-159, 186-187, 228-229, 256-257.

Ducard, D., Honvault, R., Jaffré, J.-P. (1995). L’orthographe en trois dimensions. Nathan.

Frei, H. (1929). La grammaire des fautes, Slatkine.

Gey, M. (1998). Didactique de l’orthographe française, Nathan.

Li, Y. L’intelligence artificielle générative dans l’apprentissage du français en Chine : une étude sur l’utilisation de ChatGPT pour le développement des compétences orthographiques. Didactique du FLES : Recherches et Pratiques, 4(1). https://doi.org/10.57086/dfles.1608.

Pellat, J.-C. (2023). L’orthographe française. Histoire, description, enseignement. Ophrys.

Pothier, B., Pothier, B. (2024). ÉOLE – Échelle d’acquisition en Orthographe LExicale (+ ressources numériques). Retz [2020].

Ters, F., Mayer, G., Reichenbach, D. (1977). L’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle française. OCDL [1964].

References

Bibliographical reference

Martha Makassikis, « L’orthographe française, tour d’horizon des connaissances », Didactique du FLES, 4:1 | 2025, 259-267.

Electronic reference

Martha Makassikis, « L’orthographe française, tour d’horizon des connaissances », Didactique du FLES [Online], 4:1 | 2025, Online since 10 juillet 2025, connection on 03 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/dfles/index.php?id=1662

Author

Martha Makassikis

Membre associé à l’équipe LiLPa (Linguistique, langues, parole) de l’université de Strasbourg, Martha Makassikis exerce en tant que formatrice de français langue étrangère. Elle a soutenu une thèse sur l’apprentissage de l’orthographe par des étudiants allophones et rédige régulièrement.

martha.makassikis.pro@gmail.com

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