Introduction
Historiquement, la revue La pensée d’ailleurs a vu le jour dans une équipe de recherche spécifique, Normes & Valeurs, au sein d’un laboratoire rattaché à plusieurs établissements, le Laboratoire Interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la formation (LISEC). La spécificité de cette équipe est liée aux recherches qui y sont menées puisqu’elles se distinguent par le souci d’assumer un certain rapport à la philosophie et à l’histoire de l’éducation lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux questions éducatives1. D’ailleurs, les différentes évaluations menées par l’AERES2 et le HCERES3 le soulignent depuis une quinzaine d’années. Seulement, ce trait distinctif s’inscrit dans un environnement, et plusieurs publications ont fait état de ce contexte intellectuel, académique et éditorial particulier (Riondet, 2018 ; Prairat et Riondet, 2020 ; Prairat et Prot, 2021). C’est en lien avec ce contexte qu’il nous a semblé important de revenir sur un acteur de l’histoire de cette équipe, et qui vient de nous quitter : Pierre-André Dupuis, qui fut une figure importante dans l’histoire des sciences de l’éducation et de la formation à Nancy4.
Retour sur une trajectoire
Le premier élément de trajectoire que l’on peut rappeler ici est qu’il fut intégralement formé en philosophie. Il réussit le diplôme universitaire d’études littéraires (DUEL) de philosophie en 1968, la licence de philosophie en 1969 et la maîtrise en 1970. Il obtint le certificat d’aptitude au professorat dans l’enseignement du second degré en philosophie et l’agrégation (rang 8) dans la même discipline en 1972. Il occupa un poste de professeur en lycée à Nancy (Chopin, lycée technique de l’Est), puis un poste de professeur de psychopédagogie au centre régional de maîtres pour l’adaptation et l’intégration scolaires (CFR-MAIS) à l’École normale mixte de Meurthe-et-Moselle. De 1984 à 1987, il fut directeur d’études du CFR-MAIS (Dupuis, 2002a, p. 284-285).
Il n’en avait pas fini avec la philosophie et les études, puisqu’il décrocha un diplôme d’études approfondies (DEA) en philosophie en 1979 avant de se lancer dans l’aventure doctorale. Il fut l’auteur en 1985 d’une brillante thèse intitulée Essai sur l’éthique et la philosophie de l’éducation, soutenue à l’université de Strasbourg sous la direction de Lucien Braun, un spécialiste d’histoire de la philosophie. Comme il le rappela rétrospectivement :
La question de départ de ma thèse de philosophie de 1985, Essai sur l’éthique et la philosophie de l’éducation, était de comprendre, à partir des diverses composantes de la « crise » de l’éducation, l’exigence éthique qui, sous de multiples formes, est adressée à l’éducation, et que l’on peut interpréter en première analyse comme demande de conciliation entre la signification sociale de l’éducation et les conditions du développement personnel.
(Dupuis, 2002, p. 32).
Après la soutenance de sa thèse, il continua à participer au séminaire de philosophie de Braun (Dupuy, 1983, 1987). Il fut recruté peu de temps après à l’université Nancy 2 sur un poste de maître de conférences en sciences de l’éducation. Pierre-André Dupuis fit donc partie de ce flux de collègues philosophes qui contribuèrent à l’émergence et au développement des sciences de l’éducation pendant plusieurs décennies, comme l’ont montré les travaux de Gaspard Fontbonne (2017). Il fut également l’auteur d’une habilitation à diriger des recherches intitulée Anthropologie temporelle des parcours singuliers en éducation et en formation, soutenue à Nancy, en 2002, avec comme garant Gérard Fath (Nancy 2), un autre philosophe (normalien et professeur) qui marqua l’histoire du département. Le jury se composait alors de Pierre Higelé (Nancy 2), Jean-Marie Labelle (université Louis Pasteur de Strasbourg), Philippe Meirieu (à l’époque directeur de l’IUFM de l’académie de Lyon) et Gaston Pineau (université François Rabelais de Tours). Quelques années plus tard, il accéda à un poste de professeur des universités en sciences de l’éducation.
Si sa trajectoire fut fortement marquée par sa formation en philosophie, Pierre-André Dupuis ne s’enferma pas dans la philosophie, même circonscrite aux questions d’éducation. La notice qui lui fut consacrée dans la troisième édition de l’Annuaire des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation l’illustre parfaitement. Dans la partie consacrée au « cadre référentiel », le lecteur pouvait lire dans les disciplines ou théories de référence : « philosophie de l’éducation », « pédagogie des adultes », « psychologie cognitive », « sociologie de l’éducation » (Marchat, 1998, p. 119). Un certain éclectisme était aussi de mise pour ses objets de recherche : « analyse des pratiques », « relation éducative », « apprentissage », « personnalisation », « formation de la pensée » (id.).
Hommage à un collègue
Pierre-André Dupuis était un professeur écouté car érudit, comme le montre son beau livre Éduquer : une longue histoire, publié aux Presses universitaires de Strasbourg le 1er janvier 1990. Professeur écouté aussi, parce qu’il était lui-même à l’écoute de ses étudiantes et de ses étudiants. Il était très engagé dans le département et assura des cours dans de nombreux diplômes. Il eut la responsabilité d’éléments de sensibilisation aux métiers de l’enseignement au niveau DEUG (diplôme d’études universitaires générales) qui avaient pour intitulés : « approche de l’échec scolaire » et « découverte de l’école élémentaire ». Il participa à la réalisation d’un nouveau diplôme (DEUST) qui s’adressait aux « aides éducateurs » de l’Éducation nationale. Il intervint dans la licence générale de sciences de l’éducation (« Démarches de formation et pratiques d’évaluation », « Épistémologie », « Identité personnelle et sociale – Pluralisme culturel ») et dans la maîtrise (« Élaboration de projets éducatifs », « Problématiques de l’éducation, de l’animation, de la formation », « Séminaire méthodologique »). Dans le cadre de ce diplôme, il eut la responsabilité de l’option de maîtrise « Métiers de l’enseignement et de l’éducation ». Il participa également au tronc commun du DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) « Développement local et formation », diplôme dont il prit la co-responsabilité en 1993, et il contribua au DEA « Sciences du travail et de la formation ». Enfin, il eut de 1995 à 1997 la co-responsabilité de l’unité « Sciences de l’éducation » qui était proposée par le Centre de télé-enseignement universitaire de l’université Nancy 25. Cet engagement s’observa également dans les prises de responsabilités puisqu’il fut responsable de la direction du département des sciences de l’éducation de l’université Nancy 2. Il fut, à la fin de sa carrière, directeur de l’UFR de sciences humaines et sociales de cette université Nancy 2 (intégrée peu après dans l’université de Lorraine).
Il était un collègue investi dans de nombreux collectifs. S’il était érudit, il était toujours humble et curieux de la pensée des autres, il interrogeait volontiers ses collègues sur leurs propres recherches. Les échanges intellectuels avec Pierre-André étaient toujours stimulants. Bien que philosophe de formation, il participa à de nombreuses équipes de recherche. En lien avec différents collègues du département de sciences de l’éducation (comme par exemples, Pierre Higelé, Gérard Fath, François Marquart et d’autres), il contribua entre 1987 et 1998 au laboratoire de recherche sur le développement cognitif (LRDC) et au groupe de recherche sur l’identité professionnelle des enseignants de l’école laïque (GRIPEL). Ces deux laboratoires devinrent à partir de 1991 des composantes du groupe de recherche sur les identités socioprofessionnelles des enseignants et formateurs et les dynamiques d’apprentissage (GRISEFDA) (Dupuis, 2002a, p. 288) et c’est dans cet environnement que Dupuis collabora à de nombreux projets. En parallèle à ces synergies, il fut particulièrement impliqué dans le groupe de recherche sur l’explicitation et la prise de conscience (GREX), créé par Pierre Vermersch et Catherine le Hir. En 1998, Dupuis participa à une nouvelle aventure, la création de l’équipe de recherche sur les acteurs de l’éducation et de la formation (ERAEF), dont il fut le directeur adjoint en 1998, dans un contexte de structuration fédérative d’équipes de recherche locales, l’Institut lorrain des sciences du travail, de l’emploi, de la formation (ILSTEF). L’ERAEF constitua une nouvelle étape dans le processus de structuration de la recherche en sciences de l’éducation à Nancy et dans l’espace lorrain avant un autre projet : le regroupement de plusieurs entités scientifiques dans un grand laboratoire regroupant un nombre conséquent de collègues en sciences de l’éducation et de sciences de l’information et de la communication de Lorraine et d’Alsace. C’est dans ce contexte que Pierre-André Dupuis fut l’un des membres fondateurs du laboratoire interuniversitaire de sciences de l’éducation et de la communication (LISEC) au début des années 2000 et qu’il dirigea, parfois avec d’autres collègues, des thèses6.
Pierre-André Dupuis prit se retraite en 2009 mais en tant que professeur émérite, il resta actif. Il participa notamment au début des années 2010 à l’aventure éditoriale de la revue Transverse. Il y occupa plusieurs fonctions et positions (co-directeur, conseiller scientifique, rédacteur en chef, co-auteur, directeur de numéro) avant de profiter de sa retraite après une riche carrière et un engagement sans faille pour l’institution et les collectifs auxquels il participa, ainsi qu’auprès des personnes avec lesquelles il travaillait.
