Introduction
Des fautes peuvent survenir et elles sont liées à des apprentissages non appropriés, qu’il s’agisse des fautes liées à des ratés d’apprentissage ou à des non-acquisitions et des fautes contingentes. De nombreux enseignants de langues estiment que le problème est de la responsabilité des apprenants. Néanmoins, c’est à l’enseignant de diagnostiquer le type de faute répétitive, susceptible de gêner des apprentissages ultérieurs, sur lequel il convient de s’arrêter par le choix de la remédiation subséquente éventuelle supposant un travail différent dans un cas ou l’autre.
D’une façon générale, les fautes permettent aux apprenants de comprendre les mécanismes d’acquisition de la langue étrangère cible et de réfléchir sur le fonctionnement de celle-ci. Selon les travaux de Bailly et Cohen (2009), l’apprenant devrait tirer parti de ses erreurs pour construire son langage et pour progresser dans son apprentissage. De même, l’enseignant devrait utiliser les erreurs des élèves comme des occasions de fournir une rétroaction constructive. Il est conscient que l’erreur linguistique est une composante normale du processus d’acquisition d’une langue. D’autre part, il est également conscient que ne pas réagir aux productions erronées des étudiants peut les empêcher de progresser et de développer des compétences linguistiques adéquates pour une communication claire et efficace. Selon Mougeon et Mougeon (2003), de nombreuses difficultés rencontrées par les apprenants des langues étrangères dans la communication écrite pourraient être surmontées s’ils bénéficiaient d’un « input » approprié.
La correction est un outil pédagogique largement utilisé dans les classes de langues depuis longtemps, susceptible d’aider les apprenants à mieux gérer les erreurs de langue. C’est donc en considérant ces principes que nous avons choisi d’axer notre étude sur les erreurs récurrentes dans la communication écrite, observées chez des apprenants grecs, ayant atteint un niveau linguistique A2. Nous présenterons d’abord la problématique de notre enquête initiale et ses objectifs. Ensuite, nous résumerons notre enquête qui porte sur les erreurs récurrentes, la fossilisation apparente chez les apprenants grecs et les raisons sous-jacentes à ces phénomènes. Enfin, nous analyserons les stratégies pédagogiques proposées par les enseignants sollicités et évaluerons la pertinence de cette étude1.
Problématique et démarche suivie
Dans notre recherche, nous avons exploré les liens entre les connaissances académiques, les processus cognitifs des apprenants et leurs représentations métalinguistiques, influencées par leur parcours éducatif et les pratiques d’enseignement grammatical. Nous nous sommes particulièrement intéressées à la façon dont ces facteurs interagissent avec la culture métalinguistique des apprenants et les perceptions des enseignants concernant les difficultés d’apprentissage persistantes. Notre expérience souligne l’importance, pour les enseignants, de se remettre en question, de réfléchir à leurs pratiques, et de s’appuyer sur des bases théoriques solides pour adapter leur intervention aux contextes spécifiques d’enseignement et d’apprentissage.
Dans cette perspective, nous avons analysé les pratiques pédagogiques comme moyen de remédiation, en nous concentrant sur les stratégies didactiques que les enseignants grecs interrogés utilisent pour contrer la fossilisation des erreurs chez les apprenants de FLE au niveau A2. Cet article adopte une approche pratique tout en intégrant une réflexion théorique, en examinant les solutions envisagées par les enseignants pour surmonter les fautes récurrentes, l’importance des concepts et théories grammaticales, ainsi que les méthodes pour réduire ces erreurs persistantes.
Notre démarche s’est articulée en trois étapes : d’abord, nous avons dressé un inventaire des difficultés rencontrées par les apprenants, basé sur une enquête préexistante. Ensuite, nous avons classé ces difficultés par champ disciplinaire et proposé des solutions. Enfin, pour approfondir les résultats de l’enquête, nous avons mené une réflexion scientifique détaillée, discutée dans les deux dernières parties de l’article. L’objectif est de fournir des réponses concrètes aux défis de l’enseignement et de l’apprentissage de la grammaire au niveau A2.
L’enquête
Dans le cadre de l’enquête, menée en Grèce en 2020 et 2021, afin d’obtenir une vision plus complète, nous avons décidé de solliciter à la fois les apprenants et les enseignants. Pour ce faire, des questionnaires ont été établis à l’égard des deux groupes et des entretiens ont été réalisés avec chaque composant de chaque groupe.
Problématique de l’enquête
La double enquête a permis d’examiner, point par point, le contenu grammatical et morphosyntaxique du « Référentiel des compétences pour le niveau A2 » (Beacco & Porquier, 2008) à travers des questionnaires. Les apprenants ont pu exprimer leurs difficultés, la fréquence des fautes qu’ils commettent, et les raisons de leur persistance. Les entretiens avec les enseignants ont révélé la perception qu’ont ces derniers des fautes récurrentes, les raisons de leur apparition, ainsi que les pratiques didactiques qu’ils utilisent pour y remédier chez leurs apprenants grecs.
Méthode et corpus de l’enquête
Dans notre enquête, nous avons combiné une méthode quantitative, pour établir des liens statistiques sur les fautes récurrentes, et une méthode qualitative, pour comprendre les nuances du phénomène dans divers contextes. Cette approche mixte nous a permis de dégager les erreurs les plus fréquentes chez les apprenants de niveau A2, d’interpréter les perceptions des enseignants et d’analyser les stratégies de remédiation utilisées
Pour les besoins de notre enquête nous avons constitué un double corpus. Il a été constitué de 43 apprenants (58,1 % femmes et 41,9 % hommes. Ils sont âgés majoritairement de 12 à 14 ans (28 %), et il existe parmi eux quelques adultes (2 %). Ils apprennent le français soit par le biais de cours particuliers ou dispensés dans des centres de langues, soit intégrés dans le cursus scolaire d’écoles privées.
Le corpus a été également constitué de 6 enseignants, dont un homme et cinq femmes, taux plutôt représentatif du corps enseignant dans le pays ; ils exercent tous le métier depuis plus de 20 ans, ce qui les classe parmi les collègues expérimentés. L’objectif du corpus n’était certes pas de travailler sur la représentativité quantitative du corpus mais au contraire sur le volet qualitatif.
Élaboration du questionnaire
Un seul questionnaire a été élaboré, basé sur le Référentiel A2, pour lequel enseignants et apprenants ont fourni des réponses. Ce questionnaire se concentre sur les éléments grammaticaux et morphosyntaxiques comme « moyens grammaticaux nécessaires pour gérer les compétences de communication spécifiées au niveau A2 » (Beacco & Porquier, 2008, p.16), en regroupant certaines catégories pour simplifier le processus et suivre la classification traditionnelle à laquelle les participants étaient habitués. De plus, nous avons choisi d’examiner la morphologie et la syntaxe, les inexactitudes qui sont « le noyau dur des erreurs persistantes chez les locuteurs d’origine étrangère » (Desvaux, 2005, p.6)
Nous avons également choisi de les traduire et d’ajouter des exemples illustrant au mieux ces points.
Tableau 1 : Exemples illustrant les points grammaticaux tels qui figurent au questionnaire selon notre sélection
Groupe nominal + Groupe verbal… (constructions verbales) |
Groupe verbal + Verbe (Groupe nominal / Adjectif) |
Nous aimons voir des films |
Groupe verbal + Verbe de/à verbe à l’infinitif : |
Tu arrêtes de fumer ? |
On pense à partir. |
Verbe que/qui Proposition (verbe à l’indicatif) : |
Ils te demandent qui a bien répondu |
ils te demandent à qui ils doivent s’adresser |
Marc dit qu’il est d’accord/qui est d’accord |
Nous voulons savoir ce que tu dis |
Nous voulons savoir celui qui parle |
Comme la faute est un indice du niveau atteint de l’apprentissage et que commettre des fautes dans l’apprentissage de la langue étrangère signifie qu’il existe un décalage entre le niveau réellement atteint chez l’apprenant et le niveau prévu, nous avons opté de présenter d’abord les grandes catégories (telles que parues dans le sommaire du chapitre 5 du Référentiel). Pour chaque catégorie, les apprenants ont indiqué s’ils avaient complètement, partiellement, ou pas encore acquis les compétences, tandis que les enseignants ont répondu en leur nom.
Puis, nous avons repris ces catégories de manière exhaustive et nous avons choisi une formulation valorisante et conforme au CECR pour les introduire (« je peux »). Une traduction en grec et des exemples, ont été utilisés pour faciliter la compréhension des termes métalinguistiques. Les apprenants ont ensuite précisé la fréquence des fautes commises : « répétitivement », « souvent », ou « rarement ».
Figure 1 : Exemple issu du questionnaire
Les exemples choisis ne sont pas anodins ; bien au contraire, ils ont été fabriqués pour vérifier si les fautes récurrentes auxquelles nous pensions étaient également relevées par les apprenants.
Tableau 2 : Exemples illustrant les catégories morphosyntaxiques proposées dans le questionnaire
Nous mangeons | Elle vient de Paris / Elle vient de France. |
Tu achètes | Vous voulez du thé ? de l’eau ? |
Il appelle / nous appelons | Un peu d’eau s’il vous plaît, je ne bois pas de thé. |
Nous commençons | C’est mon anniversaire / c’est mon amie. |
Ne dites pas ça ! | C’est l’ami de Paul – c’est son ami. |
Nous prenons le train / ils prennent la voiture | Marc, tu prends ta voiture ? |
Nous faisons tout pour réussir, ils font leur part. | Marc dit qu’il est d’accord / qui est d’accord. |
Alors, vous faites aussi un effort ! | … …. …. |
Ces réponses fourniraient des indications précieuses sur les erreurs que les apprenants identifient eux-mêmes, et la fréquence de ces erreurs pourrait révéler celles qu’ils pensent avoir surmontées, celles qui réapparaissent régulièrement, et celles qu’ils n’arrivent pas à éliminer.
Passation des entretiens
Les entretiens ont permis de compléter les informations des questionnaires en donnant aux deux groupes concernés l’occasion de s’exprimer librement sur des aspects ponctuels, tels que les représentations linguistiques, que les questionnaires ne pouvaient aborder. Pour explorer les perceptions sur les fautes récurrentes et les pratiques de remédiation, nous avons posé des questions ouvertes, nous permettant d’adapter ou de préciser les questions, si nécessaire. Les informations recueillies sur une période de plus de trois mois ont été consignées dans un journal de bord, rassemblant les éléments essentiels pour contextualiser notre recherche.
Discussion des résultats
Les informations recueillies ont permis de tirer des conclusions pratiques pour mieux gérer ce phénomène complexe. Nous avons concentré notre attention sur les actions concrètes des enseignants pour identifier, corriger et prévenir les erreurs linguistiques persistantes chez les apprenants grecs.
La centration sur les apprenants
La plupart de nos interrogés sont des adolescents (70 %), dont 5 seulement sont âgés de 19-26 ans. Les filles sont légèrement plus nombreuses que les garçons (58,1 % contre 41,9 %) et tous les apprenants connaissent une autre langue étrangère, majoritairement l’anglais (98,5 %) qu’ils étudient depuis plus de sept ans pour la plupart d’entre eux (81,3 %). En revanche, la majorité (79,1 %), qui fréquente des établissements privés, apprend le français depuis cinq ans.
Pour ce qui est du questionnaire, à notre grande déception, les résultats sont peu exploitables, puisque pour chaque catégorie morphosyntaxique proposée, les apprenants répondent ne faire des fautes que rarement à des pourcentages étonnants qui varient entre 70-90 %. En revanche, les données partielles issues des questionnaires révèlent qu’ils commettent souvent des erreurs sur les mêmes points grammaticaux que ceux signalés par les enseignants comme étant les plus problématiques.
Plus particulièrement, les fautes qu’ils admettent faire se retrouvent dans les catégories morphosyntaxiques et grammaticales présentées dans le tableau récapitulatif qui suit :
Tableau 3 : Tableau récapitulatif des fautes commises d’après les apprenants
CATÉGORIES MORPHOSYNTAXIQUES ET GRAMMATICALES (70 %) |
Identifier et utiliser les formes usuelles et utiles de l’impératif présent, les marques flexionnelles (des principaux temps) pour certains verbes en er, distinguer les valeurs et les emplois principaux du présent de l’indicative… |
RECONNAÎTRE (À L’ORAL ET À L’ÉCRIT) ET D’UTILISER LES DÉTERMINANTS (72,5 %) |
Reconnaître la plupart des formes de pronoms personnels/les numériques, les prépositions : à, avec, dans, de, en, par, pour,… |
LES STRUCTURES DE LA PHRASE SIMPLE (75 %) |
C’est + Pronom / Pronom, c’est (…) / C’est + adverbe /… |
GROUPE NOMINAL ET CONSTRUCTIONS NOMINALES (73,5 %) |
Quelques, plusieurs / Tout, toute, tous, toutes / Adjectif + de + infinitif /… |
CONSTRUCTIONS PRONOMINALES (PRONOMS TONIQUES) (73 %) |
Pronom, Pronom + Verbe |
STRUCTURES INTERROGATIVES (81 %) |
Mots interrogatifs /… |
STRUCTURES DE LA PHRASE COMPLEXE ET DU TEXTE (79,2 %) |
Expression de la cause /de la conséquence /de la supposition, condition |
Nous rejoignons Desvaux (2005, p.15) selon qui :
Si l’on ne possède pas clairement les éléments qui interviennent dans le mécanisme de choix des modulations verbales ou des données porteuses de relations que sont les prépositions et les pronoms relatifs par exemple, la tendance à l’erreur est forte, peut-être même invincible.
À cela s’ajoutent les réponses vagues (Tableau 4) que les apprenants ont données lors des entretiens. La seule exception concerne les réponses où ils mentionnent les difficultés qu’ils rencontrent avec les genres des substantifs, en raison des interférences avec le grec. Ceci est d’ailleurs, le seul point commun entre les réponses des apprenants et des enseignants comme cela sera prouvé dans la suite de l’enquête. Parmi les points mis en évidence, l’apprentissage du français est motivé par sa beauté linguistique, sa richesse historique et son utilité future. On peut commencer à l’étudier dès l’âge de 11 ans ou après le lycée, pour des raisons diverses telles que les études, les voyages ou la culture. L’apprentissage du FLE est caractérisé par sa complexité lexicale et grammaticale, engendrant des difficultés lexicales, syntaxiques et de grammaire. Pour y faire face, les apprenants utilisent des stratégies telles que des révisions fréquentes, l’écoute de chansons et le visionnage de films français. Ils recommandent aux enseignants d’inclure plus d’exercices pratiques, d’utiliser davantage le français en classe et de favoriser l’exposition à des locuteurs natifs, ainsi que des méthodes d’enseignement souples et ludiques avec l’utilisation de documents authentiques.
Tableau 4. Tableau récapitulatif des entretiens des apprenants
Questions | Réponses |
Pourquoi apprenez-vous le français ? | – Une belle langue (90 %) |
– Avec une riche histoire (65 %) | |
– Les français nos amis (60 %) | |
– Utile pour l’avenir (85 %) | |
– Pour une communication plus facile (80 %) | |
– il y a une parenté entre les deux langues qui rend l’apprentissage plus facile (60 %) | |
À quel âge avez-vous commencé à apprendre la langue ? Comment ? |
À l’âge de 11 ans ou après le lycée pour des raisons diverses : |
– Études (90 %) | |
– Voyages (78 %) | |
– Besoins de communication (82 %) | |
– Culture (63 %) | |
Comment caractérisez-vous l’apprentissage du FLE ? | Pas facile à cause de la complexité lexicale et grammaticale (92 %) |
Avez-vous des difficultés avec l’apprentissage de cette langue ? Lesquelles ? | – Difficultés lexiques (87 %) |
– Difficultés de syntaxe (82 %) | |
– Difficultés de grammaire (97 %) | |
– Application des règles (74 %) | |
– L’orthographe des mots (93 %) | |
– Le changement de genre entre les deux langues (98 %) | |
Comment affrontez-vous ces difficultés ? | – Des révisions fréquentes (76 %) |
– Écouter des chansons françaises (62 %) | |
– Voir des films français (60 %) | |
– Mémorisation (87 %) | |
– Automatismes (92 %) | |
Que proposez-vous à l’enseignant ? | – Plus d’exercices de pratique (78 %) |
– L’utilisation du français en salle de classe (96 %) | |
– Être plus exposés au français des locuteurs natifs (96 %) | |
– Méthodes plus souples et ludiques (86 %) | |
– Documents authentiques (97 %) | |
– Contact avec la langue (100 %) |
L’enquête menée révèle que les apprenants ne sont pas conscients de la récurrence de leurs erreurs, malgré les efforts déployés par leurs enseignants, soulevant des interrogations quant à la nature du travail enseignant, qui semble être réalisé de manière isolée, sans interaction suffisante avec les apprenants. Ce constat s’appuie sur le développement neurologique en cours chez les apprenants, tel que souligné par Walsh et Diller (1978), qui indique que les cellules neuronales impliquées dans les processus linguistiques se développent avec l’âge, favorisant ainsi une meilleure compréhension des relations sémantiques et une sensibilité grammaticale accrue. Par ailleurs, Desvaux (2005) souligne que le premier apprentissage dans la langue maternelle conditionne en grande partie le second apprentissage dans une langue seconde, souvent entamé dès l’enfance ou plus tardivement. De plus, il convient de noter que notre enquête se concentre sur le niveau A2, où l’apprenant n’a pas encore atteint le stade de la réflexion métalinguistique sur la langue elle-même, comme le souligne Dufour (2003). En effet, à ce niveau intermédiaire, la langue cible commence à être appréhendée de manière plus rationnelle.
Le deuxième constat issu de notre étude met en lumière le recours des apprenants à leur langue maternelle pour compenser leurs lacunes linguistiques, comme en témoignent2 les enseignants :
Persa3 : « Les jeunes ne comprennent pas du tout le métalangage, mais ils ont recours au grec pour les mots transparents ; c’est de là qu’on part. ».
Aélia4 : « […] plus un apprenant est âgé, plus il a besoin d’emprunter des ponts grammaticaux entre sa langue et le français. Il faut donc l’aider à en construire, car c’est ainsi qu’il a appris la grammaire du grec, également par des règles. ».
Comme cela apparait dans les témoignages des apprenants plus âgés, les règles de la langue maternelle sont directement appliquées à l’interlangue, sans jugements de grammaticalité. En revanche, il nous semble que chez les plus jeunes, ces règles induisent une restructuration du système de règles de la langue cible. L’initiation à l’apprentissage d’une langue étrangère commence de façon consciente et réfléchie, en mettant d’abord l’accent sur les structures linguistiques. Souvent, la compréhension des règles grammaticales précède l’utilisation spontanée de la langue (Vygotski, 1985). Cette observation corrobore l’idée que l’interlangue représente un stade intermédiaire et transitoire, où les apprenants mobilisent à la fois leur langue source et la langue cible, ce qui peut entraîner des erreurs interlinguales, comme le soulignent Besse et Porquier (1991).
On pourrait ajouter que chez les apprenants, surtout les jeunes apprenants, le sentiment d’efficacité renvoie à leur confiance éprouvée dans leur capacité à accomplir une tâche donnée. Pour renforcer ce sentiment chez les apprenants et les inciter à adopter une attitude proactive dans leur apprentissage, Bandura (1997/2003) identifie quatre principales sources : la persuasion verbale, les états physiologiques et émotionnels, les expériences actives de maîtrise et les expériences vicariantes.
Discussion des propos des enseignants
Les 6 enseignants qui ont répondu à notre enquête, dont la plupart sont des femmes, analogie représentative du corps enseignant dans le pays, sont tous des collègues expérimentés ayant au moins 20 ans dans la profession, tous grecs et tous locuteurs d’au moins d’une autre langue étrangère (l’anglais occupe la place prépondérante). Les entretiens avec les enseignants ont été effectués dans la deuxième partie des visioconférences, la première partie étant dédiée à les accompagner pendant qu’ils répondaient au questionnaire. De manière quasi unanime (5 enseignants sur 6) les réponses issues des questionnaires mettent en avant les points grammaticaux suivants (Tableau 5) :
Tableau 5 : Tableau récapitulatif des points grammaticaux auxquels les enseignants pensent que les apprenants commettent des fautes récurrentes
Catégories morphosyntaxiques et grammaticales : |
Connaître le genre des substantifs les plus usuels |
Reconnaître (à l’oral et à l’écrit) et utiliser les déterminants : |
Les nombres : 20, 21, 70-99,… |
Reconnaître et utiliser certaines formes usuelles de possessif (mon, ton, votre,…) / la plupart des formes de pronoms personnels |
Utiliser leurs formes sujet et objet direct à toutes les personnes et reconnaître leurs formes d’objet indirect aux personnes 1, 2, 4, 5 |
Prépositions : à, avec, dans, de, en, par, pour |
Le groupe nominal + Groupe verbal… (constructions verbales) : |
Groupe verbal +Verbe de/à verbe à l’infinitif |
Verbe + que Proposition (verbe à l’indicatif) |
Groupe nominal et constructions nominales : |
Tout, toute, tous, toutes |
Constructions pronominales (Pronoms toniques) : |
Pronom, Groupe nominal +Pronom + Verbe |
Structures interrogatives : |
Mots Interrogatifs |
Négation : |
Groupe nominal + (ne) + Verbe + rien |
Groupe Nominal + (ne) + Verbe + plus |
Ayant comparé les réponses des enseignants obtenues à la fois à partir des questionnaires et des entretiens, dans le but de vérifier la cohérence de leurs déclarations, nous n’avons relevé aucune divergence significative entre les deux sources de données. Les enseignants ont identifié de manière cohérente les mêmes points comme étant susceptibles de causer des erreurs récurrentes, ce qui suggère une compréhension claire du phénomène. Cependant, il convient de noter que, parfois, les enseignants ont préféré utiliser une classification traditionnelle, celle qui catégorise les apprenants en faibles et forts, plutôt que de suivre la classification conforme aux descripteurs du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR).
Aélia : « Je parle toujours de la moyenne. Les bons élèves le savent, mais pour les plus faibles, on ne traite pas tous les phénomènes, car ils ne peuvent pas tout retenir. ».
En ce qui concerne les entretiens, les enseignants n’ont pas exprimé de contradictions concernant leurs perceptions des erreurs récurrentes. Au contraire, leurs propos ont convergé vers plusieurs points communs, notamment l’importance des interférences, l’utilisation limitée du métalangage et le rôle crucial des manuels d’apprentissage. De plus, leurs remarques ont mis en évidence leur perception des différents niveaux de langue et leur approche méthodologique concernant l’enseignement des phénomènes grammaticaux.
Les conclusions tirées par les entretiens mettent en évidence l’impact significatif des interférences linguistiques sur le processus d’apprentissage d’une langue seconde. Ces interférences résultent des modèles linguistiques solides propres à la langue maternelle des apprenants, lesquels peuvent avoir à la fois des effets bénéfiques et préjudiciables. En effet, ces schémas influent sur la construction de la compétence linguistique, créant des mécanismes complexes au niveau du lexique et des structures syntaxiques. Cette influence peut entraîner des interférences dans divers aspects de l’apprentissage, tels que la sémantique, le lexique, la phonétique, la syntaxe, et même la dimension culturelle. Cependant, il est essentiel de reconnaître que ces interférences entre langue maternelle et langue d’apprentissage peuvent également servir de tremplin vers une compréhension plus approfondie de la langue cible, facilitant l’apprentissage et favorisant le bilinguisme, tout en enrichissant le processus d’acquisition linguistique.
Aélia : « Au niveau de l’orthographe, ils écrivent souvent le mot mariage avec deux r. En ce qui concerne le vocabulaire, ils utilisent fréquemment un mot anglais en y ajoutant une terminaison française. ».
Persa : « Ah, avec les possessifs, c’est l’enfer ! J’ai beau le répéter, on en fait des comptines, je dessine même un X pour montrer que je va avec me, et que te est en dessous, mais rien ne marche. Parfois, je leur dis : “commencez par les pronoms sujets. Puisqu’on dit je et tu, alors ton correspondra à του [la deuxième personne].” ».
Par ailleurs, les pratiques des enseignants dévoilent l’importance du métalangage dans l’enseignement de la grammaire. Bien que cet outil soit omniprésent dans les pratiques éducatives, il peut présenter des défis pour les apprenants en raison de sa complexité théorique. Les enseignants doivent donc trouver un équilibre entre l’utilisation du métalangage et des approches plus communicatives, adaptées aux besoins spécifiques de chaque groupe d’apprenants.
Kassandra5 : « Quand l’enfant est jeune et que je vois qu’il a des difficultés avec les termes, j’évite d’utiliser le métalangage. Bon, je peux dire le mot, mais si le mot provoque plus de stress que la notion elle-même, je n’insiste pas. Plus l’apprenant grandit et a été exposé au métalangage, plus je l’utilise.
Je t’avoue qu’ayant enseigné au primaire pendant neuf ans, j’ai discuté avec des collègues pour leur demander à quel moment introduire ces termes (sujet, verbe transitif, COD). De cette façon, j’ai pu vérifier qu’ils avaient abordé ces notions et les intégrer moi-même dans mes cours. ».
Les enseignants observent une méconnaissance croissante de ces termes chez les apprenants actuels, un phénomène qui s’explique par l’évolution des pratiques pédagogiques en langue maternelle. Ce changement traduit un déplacement de la culture éducative, qui s’éloigne de l’enseignement traditionnel de la grammaire au profit d’approches davantage centrées sur le développement des compétences communicatives.
Aélia : « Peut-être que pour des diplômes comme ceux de la Sorbonne, on accorde plus de valeur à la grammaire que pour les DELF, mais à mon avis, la façon de voir les choses a changé. La grammaire n’est plus l’A et le Z en ce moment ; on accorde plus d’importance à la communication, et pour pouvoir communiquer, ils (les élèves) doivent avoir acquis certaines compétences à l’oral. »
Polina6 : Des termes comme ceux-là, je ne les utilise que pour les temps. Le seul cas où j’emploierais les notions de « transitif/intransitif », c’est pour les pronoms personnels, et en pensant à mes propres enfants, je peux te dire qu’ils ne les connaissent même pas. Donc, je reste plutôt sur des explications pratiques : « il y a une préposition » ou « il n’y en a pas », sans trop de terminologie. En revanche, j’utilise très intensément ce type de vocabulaire pour les verbes.
La question revient à propos des apprenants adultes pour lesquels on obtient une double réponse : les apprenants issus des filières littéraires ont une meilleure maitrise que ceux dont les études n’ont pas de rapport avec les langues. Il faudrait se tourner vers des élèves plus âgés pour trouver des adultes dont la perception métalinguistique est significativement développée, au point de permettre à l’enseignant de l’utiliser pour expliquer un tel phénomène et faciliter l’apprentissage. Ici, on peut faire référence à la réflexion de Courtillon (1989), selon qui l’approche notionnelle et l’approche fonctionnelle ne sont que deux aspects d’une même approche dite sémantique. Cette approche a marqué un tournant vers un enseignement plus axé sur les fonctions langagières et les notions, en réponse aux besoins communicatifs des apprenants. Si les étudiants ont appris un métalangage (à propos de leur langue maternelle ou d’une première langue étrangère) et qu’ils en ont retenu une partie des catégorisations et des opérations, on doit pédagogiquement tenir compte de ce métalangage, parce que « c’est à travers son prisme qu’est perçu et interprété le fonctionnement de la langue cible » (Besse,1980).
Des entretiens avec les enseignants, nous avons également dégagé un nombre d’écarts dans les processus acquisitionnels, les relations entre les « savoirs savants » et les « savoirs d’expertise », les activités cognitives des apprenants et leurs représentations métalinguistiques, telles que modelées par leur culture éducative, et les activités d’enseignement à dimension grammaticale.
D’abord, l’écart entre le contenu du niveau A2, le contenu enseignable au niveau A2 et l’enseignable en vue des épreuves DELF A2.. Il est clair qu’il s’agit de trois angles différents : lorsqu’on introduit le terme « niveau A2 accompli », nous entendons (un apprenant qui maitrise) l’ensemble de différents points qui constituent le Référentiel A2. Les enseignants interviewés entendent les points grammaticaux, sociolinguistiques, morphosyntaxiques et autres qu’ils enseignent aux apprenants au niveau (arbitrairement nommé) A2, ce qui est parfois réduit davantage aux contenus enseignés en vue de la passation du diplôme A2.
Persa : Une cuillère à café, une cuillère de café : où vont-ils l’utiliser ? Dans une production écrite ? En production orale ? Donne-moi un exemple. Je ne comprends pas pourquoi cela devrait être acquis au niveau A2. Oui, d’accord, si je suis dans une école de chefs, il faut le savoir, mais sinon…
Polina : En A2, on n’y touche pas (aux pronoms personnels y et en), parce que c’est hors de question qu’il leur soit demandé. Je t’explique comment ça se passe : tu fais ta programmation au début de l’année et tu essaies de la suivre autant que possible. Ces notions-là sont prévues, mais vers la fin de l’année. Donc, si on manque de temps, on donnera plus d’attention aux lui, leur et aux le, la, les qu’aux en, y. Puisque ces derniers ne figurent pas dans les exercices, il vaut mieux qu’ils sachent utiliser les points principaux ».
Le résultat de ces disgressions est que les enseignants disent ne pas avoir le temps d’enseigner certains points grammaticaux soit parce qu’ils manquent cruellement de temps,
Kassandra : Je suis d’accord avec toi, mais je reviens à la question du temps. C’est-à-dire, on ne fait pas assez d’heures de cours. […] Je ne sais pas si les manuels sont simplifiés, mais selon moi, on ne respecte pas les volumes horaires nécessaires pour atteindre chaque niveau, ceux qui sont prévus dans les textes officiels, dans le Cadre, etc. On ne fait pas toutes ces heures, alors on essaie de condenser le travail…
soit parce que ces phénomènes ne sont pas examinés aux épreuves A2,
Persa : Une cuillère à café, une cuillère de café : où vont-ils l’utiliser ? En production écrite ? En production orale ?
soit parce que les manuels de langue ne les traitent pas.
Kassandra : Dans les anciens manuels, l’inversion était partout : quel âge as-tu ?, donc c’était clair qu’on devait l’enseigner aussi. Dans les manuels plus récents, on voit plutôt Tu as quel âge ? ou parfois aucune inversion, ce qui exige plus de temps pour l’enseigner correctement. Moi, je remets en question l’équilibre entre préparer les élèves pour les examens avec des sujets anciens et faire un enseignement complet et structuré. C’est-à-dire que, si je peux terminer un manuel en entier, même s’il est simplifié, il suit une logique, une continuité. Par contre, si je fais seulement dix chapitres, puis que je donne uniquement des tests et me concentre sur les compétences et le vocabulaire nécessaires pour les examens, il est évident qu’il y a un manque.
Un autre écart observé par les enseignants est le manque d’utilisation du français en classe lors des activités de production écrite. À plusieurs reprises, ils soulignent que des fautes persistantes apparaissent lorsque les apprenants se lancent dans des productions authentiques, tandis qu’ils comprennent parfaitement la règle formelle lorsqu’elle est citée et ils répondent correctement lors des productions non authentiques (exercices d’application). Ils remarquent un écart entre « l’aptitude à retenir la forme de phrase appropriée à un contexte linguistique spécifique » et « l’aptitude à identifier la fonction assurée par une phrase dans une situation de communication particulière » Wilddowson (1981, p. 16-17). Ceci ne permet pas à ce que les apprenants accèdent à une compétence de communication.
Aélia : Ils n’ont pas assimilé certaines règles. Ils ont bien compris, mais comprendre et assimiler, c’est différent ; ils n’ont pas intégré que le -ent ne se prononce pas, et deux minutes plus tard, ils font encore l’erreur. […] Ils sont donc assez forts en compréhension, mais beaucoup moins en expression, que ce soit en production écrite ou en production orale. À mon avis, c’est sur ce point qu’il faut travailler.
Fédra7 : Je te donne un exemple avec le verbe être ; j’observe qu’ils ne le comprennent pas très bien. Je vais y revenir pour le rappeler vers la fin [du cours], mais j’observe qu’ils évitent de l’utiliser. J’observe pourtant qu’ils le reconnaissent.
Cela nous permet de tirer la conclusion que la pratique pédagogique habituelle consiste à sélectionner et organiser des items de la langue afin de pouvoir démontrer comment les règles du système peuvent se manifester dans des phrases. La démarche suivie n’est pas proportionnelle à une progression grammaticale communicative ou fonctionnelle– notionnelle. La mise en valeur des deux volets de la règle : « … règles d’usage et règle d’emploi qui sont toutes les deux nécessaires dans la communication et qui doivent toujours aller de pair » (Phan, 2002, p.89) et auxquelles les apprenants doivent s’exercer dès le début de leur apprentissage du FLE, n’est pas retenue.
Le dernier écart que nous avons remarqué est celui entre les élèves « forts » et les élèves « faibles ». Tous les enseignants interviewés nous ont posé la question de savoir s’ils répondaient au questionnaire en pensant aux « bons élèves » ou au moins bons. Cette distinction nous a surpris, étant donné que nous partageons les écrits de Galisson (1980) selon qui chaque « individu développe une stratégie d’apprentissage personnelle, et que son âge, son niveau socioculturel, son rythme psychologique et intellectuel, son vécu, ses besoins, ses motivations, le temps dont il dispose, etc., constituent autant de paramètres qui le rendent différent de tous les autres » (p.28). L’essentiel réside sur les rapports entre progression d’enseignement et stratégies, et progression d’apprentissage. Certaines fautes peuvent également provenir de la stratégie utilisée par l’apprenant, telles que la stratégie de simplification, la stratégie de remplacement. Ainsi, faute de connaissances nécessaires et pour que sa production écrite se déroule, l’apprenant fait appel souvent à ces stratégies qui créent des erreurs. Chaque apprenant a sa manière de stocker ses connaissances, de leur donner du sens, de les transformer et de les récupérer dans des situations diverses.
Le paradoxe qui se cache derrière ce tri est qu’il a été question d’apprenants ayant « accompli » le niveau A2.
Aélia : Je parle toujours de la Moyenne. Les bons élèves le savent, mais pour les plus faibles, on ne traite pas tous les phénomènes parce qu’ils ne peuvent pas tout retenir. […] Les automatismes jouent un rôle essentiel, surtout chez les classes les plus faibles où tu ne t’attardes pas tellement à la théorie, parce que ce sont des enfants qui se fatiguent avec la théorie, qui ne la captent pas, ne la comprennent pas… ».
Évidemment, il n’y a pas de bons apprenants d’une langue étrangère ni de moins bons surtout quand on parle d’outils de communication : c’est la communication réussie avec moins de fautes et la progression. Il faudrait plutôt parler de la progression grammaticale fonctionnelle–notionnelle, essentiellement établie en fonction des besoins langagiers des apprenants qui sont au cœur du processus d’enseignement–apprentissage. En somme, discuter avec les enseignants des pratiques qu’ils mettent en place pour remédier aux fautes persistantes nous a permis de mettre en lumière les défis et les enjeux rencontrés dans l’apprentissage d’une langue seconde, tout en soulignant l’importance d’une approche pédagogique flexible et adaptative pour répondre aux besoins diversifiés des apprenants.
Traitement des phénomènes grammaticaux – descripteurs
La perception d’enseignement traditionnel de la langue est bel et bien présente dans le discours, mais aussi dans les choix didactiques des enseignants que nous avons interviewés. La tradition en Grèce veut qu’on aborde souvent la grammaire du français en stressant les phénomènes grammaticaux (les articles, la comparaison, l’impératif, la voix passive, les pronoms personnels, etc.) que l’on enseigne quasiment en bloc. Le regroupement et les classifications proposées dans le Référentiel n’impliquent aucune application didactique spécifique, les catégories de description ou de classification ne correspondant pas forcément à des catégories didactiques. Il n’empêche pourtant que ce découpage permet, à notre sens, de distinguer aussi bien les différentes compétences (PO PE CO CE) et de choisir de travailler sur une ou plusieurs d’entre elles, que de choisir d’exploiter l’usage limité à la communication d’un point grammatical plus vaste. De manière systématique, les enseignants associent l’exemple illustrant un point grammatical à l’enseignement du phénomène entier, et demandent à vérifier si l’on entend bien les formes simples (dans les expressions de la cause par exemple).
À titre indicatif, les enseignants interviewés disent ne pas aborder l’emploi du « par », parce qu’ils n’ont pas le temps d’enseigner le phénomène de la comparaison ou de la voix passive auxquels ils l’associent. Autre exemple, ils n’enseignent pas les pronoms « y » et « en » parce qu’ils les jugent trop compliqués, en pensant à la démarche nécessaire qu’il faut pour aborder la théorie grammaticale en amont et en aval, à faire passer des exercices d’application, faire face aux fautes, reprendre point par point, etc.
Or, adopter une démarche plus naturelle, plus aisée, plus communicationnelle leur permettrait de présenter les expressions isolées et contextualisées « allez-y », « j’en veux deux s’il vous plaît », « passez par ici », etc. En fin de compte, les apprenants sont privés de connaissances, ne serait-ce que des bribes, parce que les enseignants choisissent de ne pas fragmenter les savoirs grammaticaux au lieu d’organiser l’enseignement selon les besoins langagiers des apprenants pour les faire parvenir à une compétence de communication.
Le rôle des manuels
Le rôle des manuels de FLE est également abordé lors des entretiens avec les enseignants. Les conclusions à tirer portent sur la présence ou plutôt l’absence de phénomènes grammaticaux et morphosyntaxiques qui étaient présents autrefois, mais qui ne le sont plus : privilégier ou limiter la formation de la phrase interrogative à l’affirmation+changement d’intonation (Tu veux du pain ?), ou ignorer les constructions « -est-ce qui/-est-ce que » et ne proposer que la formation de l’interrogation partielle par l’emploi des pronoms interrogatifs (qui est végétarien ?/qui appelez-vous ?/ tu préfères quoi ?) comme les formes interrogatives sont des exemples qui illustrent les propos des enseignants pour témoigner d’une tendance, voire d’une culture, de simplification de la grammaire.
Le paradoxe réside dans le fait que ces mêmes enseignants qui « accusent » les manuels d’exclure des structures complexes se justifient de ne pas avoir enseigné tel ou tel autre phénomène puisqu’il ne figure pas dans le manuel choisi.
De ce fait, l’enseignant se montre comme le seul détenteur du savoir grammatical en classe de FLE qui le manipule selon sa formation et le transmet selon son expertise. Par leurs discours, ils tiennent à exprimer que des liens étroits entre la classe de langue et la didactique de la grammaire favoriseraient des échanges générateurs de progrès « à l’entrée dans une nouvelle ère éclectique ouverte à la diversité maximale des procédés, techniques et méthodes » selon Puren (1997, p.12).
Didactisation
Quant à la didactisation, les enseignants interviewés témoignent d’une large palette d’actions, couvrant tout l’éventail méthodologique depuis la méthode traditionnelle jusqu’à l’éclectisme. Ils inventent des solutions/pratiques pour leurs apprenants : exemples, schémas, formules… dans des activités de perspective contrastive. Ils prennent appui sur leur expertise contrastive et leur savoir-faire métalinguistique. Plus précisément, ils disent avoir recours à la méthodologie traditionnelle, au sens où ils font conjuguer des verbes régulièrement, ils proposent des dictées (y compris des documents sonores destinés à la préparation à la CO des diplômes), ils révisent encore et encore à l’aide d’exercices traditionnels.
Polina : En classe, on essaie de faire autant d’entraînement que possible précisément sur ces fautes. Plus tu révises, plus tu leur montres, plus vite ils vont apprendre. Il faut beaucoup réviser, jusqu’à ce que cela devienne un acquis.
Fédra : Faire des dictées axées sur des champs phonétiques et les faire corriger en classe. Ensuite, utiliser des documents de production orale comme support pour ces dictées.
Les enseignants jouent également la carte de la prévention en ce sens où ils préviennent les apprenants des fautes qu’ils seraient à même de commettre. Attirer l’attention sur un point d’orthographe ou de grammaire qui serait susceptible d’être écrit incorrectement semble fonctionner aussi bien pour les apprenants que pour les enseignants.
Kassandra : Quand je vois que certaines notions vont être abordées, par exemple quand on commence à parler de la cédille, je leur dis : Ne tombons pas dans le piège ! À quoi faut-il faire attention ? Ils répondent alors : Ah oui, le c demande une cédille. Ensuite, on passe à la règle ; j’utilise la règle comme un rappel verbal. […] Si je constate qu’ils ont l’air de ne l’avoir jamais vue, on rouvre le manuel de grammaire et on refait un exercice sur place.
En même temps, les entretiens révèlent un recours généralisé à l’emploi et à la didactisation des automatismes langagiers et linguistiques. Ceux-ci sont créés à l’aide de la visualisation (couleurs, tableaux, formes), des comptines, ou de différentes astuces que les enseignants donnent, malgré le fait que ces solutions « ne sauraient garantir mécaniquement un “meilleur” apprentissage ni constituer une remédiation efficace aux difficultés d’appropriation » (Beacco & coll., 2014, p.6).
Polina : Pour les verbes intransitifs, je crée des couples et des cercles pour faciliter l’apprentissage. Parfois, je leur dis : j’arrive, je reste un peu et puis je pars et je fais une triade. Cela permet de créer un automatisme, mais pour le subjonctif, ils doivent suivre la règle. […] J’utilise des astuces, un peu comme des jeux ; je leur dis aujourd’hui, je vais vous montrer une astuce, et on dessine au tableau en faisant correspondre mon avec μου, ton avec σου. »
Aélia : Je crois que l’automatisme fonctionne dès le plus jeune âge, dès la maternelle. Car s’ils apprennent quelque chose de façon incorrecte, cela les suit jusqu’aux diplômes les plus avancés.
Persa : Quand on apprend les verbes irréguliers, je les prononce comme ils sont écrits, en les répétant : [εtεs], [ditεs], [fεtεs].
D’ailleurs,
Si l’on souhaite que la grammaire soit présente dans l’enseignement en tant que compétenc descriptive/métalinguistique, alors il importe de laisser les apprenants analyser des données, en leur donnant les moyens conceptuels de le faire, et non de les amener, par induction subtilement dirigée, à retrouver la description officielle, seule admissible (Beacco, 1997, p.2).
C’est le souci prépondérant de faire découvrir une forme en contexte et non une composante linguistique qui puisse fonctionner seule. Sur ce point, nous rejoignons l’opinion d’une enseignante sur le fait que toute approche méthodologique qui ait recours au communicatif ou à l’actionnel demande nettement plus de temps de contact de l’apprenant avec la langue que cela ne soit possible dans les conditions données. L’enseignant est obligé de suivre le curriculum ; il est confronté à une durée et une fréquence de cours très limitées.
Kassandra : Moi, je reviens sur la question du volume horaire. Quand on n’a pas beaucoup d’heures de cours, l’enfant manque d’exposition. Pour mettre en place une approche communicative, comme j’aimerais le faire, je n’ai pas le temps, en une heure et demie ou deux heures, de tout couvrir et d’assurer une exposition suffisante. En plus – et là, je vais être un peu cynique – on est dans un pays où le français n’est pas aussi présent autour de nous que l’anglais…
Persister, par la révision, par les exercices, par les tests, serait aussi pour remédier à l’insécurité langagière que les apprenants ressentent d’après leurs enseignants. En effet, ces derniers avancent comme cause des fautes une anxiété langagière selon laquelle les apprenants agissent de peur de faillir un test ou une production écrite, de peur de l’évaluation négative. À cause de cet état anxiogène, qu’évoque ainsi Py (2004) : « il y a chez tout apprenant des moments de transformation d’un sentiment diffus d’impuissance et d’échec de la communication, un problème à résoudre. Le sentiment d’impuissance en soi est en effet plus handicapant que stimulant et ne conduit pas lui-même à aucune solution ». (p.17) ; ils privilégient l’usage de la langue comme ils l’ont acquise sans bien y réfléchir.
Fédra : Au niveau A2, il est impossible pour eux de comprendre qu’un COD est nécessaire avec certains verbes de déplacement pour les conjuguer avec l’auxiliaire avoir. Ils ne sortent pas de leur zone de confort : moi, c’est ainsi que je le sais, et ainsi cela restera.
Il est indéniable qu’on doit toujours tenir compte du domaine éducatif, pédagogique et psychologique dans toute forme d’enseignement. De plus, il faudrait une grammaire de la variation qui prenne en compte les divers paramètres pragmatiques d’une communication et non seulement un modèle monolithique rigide offrant un même produit, à savoir l’usage standard de la langue. Tout bien pesé, l’enseignant doit recourir à une pédagogie structurée sur un enseignement de grammaire axé sur le fond et sur la forme. Il ne s’agit pas seulement de faire travailler l’apprenant, mais de susciter chez lui le désir réel de résoudre le problème et de progresser dans son apprentissage (Messager & Vergerau, 2018). Cela implique que l’apprenant accepte la responsabilité de faire face à un défi d’apprentissage. Toutefois, la différence réside dans la manière dont chacun parvient à travailler. L’enseignant doit donc adopter des approches pédagogiques diversifiées, adaptées aux besoins et aux capacités de chaque apprenant, afin de le guider efficacement dans sa « zone proximale de développement » (ZPD) et de favoriser ainsi son développement optimal.
En classe de langue, la production et la répétition d’énoncés visent à aider les apprenants à structurer la langue, mais cela ne doit pas se limiter à une simple répétition mécanique. Il est utile de concevoir des tâches qui exigent la mobilisation de diverses compétences, y compris les connaissances et les capacités linguistiques. Cette approche peut sembler évidente pour les niveaux avancés du Cadre européen commun de référence pour les langues, mais elle est également pertinente pour les niveaux plus élémentaires. Il est donc important d’encourager les apprenants à réaliser des performances complexes qui aboutissent à la réussite, tout en fournissant des retours sur ce qu’ils maîtrisent et sur ce qu’ils peuvent améliorer. D’après Bandura « l’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (2003, p.12) ce qui renvoie à la conviction de pouvoir organiser et mettre en œuvre les actions nécessaires pour atteindre des objectifs spécifiques. Ce sentiment est influencé par la perception des compétences et la croyance en soi. En classe de langue, il désigne la confiance qu’un apprenant a dans ses capacités à réussir une tâche. Cependant, un sentiment d’efficacité élevé ne garantit pas automatiquement le succès, car d’autres facteurs externes peuvent intervenir.
Constats issus de l’enquête
La différence de perception entre les enseignants et les apprenants concernant les fautes grammaticales souligne l’importance de la différenciation pédagogique, comme le révèle l’analyse ci-dessus de leurs perspectives. En tenant compte de la théorie de la zone proximale de développement de Vygotski, nous comprenons que chaque apprenant a un niveau de compétence différent. Certains élèves peuvent être capables de détecter et de corriger leurs propres erreurs, tandis que d’autres pourraient avoir besoin d’un soutien supplémentaire de la part de l’enseignant. Ainsi, l’adaptation de l’enseignement à la ZPD de chaque élève est essentielle pour maximiser l’apprentissage et aider les apprenants à progresser vers des niveaux plus élevés de compétence.
La théorie de Bandura (2003) sur le sentiment d’efficacité personnelle nous aide à comprendre pourquoi certains apprenants sont plus disposés que d’autres à signaler des fautes grammaticales. Les apprenants ayant un fort sentiment d’efficacité personnelle sont plus susceptibles d’être proactifs dans leur apprentissage et de chercher à améliorer leurs compétences linguistiques. Par conséquent, les enseignants peuvent renforcer ce sentiment en fournissant des retours positifs et en encourageant les apprenants à prendre des initiatives dans leur propre apprentissage. Cette réflexion sur l’expérience active de maîtrise souligne l’importance de fournir aux apprenants des tâches qui exigent la mobilisation de diverses compétences linguistiques. En encourageant les apprenants à réaliser des performances complexes, les enseignants peuvent favoriser un apprentissage plus approfondi et significatif. De plus, la validation sociale de l’apprentissage, mentionnée dans les conclusions, peut être approfondie à la lumière de la théorie de Bandura sur les expériences vicariantes, ainsi que d’autres théories psychosociales qui mettent en avant le rôle des dynamiques de groupe, des normes sociales et de la reconnaissance par les pairs, soulignant ainsi l’importance des interactions sociales et du contexte culturel dans l’ensemble du processus d’apprentissage.
Les divergences de perspectives entre les enseignants et les apprenants mettent en évidence la nécessité d’une approche pédagogique différenciée, où les enseignants adaptent leur enseignement en fonction des besoins et des perceptions individuelles des apprenants. Une sensibilisation à la variabilité du système linguistique et une réflexion métalinguistique sont cruciales pour aider les apprenants à mieux appréhender les concepts grammaticaux et à améliorer leurs compétences communicatives. Ces conclusions soulignent l’importance d’une approche pédagogique flexible et adaptative, où les enseignants guident les apprenants à travers leur zone proximale de développement linguistique tout en encourageant une réflexion métacognitive sur leurs propres erreurs. En intégrant ces principes dans leur pratique pédagogique, les enseignants peuvent favoriser une acquisition linguistique plus efficace et durable chez leurs apprenants. Les enseignants identifient davantage de points grammaticaux problématiques que les apprenants, le pourcentage des réponses concernant les fautes rares étant légèrement inférieur à la moitié (42,4 %), contre 98,6 % pour les enseignants, probablement en raison d’une perception plus aiguë de ces points, d’une attention accrue aux erreurs de performance des apprenants, d’une évaluation plus stricte ou d’une référence aux élèves les moins performants. Cette observation peut être attribuée à la façon dont les enseignants structurent leur enseignement, en mettant l’accent sur certains aspects grammaticaux lors de l’enseignement et de l’évaluation. Cependant, il demeure également important que les enseignants reconnaissent les compétences des apprenants et les orientent vers une auto-évaluation plus précise de leurs erreurs. Certains apprenants signalent rarement ou jamais de fautes sur presque tous les points grammaticaux, mettant en évidence le besoin d’une sensibilisation accrue à la différence entre les erreurs systématiques et les fautes non systématiques. En intégrant la théorie de la zone proximale de développement, les enseignants peuvent aider les apprenants à développer leurs compétences d’auto-évaluation en fournissant des rétroactions ciblées et en encourageant la réflexion métacognitive sur leurs erreurs. Les raisons avancées par les deux groupes pour l’apparition fréquente ou récurrente des fautes mettent en lumière un manque de maîtrise de la langue cible, notamment en ce qui concerne la distinction entre les erreurs systématiques et non systématiques.
Dans le cadre de l’enseignement des langues, il s’avère d’une importance majeure de fournir aux apprenants une compréhension approfondie des structures grammaticales et des règles linguistiques, tout en les encourageant à appliquer ces connaissances de manière autonome dans leurs interactions langagières.
En prenant en compte ces conclusions dans notre analyse, nous mettons en évidence l’importance d’adapter notre enseignement aux besoins individuels des apprenants et de leur fournir des retours constructifs et différenciés, ce qui les aidera à progresser vers des niveaux supérieurs de compétence linguistique tout en développant une conscience métacognitive de leurs erreurs. Les résultats de l’enquête, illustrés par les tableaux et les extraits des entretiens avec les enseignants mentionnés ci-dessus, révèlent que les fautes récurrentes se manifestent moins fréquemment que ce qui avait été initialement anticipé. Ceci suggère une prise de conscience chez les apprenants quant à leurs erreurs, bien qu’ils ne les répètent pas systématiquement. Cette observation met en lumière la complexité du processus d’acquisition linguistique, où les compétences intermédiaires se développent progressivement avec le temps, en accord avec la théorie de la zone proximale de développement. La plupart des apprenants de niveau A2, étant jeunes et encore au début de leur apprentissage linguistique, rencontrent des difficultés à reconnaître leurs erreurs récurrentes. Cette difficulté s’explique en partie par leur manque d’expérience et de pratique. Par ailleurs, le concept d’acculturation met en évidence que l’intégration à la communauté linguistique étrangère est essentielle dans le processus d’acquisition de la langue, car elle favorise non seulement l’apprentissage linguistique, mais aussi l’adoption des normes culturelles et sociales qui facilitent une maîtrise plus naturelle et contextuelle de la langue.
En résumé, ces constats soulignent l’importance d’une approche pédagogique flexible et adaptative, où les enseignants accompagnent les apprenants dans leur zone proximale de développement linguistique tout en favorisant une réflexion métacognitive sur leurs erreurs. En intégrant ces principes dans leur pratique pédagogique, les enseignants peuvent encourager une acquisition linguistique plus efficace et durable chez leurs apprenants.